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HOMÉLIES SUR LA GENÈSE.

 

PREMIÈRE HOMÉLIE.

 

ANALYSE.

 

1. L'annonce du carême doit être accueillie avec joie, parce qu'il est un remède aux maux de notre âme. — Le jeûne et l’abstinence produisent une infinité de biens, tandis que l'intempérance a introduit dans le monde le péché et la mort. — 2. Exemple d'Adam et d'Eve, des habitants de Sodome et des Israélites dans le désert. —3. Au contraire, par le jeune, Elie a été enlevé au ciel, Daniel enchaîna la férocité des lions, et les Ninivites obtinrent le pardon (le leurs iniquités. — Jésus-Christ lui-même a voulu jeûner quarante jours ; et c'est à son imitation que l'Eg lise a adopté ce nombre dans le saint carême. — 4. Influence salutaire du jeûne, et suites funestes de l'intempérance.

 

1. Je surabonde de joie et d'allégresse en voyant aujourd'hui la foule des fidèles remplir l'ég lise de Dieu, et je loue le pieux empressement qui vous y rassemble. Aussi, le riant épanouissement de vos traits -m'est-il un signe certain du contentement de vos âmes : car le Sage a dit que la joie du cceur brille sur le visage. (Prov. XV, 13.) C'est pourquoi j'accours moi-même plein d'enthousiasme pour prendre part à la joie spirituelle de vous tous, et pour vous annoncer le retour de cette sainte quarantaine qui nous apporte la guérison des maux de l'âme. Et en effet, le Seigneur, comme un bon père, ne désire rien tant que de nous pardonner nos fautes anciennes; et c'est pourquoi il nous en offre dans le saint carême la facile expiation. Que personne donc ne paraisse triste et chagrin, et que tous au contraire, pleins de joie et d'allégresse, célèbrent le divin médecin de nos âmes qui nous ouvre cette voie de salut, et accueillent avec transport l'annonce de ces jours bénis. Que les Gentils soient confondus, et que les Juifs rougissent en voyant quel zèle éclate parmi nous à l'approche du carême, et qu'ils connaissent par leur propre expérience l'immense intervalle qui les sépare de nous. Ils appellent fêtes et féries ces jours que probablement ils passeront dans les excès de la table, du vin et des plaisirs; mais l'Eg lise de Dieu pratique les vertus opposées à ces vices elle aime le jeûne et recherche les salutaires résultats de l'abstinence. Voilà ses fêtes. Et ne sont-ils pas en effet de véritables fêtes, ces jours où l'on s'occupe du salut de son âtre, et où la (4) paix et la concorde règnent dans la cité; alors on retranche presque toutes les préoccupations de la vie, le bruit du forum, le tumulte des marchés, l'empressement des cuisiniers et les sanglantes fonctions des bouchers. Mais comment dépeindre le repos et le calme, la charité et la joie, la paix et la douceur et tous les biens innombrables que nous promet le retour du carême !

Souffrez donc, mes chers frères, que je vous en dise quelques mots. Et d'abord je vous prie de recevoir ma parole avec bienveillance, afin que vous en rapportiez dans vos maisons d'heureux fruits. Car nous ne nous sommes point ici réunis comme au hasard, moi pour vous parler, vous pour m'applaudir, et ensuite nous retirer; mais je suis venu pour vous adresser une parole utile à votre salut, en sorte que vous ne quittiez point ce temple sans avoir recueilli de ma bouche d'importantes et salutaires instructions. L'ég lise est le trésor des remèdes de l'âme; et ceux qui viennent ici ne doivent point se retirer qu'ils n'aient auparavant reçu les remèdes qui leur conviennent, et qu'ils ne les aient appliqués à leurs blessures. Et en effet, il sert peu d'écouter si l'on ne réduit en pratique ce que fon entend. Aussi saint Paul nous dit-il que ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui sont justes aux yeux de Dieu; mais que ce sont ceux qui la pratiquent qui seront justifiés. (Rom. II, 13.) Et le Sauveur lui-même nous parle ainsi dans son Evangile : Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n'entreront pas dans le royaume des cieux; mais celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux. (Math. VII, 21.) C'est pourquoi, mes bien-aimés, puisque vous savez que l'audition de la parole sainte n'est vraiment utile qu'autant qu'elle se traduit en bonnes couvres, ne vous bornez pas à l'écouter, mais faites-en la règle de votre conduite, afin que, voyant les fruits salutaires de nos discours, nous vous parlions avec une confiance nouvelle. Déployez donc toute la bienveillance de votre âme pour entendre ce que j'ai à vous dire touchant le jeûne. Le fiancé qui doit épouser une vierge chaste et pudique orne sa maison de riches ameublements,; il y établit le bon ordre et la propreté, et il en chasse les servantes licencieuses et immodestes; alors seulement il introduit son épouse dans la chambre nuptiale; et de même je voudrais que, jaloux de purifier vos âmes, vous disiez adieu aux délices de la table et à l'intempérance des festins, et que vous réserviez au jeûne un bienveillant accueil, car il est pour nous la source et le principe de tous les biens, non moins que l'école de la chasteté et de toutes les vertus. Ce sera aussi le moyen de le commencer avec plus de joie et d'en retirer des fruits plus salutaires. Le médecin prescrit une diète sévère comme préparation à une énergique purgation; il veut ainsi que la force du remède ne soit énervée par aucun obstacle et qu'il agisse avec une entière efficacité. Mais n'est-il pas plus nécessaire encore de purifier nos âmes par une exacte sobriété, afin que le jeûne produise en nous tous ses salutaires effets, et que l'intempérance ne nous en fasse point perdre les heureux fruits?

2. Je ne doute pas que plusieurs ne taxent ce langage d'étrangeté ; mais je les prie de ne pas se rendre les esclaves de la coutume , et d'écouter paisiblement la voix de la raison. Ah ! quels avantages peut-il nous revenir de consumer cette journée dans les plaisirs de latable et les excès du vin ? Et que parlé-je d'avantages ! nous n'en saurions recueillir qu'une infinité de maux et d'inconvénients. Dès là que la raison se noie sous les flots du vin,, nous tarissons dans leur source et dans leur principe les grâces du jeûne et de l'abstinence. Et puis quel spectacle plus hideux et plus repoussant que celui de ces hommes qui ont passé la nuit entière dans les orgies de l'ivresse , et qui au lever de l'aurore et aux premiers rayons du soleil, exhalent la puante odeur du vin dont ils se sont remplis ? Quiconque les rencontre ne les aborde qu'avec dégoût, leurs serviteurs les regardent d'un oeil de mépris, et ils deviennent un objet de raillerie pour tous ceux qui conservent quelque décence: Mais ce qui est encore plus triste , c'est que par leurs excès et leur criminelle intempérance ils attirent sur eux la colère de Dieu; car les ivrognes, dit l'Apôtre, ne posséderont point le royaume de Dieu. (I Cor. VII, 10. ) Eh ! quel plus grand malheur que d'être exclu des parvis célestes pour un plaisir si court et si funeste ! A Dieu ne plaise qu'aucun de mes auditeurs soit adonné à cette honteuse passion ! je souhaite au contraire que tous passent cette journée dans une sage retenue, en sorte qu'à l'abri des orages et des tempêtes qu'excite l'ivresse, ils ouvrent au jeûne le port calme et paisible d'une âme sobre et tempérante. C'est ainsi qu'ils en recueilleront les fruits abondants.

 

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Et en effet, de même que l'excès des viandes et du vin entraîne pour l'homme une infinité de maux, le jeûne et l'abstinence lui produisent une infinité de biens. Aussi dès le commencement Dieu en fit-il un précepte au premier homme, car il savait que ce remède était nécessaire au salut de son âme. Tu peux manger , lui dit-il , de tous les fruits du jardin ; mais ne mange pas du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal. ( Gen. II, 16.) Or, dire mangez ceci, et ne mangez pas cela, n'était-ce point figurer la loi du jeûne ? Hélas ! Adam qui aurait dû garder ce précepte , le transgressa , il fut vaincu par le vice de l'intempérance, et à cause de sa désobéissance condamné à la mort. Le démon , cet esprit méchant, et ennemi dé l'homme , n'avait pu voir sans envie que dans le paradis terrestre nos premiers parents menaient une vie heureuse, et que dans un corps mortel ils conservaient une innocence angélique. C'est pourquoi il tenta de le faire déchoir de cet heureux état, et en lui promettant des biens plus excellents encore, il le dépouilla de ceux qu'il possédait, tant il est dangereux de ne point se resserrer en des bornes légitimes, et d'aspirer toujours au-dessus de soi ! Le Sage lui-même nous en avertit quand il dit que par l'envie de Satan la mort est entrée dans le monde. (Sag. II, 24. ) Vous voyez donc, mes chers frères, comment à l'origine des temps, l'intempérance a introduit la mort ; et maintenant j'appelle votre attention sur ces deux passages de la sainte Ecriture , où elle condamne les plaisirs et la bonne chère. Le peuple s'assit pour manger et pour boire, et tous se levèrent pour danser. Le peuple bien-aimé but et mangea; appesanti, rassasié, enivré, il a délaissé le Dieu son créateur. ( Ex. XXXII, 6 ; Deut. XXXII, 15. ) Ce fut aussi par ces mêmes excès joints à leurs autres crimes que les habitants de Sodome attirèrent sur eux les vengeances du Seigneur. Car le Prophète dit expressément que l'iniquité de Sodome a été l'intempérance et les voluptés de la chair. ( Ezéch. XVI, 49. ) Ce vice est donc la source, et comme la racine de tous les maux.

3. Mais à ces suites funestes de (intempérance opposons les heureux résultats du jeûne. Après un jeûne de quarante jours, Moïse mérita de recevoir les tables de la loi. Mais comme il vit, en descendant de la montagne, les sacrilèges iniquités du peuple juif, il jeta à terre et brisa ces mêmes tables qui lui avaient coûté tant, d'efforts et de privations. Car il lui paraissait absurde qu'un peuple prévaricateur et voluptueux reçût une législation divine. Cet admirable prophète eut donc besoin de jeûner une fois encore, quarante jours, pour recevoir de nouveau et apporter ces mêmes tables qu'il avait brisées en punition des crimes du peuple. C'est par un jeûne semblable que le grand Elie obtint d'échapper à la tyrannie de la mort. Enlevé au ciel sur un char de feu, aujourd'hui encore il est vivant. Et Daniel, l'homme de désirs, vit ses longs jeûnes récompensés par d'admirables révélations ; et changea la férocité des lions en la douceur des agneaux. Sans doute il ne détruisit pas en eux l'instinct de la nature, mais il en suspendit la voracité. Enfin les Ninivites désarmèrent par un jeûne rigoureux les vengeances du Seigneur, ils y assujettirent les animaux aussi bien que les hommes, et chacun quittant ses voies mauvaises, ils éprouvèrent les effets de la miséricorde divine.

Mais il est inutile de multiplier ici les exemples des serviteurs : et combien de traits ne me fourniraient pas l'Ancien et le Nouveau Testament ! il vaut mieux s'arrêter à la personne même de notre commun Maître. Or le divin Sauveur Jésus a voulu jeûner quarante jours afin de se préparer à la tentation, et de nous apprendre par son exemple qu'il faut comme lui, nous armer du jeûne, et y puiser les forces nécessaires pour lutter victorieusement contre le démon. Mais ici peut-être quelque bel esprit, ou quelque profond raisonneur me demandera pourquoi le Maître a jeûné exactement le même nombre de jours que les serviteurs , et pourquoi il n'a pas voulu dépasser ce nombre? Je leur réponds que cette conduite, bien loin d'être inutile et téméraire, est pleine de sagesse et d'une ineffable miséricorde. Il a voulu jeûner pour montrer que son corps était véritable et non 'point fantastique; et il a voulu se borner à quarante jours de jeûne pour prouver que `sa chair était semblable à la nôtre. C'est ainsi que par avance il réfutait l'insolence de ces esprits curieux et disputeurs. Et en effet si malgré cette disposition des choses et des faits, quelques-uns soulèvent de pareilles objections, que ne diraient-ils pas, si le Sauveur n'eût coupé court à tous les prétextes de leur incrédulité ? Oui, il a jeûné exactement le même nombre de jours que ses serviteurs, afin de nous convaincre qu'il s'est revêtu d'une chair (6) toute semblable à la nôtre et qu'il n'était pas étranger à notre nature.

4. Et maintenant que je vous ai montré quelle est l'excellence et l'utilité du jeûne, et que je vous ai mis sous les yeux l'exemple du divin Maître et de ses serviteurs, je vous conjure, mes chers frères, de ne point négliger les grands avantages qui y sont attachés. N'accueillez donc point avec tristesse le retour de ces jours de salut, mais réjouissez-vous, et soyez pleins d'allégresse, parce que, selon la parole de l'Apôtre, plus l'homme extérieur est affaibli, plus l'homme intérieur se renouvelle. (II Cor. IV, 16.) Le jeûne est en effet comme la nourriture de l'âme; et de même que les mets de nos tables entretiennent la santé du corps, le jeûne communique à l'âme une vigueur nouvelle. Il lui donne comme deux ailes légères qui l'élèvent, loin de l'horizon de la terre, jusqu'à la contemplation des plus sublimes mystères. Et c'est alors que cette âme plane au-dessus des plaisirs de cette vie, et de toutes les voluptés des sens. Nous voyons encore qu'un léger esquif sillonne aisément les flots, tandis qu'un vaisseau trop chargé périt par son propre poids. Ainsi le jeûne qui allége l'esprit, le rend plus agile pour traverser la mer de ce monde. Notre oeil se tourne vers le ciel et les choses du ciel, et notre pensée méprise les biens de la terre qui ne nous paraissent qu'une ombre et qu'un songe. L'ivresse au contraire et l'intempérance appesantissent l'esprit en surchargeant le corps. Elles rendent l'âme captive des sens, la pressent de toutes parts, et lui enlèvent le libre exercice du jugement et de la raison. Aussi cette âme s'égare-t-elle çà et là à travers des précipices, et court infailliblement à sa perte.

C'est pourquoi, mes chers frères, entrons avec une sainte ardeur dans la pratique salutaire du jeûne : et puisque nous n'ignorons point les maux que produit l'intempérance, fuyons-en les suites funestes. Sans doute l'Evangile, qui nous prescrit une morale plus épurée, qui nous propose une lutte plus difficile et des fatigues plus grandes, et qui nous promet une récompense plus belle et une couronne plus éclatante, nous interdit sévèrement les excès de la table. Mais la loi ancienne elle-même défendait également l'intempérance et cependant les Juifs ne voyaient encore toutes choses qu'en figures, et attendaient la véritable lumière. Ils étaient comme de jeunes enfants que l'on nourrit de lait. Peut-être m'accuserez-vous de parler ainsi au hasard, et sans preuve; écoutez donc le prophète Amos : Malheur à vous qui êtes réservés pour le jour mauvais, qui dormez sur des lits d'Ivoire et vous étendez mollement sur votre couche, qui mangez les agneaux choisis et les génisses les plus grasses, qui buvez les vins les plus délicats, et vous parfumez des essences les plus exquises, et qui considérez ces plaisirs comme un bien stable et permanent, et non comme un songe fugitif ! (Amos, VI, 3-6.) Voilà quel langage sévère le Prophète faisait entendre aux Juifs, peuple grossier, ingrat et adonné chaque jour aux plaisirs des sens. Il n'est pas inutile non plus de peser les expressions qu'il emploie, et d'observer qu'après leur avoir reproché leur penchant à l'ivrognerie et à la débauche, il ajoute qu'ils considéraient ces plaisirs comme un bien stable et permanent, et non comme un songe fugitif. N'est-ce pas nous avertir que ces voluptés s'arrêtent au gosier, et se bornent à flatter le palais?

Le plaisir est donc court et momentané, mais la douleur qu'il cause est longue et durable. Et cependant, dit le Prophète, malgré les leçons de l'expérience, les Juifs s'obstinaient à regarder le plaisir comme un bien stable et permanent, tandis qu'il n'est qu'une jouissance fugitive. Oui, le plaisir s'envole rapidement, et nous ne saurions le fixer même quelques instants. Car telle est la destinée des choses humaines et sensibles. A peine les possédons-nous qu'elles nous échappent. Telle est aussi la nature des délices, de la gloire du monde, de la puissance, des richesses et des prospérités de la vie. Elles ne nous offrent rien de solide ni d'assuré; rien de ;fixe ni de permanent. Elles s'écoulent plus rapidement que l'eau des fleuves, et laissent vides, et indigents tous ceux qui les recherchent avec un si vif empressement. Mais au contraire les biens spirituels nous présentent un caractère tout diffèrent. Ils sont fermes, assurés, constants et éternels. Ne serait-ce donc pas une étrange folie que d'échanger une jouissance passagère contre des biens immuables , des plaisirs momentanés contre un bonheur immortel, et des voluptés frivoles et rapides contre une félicité vraie et éternelle ? Enfin, les uns nous exposent aux supplices affreux de l'enfer, tandis que les autres nous rendront souverainement heureux dans le ciel. Ainsi donc, mes très-chers frères, (7) que ces vérités sérieusement méditées nous fassent donner à notre salut toute notre attention , mépriser les plaisirs des sens, plaisirs vains et dangereux , et embrasser avec joie le jeûne et ses pratiques salutaires. Montrons par tout l'ensemble de notre conduite que nous sommes véritablement changés, et hâtons-nous de multiplier chaque jour nos bonnes oeuvres. C'est ainsi qu'après avoir , durant le saint temps du carême, grossi nos richesses spirituelles, et augmenté le trésor de nos mérites, nous atteindrons heureusement le saint jour du Seigneur. Dans ce jour il nous sera donné de nous asseoir avec confiance à la table redoutable du banquet divin, d'y participer avec une conscience pure aux délices ineffables, et d'y recevoir les biens éternels et les grâces abondantes que le Seigneur nous a préparés. Puissions-nous obtenir cette grâce par les prières et l'intercession des saints qui ont plu eux-mêmes à Jésus-Christ notre divin Sauveur, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'empire et l'honneur, maintenant, et dans tous les siècles des siècles! — Ainsi soit-il.

 

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