IXème ENTRETIEN
Accueil Remonter

 

 Ier ENTRETIEN IIème  ENTRETIEN IIIème  ENTRETIEN IVème ENTRETIEN Vème ENTRETIEN VIème ENTRETIEN VIIème  ENTRETIEN VIIIème ENTRETIEN IXème ENTRETIEN Xème ENTRETIEN XIème ENTRETIEN XIIème ENTRETIEN XIIIème ENTRETIEN XIVème ENTRETIEN XVème ENTRETIEN XVIème ENTRETIEN XVIIème ENTRETIEN XVIIIème ENTRETIEN XIXème ENTRETIEN XXème ENTRETIEN XXIème ENTRETIEN XXIIème ENTRETIEN DERNIER ENTRETIEN QUESTIONS Sr SIMPLICIENNE LA GALERIE

NEUVIÈME ENTRETIEN

DE L’AMOUR ENVERS LES CRÉATURES

 

Il y a certains amours qui semblent extrêmement grands et parfaits aux yeux des créatures, qui devant Dieu se trouveront petits et de nulle valeur. La raison est que ces amitiés ne sont point fondées en la vraie charité, qui est Dieu a , ains seulement en certaines alliances et inclinations naturelles, sur quelque condition humainement louable et agréable. Au contraire, il y en a d’autres qui semblent extrêmement minces et vides aux yeux du monde, qui devant Dieu se trouveront pleines et fort excellentes parce qu’elles se font seulement pour Dieu et en Dieu, sans mélange de notre propre intérêt, les actes de charité qui se font autour de 1 ceux que nous aimons de cette sorte sont mille fois plus parfaits, d’autant que tout est purement à Dieu ; mais les services et autres assistances que nous faisons à ceux que nous aimons par inclination sont beaucoup moindres en mérite, à cause de la grande complaisance et satisfaction que nous avons à les faire, et que, pour l’ordinaire, nous les faisons plus par ce mouvement que pour l’amour de Dieu. Il y a encore une autre raison qui rend ces premières amitiés dont nous avons parlé moindres que les dernières: c’est qu’elles ne sont pas de durée, parce que la

 

a. I Joan., IV, 8, 16.

1. envers

 

cause en étant si frêle, dès qu’il arrive quelque traverse, elles viennent à se refroidir et altérer; ce qui n’arrive point à celles qui sont seulement en Dieu, parce que la cause en est solide et permanente.

A ce propos, sainte Catherine de Sienne fait une belle comparaison : Si vous prenez, dit-elle, un verre, et que vous l’emplissiez dans une fontaine, et que vous buviez en même temps sans le tirer de là-dedans, encore que vous buviez tant que vous voudrez, le verre ne se vide point: mais si vous le tirez hors de la fontaine, quand vous aurez bu, le verre sera vide. Ainsi est-il des amitiés : quand on ne les tire point de leur source, elles ne tarissent jamais. Les caresses mêmes et signes d’amitié que nous faisons contre notre propre inclination ès personnes auxquelles nous avons de l’aversion, sont meilleures et plus agréables à Dieu que celles que nous faisons attirés de l’affection sensitive. Et cela ne se doit point appeler duplicité, ou simulation 2, car si bien j’ai un sentiment contraire, il n’est qu’en la partie inférieure, et les actes que je fais, je les fais avec la force de la raison, qui est la partie principale de mon âme. De manière que, quand celle à qui je fais ces caresses saurait que je les lui fais parce que je lui ai de l’aversion, elle ne s’en devrait point offenser, ains les estimer et chérir davantage que si elles partaient d’une affection sensible; car les aversions sont naturelles, et d’elles-mêmes ne sont nullement mauvaises quand nous ne les suivons pas; au contraire, c’est un moyen de pratiquer mille sortes de bonnes vertus, et Notre-Seigneur même

 

2. dissimulation

 

nous sait plus de gré quand avec une extrême répugnance nous lui allons baiser les pieds, que si nous y allions avec beaucoup de suavité. Ainsi ceux qui n’ont rien d’aimable sont bien heureux, car ils sont assurés que l’amour qu’on leur porte est excellent, puisqu’il est tout en Dieu.

Souvent nous pensons aimer une personne pour Dieu, et nous l’aimons pour nous-mêmes; nous nous servons du prétexte de ses vertus, et disons que c’est pour cela que nous l’aimons; et rien moins, c’est pour la consolation que nous en recevons; car n’y a-t-il pas plus de suavité à voir venir à vous une âme pleine de bonnes affections et qui suit extrêmement bien vos conseils, qui va 3 fidèlement et tranquillement le chemin que vous lui avez marqué, que d’en voir une autre toute inquiétée et embarrassée, faible à suivre le bien, à qui il faut mille fois dire une même chose? Sans doute vous y en aurez davantage. Ce n’est donc pas pour Dieu que vous l’aimez, car cette dernière est à lui aussi bien que l’autre, et vous la devriez davantage aimer, car il y a davantage à faire pour Dieu. Il est vrai que où il y a davantage de Dieu, c’est-à-dire de vertu, qui est une participation des qualités divines, nous y devons plus d’affection : comme, par exemple, s’il se trouvait une âme plus parfaite que celle de notre Père spirituel, nous la devrions aimer davantage pour cette raison-là; mais néanmoins nous devrions aimer beaucoup plus notre Père spirituel parce qu’il est notre père et conducteur.

Nous devons aimer le bien en notre prochain

 

3. suit

 

comme en nous-mêmes, et principalement en Religion où tout doit être parfaitement en commun, et ne devons point être marries qu’une Soeur pratique quelque vertu à nos dépens. Comme, par exemple, si je me trouve à une porte avec une plus jeune que moi et que je me retire pour lui donner le devant, à mesure que je pratique cette humilité, elle doit avec douceur pratiquer la simplicité, et qu’elle essaie en une autre rencontre de me prévenir. De même, si je lui donne un siège ou me retire de ma place, elle doit être contente que je fasse ce petit gain, et par ce moyen elle en sera participante; comme si elle disait : Puisque je n’ai pu faire cet acte de vertu, je suis bien aise que cette Soeur l’ait fait. Et non seulement il n’en faut pas être marrie, mais il faut être disposée à contribuer 4 tout ce que nous pouvons pour cela, jusqu’à notre peau s’il en était besoin; car, pourvu que Dieu soit glorifié, il ne nous doit pas chaloir 5 comment ni par qui; de telle sorte que s’il se présentait une occasion de faire quelque oeuvre de vertu, et que Notre-Seigneur nous demandât qui nous aimerions mieux qui la fît, il faudrait répondre : Seigneur, celle qui la pourra faire plus à votre gloire. Or, n’ayant point ce choix, nous devons désirer de la faire, car la première charité commence à soi-même; mais ne le pouvant, il faut se réjouir, se complaire et être extrêmement aise de ce qu’une autre le fait, et ainsi nous aurons mis parfaitement toutes choses en commun b Autant en faut-il dire pour ce

 

b. Act., II, 44, IV, 32.

4. faire pour notre part — 5. importer

 

qui regarde le temporel; car pourvu que la Maison soit accommodée 6, nous ne nous devons pas soucier si c’est par notre moyen ou par un autre. Quand il se trouve de ces petites affections, c’est signe qu’il y a encore du tien et du mien.

Lorsque nous entendons le signe de l’obéissance, nous devons croire que c’est la voix de Notre-Seigneur qui nous appelle, et faut partir tout promptement, encore que nous fussions occupées à travailler pour Dieu; tout ainsi qu’une jeune mariée entendant la voix de son époux, encore qu’elle fasse quelque chose pour lui, elle quitte tout pour aller où il l’appelle ; et, bien qu’un peu de retardement 7 ne soit pas une infidélité, c’est néanmoins une grande fidélité et une vertu fort agréable à Dieu de ne retarder point du tout. De même, il y a mille choses que ne les faisant point nous ne péchons pas, mais si nous les faisons nous faisons une bonne vertu : comme de parler bas, marcher doucement, baisser les yeux, bien faire la récréation et choses semblables qui sont néanmoins fort nécessaires pour la bienséance et recueillement.

Il se dit peu de paroles oiseuses en ces maisons de Religieuses d’observance; car si bien tout ce qui se dit n’est pas nécessaire, c’est pour l’ordinaire ou une simple communication de pensées qui se fait pour entretenir la société, ou paroles qui se disent pour la récréation et entretien commun où il est bon que chacune contribue; et ce qui, en autre sorte 8, serait oiseux, étant dit à la récréation ne l’est point, parce qu’il a une fin pour

 

6. aménagée, pourvue — 7. retard — 8. temps

 

laquelle il est utile. Mais si, hors de la récréation, au temps qu’il faut parler de choses de dévotion, quelqu’une racontait un songe, cela vraiment serait oiseux. Ce sont encore paroles oiseuses, quand, pour dire une chosé, l’on multiplie beaucoup de mots qui ne sont nullement nécessaires pour la faire entendre; si cela néanmoins arrive par l’ignorance de celui qui parle et qui ne se sache pas autrement expliquer, il n’y a point de péché.

Nous ne connaîtrons jamais notre propre perfection, car il nous arrive comme à ceux qui naviguent sur mer; ils ne savent pas s’ils avancent, mais le maître pilote, qui sait l’art de naviger 9, le connaît. Ainsi nous ne pouvons pas juger de notre avancement, mais oui bien de celui d’autrui; car nous ne sommes pas assurés 10, quand nous faisons une bonne action, que nous l’ayons faite avec perfection, d’autant que l’humilité nous le défend. Or, encore que nous puissions juger de la vertu d’autrui, si ne faut-il pourtant jamais déterminer qu’une personne soit meilleure qu’une autre, parce que les apparences sont trompeuses; et tel qui paraît fort vertueux à l’extérieur aux yeux des créatures, devant Dieu le sera moins qu’un autre qui paraissait beaucoup plus imparfait.

L’humilité est non seulement charitable, mais douce et maniable; car la charité est une humilité montante, et l’humilité est une charité descendante. L’humilité sera au dernier degré de sa perfection quand nous n’aurons plus de propre volonté; par l’humilité, toute justice c est accomplie.

 

c. Matt., III, 15.

9. naviguer — 10. sûrs

Haut du document

 

 

Précédente Accueil Suivante