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CINQUANTE-SIXIÈME HOMÉLIE. Et Jacob dit à Laban ; « Donnez-moi ma femme, car les jours sont accomplis où je dois être admis auprès d’elle. » (Gen. XXIX, 21.)

 

ANALYSE.

 

1et 2. Explication des versets 20, 28 da chapitre XXIX. Sortie véhémente contre les pompes sataniques en usage dans les noces. — 3. Explication des versets 29, 33. La polygamie autrefois tolérée, ne l'est plus aujourd'hui, pourquoi ? — 4. Explication de la suite du texte jusqu'au verset 13 du chapitre XXX. — 5. Explication des versets14, 24. — 6. Exhortation. Ne pas rechercher le secours des hommes

 

1. Hier nous avons passé de l'amour que Jacob montra pour Rachel, à celui que Paul montra pour Jésus-Christ, et considérant l'admirable charité de l'Apôtre, nous avons été comme entraîné par un torrent impétueux, et nous n'avons pas eu la force de reprendre la suite de notre discours. Aujourd'hui donc , s'il vous plaît, reprenant notre marche, nous achèverons ce qui nous reste encore à parcourir , afin que nous puissions recueillir encore de cette homélie un suffisant avantage avant de rentrer dans nos demeures. Lorsque le nombre des sept années fut accompli, et, dit l'Ecriture, ce long temps, n'était, aux yeux de Jacob, que pets de jours , à cause de l'amour qu'il avait pour Rachel, il dit à Laban : Ne me retenez plus ma femme, car les jours sont accomplis où je dois être admis auprès d'elle. Et Laban rassembla tous les hommes de la contrée et célébra les noces. Et le soir étant venu, Laban prit Lia, sa fille, et l'introduisit auprès de Jacob. (Gen. XXIX, 20-23.)

Avez-vous vu avec quelle gravité l'antiquité célébrait les noces? Ecoutez, vous qui vous laissez éblouir par les pompes de Satan, et qui, par les préludes dés noces, en déshonorez le caractère auguste. Y a-t-il là des flûtes, des cymbales, des danses sataniques ? Pourquoi donc, dites-moi, introduisez-vous si vite, dans votre maison, une telle peste ? Pourquoi la transporter chez vous de la scène et de l'orchestre, pour que cette prodigalité intempestive altère la réserve de la jeune fille et rende le jeune homme plus effronté? On devrait s'estimer heureux que cet âge pût, même en l'absence de ces causes de désordre, résister à la tempête des passions ; mais lorsque tant de choses viennent par la vue et par l'ouïe rendre par l'embrasement plus intense et plus ardente la fournaise des passions, comment l'âme du jeune homme pourrait-elle échapper à sa ruine ? C'est là ce qui perd et détruit tout; c'est parce que la modestie de ceux qui doivent s'unir est violemment déracinée dès l'origine ; et en effet souvent, dès le premier jour, ce jeune homme a reçu dans son âme un trait satanique ; atteinte par les yeux et les oreilles, la jeune fille a succombé, et à partir de ce jour, les blessures s'accroissent et causent un mal de plus en plus profond. D'abord, en effet, la concorde mutuelle est ruinée , l'amour dépérit. Car lorsque l'époux attache sa pensée à une autre, son esprit se partage, et vaincu par les stratagèmes du démon, il remplira bientôt sa maison de tristesse. Si l'épouse aussi est trouvée coupable d'une faute de même sorte, tout sera pour ainsi dire, ruiné par la base, et désormais, pleins de dissimulation l'un pour l'autre, la femme sera en butte aux soupçons de son mari, le mari aux (368) soupçons de sa femme. Et ceux entre lesquels devait subsister indissoluble le lien de la concorde, ceux qui doivent être une seule chair (car, dit l'Ecriture, ils seront deux en une seule chair Gen. II, 2), seront divisés comme s'ils étaient séparés par le fer. Le démon, entrant chez eux, y exerce de tels ravages, que des guerres et des combats journaliers s'ensuivent, et que leurs maux ne trouvent aucune trêve. Et qui pourrait exprimer les mépris des serviteurs, le rire des voisins, les indignités qui se produisent. Comme dans la discorde des pilotes, les passagers partagent les périls, et le navire doit sombrer avec tous ceux qu'il porte, de même ici, lorsque l'époux et l'épouse. sont en lutte, le reste de la maison doit partager leurs maux. Ces maux, je vous conjure donc de les prévoir, afin de ne pas vous laisser conduire par la coutume; car je sais que beaucoup s'en font une excuse contre nous et ne peuvent supporter nos discours; mais nous devons pourtant vous dire ce qui est salutaire, pour vous sauver des châtiments à venir. Là où l'âme éprouve un tel dommage pourquoi m'objecter la coutume? Et moi aussi je vous objecte une coutume meilleure, celle des temps primitifs, où pourtant la vraie religion était moins répandue. Et ne croyez pas que je parle du juste Jacob; pensez à Laban encore adonné au culte des idoles, ignorant la religion, et qui cependant montre une telle sagesse. Cette louable conduite, en effet, n'est pas celle du futur époux, mais du père qui lui donne sa fille. Aussi en abordant ce discours, ai-je voulu m'adresser moins aux époux qu'aux parents, au père de l'époux et à celui qui lui donne sa fille. N'est-il pas absurde que nous, chrétiens, objets d'une telle bonté de la part de Dieu, nous, appelés à des mystères redoutables et ineffables, nous soyons au-dessous de Laban, qui servait encore les idoles? N'entendez-vous pas Paul nous dire que le mariage est un mystère et l'image de la charité que le Christ a témoignée à son Eg lise ? Ne nous dégradons pas nous-mêmes et ne flétrissons pas la dignité du mariage. Si mon conseil est bon et utile, fût-il contraire à la coutume, suivez-le; si ce que vous pratiquez est nuisible et désastreux, fût-ce la coutume, qu'il disparaisse. Si nous cédions à l'autorité de la coutume, le voleur, le plus infâme débauché, celui qui fait profession d'un vice quelconque nous alléguerait cette autorité. Mais l'on n'en tirera nul avantage et l'on n'obtiendra nulle indulgence; on sera sévèrement repris de n'avoir pas su s'élever au-dessus d'une coutume perverse.

2. Si nous voulons veiller sur nous-mêmes et nous préoccuper grandement de notre salut, nous saurons nous tenir éloignés des mauvaises coutumes et en acquérir de bonnes. Nous léguerons ainsi à ceux qui nous suivront une grande facilité pour entrer dans la même voie, et nous-mêmes nous recevrons une récompense pour leurs bonnes actions. Car- celui qui ouvre l'entrée de la bonne voie sera la cause du bien accompli par d'autres, et il recevra double récompense pour le bien qu'il aura fait lui-même et pour avoir conduit les autres à la pratique de la vertu. Ne m'opposez pas ces froids et ridicules discours, que telle est la loi du monde et qu'il faut la suivre. Ce n'est point la ce qui fait un mariage légitime; ce qui le fait, c'est de s'unir, conformément aux lois divines, avec modestie et dignité; c'est de se tenir attachés 'par la concorde. Les lois humaines ne l'ignorent pas ; écoutez ceux qui sont versés dans cette science vous dire que c'est la communauté habituelle de vie qui constitue le mariage. Ne violons donc pas à la fois les lois de Dieu et celles des hommes; ne leur préférons pas ces lois diaboliques et cette coutume funeste; car cette loi a pour auteur celui qui se réjouit toujours de notre perte. Quoi de plus ridicule que cette coutume de soumettre le mari et sa femme aux quolibets, aux railleries sans fin de serviteurs et de misérables, sans que personne les reprenne, mais de donner pleine licence à chacun, durant la soirée des noces, de tout dire et d'accabler d'indécentes plaisanteries les nouveaux époux? Un autre jour, si quelqu’un tentait de les injurier, il y aurait pour lui des tribunaux, dés prisons, des jugements; mais dans un moment où la pudeur, la décence, la pureté devraient surtout être respectées, c'est alors que l'impudeur règne . partout; ce, sont bien les ruses du démon qui ont produit cette coutume. Mais ne vous offensez pas, je vous en conjure. Ce n'est pas sans motif que j'ai fait cette digression, c'est par zèle pour votre salut, et pour la décence; je veux que vous soyez les auteurs d'une heureuse révolution, les introducteurs d'une noble coutume, Que l'on donne seulement l'impulsion et que la voie soit ouverte; peu à peu , l'un étant noblement et louablement jaloux de l'autre, vous deviendrez l'objet des (369) éloges de chacun, et non-seulement les habitants de la ville imiteront cette heureuse nouveauté, mais vous attirerez à votre suite ceux qui habitent au loin, vous leur inspirerez le zèle de vous imiter, et vous obtiendrez de Dieu de nombreuses couronnes, parce que, par la crainte et l'obéissance à ses commandements, vous aurez triomphé de cette coutume satanique. Oui, vous embrasserez avec ardeur ce conseil que je vous donne et vous le mettrez en pratique, j'en ai la ferme conviction. Quand en effet je vous vois écouter avec tant de plaisir mes paroles, je conjecture, d'après vos applaudissements et vos louanges, que vous poursuivrez une réforme effective. Je n'en dirai pas sur ce point davantage et je reprends mon sujet. Et le soir étant venu, Laban prit Lia sa fille et l'introduisit auprès de Jacob.

Ne passons pas non plus légèrement sur ces paroles; elles nous enseignent plusieurs choses: d'abord la bonne foi de Jacob, et comment, étranger à toute malice, il fut lésé par Laban ;puis, que tout se passa avec une grande décence, sans flambeaux, ni choeurs de danse, ni luxe de lumière, en sorte que la ruse de Laban put réussir. On y peut aussi reconnaître l'attachement de Laban pour Jacob; car il machina cette ruse pour retenir ce juste plus longtemps auprès de lui. Sachant qu'il brûlait pour Rachel et que, s'il obtenait l'objet de ses voeux, il ne consentirait pas à servir ensuite pour Lia et à demeurer pour ce motif auprès de lui, Laban, qui considérait la vertu de cet homme et comprenait qu'il ne réussirait pas autrement à le dominer et à le persuader,, employa la ruse et lui donna Lia, avec Zelpha pour servante. Lorsque le juste lui fit ensuite des reproches et lui demanda pourquoi il l'avait trompé ainsi, il lui donna une excuse spécieuse. Car Jacob lui ayant dit: Pourquoi m'avez-vous fait cela ? n'est-ce pas pour Rachel que je vous ai servi? pourquoi m'avez-vous trompé? (XXIX, 25.) Que lui répondit Laban? Ce n'est pas la règle dans cette contrée de marier la cadette avant l'aînée. Accomplissez donc aussi sept années pour elle, et je vous la donnerai pour récompense des travaux que vous aurez encore accomplis pendant sept ans. (26-27.) Vous le voyez, sa ruse lui réussit. Voyant l'amour de Jacob pour cette jeune fille, il lui dit

Ne pensez pas que je vous aie fait tort. C'est, dans notre pays, la coutume de marier d'abord l’aînée; c'est pourquoi la chose s'est passée ainsi. Vous obtiendrez celle que vous souhaitez, si vous me servez pour elle le même nombre d'années. Le juste ayant entendu ce langage accepta tout de bon coeur, et, après ces sept années (1), Laban lui donna sa fille Rachel pour femme. (28.)

3. Vous voyez que, là encore, les noces s'accomplissent avec une parfaite convenance. Ne vous troublez pas si vous entendez qu'il reçut l'aînée, puis la cadette, et ne jugez pas ce qui se passait alors par ce qui a lieu aujourd'hui. Alors, en effet, à l'origine du monde, il était toléré d'avoir deux ou trois épouses et même davantage, afin de multiplier le genre humain; mais maintenant, depuis que, par la grâce de Dieu, il s'est multiplié, la vertu aussi a reçu sa croissance. Le Christ est venu; il a implanté la vertu parmi les hommes; il les a fait, en quelque sorte, d'hommes devenir anges, et il a aboli cette ancienne coutume. Voyez-vous maintenant qu'il ne faut pas objecter une coutume ancienne, mais chercher en tout ce qui est salutaire? Vous le voyez, on abolit une coutume fâcheuse : il n'est plus permis de l'objecter. Ne vous obstinez donc jamais , je vous en conjure, à suivre une coutume, mais cherchez ce qui est salutaire et ne nuit point à vos âmes; que ce qui est honnête se pratique parmi vous, quand ce ne serait pas la coutume; et s'il y a quelque chose de funeste, fût-ce un usage, il faut s'en détourner et le fuir.

Et il donna à Jacob Rachel avec Balla pour servante. (29.) Vous avez compris cette sublime simplicité de moeurs? Point de troupeaux d'esclaves : point de codicilles, ni de contrats , point de ces ridicules précautions: si telle chose arrive, si telle chose se produit. Chez nous , avant même d'être unis, ceux qui ne savent pas s'il vivront seulement jusqu'au soir, se hâtent de consigner par écriât ce qui devra se faire dans un avenir élr~,tgné : si le conjoint meurt sans enfants, s'il meurt ayant des enfants, et autres stipulations semblables. Rien de pareil ici: le père a marié ses filles, en donnant une servante à chacune.

Or dit l'Écriture, Jacob aimait Rachel plus que Lia, et il servit Laban sept années encore. Parce que dès l'abord il l'avait aimée à cause

 

1. Il semble que l'orateur ait été trompé par sa mémoire, lorsqu'il dit que Laban ne donna Rachel à Jacob qu'après les sept autres années de service. Le texte hébreu, la Vulgate et les Septante, portent que Rachel fut donnée pour épouse à Jacob sept jours après sa soeur Lia, à la condition qu'il servirait son beau-père pendant encore sept ans.

 

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de sa beauté et parce qu'il avait eu de la peine à obtenir l'objet de ses souhaits, il l'aima plus que Lia, car l'Écriture parle de sa beauté qui avait excité l'amour de Jacob. Considérez maintenant ici l’ineffable bonté du souverain Maître, et comment il accomplit peu à peu ce qu'il a promis. Celui qui avait dit: je serai avec toi et te garderai dans tout ton voyage (Gen. XXVIII, 15), et encore: je l'augmenterai et je te multiplierai,c'est lui qui a gouverné tout cela. Et afin de l'apprendre, écoutez la divine Écriture elle-même, qui nous ledit clairement: Le Seigneur Dieu, voyant que Jacob avait de l'aversion pour Lia, ouvrit son sein, tandis que Rachel demeurait stérile. Lia conçut, et enfanta un fils à Jacob. (31-32.) Considérez la sagesse de l'action divine. Parce que l'une attirait par sa beauté l'amour de son époux et que celle qui en était privée paraissait l'objet de son aversion, Dieu rend féconde celle-ci et stérile sa sueur, gouvernant tout par sa bonté , afin que Lia eût quelque consolation , par les enfants qui naissaient d'elle, attirant ainsi l'amour de son mari, et afin que Rachel ne s'élevât pas contre sa sueur , à cause de sa beauté et de ses attraits. Dieu ouvrit son sein. Apprenez de là, mon bien-aimé, que l'Auteur de toutes choses les gouverne toutes; qu'il donne seul la fécondité, qui ne peut se produire sans le secours d'en-haut. L'Écriture dit que Dieu ouvrit son sein, afin que nous sachions que le Maître souverain voulut lui donner la fécondité pour adoucir son chagrin , car c'est lui qui forme l'enfant dans le sein de sa mère, c'est lui qui donne la vie: comme David l'exprime en disant: Vous m'avez accueilli dès le ventre de ma mère. (Ps. CXXXVIII,13.) Et considérez comment la divine Écriture vous montre l'Auteur de la nature produisant à la fois deux effets de sa puissance, ouvrant le sein de Lia et tenant fermé celui de Rachel. Car maître de la nature, il fait tout avec bonté.

Lia conçut et enfanta un fils à Jacob, et elle l'appela Ruben, en disant: Parce que le Seigneur a regardé mon abaissement, mon mari m'aimera désormais. (32.) Considérez la reconnaissance de cette femme. Le souverain Maître, dit-elle, a regardé mon abaissement et m'a donné un fils, afin que je puisse être aimée à cause de lui. Et considérez aussi comment ce Dieu bon est jaloux de sa gloire, et comment il est libéral et magnifique, voulant à la fois accroître la race du juste et faire que Lia soit aimée de Jacob plus qu'elle ne l'était. Elle conçut de nouveau et donna un second fils à Jacob, et dit : le Seigneur a entendu que je ne suis pas aimée et il m'a donné un autre fils, et elle l'appela Siméon. (33.) Examinez comment elle rend grâce à Dieu pour chacun de ses enfants et se montre reconnaissante de ses bienfaits

le Seigneur, dit-elle, a entendu que je ne suis pas aimée et il m'a donné un autre fils. Et c'est pour cela qu'elle l'appela Siméon.

4. Comprenez-vous qu'elle ne donne pas des noms à ses enfants sans motif ni à l'aventure? Elle appelle celui-ci Siméon, parce que le Seigneur l'a entendue, car ce nom signifie en hébreu : a été entendu : Elle conçut encore et enfanta un fils, et elle dit : Maintenant mon mari sera de mon côté, car je lui ai donné trois fils, et elle appela celui-ci Lévi. (34.) Elle semble vouloir dire que la naissance des deux premiers n'avait pas suffi pour attirer son mari vers elle, mais que l'inclination de celui-ci était encore pour Rachel ; c'est pourquoi elle dit Maintenant more mari sera de mon côté. Sans doute la naissance de ce troisième fils me vaudra son affection, car je lui ai enfanté trois fils. Elle conçut encore et enfanta un fils, et elle dit : Maintenant encore je glorifierai le Seigneur; c'est pourquoi elle, lui donna le nom de Juda. (35.) Que veulent dire ces mots: Je glorifierai le Seigneur? Ils signifient ici : Je lui rendrai grâces, je publierai ses louanges, parce qu'il m'a donné un quatrième fils, et m'a accordé un si grand bienfait. La beauté qui me manquait pour gagner l'amour de mon mari, la naissance des enfants dont m'a gratifiée la bonté de Dieu y a suppléé. Il a dissipé l'excès de mon abattement, en consolant celle qui était un objet d'aversion à cause de sa laideur, et a reporté sur ma sueur l'aversion de Jacob : Ayant enfanté Juda, dit le texte, elle cessa d'enfanter. (35.) Mais Rachel voyant qu'elle-même ne donnait point d'enfant à Jacob porta envie à sa soeur et dit à Jacob; Donne-moi des enfants, sinon je mourrai. (XXX, 1.)

C'est bien là une demande irréfléchie et digne d'une femme, digne d'une âme que la jalousie assiége : Donne-moi des enfants. Ne sais-tu pas que ce n'est pas lui, mais le Seigneur Dieu qui en a fait naître à Lia? Voyant qu'elle n'était point aimée, il a ouvert son sein. Pourquoi donc demander à ton mari ce qui est au-dessus des forces de la nature? Pourquoi, (371), oubliant le Maître de la nature , accuser ton mari qui n'y peut rien? Donne-moi des enfants, sinon je mourrai. Mal affreux de la jalousie, qui dégénère en démence, comme il arrive à Rachel ! Voyant la troupe d'enfants qui était née de sa sueur et réfléchissant à sas solitude, elle ne supporte point cette affliction et ne peut réprimer la préoccupation qui la trouble, mais prononce ces paroles pleines de folie: Donne-moi des enfants, sinon je mourrai. Elle devait savoir l'amour de son mari pour elle, et penser que ce n'était point par sa volonté que Lia avait été si féconde et elle-même stérile, quand elle dit : Donne-moi des enfants. Puis, pour effrayer Jacob, elle ajoute: Sinon je mourrai. Et que fit le pieux Jacob? Il s'irrita de ces paroles, dit l'Ecriture, et lui répondit: Suis-je donc l'égal de Dieu , qui a refusé un fruit cites entrailles? (XXX, 2.) Quoi, dit-il, tu oublies le Maître de la nature et tu t'en prends à moi ! C'est lui qui a refusé un fruit à tes entrailles. Pourquoi ne pas lui adresser tes demandes, à lui qui peut te rendre féconde? Apprends-le donc c'est lui qui t'a rendue stérile et qui a donné à ta soeur cette riche fécondité. Ne me demande donc pas ce que je ne puis accomplir, et dont je rie suis point le maître. Si cela dépendait de moi, je t'aurais toujours préférée à ta soeur, puisque je te portais dès l'abord un plus grand amour. Mais puisque, quelque tendresse que j'aie pour toi, je ne puis te satisfaire, invoque celui qui est l'auteur de ta stérilité et qui peut y mettre fin.

Voyez les saines pensées de ce juste et comment, même dans la colère que lui causent les paroles de Rachel, il lui fait une réponse pleine de sagesse, l'instruisant de l'exacte vérité et lui révélant clairement la cause de sa tristesse, afin qu'elle n'oublie plus le souverain Maître pour demander à un autre ce que seul il peut donner. Apprenant donc que c'est Dieu qui lui refuse des enfants et voyant que sa soeur est fière des siens, elle se procure quelque consolation et dit à Jacob: puisque tu m'as appris que ce n'est point par ta faute que je demeure stérile, prends ma servante pour femme afin que je trouve une faible consolation en tenant pour miens les enfants que tu auras d'elle. Et elle lui donna pour femme Balla, sa servante; Balla conçut de lui et enfanta un fils à Jacob; et Rachel dit: Dieu a prononcé son jugement, il a entendu ma voix et m'a donné un fils. C'est pourquoi elle lui donna le nom de Dan. (Gen. XXX, 4-6.) Elle a donc trouvé une légère consolation dans l'enfantement de sa servante: et à cause de cela elle donne ce nom à l'enfant et rend grâces au souverain Maître pour sa naissance. Balla eut encore un enfant de Jacob, et Rachel dit: Dieu m'a secourue, et je suis devenue l'égale de ma soeur; je ne suis plus abattue; et elle appela l'enfant Nephthalie. (7-8.) Elle vit bien par là que Jacob n'était point l'auteur de sa stérilité. Elle élève ses enfants comme les siens et leur donne leurs noms; son imagination lui fait trouver là une consolation bien grande. Or Lia, voyant qu'elle-même avait cessé d'enfanter, donna aussi pour femme à Jacob Zelpha, sa servante; celle-ci conçut et enfanta un fils, et Lia dit: Oh ! bonheur (9-11), c'est-à-dire j'ai réussi dans mon dessein. Et elle l'appela Gad.(11.) Elle le nomme ainsi parce qu'elle a obtenu l'objet de ses voeux. Zelpha conçut encore, et enfanta un autre fils; et Lia dit: Je suis heureuse, parce que les femmes m'estimeront heureuse; et elle appela l'enfant Aser. (12-13.)

5. Vous venez de voir comment Lia aussi s'approprie les enfants de la servante, cominen1elle se dit heureuse et réputée heureuse à cause de leur naissance. Mais considérez maintenant la suite, afin d'apprendre comment la passion de la jalousie se reportait de l'une sur l'autre et tourmentait alternativement, tantôt Rachel, tantôt Lia: Ruben étant sorti dans la campagne, au temps de la moisson du froment, trouva des pommes de mandragores et les apporta d sa mère. Et Rachel dit à Lia, : Donne-moi des mandragores de ton fils. Lia lui répondit N'est-ce pas assez de m'avoir pris mon mari, sans avoir encore les mandragores de mon fils? (XXIX, 14-15.) Voyez-vous comment la passion de l'âme se manifeste par les paroles : N'est-ce pas assez de m'avoir pris non mari, sans avoir encore les mandragores de mon fils?Rachel lui dit: Ce n'est pas cela: Qu'il dorme avec toi cette nuit en échange des mandragores de ton fils. (15.) Donne-moi des mandragores et garde aujourd'hui mon mari avec toi. Voyez comment ce texte manifeste l'affection de Jacob pour Rachel. Si, après que Lia lui adonné tant d'enfants, son affection s'attachait encore à Rachel, comment, si elle n'eût pas été féconde, Lia eût-elle pu supporter de voir son mari s'attacher toujours à Rachel ? Or celle-ci ayant pleine puissance sur son mari, le laisse pour (372) ces fruits, en disant : qu'il dorme avec toi cette nuit, en échange des mandragores. Satisfais le désir que j'ai de ces mandragores.et prends mon mari. Au retour de Jacob, Lia sortit à sa rencontre et lui dit : Tu viendras aujourd'hui avec moi; j'ai acheté cet avantage au prix des mandragores de mon fils. Et il dormit cette nuit avec elle. Et Dieu exauça Lia, qui conçut et enfanta son cinquième fils. Et Lia dit Dieu m'a donné mon salaire pour avoir, donné ma servante à mon mari. Et elle appela son fils Issachar, c'est-à-dire salaire. (16-18.) Dieu, dit le texte, exauça Lia, parce qu'il l'avait vue très affligée et moins considérée que sa soeur. Dieu l'exauça; elle eut un fils et dit: j'ai obtenu mon salaire pour avoir donné ma servante à mon mari. Et elle l'appela Issachar. Et Lia conçut encore et elle enfanta un sixième fils et dit : Dieu m'a fait un présent magnifique. Maintenant je serai l'objet du choix de mon mari, car je lui ai enfanté six fils. Et elle appela celui-ci Zabulon. (19-20.) Désormais, dit-elle, moi aussi je serai l'objet de l'amour de mon mari, car j'ai enfanté six fils. C'est pour cela qu'elle appela ce dernier Zabulon. Elle enfanta aussi une fille qu'elle appela Dina. Et Dieu se souvint de Rachel; il l'exauça et ouvrit son sein. Elle conçut et enfanta un fils à Jacob. Rachel dit alors: Dieu a fait disparaître mon opprobre: et elle l'appela Joseph, en disant : Dieu me donne un autre fils. (21-24.) Dieu, dit-elle, a fait disparaître mon opprobre : il a mis fin à ma stérilité, il m'a rendue féconde et m'a délivrée de la honte. Et elle l'appela Joseph en disant : Dieu me donne un autre fils. Voyez-vous comment les promesses de Dieu se sont peu à peu accomplies? Quelle troupe d'enfants a maintenant ce juste, parla providence de Dieu envers lui ! Après qu'il a montré la grandeur de sa persévérance, en acceptant quatorze années de servitude, le Dieu de toutes choses le récompensa de sa piété, en multipliant sa fortune à tel point qu'il devint l'objet de l'envie, comme nous l'apprendrons par la suite des discours que j'ai dessein de vous adresser.

6. Mais, afin de ne pas fatiguer votre charité, en nous étendant aujourd'hui trop longuement, nous réserverons, s'il vous plaît, pour un autre discours le reste de ce récit, et nous terminerons là celui-ci, en exhortant votre charité à se souvenir de nos paroles et à imiter avec zèle la vertu des anciens ; à marier vos fils et vos filles comme eux, à appeler, comme eux, par votre propre vertu la bénédiction de Dieu sur vous. En effet, si Dieu nous chérit, quand nous serions sur une terre étrangère, quand nous serions privés de tout, quand nous ne serions connus de personne, nous atteindrons le comble de la gloire; car rien n'est plus heureux que l'homme soutenu par la main divine. C'est favorisé par cette assistance que l'heureux Jacob est monté peu à peu jusqu'à cette élévation, qui l'a rendu un objet d'envie pour ceux qui l'avaient accueilli. Efforçons-nous d'obtenir de Dieu le même amour, afin de mériter son assistance; n'ayons point recours aux puissances humaines, et ne poursuivons pas un tel patronage, car rien n'est moins solide, comme l'expérience de la vie suffit pour nous l'apprendre. Nous voyons, en effet, chaque jour de rapides changements : celui qui se trouvait tout à l'heure au comble de la prospérité est entraîné subitement au dernier terme de l'infortune, et se voit souvent traîné devant les juges. Quelle folie donc de poursuivre le patronage de ceux dont l'avenir est si incertain, quand nous ne pouvons rien assurer touchant notre propre sort ! Eloignons-nous donc de ces grandeurs humaines, nous souvenant de cette parole du prophète : Celui-là est maudit qui met sa confiance dans l'homme. (Jér. XVII, 5.) Vous le voyez, il n'est pas seulement insensé, il est maudit, parce qu'il délaisse le Maître de toutes choses, et recourt à celui qui n'est qu'un serviteur comme lui et qui ne saurait se suffire à lui-même. Evitons cette malédiction, je vous en conjure, et plaçons désormais toute notre espérance en Dieu. Celle-là est solide et inébranlable; elle n'est point sujette au changement comme celle que l'on a dans les hommes. Ou la mort, en effet, a mis fin au pouvoir du protecteur et laissé dépourvus et délaissés ceux qui recouraient à lui; ou bien des changements accomplis avant la mort ont rendu impuissants le protecteur et le protégé. La vie est pleine de pareils exemples. Ils sont donc inexcusables ceux qui, après une telle expérience, cherchent encore à s'abriter sous une protection humaine ,. et souvent pour endurer mille maux de ceux même qui paraissent être leurs protecteurs. Car tel est l’excès de la méchanceté humaine, que souvent les courtisans sont payés par des outrages. Mais le Dieu de l'univers en agit tout autrement: il est notre bienfaiteur, en tout, à nous qui connaissons ses bienfaits; il nous (373)  accorde sa protection sans égard à notre ingratitude, mais pour rester fidèle à sa propre bonté. Qu'il l'accorde à chacun de nous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soient, au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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