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QUARANTE-SIXIÈME HOMÉLIE. Sara dit :  « Qui annoncera à Abraham que Sara nourrit, un enfant de son lait; que j’ai enfanté un fils dans ma vieillesse ? » (Gen. XXI, 7.)

 

ANALYSE.

 

1. Sara demande à Abraham de renvoyer Agar et son fils. — 2. Agar est renvoyée. Obéissance d'Abraham. Providence de Dieu. — 3. Rien ne peut vaincre celui qui est muni du secours de Dieu. — 4. Portrait de l'envie. Exhortation à éviter ce défaut.

 

1. Eh bien ! aujourd'hui encore, mes bien-aimés, reprenons la suite de l'entretien d'hier.. Nous voulons vous servir ce banquet spirituel, pour mieux comprendre,. aujourd'hui encore, comme hier, l'ineffable bonté de Dieu, l'intérêt qu'il nous porte, la condescendance qu'il a pour nous, et la parfaite obéissance et la sagesse du patriarche. Avez-vous vu comme la naissance d'Isaac a réjoui Sara? Elle dit, en effet, selon le texte : Dieu m'a donné un.ris, quiconque l'apprendra s'en réjouira avec moi. Tous ceux qui l'apprendront, dit-elle, partageront ma joie; car c'est un grand don qui m'a été accordé par Dieu, et qui surpasse l'infirmité humaine. Car, dit-elle, qui ne sera pas frappé d'étonnement, à voir que moi je nourris de mon lait un enfant, dans mon extrême vieillesse, moi qui jusqu'à ce jour n'ai pas eu d'enfant? Et, dans l'admiration, dans l'étonnement dont elle est saisie, elle ajoute : Qui annoncera à Abraham que Sara nourrit un enfant de son lait; que j'ai enfanté un fils dans ma vieillesse ? C'est parce que le fait est surnaturel qu'elle ajoute : Qui annoncera, comme si elle disait, Qui croira cela? qui se mettra cela dans l'esprit? quelle pensée pourra comprendre? quel raisonnement expliquera ce fait? Le rocher du désert, duquel jaillissent des fontaines sous la verge de Moïse (Exode, XVII), est moins admirable que ces flancs desséchés, d'où naît un enfant; que ces fontaines de lait qui jaillissent. Car, ce qui rend l'enfantement manifeste, ce qui commande la foi, non-seulement de tous les spectateurs qui ont vu Sara, mais de tous ceux qui, depuis, ont entendu parler du miracle, c'est qu'elle-même nourrit son enfant ; c'est qu'elle veut le nourrir de son lait, et elle dit : Qui annoncera à Abraham que Sara nourrit un enfant de son lait? Ce fait étrange, admirable, ce présent, dit-elle, à moi accordé, en dehors de toute attente, que j'ai enfanté un tels dans ma vieillesse. Qu'est-ce à dire, Que j'ai enfanté un fils dans ma vieillesse? C'est qu'indépendamment de la stérilité, il suffisait de la vieillesse pour écarter tout espoir d'enfantement. Eh bien ! tous ces obstacles, le Seigneur les a fait disparaître, et il m'a accordé un enfant que j'ai enfanté, et des fontaines de lait. Mais voyons la suite : Sara, dit le texte, vit le fils d'Agar, l'Egyptienne, qui était né d'Abraham, jouant avec Isaac son fils, et elle dit à Abraham : Chassez cette servante, avec son fils, car le fils de cette servante ne sera point héritier avec mon fils Isaac. Ce discours parut dur à Abraham, à cause de son fils. (Ibid. IX, 10, 11.) Voyez ici, je vous en conjure, mon bien-aimé, Sara, une seconde fois, ne supportant pas la familiarité d'Ismaël, ne pouvant pas se faire à ce que le fils de sa servante vive dans la compagnie d'Isaac. De (314) même qu'une première fois, jalouse d'humilier l'orgueil d'Agar, emportée parla colère, elle l'a forcée à prendre la fuite; de même, ici encore, elle réprime tout de suite la familiarité d'Ismaël, elle ne supporte pas que le fils dont Dieu lui a fait un présent, vive en compagnie du fils de la servante égyptienne; elle dit à Abraham : Chassez cette servante avec son fils, car le fils de cette servante ne sera point héritier avec mon fils. C'est qu'elle se voyait elle-même tout à fait dans le déclin de l'âge. Le patriarche était arrivé à l'extrême vieillesse (tous les deux, dit le texte, étaient pleins de jours) ; craignant que, s'il venait à mourir tout à coup, Ismaël, né aussi du patriarche, ne voulût s'introduire dans l'héritage, le partager également avec Isaac, elle dit: Chassez cette servante avec son fils. Qu'elle apprenne, dit-elle, dès ce moment, que le fils de la servante n'aura rien de commun avec mon fils Isaac. Il n'est pas juste que le fils de la servante vive avec mon fils, le fils de la maîtresse. Sara, d'ailleurs , n'a pas agi sans motif; c'est avec raison, et à bon droit, qu'elle a tenu cette conduite, qu'elle a parlé ainsi, et c'est avec tant de raison que Dieu approuva ses paroles. Quant au patriarche, plein de tendresse et d'affection pour Ismaël, il entendait avec chagrin les paroles de Sara. En effet, dit le texte : Ce discours parut dur à Abraham à cause de son fils. Il s'inquiétait peu d'Agar, mais il aimait son fils qui d'ailleurs était déjà grand. Mais considérez, je vous conjure ici, l'admirable clémence de Dieu. Comme il vit que ce qu'éprouvait Sara était conforme à la nature humaine, qu'elle ne pouvait souffrir l'égalité d'honneur entre les fils d'Abraham, et qu'en cela elle avait raison; qu'Abraham, de son côté, se résignait, avec peine au renvoi d'Ismaël et de la servante (quoiqu'il ne luttât pas contre Sara, parce qu'il avait une grande douceur de caractère, cependant ce renvoi lui paraissait dur, c'est-à-dire pénible; c'était pour lui le sujet d'une douleur difficile à supporter) ; Dieu enfin, n'écoutant que sa clémence ordinaire , et resserrant , entre lés époux , les liens de la concorde, dit à Abraham : Que ce que Sara vous a dit touchant votre fils et votre servante ne vous paraisse point trop rude; faites tout ce qu'elle vous dira. (Ibid. 12.) C'est-à-dire ne vous affligez pas de ce qu'elle vous a dit, mais faites tout ce qu'elle vous dira.

2. Toutes les paroles, dit Dieu, que Sara vous fait entendre maintenant, au sujet d'Ismaël et d'Agar, acceptez-les et faites ce qu'elle vous dira. N'attristez pas, dit Dieu, celle qui, pendant si longtemps, vous a témoigné tant d'amour; celle qui, non-seulement une fois, mais deux fois, pour vous arracher à la mort, s'est exposée elle-même, et a été la, cause de cette gloire que vous possédez; c'est à elle que vous devez d'abord tant de trésors que vous avez rapportés à votre retour d'Egypte ; c'est encore à elle que vous devez d'avoir été traité avec tant d'honneur par Abimélech. Donc, ne songez pas à résister à ses paroles, car ce qu'elle veut s'accomplira. Isaac son fils, sera appelé votre sang, et il sera. vôtre héritier. Je ne laisserai pas néanmoins de rendre le fils de votre servante chef d'un grand peuple, parce qu'il est sorti de vous. (Ibid. 13.) Faites donc ce que vous dit Sara; conformez-vous à ses paroles. Réfléchissez ici, je vous en conjure, quelle concorde, quelle paix bienheureuse s'établit aussitôt sous leur tente, la bonté divine resserrant ainsi le lien qui les unissait. Abraham se leva donc, dit le texte, dès le point du jour, prit des pains et un vase plein d'eau, le mit sur l'épaule d'Agar, lui donna son fils, et la renvoya. (Ibid. 14.) Voyez, ici encore, la rare vertu de l'homme juste, et comme il montre, en toutes choses, la piété de son âme, car ces paroles de Sara : Chassez cette servante et son fils, lui paraissaient dures, parce qu'il avait de la tendresse pour Ismaël; mais, aussitôt que le Seigneur lui eut donné le commandement, il fit ce qui lui était commandé, oubliant même un amour naturel. On croit l'entendre dire : Dès que le Seigneur commande, que toutes les affections se taisent, parce que c'est le maître de la nature qui commande. Donc quand la servante, dit le texte, eut reçu les pains et le vase d'eau, elle sortit avec son enfant. Remarquez attentivement, je vous en prie, voyez encore comment la bienveillance que Dieu avait pour l'homme juste, s'étend sur cette femme; jugée digne, elle aussi, de la sollicitude d'en-haut. Donc quand elle fut partie, elle errait à travers la solitude, et son eau étant épuisée, ne trouvant aucune consolation : Elle laissa son fils couché sous un arbre. (Ibid. 15.) Ses entrailles étaient déchirées, elle souffrait dans l'excès de son amour pour son enfant. Elle s'assit, dit le texte, à distance de lui, de la portée d'un arc, en disant : Je ne verrai point mourir mon (315) enfant, et elle était assise vis-à-vis de l'enfant; et l'enfant se mit à pleurer. (Ibid. 16.) Mais maintenant le Dieu de miséricorde et de bonté, plus tendre pour nous qu'un père, qu'une mère : Entendit la voix de l'enfant, du lieu où il était. (Ibid. 17.) Il eut pitié de l'enfant, il eut compassion du malheur d'Agar, il lui permit de faire seulement l'épreuve de la solitude, et aussitôt il lui accorda son secours. Et un ange de Dieu, du haut du ciel, appela Agar et lui dit: Que faites-vous, Agar? Ne craignez point, car Dieu a entendu la voix de l'enfant du lieu où il est. Levez-vous, prenez l'enfant, et tenez l'enfant, parce que je le rendrai chef d'un grand peuple. (Ibid. 17, 18.) O miséricorde du Seigneur ! Quoiqu'elle ne fût qu'une servante, il ne l'a pas méprisée; mais, parce qu'il avait fait une promesse au patriarche , et parce qu'Ismaël était sorti de lui, il a montré, à cette mère aussi, sa grande sollicitude. Il lui dit Agar, que faites-vous-là ? Ne craignez point, car Dieu a entendu la voix de l'enfant. Levez-vous, prenez l'enfant, et tenez-le par la main, parce que je le rendrai chef d'un grand peuple. Cessez de vous affliger, dit-il, de ce qu'on vous â chassée; l'intérêt que je porte à l'enfant est si grand, qu'il sera, lui aussi, le chef d'un grand peuple. Et, en même temps, dit le texte : Dieu lui ouvrit les yeux. (Ibid. 19.) Ce n'est pas qu'elle fût aveugle auparavant, mais c'est qu'il ne lui servait de rien d'ouvrir, les yeux, avant la visitation d'en-haut. Voilà pourquoi, voulant manifester la providence du Seigneur, le texte dit: Dieu lui ouvrit les yeux, c'est-à-dire, éclaira son ignorance, réveilla sa pensée, lui montra là direction à prendre, lui fit voir un lieu où se trouvaient des sources d'eau vive. Et, dit le texte, ayant aperçu un puits plein d'eau vive, elle y alla, y remplit son vase, et en donna à boire à l'enfant. Dans les endroits sans chemin frayé, il lui montra le chemin; à cette âme inquiète, qui n'avait plus d'espoir de salut, Dieu montra sa généreuse clémence : il la consolait, et il prenait soin de l'enfant. Ainsi, toutes les fois que c'est la volonté de Dieu, fussions-nous dans la solitude, réduits aux plus cruelles afflictions, sans aucune espérance de salut, nous n'avons pas besoin d'autre aide; le divin secours nous fournit tout. Si nous avons conquis l'affection du Seigneur, rien ne prévaudra contre nous; nous serons supérieurs à tout. Et Dieu était avec l’enfant, dit le texte, et l'enfant grandit, et demeura dans la solitude. (Ibid. 20.) Ainsi, quand nous avons pour nous la bienveillance du Seigneur, fussions-nous dans un désert, nous vivons dans une sécurité bien plus grande que les habitants des cités; c'est que la plus grande des sûretés, le mur inexpugnable; c'est le secours de Dieu. Et voulez-vous la preuve, que l'habitant des solitudes est plus en sûreté, est plus puissant que ceux qui vivent au milieu des cités, forts de l'appui qu'ils attendent d'un grand nombre d'hommes? Voyons, d'une part, David, passant d'un lieu dans un autre, errant, vagabond, mais fort parce qu'il s'appuie sur le bras d'en-haut; Saül, au contraire, au milieu des cités, à la tête d'une armée si nombreuse, avec tant ale satellites et de gardes autour de lui, tremblait, redoutait chaque jour les piéges de ses ennemis. (I Rois, XVII.) Et celui qui était seul, sans personne à ses côtés, n'avait pas besoin de l'appui que prêtent les hommes; et cet autre, avec son diadème, avec sa pourpre, avait besoin du secours du vagabond; il fallait, au roi, le bras du berger; au front portant diadème, l'aide de l'homme obscur.

3. Mais, si vous voulez, reprenons d'un peu plus haut la suite de cette histoire. Voyons-là tout entière, afin d'apprendre qu'il n'y a rien de plus fort que l'homme qui s'est fait un rempart de la grâce d'en-haut; rien de plus faible que celui qui en est privé, fût-il entouré d'armées sans nombre. Eh bien ! donc, ce David encore tout jeune, que son âge retenait dans la maison de son père, le moment étant arrivé de révéler son courage,- fut envoyé par son père auprès de ses frères ; il obéit, et alla les trouver. Arrivé auprès d'eux pour les visiter, il vit la guerre qui se faisait contre l'étranger Goliath; tout le peuple frappé de terreur avec Saül, le roi lui-même dans le plus grand danger. Il voulut alors, comme simple spectateur, voir, et il s'en alla voir, étrange et incroyable spectacle, un seul homme tenant tête à tant de milliers d'hommes. Pour ses frères, ils ne supportèrent pas les élans de son courage, ils conçurent de l'envie: N'es-tu pas venu pour un autre motif que pour voir la guerre ? (I Rois, XVII, 28.) Il paraît que tu n'es pas venu pour nous voir? Attention, ici, remarquez sa sagesse et sa douceur. Aucune parole irréfléchie, nulle amertume dans la réponse qu'il leur fait; pour apaiser leur colère et calmer leur envie, il leur dit : Est-ce qu'il n'est pas permis de parler? (Ibid. 29.) M'avez-vous vu, leur dit-il, prendre les armes? Est-ce que (316) vous m'avez vu me mettre dans les rangs avec les autres ? J'ai seulement voulu voir , m'informer d'où vient à cet homme son audace excessive. Quel est donc cet étranger, qui insulte l'armée du Dieu vivant ? (Ibid. 26). Bientôt, quand il entend ses blasphèmes, quand il voit son arrogance, l'effroi de ceux qui étaient avec Saül, il dit: Que donnera-t-on à l'homme qui lui aura coupé la tête ? Ces paroles montraient une grande force d'âme et remplissaient tout le monde d'admiration. Quand Saül les eut entendues, il fit mander le jeune homme, qui ne savait rien, que garder ses troupeaux; en voyant sa jeunesse, il en fit peu de cas. Mais ensuite il apprit de lui comment il s'y prenait avec les ours qui s'élançaient sur ses troupeaux. En effet, ce berger admirable avait été contraint de faire ce récit, non pas pour s'attirer une vaine gloire; il y était forcé pour relever le courage du roi, pour que le roi ne s'arrêtât pas à l'extérieur méprisable de celui qu'il voyait, mais prît en considération la foi vivant dans le secret du coeur, et le secours d'en-haut qui avait rendu ce jeune homme sans armes, ce berger, plus fort que des hommes armés, que des soldats. Donc, le roi, voyant sa confiance, voulut le revêtir de ses armes; mais le jeune homme, couvert de ces, armes, n'avait pas la force de les porter. Ceci se passait pour montrer à tous que c'était la vertu de Dieu, qui opérait par ses mains, et qu'on ne devait pas attribuer aux armes ce qui allait arriver. En effet, comme le jeune homme était alourdi par ces armes qui gênaient la liberté de ses mouvements, il les déposa, prit sa besace de berger, des pierres, et marcha contre cette masse de chair qui ressemblait à une tour. Mais maintenant, voyez encore l'étranger qui ne regarde que sa jeunesse et qui la dédaigne, voyez-le mépriser ce juste, et pour ainsi dire se décider à ne combattre cet enfant chétif qu'avec des paroles. Quand il vit que son adversaire n'avait qu'une besace de berger, pour l'attaquer, lui, qu'il n'apportait que des pierres, il lui adressa à peu près ces paroles : Te crois-tu donc encore auprès de tes moutons, à la poursuite de quelques chiens? tu viens contre moi comme si tu faisais la chasse à un chien. Est -ce là ton équipement pour commencer le combat contre moi? L'expérience ne sera pas longue, qui t'apprendra que tu ne fais pas la guerre au premier venu. En faisant entendre ce grand fracas de paroles, il s'agitait, se donnait du mouvement, manoeuvrait toute sa panoplie et dirigeait ses armes en-avant. C'était, pour celui-ci, la confiance dans ses armes, qui l'animait au combat; David avait la foi en Dieu, et sa force était dans le secours d'en-haut. Et d'abord, rabattant l'orgueil de l'étranger, il lui dit : tu viens à moi couvert de toutes pièces, la lance à la main, et tu penses me vaincre, par la force qui est en toi. Je viens, moi, au nom du Seigneur Dieu. A ces mots, il prend dans sa besace de berger, une pierre seulement; à vrai dire, comme s'il s'agissait de chasser un chien tombant sur le troupeau. Avec sa fronde, il la lance, frappe à l'instant au front l'étranger, le jette par terre, et vite tirant son glaive, lui coupe la tête, la porte au roi, et la guerre est finie. Et grâce à ce berger, le roi fut sauf, et toute l'armée du roi respira. Et vous auriez vu alors une merveille incroyable. L'homme couvert de ses armes, renversé par celui qui est sans armes; le guerrier expérimenté, jeté par terre, par celui qui ne sait rien que garder ses moutons. D'on vient ce prodige et pourquoi? C'est que l'un marchait au combat ayant Dieu pour auxiliaire; l'autre était dépourvu de ce secours, c'est pourquoi il est tombé sous les coups de son ennemi. Mais , voyez ici combien l'en. vie est insensée ! quand le roi vit ce juste, escorté de tant de gloire, quand il vit qu'on trépignait d'allégresse , quand il entendit ces cris : Saül en a vaincu mille, David en a vaincu dix mille (I  Rois, XVIII, 7), il ne put supporter ces paroles (bien que à faire un juste calcul elles fussent plus à son avantage qu'à l'avantage de David) ; vaincu par l'envie, il récompense par un crime celui qui est son bienfaiteur. Celui qu'il devait regarder comme son bienfaiteur, son sauveur, il cherchait à le tuer. O folie ! ô délire ! ô étrange engourdissement d'esprit! Celui qui lui avait sauvé la vie, qui avait affranchi toute son armée de la fureur de l'étranger, de Goliath, il le regardait comme un ennemi, il oubliait le bienfait, il était vaincu par l'envie qui plongeait sa pensée dans les ténèbres, qui l'enivrait pour ainsi dire à ce point qu'il regardait son bienfaiteur comme on regarde un ennemi.

4. Voilà ce que cette passion a de funeste, elle perd d'abord celui qui l'engendre en soi. Comme le ver que produit le bois, et qui d'abord s'attaque au bois lui-même, ainsi l'envie ronge d'abord l'âme où elle prend naissance. (317) Quant à celui qui l'inspire, elle lui fait tout le contraire du mal qu'elle veut lui causer. Ne considérez donc pas ce que sont d'abord les personnes à qui l'on porte envie, mais voyez comme elles finissent, et remarquez que la malice des envieux est un sujet de gloire pour ceux que poursuit leur jalouse colère. Ceux qu'attaque l'envie ont Dieu pour auxiliaire, ils jouissent de sa grâce; l'envieux, dépouillé de la grâce, est toujours facilement vaincu; ravagé par ses propres passions, avant de l'être par les ennemis du dehors, il se consume; de secrètes morsures le dévorent; il se plonge dans la malignité où, pour ainsi dire, il s'engloutit. Instruits de ces vérités, je vous en conjure, fuyons cette maladie funeste, et, de toutes nos forces, chassons-la de notre âme; car, de toutes les passions, c'est la plus destructrice, c'est la perte de notre salut. L'envie, c'est l'invention propre du démon. Voilà pourquoi un sage disait : C'est l'envie du démon qui a fait entrer la mort dans le monde. (Sap. II, 24.) Qu'est-ce à dire : C'est l'envie du démon qui a fait entrer la mort dans le monde ? Ce monstre vit d'abord l'homme immortel; par sa malice il le porta à la désobéissance, et cette désobéissance a été, pour le démon, un moyen d'assujettir l'homme à la mort. L'envie a donc opéré la déception; la déception la désobéissance, la désobéissance la mort; de là ces paroles L'envie du démon a fait entrer la mort dans le monde. Voyez-vous tout ce que cette passion a de funeste? L'être immortel, elle l'a rangé sous le joug de la mort. Toutefois, si l'ennemi de notre salut, n'écoutant que l'envie qui le tourmente, a fait , du premier homme , de l'être immortel, un condamné à mort, la miséricorde du Seigneur, le soin que le Seigneur prend de nous, l'a porté à mourir lui-même, pour nous faire une seconde fois le magnifique présent de l'immortalité. D'où il suit qu'après avoir tant perdu, nous avons retrouvé plus encore; le diable nous a chassés du paradis , Dieu nous a conduits au ciel ; le diable nous a fait condamner à mort , Dieu nous a gratifiés de l'immortalité; le diable nous a privés des délices du paradis, Dieu nous a ménagé le royaume du ciel. Comprenez-vous l'industrie du Seigneur? Comprenez-vous ce qu'il a fait de cet artifice de l'envie du démon, conspirant contre notre salut? Dieu l'a retourné contre la: tête du démon. Non-seulement il nous accorde des biens plus précieux, mais il le renverse lui-même sous nos pieds. Vous voyez que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les scorpions. (Luc, X, 19.) Donc, méditons désormais toutes ces pensées, chassons l'envie de nos âmes, appliquons-nous à, conquérir l'affection de Dieu. Voilà nos armes, armes solides, armes invincibles, notre vraie richesse, notre force, notre incomparable puissance. C'est par là qu'Ismaël, que cet enfant, que cet abandonné, dans la solitude, privé de tout, manquant de tout, soudain a grandi et est devenu chef d'un grand peuple. C'est que, dit l'Ecriture : Dieu était avec l'enfant (Gen. XXI, 20) ; pensée qui nous a inspiré tout ce discours. Méprisons donc, je vous en prie; les choses présentes; ne désirons que les biens à venir; préférons à toutes choses la grâce de Dieu, et, par une vie excellente, préparons-nous, réservons-nous la pleine confiance, de manière à passer sans tristesse importune la vie présente, de manière à conquérir les biens de la vie future, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans tes siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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