HOMÉLIE XXXIX
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HOMÉLIE XXXIX. AINSI, SOIT QUE CE SOIT MOI, SOIT QUE CE SOIENT EUX QUI VOUS PRÊCHENT, VOILÀ CE QUE NOUS PRÊCHONS, ET VOILÀ CE QUE VOUS AVEZ CRU. (CH. XV, VERS. 11.)

 

ANALYSE.

 

1. Sur l'égalité parfaite entre Paul et les autres apôtres.

2. Discussion sur la résurrection qui est, non pas la mort du péché seulement, mais la destruction de la mort, et la résurrection des corps. — Rapport étroit entre la résurrection des corps et la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

3. Diverses explications sur ta méthode de Paul quand il discute. — 4. Sur la parfaite égalité du Père et du Fils.

5-7. Pourquoi la dernière victoire est la victoire remportée sur la mort. — Détails sur une sécheresse dont souffrit la ville d'Antioche.

8 et 9. Contre l'avarice, contre là haine vindicative, contre la gourmandise eues innombrables malheurs dont elle est la source.

 

1. Il a exalté les apôtres , il s'est abaissé ensuite; par un mouvement contraire, il s'est exalté au-dessus d'eux afin d'établir l'égalité , (car il a remis l'égalité en se montrant d'une condition tout ensemble au dessus et au dessous) , et par là il s'est rendu digne de foi ; eh bien! ce n'est pas tout , il ne congédie pas encore les fidèles, il leur montre encore le lien étroit qui l'unit aux apôtres,. indiquant la concorde selon le Christ. J1 ne le fait pas toutefois de manière à perdre sa dignité , il se met au même rang que les apôtres : ce n'est qu'ainsi qu'il devait parler dans l’intérêt de la prédication. Il a donc pris un soin égal d'éviter deux dangers, celui de paraître mépriser les apôtres, celui de trop s'abaisser, en s'inclinant devant les apôtres, aux yeux des fidèles qui lui étaient soumis. Voilà pourquoi, ici encore, il parle d'eux comme étant leur égal; il dit: « Soit que ce soit moi, soit que ce soient eux qui « vous prêchent, voilà ce que nous prêchons ». Instruisez-vous auprès de, qui vous voudrez; il n'y a entre nous aucune différence. Il ne dit pas : Si vous ne voulez pas me croire, croyez-les ; non, il se pose lui-même comme digne de foi, comme étant par lui-même une autorité suffisante, de même que les autres apôtres sont par eux-mêmes des autorités suffisantes. En effet, la différence de personnes ne signifiait rien, l'autorité étant égale. Or, ce que fait Paul ici, il le fait également dans l'épître aux Galates ; il cite les apôtres, non pas parce qu'il a besoin d'eux, il se déclare au contraire suffisant de lui-même : « Ceux qui me paraissaient les plus considérables ne m'ont rien appris de nouveau ». (Gal. II, 6.) (567) Toutefois, je tiens à la concorde avec eux « Ils m'ont donné la main », dit-il. (Ibid. IX.) Car s'il eût été nécessaire que l'autorité de Paul dépendît des autres, s'appuyât sur le témoignage des autres, Il en, serait résulté pour ses disciples une infinité de conséquences fâcheuses. Donc Paul. ne parle pas pour se louer, mais pour assurer la prédication de l'Evangile. Voilà pourquoi il dit ici, en s'égalant aux apôtres : « Soit que ce soit moi, soit que ce soient eux qui vous prêchent, voilà ce que nous prêchons ».

II a raison de dire: ;Nous prêchons », montrant ainsi la grande confiance et là liberté de la parole. Nous ne chuchotons pas , nous ne nous cachons pas, nous faisons entendre une voix plus éclatante que la trompette. Et il ne dit pas : Nous avons prêché, mais aujourd'hui même, « voilà ce que nous prêchons. Et voilà « ce que vous avez cru »:Ici, il ne dit pas : Ce que vous croyez, mais « ce que vous avez cru ». C'est parce que les fidèles chancelaient qu'il remonte aux temps passes, et maintenant c'est eux-mêmes qu'il prend à témoin. « Donc, puisqu'on vous a prêché que Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts, comment se trouve-t-il parmi vous des personnes qui osent dire que les morts ne ressuscitent point (12) ? » Voyez-vous l'excellence du raisonnement, la démonstration de la résurrection par le réveil du Christ, après que tant de preuves ont établi que le Christ est ressuscité? Car, dit l'apôtre, les,prophètes nous ont annoncé d'avance cette résurrection du Christ, le Christ l'a prouvée lui-même en se faisant voir, et c'est ce que nous prêchons, et c'est ce que vous avez cru; quadruple témoignage dont il fait un faisceau, témoignage des prophètes, témoignage des événements, témoignage des apôtres , témoignage des disciples ; disons mieux , témoignage quintuple. Car la cause même . de la mort démontre la résurrection, puisqu'il est mort pour les péchés des .autres. Si cette résurrection a .été démontrée, il est évident que la conséquence l'est aussi, à savoir que les autres morts doivent aussi se réveiller. Voilà pourquoi l'apôtre en parle comme d'une vérité reconnue, et il prend la forme interrogative : « Puisqu'on vous a prêché que Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts, comment se trouve-t-il parmi vous des personnes qui osent dire que les morts ne ressuscitent point? »

Cette forme de raisonnement ai de plus, l'avantage d'adoucir les contradicteurs. En effet, il ne dit pas : Comment osez-vous dire, mais : « Comment se. trouve-t-il parmi vous des personnes qui osent dire » ; et il ne les accuse pas tous, et les personnes mêmes qu'il accuse, il ne les nomme pas, de peur de les jeter dans l'effronterie; d'un autre côté, il ne tient pas la faute absolument cachée, parce qu'il veut corriger les fidèles. Voilà pourquoi il sépare lés coupables de la foule des fidèles avant de s'apprêter à la discussion avec eux ; par ce moyen il, les affaiblit, il les déconcerte, il retient auprès de lui les autres dont il fait dés champions de sa cause, qu'il rend plus fermes, plus inébranlables dans la vérité; il ne leur laisse pas les moyens de passer comme transfuges. dans les rangs de ceux qui. ont voulu les corrompre. Contre ceux-là il est prêt à s'élancer de toute la véhémence de sa parole. Ensuite, pour leur ôter la ressource d'objecter due la résurrection du Christ est évidente, manifeste, que nul n'y contredit, mais que la résurrection des hommes n'en est pas une conséquence nécessaire, attendu que, si les prophéties, l'événement, le témoignage résultant de ce que le Christ s'est fait voir, démontrent la résurrection du Christ, en ce qui concerne notre résurrection, nous n'avons encore que des espérances, voyez ce que fait l'apôtre; c'est par le, fait incontestable qu'il prouve la vérité contestée, et cette manière d'argumenter avait une grande puissance. Que soutiennent, dit-il, quelques personnes ? Qu'il n'y a pas de résurrection des morts? Eh bien ! la conséquence de leur dire, c'est que le Christ non plus n'est pas ressuscité. Voilà pourquoi l'apôtre ajoute : « Si les morts ne ressuscitent point , Jésus-Christ n'est donc point ressuscité (13) ». Voyez-vous la, force irrésistible, ce que la discussion de Paul a d'invincible, ce n'est pas seulement le fait évident qui lui sert à prouver, ce que l'on conteste, mais le fait même contesté par les contradicteurs lui sert à confirmer le fait évident. Ce n'est pas que l'événement accompli eût besoin d'être démontré, mais il fallait montrer que les deux sont également dignes de notre foi. .

2. Mais, dira-t-on, où est la nécessité de la conséquence? En effet, si. le Christ n'est pas ressuscité, il s'ensuit que les autres morts ne ressuscitent pas, cette conséquence est (568) rigoureuse : mais que, si ces autres morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus ne- soit pas ressuscité, où est la raison? Cette raison ne paraissant pas assez manifeste , voyez la manière dont l'Apôtre s'y prend pour la rendre manifeste ; il commencé par jeter la semence d'en-haut, il la prend dans la cause même de la prédication; ainsi il dit que celui qui est mort pour nos péchés, est ressuscité, et qu'il est les prémices de ceux qui se sont endormis. Ces prémices, de qui sont-elles les prémices, sinon de ceux qui ressuscitent? Or,-comment peuvent-elles être des prémices sans la résurrection de ceux pour qui elles sont des prémices? comment donc peut-il se faire qu'ils ne ressuscitent pas? et maintenant, s'ils ne . ressuscitent pas, pourquoi le Christ est-il ressuscité? pourquoi est-il venu ? pourquoi a-t-il revêtu la chair, s'il ne devait pas ressusciter la chair? car ce n'est pas pour lui qu'il avait besoin de ressusciter, ce n'est que pour nous. Toutefois il ne présente ces réflexions que successivement, à mesure que le raisonnement se développe; en attendant, il dit: « Si les morts ne ressuscitent point , Jésus-Christ. n'est donc point ressuscité », car il y a là connexité ; si Jésus-Christ n'avait pas dû ressusciter, il n'aurait pas fait ce qu'il a fait. Voyez-vous comme le dogme de l'incarnation arrive peu à peu à. être détruit par ces paroles téméraires qui refusent de croire à la résurrection? Toutefois, quant à présent, l'apôtre rie dit rien de l'incarnation ; il ne parle que de la résurrection. Ce n'est pas en effet l'incarnation du Christ, ruais sa mort qui détruit la mort car, tant que le Christ fut revêtu de sa chair, la mort posséda son pouvoir tyrannique. « Et si Jésus-Christ n'est point ressuscité, notre prédication est vaine, et votre foi est vaine aussi (14) ». Il était conséquent de dire: Si le Christ n'est pas ressuscité, vous combattez l'évidence, tant de prophéties, la réalité des événements; il leur dit ce qui est beaucoup plus terrible : « Notre prédication est vaine, et votre foi est vaine aussi ». C'est qu'il veut donner à leurs esprits une forte secousse. Nous perdons tout, s'écrie-t-il, c'en est fait de tout, si le Christ n'est pas ressuscité. Comprenez-vous toute la grandeur du mystère : Si Jésus-Christ mort n'a pu ressusciter, le péché n'a pas été aboli, la mort n'a pas été détruite, la malédiction n'a pas été enlevée, et non-seulement nous n'avons prêché que des vanités, mais votre foi, à vous aussi, n'est que vanité. Et non-seulement il montre par là l'absurdité de ces doctrines coupables, mais il ajoute à la puissance de ses armes, en disant: « Nous sommes même convaincus d'être de faux témoins à l'égard de Dieu , comme ayant rendu ce témoignage contre Dieu même, qu'il a ressuscité Jésus-Christ, tandis que néanmoins il ne l'a pas ressuscité, si les morts ne ressuscitent pas (15) ».

Et maintenant si cela est absurde, (car c’est accuser Dieu et le calomnier) , si Dieu n'a pas ressuscité le Christ, comme vous le dites, il s'ensuit encore d'autres absurdités. Ces absurdités, il les prouve, il les montre, il dit : « Car si les morts ne ressuscitent point , Jésus-Christ, non plus , n'est pas ressuscité (16) ». Car s'il n'avait pas du les ressusciter, il ne serait pas venu. Mais il ne parle pas de l'avènement du Christ, il lie parle que du but final de cet avènement, de la résurrection, et, par cette résurrection, il entraîne tout. « Si Jésus-Christ n'est pas ressuscité, votre foi est donc, vaine. « (17)». C'est à ce qui est manifeste, incontesté, qu'il rattache , qu'il joint la résurrection du Christ, c'est par ce qui est plus fort : qu'il fortifie ce qui semble faible, qu'il donne l'évidence à ce qui est contesté. « Vous êtes encore dans vos péchés ».. En effet, s'il n'est point ressuscité, il n'est pas mort; s'il n'est pas «mort, -il n'a pas détruit le péché; car sa mort, c'est la destruction du péché. Car, dit l'Evangéliste : « Voici l'agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde ». (Jean, I , 29.) Or; comment les ôte-t-il? par sa mort. Et de- plus, s'il l'appelle un agneau, c'est qu'il devait être tué. Or s'il n'est pas ressuscité , il n'à pas été tué ; s'il n'a pas été tué, le péché n'a pas été aboli ; si le péché n'a pas été aboli, vous y êtes encore; si vous y êtes encore, c'est en vain que nous avons prêché; si c'est en vain que nous avons prêché, c'est en vain que vous avez cru. D'ailleurs, la mort subsiste immortelle, s'il n'est pas ressuscité. Car si lui-même a été retenu par la mort, s'il n'a pas rompu les liens qui le retenaient dans ses flancs, comment a-t-il pu délivrer tous les autres, ne se délivrant pas lui-même? Voilà pourquoi l'apôtre, ajoute : « Ceux qui se sont endormis dans le Christ, ont donc péri? « (18) ».

Et à quoi bon, dit-il, parler de vous seulement, si tous ceux-là ont péri, qui ont achevé (569) leur course, et qui ne sont plus soumis à l'incertitude de l'avenir? Quant à ces mots, « dans le Christ », ils s'appliquent soit à ceux qui se sont endormis dans 1a foi, ou qui sont morts pour le Christ, qui ont affronté tant de dangers , qui ont supporté tant d'épreuves pénibles, qui ont marché dans 1a voie étroite. Où sont-ils maintenant ces manichéens à la bouche criminelle, qui prétendent que l'apôtre entend la, résurrection qui s'accomplit sur la terre, à savoir, l'affranchissement du péché? Ses raisonnements accumulés et continuels à conséquences réciproques ne prouvent rien de ce que ces hérétiques prétendent, mais uniquement ce que nous soutenons. Résurrection veut dire que ce qui est tombé se relève. Voilà pourquoi l'apôtre ne se lasse pas de répéter, non-seulement que le Christ est ressuscité, mais, « ressuscité d'entre les morts ». Et d'ailleurs les Corinthiens ne contestaient pas la rémission des péchés, mais la résurrection des corps. Mais de ce que les hommes ne sont pas impeccables, la logique nous oblige-t-elle à conclure que le Christ lui-même- ne fut pas impeccable non plus? S'il ne devait pas ressusciter lés morts, il était conséquent dé- dire: Pourquoi est-il venu, pourquoi s'est-il incarné, pourquoi 'est-il ressuscité? Cette dernière conclusion est légitime, mais non la précédente. En effet, soit que l'homme pèche, soit qu'il ne pèche pas; Dieu possède toujours en propre 1'impeccabilité, et il n'y a pas entre notre condition de pécheurs et l'impeccabilité divine la même connexité, la même réciprocité que pour la résurrection des corps. « Si nous n'avions d'espérance en Jésus-Christ que pour cette vie, nous serions les plus misérables de tous les hommes (19) ».

3. Que dites-vous; ô Paul? Comment est-il vrai que nous n'ayons plus d'espérance que pour cette vie, sans-la résurrection des corps, puisque l'âme demeure immortelle? C'est que, quelle que soit la persistance de l'âme immortelle, eût-elle mille fois l’immortalité, comme elle la possède en fait, sans la chair elle: ne recevra- pas ces biens ineffables, de même qu'elle ne subira pas les châtiments. « Car toutes choses seront manifestées devant le tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu'il aura faites pendant qu'il aura été revêtu de son corps. » ( II Cor. V, 10). Voilà pourquoi l'apôtre dit : « Si nous n'avions d'espérance en Jésus-Christ que pour cette vie, nous serions les plus misérables de tous les hommes ». En effet, si le corps ne ressuscite pas, l'âme demeure sans couronne, en dehors de la félicité des cieux ; s'il en est ainsi, alors nous n'obtiendrons absolument rien ; si rions ne devons rien obtenir alors, C'est dans la vie présente qu'ont lieu les rémunérations. Qu'y aurait-il donc, dit-il, de plus infortuné que nous? Or, par de tels discours, l'apôtre voulait à la foi;; raffermir la doctrine de la résurrection des corps et persuader l'immortalité de l'âme, afin qu'on n'allât pal. s'imaginer que tout est détruit, que tout cesse dans le moment présent. Après avoir, par ce qui précède, suffisamment raffermi ce qu'il voulait consolider, après avoir dit : « Si les morts ne ressuscitent point, Jésus-Christ, non plus, n'est pas ressuscité ; or, si Jésus-Christ n'est pas ressuscité », nous sommes perdus, et encore, nous sommes encore dans les péchés, il introduit de plus la pensée qui suit, afin de secouer fortement les âmes. Car lorsque l'apôtre se prépare à énoncer un des dogmes qui sont nécessaires, c'est par la terreur qu'il commence à attaquer les coeurs durs,: c'est la pratique qu'il suit, en ce moment, après avoir jeté la confusion, inspiré des inquiétudes, montré que tout serait perdu, il reprend le même sujet sur un autre ton, et, pour produire, la consternation, « nous serions», dit-il, « les plus misérables de tous les hommes », si, après tant de guerres et de morts, et de maux innombrables, nous devions être privés de tant de biens, si tout se réduisait. pour nous à la vie présente : car tout dépend de la résurrection. Aussi est-ce là une nouvelle preuve qu'il ne parlait pas de péchés, niais de la résurrection des corps, et de la vie présente, et de la vie à venir.

« Mais maintenant Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts, et il est devenu les prémices de ceux qui dorment (20) ». Après avoir montré tous les. maux qui résultent de ce que l'on ne croit pas à la résurrection, il reprend de nouveau ce qui a été dit, et il fait entendre ces paroles : « Mais maintenant Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts » ;  il ajoute tout de suite, «d'entre les morts », pour fermer la bouche aux hérétiques. « Les prémices de ceux qui donnent ». S'il est les prémices, nécessairement ceux-là aussi doivent ressusciter. S'il entendait par résurrection (570) l'affranchissement du péché, comme personne n'est sans péché [car Paul dit « car encore que ma conscience ne me reproche rien, je ne suis pas justifié pour cela » (I. Cor. IV, ,4)]; comment donc pourrait-il y avoir une résurrection selon vous? Voyez-vous que c'est des corps qu'il prétend parler? Et pour confirmer ce point, tout de suite il montre le Christ ressuscité dans sa chair. Ensuite il donne la cause. Car, je l'ai déjà dit, l'affirmation d'un fait, quand la cause ne s'y joint pas, n'obtient pas autant l'adhésion du grand nombre. Quelle est donc la cause? « Ainsi parce que la mort est venue par un homme, la résurrection des morts doit venir aussi par un homme (21) ». Il est clair que si c'est paf un homme, c'est par un homme qui a un corps. Ce n'est pas tout voyez encore l'habileté d'un raisonnement qui établit encore autrement la nécessité de la déduction. Celui qui a été vaincu, doit nécessairement réparer sa défaite lui-même, relever la nature terrassée, vaincre lui-même, c'est ainsi . qu'il lavera sa honte. Voyons de quelle morfil parle. « Car de même que tous meurent en Adam, tous vivront aussi en Jésus-Christ. (22) ». Quoi donc? est-ce bien tous, répondez-moi, je vous en prie, qui sont morts dans Adam de la mort du péché? comment donc Noé était-il juste dans sa génération? et Abraham? à Job? et tous les autres? Et maintenant, dites-moi, je vous. en prie, est-ce que, tous seront vivifiés en Jésus-Christ? Et où sont ceux qui sont emportés dans la géhenne ? Car si c'est du corps que l'on parle, le discours subsiste, mais s'il est question de la justice et du péché, il n'en est plus de même. L'apôtre donc ne voulant pas que cette vivification de tous soit regardée comme le salut des pécheurs, ajoute, « et chacun en son rang (23) », vous avez entendu parler de résurrection, mais n'allez pas croire que tous obtiennent les .mêmes biens, et jouissent des mêmes récompenses. Car s'il est vrai que, dans le supplice, tous ne supporteront pas la même peine, s'il est vrai que la différence  sera grande, à bien plus forte raison, entre les pécheurs et les justes il y aura une plus grande distancé. « Jésus-Christ, le premier, comme les prémices de tous ; puis ceux qui sont à Jésus-Christ »; c'est-à-dire, les fidèles et ceux qui sont justement estimés. « Ensuite ..la consommation (24). » Car quand ceux-là seront ressuscités, toutes choses recevront leur accomplissement : ce n'est pas comme maintenant, après la résurrection du Christ, que toutes choses sont encore. en suspens. Et pour cette. raison, l'apôtre ajoute, « à, son avènement », afin que vous compreniez que c'est de ce temps-là qu'il parle. « Lorsqu'il aura remis son royaume à Dieu son Père, et qu'il aura détruit tout empire, toute domination et toute puissance. (24) » .

4. ici, soyez attentifs, et voyez à ne rien perdre des paroles qui vous sont adressées, car nous livrons un assaut à nos ennemis. Voilà pourquoi il faut d'abord pratiquer la démonstration par l'absurde. C'est ce que Paul fait souvent : voilà le moyen le plus, commode de bien saisir ce qu'ils disent. Commençons par leur demander ce que signifie « Lorsqu'il aura remis son royaume à Dieu son Père ». Si nous prenons ces paroles sans y réfléchir, sans y voir ce qui convient à Dieu, ce royaume, Jésus-Christ ne le possédera plus à partir de ce moment, car celui qui a remis une chose à un autre, cesse dès lors de la posséder. Et ce ne sera pas là la seule absurdité; mais il y aura encore cette absurdité que celui qui aura reçu se trouvera ne posséder qu'après avoir reçu. De sorte qu'à les entendre, le Père n'était pas roi auparavant, ce n'est pas lui qui nous administrait, et le Fils cessera d'être roi. Comment donc se fait-il que lui-même dit du Père : « Mon Père ne cesse point d'agir jusqu'à présent, et j'agis aussi (Jean, V, 17) ? » et que Daniel dit encore sur lui ; « Son royaume, royaume éternel, qui ne passera pas? » (Dan. II, 44.) Voyez-vous toutes les absurdités qui se montrent, tous les démentis donnés aux Ecritures, si l'on prend ces paroles dans un sens humain? Or; quel est d'empire dont l'apôtre dit qu'il sera détruit? L'empire des anges? Loin de nous cette pensée. L'empire des fidèles, peut-être ? Ce n'est pas cela encore. Qui empire donc? Celui des démons, dont il dit ailleurs : « Car nous avons à combattre, non contre des hommes de chair et de sang, mais contre les principautés et les. puissances, contre les princes du monde de ce siècle ténébreux». (Ephés. VI, 12.) En effet, leur empire maintenant n'est pas entièrement détruit, il ne cesse pas encore; en beaucoup d'endroits ils l'exercent encore, mais alors ils cesseront leur domination. « Car Jésus-Christ doit régner, jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds (25) ». Ici encore une (571) autre absurdité toute prête à éclore; si nous n'entendons pas ces paroles dans un sens qui convienne à Dieu. Car ce mot jusqu'à ce que » indiqué une fin déterminée; or, en Dieu, il n'y a pas de fin. « Or la mort sera le dernier ennemi qui sera détruit (26) ». Comment, cela, le dernier? Après tous, après le démon, après toute autre chose. Et en effet, même au commencement, c'est elle qui est entrée la dernière; d'abord le conseil du démon, puis la désobéissance, et alors la mort. Donc, c'est son pouvoir qui dès maintenant est aboli; mais alors elle le sera elle-même en réalité.

« Car il lui a tout mis sous les pieds. Quand l'Ecriture dit que tout lui est assujetti, il est évident qu'il faut en excepter celui qui lui a assujetti toutes choses. Lors donc que toutes choses auront été assujetties au Fils, alors le Fils sera lui-même assujetti à celui qui lui aura assujetti toutes choses (27, 28) ». Or il ne disait pas auparavant que c'était le Père qui lui assujettissait toutes choses, mais que c'était lui-même,qui détruisait : « Lorsqu'il aura », dit l'apôtre, « détruit tout empire, toute domination ». Or, voici maintenant : « Car Jésus-Christ doit régner jusqu'à ce que son Père lui ait mis tous ses ennemis sous les pieds (1) » Comment donc dit-il ici que c'est le Père ? Et ce n'est pas là seulement ce qui ne se comprend pas, mais c'est que la crainte de Paul est tout à fait étrange; il se sert d'un correctif, il dit : « Il faut en excepter celui qui lui a assujetti toutes choses » , comme s'il y avait des personnes pour s'imaginer que le Père peut être assujetti au Fils. Quoi de plus déraisonnable qu'une pareille imagination? Cependant l'apôtre en a eu peur. Donc qu'est-ce que cela signifie? Voyez-vous, ici, les questions se pressent en foule, accordez-moi votre attention soutenue., Il nous est nécessaire avant tout de dire le but; la pensée de Paul, qui brille partout, et qui va nous donner 1a solution de notre embarras. La pensée de Paul ne sera pas inutile aussi pour la solution. Quelle est donc cette pensée; et quelle est son habitude? Il a une manière de parler, quand il ne parle que de la divinité seule; il en a une autre, quand, il tombe sur le mystère de l'incarnation. En effet, quand il s'attache à la chair, sans s'inquiéter de tout autre ordre d'idées, il n'a que des expressions basses et .misérables, parce qu'il s'assure que la chair comporte les paroles qu'il emploie. Voyons donc ici, s'il ne parle que de la divinité seule, ou s'il se joint à ce qu'il dit de Dieu un rapport avec l'incarnation : ou plutôt montrons d'abord les exemples où il a pratiqué la méthode dont je viens de parler.

Il écrit aux Philippiens : « Qui ayant la forme et la nature de pieu n'a point regardé comme un rapt d'être égal à Dieu, mais s'est anéanti lui-même, en prenant la forme et la nature de serviteur, en se rendant semblable aux hommes, et étant reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui au dehors. Il s'est rabaissé lui-même, se rendant obéissant jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la croix. C'est pourquoi Dieu l'a élevé », (Phil. II, 6-9.) Voyez-vous comment, quand il ne parle que de la divinité, l'apôtre emploie ces grandes expressions : Il a la forme de Dieu ; l'apôtre attribue également tout et au Père, et au Fils; quand, au contraire, il veut nous montrer Jésus-Christ incarné, il abaisse son discours? Sans cette distinction, il n'y a entre, les paroles qu'une contradiction choquante. S'il était égal à Dieu, comment Dieu a-t-il pu élever celui qui était son égal? S'il avait la forme de Dieu, comment Dieu a-t-il pu lui donner son nom? On ne donne qu'à celui qui n'a pas ce qu'on lui donne; on ne peut élever que ce qui était au-dessous de la hauteur où on l'élève. Il faudra bien que le Fils ait été dans l'abaissement et dans l'indigence de, quelque chose avant d'avoir été élevé, avant d'avoir reçu le nom; et mille autres corollaires s'ensuivent, qui sont absurdes. Mais si vous pensez à l'incarnation, vous n'aurez pas tort de tenir ce langage. Appliquez ces observations ici et recevez dans cette pensée les paroles que vous avez entendues.

5. Nous ajouterons encore quelques autres raisons du langage de Paul. En attendant, nous sommes encore forcé de dire que Paul, parlant de la résurrection , traitait d'une chose qui paraissait impossible, et ne rencontrait que l'incrédulité; Paul écrivait à des Corinthiens, chez qui se trouvaient en grand nombre des philosophes toujours occupés à se moquer de

 

1. La pensée de saint Jean Chrysostome est, d'une manière générale, parfaitement claire ; mais il y a, dans les détails, une certaine confusion par la manière dont le saint Evêque cite, en les modifiant, les paroles analogues du verset 25 et 26.

 

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semblables mystères. Ces hommes qui disputaient entre eux pour les autres sujets, étaient du même sentiment, accordaient à l'unanimité, pour rejeter ce dogme, pour décider qu'il n'y a pas de résurrection. Donc l'apôtre combattant pour une vérité à qui l'on refusait d'ajouter foi, et que l'on tournait et ridicule, tant parce que c'était un parti pris que parce que le fait était difficile à croire, l'apôtre; voulant établir la possibilité du fait; commence par se fonder sur la résurrection du Christ; il la démontre, et par les prophètes, et par ceux qui l'ont vue, et par ceux qui l'ont crue, et maître ensuite de sa démonstration par l'absurde, il ne pense plus qu'à établir la résurrection des hommes : « Car si les morts ne ressuscitent point , Jésus-Christ non plus n'est pas ressuscité ». Ensuite , fort des preuves qu'il a entassées sans interruption jusque-là, il argumente d'une autre manière, il appelle Jésus-Christ, prémices, il montre qu'il détruit tout empire , toute domination, toute puissance , et en dernier lieu , la mort. Comment donc la mort sera-t-elle détruite, si elle ne rend pas auparavant les corps qu'elle possédait?

Donc, après. de grandes paroles sur le Fils unique qui remet son royaume, c'est-à-dire, qui accomplit lui-même toutes ces choses, qui termine lui-même la guerre par une victoire, et qui soumet tout sous ses pieds, l'apôtre ajoute, pour corriger l'incrédulité du grand nombre : « Car Jésus-Christ doit régner jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds ». Ce n'est pas pour exprimer la fin de la royauté qu'il met ce « jusqu'à ce que », mais pour rendre son discours digne de foi, et préparer la confiance. N'allez pas, dit-il, parce que l'on vous a dit qu'il détruira tout empire, toute domination et toute puissance, craindre le démon et les innombrables phalanges des esprits de l’enfer, et les multitudes des infidèles, et la tyrannie de la mort, et tous les maux; comme s'il était désormais sans pouvoir; car, jusqu'à ce qu'il ait fait toutes es choses, il doit régner; ce qui ne veut pas dire qu'après son règne doit cesser; mais l'apôtre veut faire entendre que; bien que cela n'arrive pas présentement, il faut absolument que cela s'accomplisse. En effet la royauté de Jésus-Christ ne se scinde, pas; elle a sa puissance, sa force, elle persiste jusqu'à ce qu'il ait accompli toutes choses d'une manière parfaite. Cette méthode de l'apôtre, on peut la trouver même dans l'Ancien Testament; par exemple : « La parole du Seigneur demeure jusqu'à l’éternité » ; et encore :  « Vous êtes toujours le même, et vos années ne finiront point ». (Ps. CXVIII, 89, et CI, 28.) Or ce que dit là le prophète, et les paroles du même genre, quand il annonce des événements qui n'auront lieu que longtemps après, et qui sont tout à fait dans l'avenir, c'est pour bannir la crainte des fidèles dont l'intelligence est plus lourde. Voulez-vous la preuve que « jusque »,appliqué à Dieu, et « jusqu'à la fin », ne marquent pas une fin ? Ecoutez ce que dit l'Ecriture : « Depuis le commencement des siècles, et jusque dans les siècles, vous êtes» (Ps. LXXXIX, 2); et encore : « Je suis » (Exod. III, 14) ; et : « Jusqu'à ce que vous soyez devenus vieux, je suis ». (Is. XLVI, 4.)

Et maintenant, si c'est en dernier lieu qu'il parle de là mort, c'est pour que les autres victoires prédisposent l'incrédule à accorder sa foi à ce dernier triomphe. Quand on peut détruire le démon, qui a introduit la mort dans le inonde, à bien plus forte raison pourra-t-on détruire son ouvrage. Comme donc il lui a attribué tout -pouvoir, celui de. détruire les empires et les dominations, d'exercer une royauté parfaite, je veux dire, de procurer le salut des fidèles, la paix de la terre, l'abolition des péchés (Ce c'est là ce qui fait que la royauté est exercée d'une manière parfaite, et que la mort est détruite) comme de plus, l'apôtre n'a pas dit que c'est le Père qui détruira par son entremise, mais que c'est lui-même qui détruira, que c'est lui-même qui mettra sous ses pieds, comme il n'a tait aucune mention du Père, pour toutes ces raisons Paul a un scrupule : des insensés pourront se figurer, ou que 1e Fils est plus grand que le Père; ou que c'est quelque autre principe non-engendré; par ce motif, avec une circonspection qui met doucement les choses en sûreté, . Paul tempère la grandeur des paroles qu'il a fait entendre : « Car Dieu a mis tout sous ses pieds » ; mais maintenant, en attribuant au Père tout ce qui s'accomplit, Paul ne veut pas affaiblir le Fils (comment pourrait-il ravaler sa puissance, après en avoir donné tant de preuves, après lui avoir tout attribué?) toutes les paroles de l'apôtre vont, comme je l'ai dit, à montrer l'action commune du Père et du Fils dans tout ce qui s'accomplit pour nous (573). Ecoutez ce que dit Paul pour prouver que le Fils se suffit à lui-même pour se soumettre toutes choses : « Qui transformera notre corps dans notre abjection, afin de le rendre conforme à son corps glorieux, par cette vertu efficace par laquelle il peut s'assujettir toutes choses ». (Philippe III, 21.) Et ensuite il se sert d'un correctif : « Quand l'Ecriture dit que tout lui est assujetti, il est évident qu'il faut en excepter celui qui lui a assujetti toutes choses » ; mais de là encore, on peut tirer une preuve puissante de la gloire du Fils unique. S'il eût été moindre que son Père, de beaucoup inférieur à lui,-Paul n'aurait jamais eu la crainte qu'il montre ici. Les précautions qu'il a prisés, ne sont pas encore suffisantes pour lui; il y ajoute, il insiste. On pouvait dire Mais si le Père n'est pas assujetti au Fils, cela n'empêche pas que le Fils ne soit plus puissant. Cette pensée inspire à Paul des appréhensions, il repousse cette impiété, et ne croyant pas sa. démonstration encore complète, il ajoute surabondamment : « Lors donc que toutes choses auront été assujetties au Fils, alors le Fils sera lui-même assujetti » ; montrant par là la parfaite concorde avec le Père, et que le principe de tous lés biens et la première cause, c'est celui qui. a engendré celui qui est si puissant pour accomplir toutes choses parfaites.

6. Si l'apôtre en a dit plus que son sujet ne le demandait, ne soyez pas surpris : il imite son maître en cela. En effet, Jésus-Christ lui-même voulant montrer la concorde qui l'unit à celui qui l'a engendré, prouver que son avènement n'est qu'un effet de la volonté de son Père, descend dans dès explications mesurées non sur la nécessité de démontrer la concorde, mais sur la faiblesse de. ceux auxquels il s'adresse. Il prie son Père uniquement dans cette intention, et il motive sa prière en disant : « Afin qu'ils croient que c'est vous qui m'avez envoyé ». (Jean, XI, 42.). Donc Paul suit cet exemple, et il emploie ici l'abondance des paroles, non de manière à faire imaginer qu'il puisse y avoir un assujettissement par contrainte, loin de nous cette pensée, mais de manière à exterminer victorieusement ces croyances absurdes. Car lorsqu'il veut extirper une erreur, sa parole est toujours surabondante. C'est ainsi qu'en parlant de la femme fidèle et du mari infidèle unis par le mariage, pour prévenir la pensée que la femme est souillée par son commerce et ses rapports avec l'infidèle, il ne se borne pas à dire que la femme n'est pas impure, n'est eu rien atteinte par son union avec l'infidèle, il dit, ce qui est beaucoup plus expressif, qu'elle sanctifie. l'infidèle (I Cor. VII, 14) ; ce n'est pas qu'il veuille montrer que le païen, grâce à elle, devient un saint, mais il exagère l'expression pour dissiper la crainte de là femme. De même ici, c'est pour en finir avec une croyance impie qu'il force l'expression. Soupçonner le fils d'impuissance, c'est le comble du dérèglement d'esprit : c'est pour prévenir ce délira, que l'apôtre dit : « Il mettra tous ses ennemis sous ses pieds; » oui, mais maintenant il y. aurait encore plus d'impiété à croire que le Père est moindre que le Fils. Aussi l'apôtre ruine-t-il cette erreur sacrilège sous une argumentation surabondante. Voyez ce qu'il fait : il ne se contente pas de dire : « Il faut en excepter celui qui lui a assujetti », mais il a bien soin de dire, d'abord : « Il est évident qu'il faut », c'est une manière de confirmer, de corroborer une vérité, quoiqu'elle ne soit nullement contestée.

Et pour que vous compreniez bien que c'est là la raison de toute cette argumentation, je vous demanderai s'il y a alors accroissement de sujétion pour le Fils. Absurdité, état indigne de la divinité ! la plus grande sujétion, l'obéissance la plus abaissée qu'il ait fait paraître, c'est tout Dieu qu'il est, de prendre la forme d'un esclave. Quel moyen donc de croire qu'alors il sera assujetti ? Voyez-vous que Paul n'a pas voulu autre chose, en ajoutant cette observation, que dissiper une imagination absurde, et qu'il s'y est pris comme il convenait? Il est question ici de l'obéissance qui convient au caractère de Fils, au caractère de Dieu , rien d'humain là dedans, pleine liberté, pleine puissance. Autrement expliquez comment il partage le trône de Dieu; comment, ainsi que le Père, il ressuscite ceux qu'il lui plaît (Jean, V, 21) ; comment tout ce qui est à son Père est à lui, et tout ce qui est à lui est à son Père (Jean, XVII, 10). Voilà qui montre la parfaite égalité de la pleine puissance entre le. Fils et celui qui l'a engendré. Mais que signifie : « Lorsqu’il aura remis son royaume? » L'Ecriture parle de deux royaumes de Dieu : l'un fondé sur l'union intimé et familière avec lui ; l'autre, sur la création. Dieu est le roi de tous les peuples, et des Grecs, et des Juifs, et des démons, et de tous les révoltés, cette royauté (574) ressort de la création; il est le roi des fidèles, de ceux qui se soumettent volontairement à lui, cette royauté ressort de l'union intime et familière. Cette royauté aussi a son empire que reconnaît l'Ecriture , car c'est d'elle qu'il est dit dans le second des psaumes

« Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage » (Ps. II, 8) ; c'est d'elle encore que parle Jésus, disant à ses disciples : « Toute puissance m'a été donnée par mon Père ». (Matth. XXVIII, 18.) S'il attribue tout à celui qui l'a engendré, ce n'est pas qu'il soit de lui-même insuffisant, mais il veut montrer qu’il est le Fils, qu'il n'est pas non engendré. Donc cette expression qu'il remet son royaume, signifie qu'il accomplit ce qu'il faut.

Mais pourquoi l'apôtre ne dit-il rien du Saint-Esprit? C'est parce que le sujet présent ne comportait pas une mention du Saint-Esprit, et que l'apôtre n'a pas l'habitude de confondre les questions: Ainsi quand il dit : « Il n'y à qu'un seul Dieu le Père, et qu'un seul Seigneur Jésus » (I Cor. VIII, 6), s'il garde le silence sur le Saint-Esprit, ce n'est pas du tout  qu'il le croie d'un rang inférieur, mais c'est qu'il n'avait pas sujet d'en parler. Il lui arrive de ne faire mention que du Père, et nous n'irons pas pour Gela rejeter le Fils ; il lui arrive de ne nommer que le Fils et le Saint-Esprit, et nous n'irons pas pour cela dépouiller le Père de sa divinité: Mais maintenant; que signifie: « Afin que Dieu soit tout en tous?» Afin que tout dépende de lui. Il ne faut pas s'imaginer qu'il y a deux principes sans principe, qu'il y a division dans la royauté; car lorsque les ennemis du Fils seront abattus sous ses pieds, comme il ne peut y avoir aucun soulèvement du Fils contre celui qui l'a engendré, comme la perfection de la concorde règne entre eux, alors Dieu sera tout en tous. Maintenant quelques personnes veulent que . Paul ait entendu par là que le vice sera aboli, vu que tous désormais céderont à la volonté de Dieu, sans qu'aucun lui résiste, et commette de mauvaises actions. Et en effet; il n'y aura plus de péché, d'où il suit évidemment que Dieu sera tout en tous. Mais s'il n'y a pas de résurrection des corps, comment comprendre cette vérité? Voici que l'ennemi le plus acharné de tout ce qui a vie, la mort, subsisté, ayant mené son oeuvre à la fin qu'elle a voulu. — Non pas, réplique-t-on, car il n'y aura plus de pécheurs. — Et qu'importe? Il n'est pas ici question de la mort de l'âme, mais de celle du corps. Comment donc la mort corporelle est-elle détruite? Ce qui constitue la victoire, c'est le recouvrement de ce qu'on avait perdu, de ce qu'on s'est vu retenir. Si les corps sont retenus dans la terre, la tyrannie de la mort persiste, puisqu'elle retient ces corps, et que nous n'avons pas d'autres corps. nous puissions la vaincre. Mais s'il arrive ce que dit Paul, et ce, qui certes doit arriver, la victoire sera éclatante pour le Dieu capable de ressusciter ce que la mort retenait, à savoir nos corps. Vaincre l’ennemi, cela veut dire qu'on le dépouille, et non pas qu'on lui laisse tout ce qu'il a pris; si au contraire personne n'ose dépouiller l'ennemi, comment dire que l'en nemi est vaincu?

7. C'est une victoire de ce genre que le Christ dit lui-même dans l'Evangile qu'il a remportée : « Quand il aura lié le fort, il pillera sa maison ». (Matth. XII, 29.) Autrement, rien ne montre la victoire. Car, de même que pour l'amour de l'âme, l'affranchissement du péché , par le fait de la mort, ne constitue pas une victoire, car la victoire ne consiste pas à ne rien ajouter à ses maux, mais à briser les fers où les passions retiennent l'âme captive, de même, ici, arrêter la mort faisant des corps sa pâture, ce n'est pas remporter une éclatante victoire; la victoire, c'est de lui arracher les corps dont elle s'est déjà saisie. Si l'on s'obstine à disputer, à soutenir que les paroles de l'apôtre désignent la mort de l'âme, comment sera-t-il vrai de dire qu'elle est la dernière détruite, puisque, dans chaque baptisé, elle est déjà entièrement détruite? Si au contraire , vous appliquez ces paroles au corps , elles ont un sens, alors on comprend que la mort est la dernière détruite. Maintenant, si l'on demande pourquoi, traitant de la résurrection, il n'a pas parlé des morts ressuscités au, temps du Seigneur, nous disons que ce n'eût pas été à propos. dans un discours sur la résurrection. Montrer des ressuscités qui meurent une secondé fois, ce n'était pas démontrer que la mort finit elle-même par être détruite. S'il dit qu'elle est elle-même détruite la dernière, c'est pour qu'on n'aille pas s'imaginer qu'elle aussi ressuscite. En effet, le vice étant supprimé, à bien plus forte raison la mort cessera. Il ne serait pas raisonnable de croire que la source (575) se dessèche, et que l'eau qui en sort, continue à couler, que la racine meurt et que le fruit se développe.

Puis donc qu'au dernier jour, les ennemis de Dieu sont détruits avec la mort, le démon, les mauvais anges, ne nous attristons pas de voir la prospérité des ennemis de Dieu. Car les ennemis du Seigneur, à peine glorifiés, exaltés, tombent en défaillance, et comme la fumée ils se sont évanouis. Dune, quand vous voyez un ennemi de Dieu, riche, entouré de satellites, escorté de flatteurs en foule, ne vous laissez pas abattre, mais gémissez, pleurez, priez Dieu de le rappeler dans, les rangs de ses amis; plus il fait ses affaires comme ennemi de Dieu , plus il faut verser de larmes sur son malheur. Car il faut toujours pleurer sur les pécheurs , et on ne peut trop pleurer quand ils sont dans l'abondance des richesses, au faîte de la prospérité , comme des malades qui se livrent aux plaisirs de leur ventre et quai s'enivrent. Il y a pourtant des personnes qui, en entendant nos paroles, sont animées de dispositions assez malheureuses, pour gémir amèrement, pour dire : c'est sur moi qu'il faut pleurer ; je ne possède rien. Vous avez bien raison de dire que vous ne possédez rien , non pas parce que vous ne possédez pas ce que ce pécheur possède , mais parce que vous prenez une telle possession pour un bonheur , voilà. pourquoi on ne peut trop pleurer sur vous. Si un homme bien portant envie le bonheur  d'un malade couché dans un bon lit, il faut dire que cet homme, qui a la santé, est bien plus à plaindre, bien, plus malheureux que l'autre, attendu qu'il n'a aucun sentiment des avantages qui sont en lui. C'est ce qui arrive à propos des pécheurs dont on envie la prospérité; de là, dans notre vie , toute la confusion , tous les désordres. Des plaintes de ce genre perdent des malheureux en foule, et les livrent au démon , et les rendent plus misérables que ceux que la faim dessèche. Que la cupidité soit plus à plaindre que la mendicité même , parce que c'est un mal rongeur qui travaille l'âme plus douloureusement; c'est ce que nous allons vous montrer.

Une sécheresse autrefois saisit notre ville, à tel point que tous. tremblaient, redoutant les derniers malheurs, et suppliaient Dieu de les délivrer de. leurs angoisses; en ces jours , on pouvait voir la parole de Moïse accomplie en réalité, le ciel devenu d'airain (Deut. XXVIII, 23) , et chaque jour, on attendait la plus affreuse des morts. Mais ensuite, grâce à. la bonté de Dieu, contre toute espérance, il tomba du ciel une pluie d'une inépuisable abondance : et tous déjà se mettaient en fête comme s'ils venaient de sortir des portes mêmes de la mort. Cependant, au milieu d'une si grande faveur et de la joie qui les transportait tous, un des hommes les plus opulents rôdait triste et morne, frappé au coeur d'un mortel abattement, et pressé des questions qu'on lui adressait pour savoir d'où venait que, dans la joie universelle, il était seul affligé, il ne put pas même contenir dans l'intérieur de son âme son affection malsaine; surexcité par la tyrannie d'un mal affreux , il ne craignit pas d'exposer la cause de sa tristesse : J'ai, dit-il , par milliers, des mesures de froment, je ne sais plus qu'en faire. Eh bien , vanterons-nous , répondez-moi , le bonheur de celui qui prononçait de telles paroles qui auraient dû le faire lapider; le bonheur de ce monstre, plus cruel que toutes les bêles féroces, le bonheur de cet ennemi de tous? Quo dis-tu, ô homme? tu t'affliges de ce que tous ne meurent pas, parce que tu y gagnerais de l'argent ! N'as-tu pas entendu ce que dit Salomon. : « Celui qui cache le blé est exécrable au peuple? » (Prov. XI, 26), et tu rodes, ennemi déclaré de tout ce qui fait du bien sur la terre, ennemi de la bonté de Dieu qui répand ses largesses sur le monde entier, ami du gain sordide, ou plutôt son esclave? Cette langue-là ne méritait-elle pas d'être coupée? n'aurait-on pas dû étouffer ce coeur d'où sortirent de telles paroles ?

8. Voyez-vous comme l'amour de l'or ne permet pas aux hommes de rester des hommes, comme cet amour en fait des monstres, des démons? Quoi de plus pitoyable que ce riche priant chaque jour pour que la famine arrive, afin qu'il lui arrive, à lui, de l'or? Les sentiments naturels se changent en leurs contraires, dans l'avare : au lieu de le réjouir, l'abondance des fruits qu'il possède est précisément ce, qui l'afflige; il gémit de l'infinité même de ses possessions. Pourtant l'abondance dans la possession est nécessairement une cause de joie; non, voilà précisément pour lui, ce qui fait ses angoisses. Voyez-vous combien j'ai eu raison de dire que les riches ne ressentent pas autant de plaisir des biens (576) présents qu'ils ne s'affligent en pensant à ceux qu'ils n'ont pas. encore? Ce riche qui possédait d'innombrables mesures de froment, était plus chagrin,, plus gémissant que celui qui avait faim : celui qui avait le nécessaire, se couronnait de fleurs, sautait de joie, et rendait grâces à Dieu; au contraire, celui. qui possédait tant, se plaignait, se regardait comme. perdu. Ce n'est donc pas l'abondance qui procure le plaisir, c'est la sagesse ; et sans la. sagesse, quand vous auriez tout en votre possession, vous serez comme privé de tout, et vous vous lamenterez. Cet avare, dont il s'agit maintenant, quand même il aurait tout vendu, et vendu le prix qu'il voulait, tout ce qu'il avait entre ses mains, il se serait encore plaint de n'avoir pu vendre à un prix plus élevé; et s'il avait pu vendre à un prix plus élevé, il aurait encore voulu vendre, à un prix supérieur; eût-il vendu de telle sorte qu'une seule mesure lui eût rapporté un monceau d'or, il se serait encore frappé la poitrine avec une morne tristesse parce qu'une demi-mesure ne lui aurait pas rapporté tout autant. Si dès le commencement de sa vente il ne fixe pas un prix si haut, n'en soyez pas surpris. Ceux qui s'enivrent ne sont pas tout de suite embrasés de tous les feux du vin, il faut qu'ils se remplissent d'abord de flots de vin, et é'est alors que le feu devient plus . ardent. Voilà pourquoi les avares aussi ont d'autant plus de besoins qu'ils ont plus amassé; et ce sont ceux qui gagnent le plus, qui se plaignent les plus de manquer. Quant à mes paroles, elles ne sont pas seulement pour ce riche, mais pour chacun de tous ceux que la même maladie travaille, qui font hausser le prix des denrées, et appauvrissent ainsi leur prochain. Il n'y a chez eux aucun. sentiment d'amour pour les hommes; l'amour de l'argent possède leur cœur ; c'est leur avarice qui règle le temps des ventes, le froment et le vin sont vendus, plus tôt par celui-ci, plus tard par celui-là, mais ni les uns, ni les autres ne se soucient de la chose publique; les uns veulent gagner plus, les autres craignent de perdre, si la marchandise s'avarie. 

C'est que si un grand nombre d'hommes ne tiennent pas compte de la loi de Dieu , et renferment, et cachent toutes les provisions, Dieu, par ses moyens à lui, veut les amener à la bonté pour les hommes, les forcer à faire par nécessité quelque chose de bien, et il leur inspire la crainte d'un dommage considérable : Dieu ne permet pas que les fruits de la terre se conservent longtemps, afin que les détenteurs, redoutant la corruption de ces fruits, par cette considération au moins, les livrent, bon gré mal gré, aux indigents; puisqu'ils ne sauraient les garder chez eux. Eh bien , malgré cet avertissement de Dieu, il y a de ces cupidités que cela même ne saurait corriger. Que de gens a-t-on vus qui ont jeté des tonneaux tout entiers, sans- donner seulement une coupe de vin au pauvre; eux qui n'auraient pas donné une obole aux indigents, ils ont dû répandre sur la terre tout leur vin devenu du vinaigre, et ils ont gâté à la fois leurs tonneaux et leur vin. D'autres n'auraient pas même donné un morceau de pâte à un affamé et ils ont jeté dans le fleuve des charges entières de froment; et pour n'avoir pas écouté la voix de Dieu qui commande de donner à ceux qui ont besoin; sur l'ordre de la teigne, ils ont dû, bon gré mal gré, consentir à la destruction, à la perte de tout ce qu'ils avaient chez eux, au milieu des éclats de rire, au milieu des malédictions retombant sur leur tète avec tout ce préjudice.

Voilà ce qui se passe ici-bas; mais ce qui se passe ailleurs, dans l'autre monde, quel discours le dira? Ici-bas , la teigne ronge le froment et le rend inutile, et ils le jettent dans l'eau des fleuves; de même ceux qui font ces choses , ceux qui, par cette conduite, se rendent inutiles. Dieu les jette dans le fleuve de feu. La teigne et les vers rongent le froment; une cruauté qui ne connaît rien des affections. de l'homme, ronge pareillement leurs âmes. Et pourquoi ! Parce que tous leurs sentiments sont rivés aux choses présentes, parce qu'ils n'attachent un prix insensé qu'à cette vie, d'où viennent les innombrables chagrins dont ils sont. pénétrés. De quelque plaisir qu'on leur parle, tout s'évanouit pour eux devant la terreur de la fin dernière; ils. sont morts sans avoir cessé de vivre. Que ce soit là la condition des infidèles, ne nous en étonnons pas; mais après la participation à tant de mystères, après tant de sages méditations sur les choses à venir, l'attachement aux choses présentes pourrait-il s'excuser chez les, chrétiens? D'où vient-il cet attachement aux choses présentes? De l'attachement à ce qui rend la vie délicate, à ce qui engraisse la chair, à ce qui rompt l'énergie de l’âme, à ce qui l'afflige (577) d'un plus lourd fardeau, à ce qui épaissit ses ténèbres sous une enveloppe plus grossière. Dans l'âme éprise d'une vie molle et délicate, ce qui est le meilleur est asservi; la partie inférieure fait la loi ; ce qui doit commander est un aveugle, un manchot, un mutilé; tout se fait et s'exécute par ce qui ne devrait être qu'un subordonné que l'on tient en sa place. Car le grand ouvrier a enchaîné l'âme au corps par des liens nombreux pour prévenir la haine qu'elle pourrait concevoir contre cet étranger.

9. Car si Dieu a commandé d'aimer ses ennemis, le démon est parvenu à persuader à quelques personnes de haïr même leur propre corps. Dire que le corps est l'oeuvre du démon, ce n'est pas autre chose que prouver qu'il le. faut haïr, ce qui est le comble de la démence. Si c'est l'oeuvre du démon, d'où vient cette harmonie parfaite qui le rend de tout point capable de ménager à l'âme la pratique de la sagesse? Mais, dira-t-on, si le corps est un instrument propre à l'âme, comment se fait-il qu'il aveugle l'âme? Ce n'est passe corps qui aveugle l'âme, loin de vous, ô hommes, cette pensée ; c'est l'amour de la mollesse. Mais cette mollesse d'où vient que fous la recherchons? Ce n'est pas parce que nous avons un tores, nullement ; mais c'est parce que nous avons une volonté pervertie. Ce qu'il faut au corps, c'est la nourriture , non la pourriture de la mollesse; ce qu'il faut au corps, c 'est l'aliment, non le dissolvant. Ce n'est pas l'âme seule, c'est, avec l'âme, ce corps qu'un prétend nourrir, qui trouve dans la mollesse une ennemie. Il s'affaiblit au lieu de se fortifier, il s'amollit au lieu de rester ferme; à. la santé succède la maladie; â la légèreté, la lourdeur; à la consistance, la consomption; à la beauté;. la laideur; à l'odeur agréable, la puanteur; à la pureté, la souillure; au bien-être, la douleur; à l'utile activité, l'inutile torpeur; à la fraîcheur, la vétusté; à l’énergie, le marasme; à l'agilité, la gaucherie pesante; il était fort et droit, il boite.. Et maintenant, si le corps était l'ouvre du démon, il ne conviendrait pas davantage qu'il souffrît de ses attaques, je veux dire des atteintes du vice. Mais ni le corps, ni les aliments ne sont les couvres du démon, la seule mollesse en vient. C'est par elle que le démon pervers produit des maux sans nombre; c'est par là qu'il a perdu tout un peuple. « Ce peuple s'est engraissé », dit l'Ecriture, « s'est rempli d'embonpoint, et a regimbé après avoir été tant aimé ». (Dent. XXXII, 15.) C'est encore par là qu'ont commencé les foudres contre ceux de Sodome. C'est ce que marquait Ezéchiel, en disant : « Voici quelle a été l'iniquité de Sodome : en se voyant rassasiée de. pain, dans l'abondance, elle s'est plongée dans les plaisirs déréglés ». (Ezéch. XVI, 48.)

Voilà encore pourquoi Paul disait : « La veuve qui se plonge dans les plaisirs déréglés, toute vivante qu'elle est, est morte ». (I Tim. V, 6.) Pourquoi? c'est qu'elle promène comme un sépulcre son corps couvert de maux sans nombre. Or si le corps est ainsi perdu, quel sera l'état de l'âme, quel trouble, quels flots, quelle tempête, quel bouleversement ! La voilà donc, n'en doutons pas, inutile pour toutes choses, incapable de dire, incapable d'entendre; de prendre un parti, de rien faire de ce qui convient; comme un pilote dont la science est vaincue par la tempête, s'engloutit dans les flots avec le navire, avec tous les passagers, ainsi l'âme,.avec le corps, plonge et s'engloutit dans l'affreux abîme où se perdent tous les sentiments. Car Dieu nous a donné notre ventre comme une meule dont la puissance est mesurée, qui doit moudre chaque jour une quantité dont la mesuré est déterminée. Si donc on y jette au-delà de la mesure prescrite, ce qui n'a pas subi le travail de la meule, produit la destruction du corps entier. De là les maladies, les défaillances, les altérations funestes; car l'excès des plaisirs n'engendre pas seulement les maladies, mais substitue la laideur à la beauté. Voyez l'homme dont la respiration ramène à chaque instant des exhalaisons insupportables, dégage les miasmes infects du vin, dont la figure présente une rougeur exagérée;. voyez l'homme abusant de la toilette qui convient aux femmes, n'ayant plus aucune décence dans la parure; voyez cette chair flasque; ces paupières injectées, gonflées de sang, cette obésité, cette surcharge inutile d'un embonpoint énorme, réfléchissez à tout ce qu'il en résulte d'incommodité. J'ai entendu nombre. de médecins prétendant que l'abus des voluptés souvenu empêche le développement de la taille. Car le souffle étant embarrassé par la multitude des aliments précipités dans l'intérieur, et n'étant plus employé qu'à aider le travail de la digestion, ce qui devait servir à l'accroissement du corps, se perd dans (578) l’élaboration que rend nécessaire tout ce superflu qu'on entasse. Que dire de ces gouttes, de ces rhumatismes qui se promènent dans toutes les parties du corps, des autres maladies qui en naissent, de toutes les douleurs honteuses?

Non,. rien n'est aussi désagréable à voir qu'une femme qui se charge de nourriture. Voilà pourquoi la beauté se rencontre plus souvent chez celles qui souffrent de la pauvreté; pour elles, ce superflu qui nuit au corps se rejette sans peine; il n'y a pas là une boue qui s'attache inutilement à leur substance, comme cette fange dont on reçoit, dont on emporte l'éclaboussure Les exercices de chaque jour, les fatigues, les peines, la frugalité, le régime de la pauvreté leur font une bonne constitution, et de là résulte pour elles l'éclat de là beauté. Si vous prétendez objecter que la délicatesse a ses plaisirs, vous trouverez qu'ils ne vont pas plus loin que l'entrée de la gorge; une fois la langue dépassée, les plaisirs, s'envolent, il n'en reste plus qu'un grand nombre d'inconvénients désagréables. Il ne suffit pas de voir les délicats an moment de la table, voyez-les quand ils se lèvent, suivez-les alors, ce sont des bêtes, ce sont des brutes, ce ne sont plus des hommes. Voyez ces têtes pesantes, ces bâillements, ces bras, ces jambes qui s'allongent, ce corps embarrassé, garrotté de mille liens, à qui il faut le lit, des couvertures, du repos surtout, ce tourbillonnement comme s'il y avait une tempête au milieu des flats; voilez ces naufragés qui ont besoin de sauvetage, qui ne soupirent plus qu'après l'état où ils se trouvaient avant de se crever le ventre. On dirait des femmes en mal d'enfant à les voir comme ils se portent avec leurs ventres appesantis, sans pouvoir marcher, sans pouvoir regarder, sans pouvoir parler, sans pouvoir rien faire. S'il leur arrive de sommeiller, voilà qu'ils ont des songes extravagants, qu'ils voient des chimères, de folles apparitions partout. Comment parler encore d'un autre délire de ces voluptueux, de là luxure qui les brûle ? Encore une démence qui découle des mêmes sources : comme des étalons que leur chaleur transporte, stimulés par l'aiguillon de l'ivresse, ces libertins se ruent sur tout ce qu'ils rencontrent, et c'est une dégradation, une fureur que les animaux mêmes n'égalent pas; et ce sont des infamies que la parole ne saurait vouloir raconter. Ils n'ont conscience ni de ce qu'ils supportent, ni de ce qu'ils font.

Mais l'homme étranger aux plaisirs, n'est pas sur ce modèle : du port où. il est assis, il voit les naufrages, il jouit d'un plaisir pur et qui lui suffit, il mène la vie qui convient à un être libre. Pénétrés de ces vérités, fuyons donc les banquets criminels des hommes livrés à la délicatesse, aux plaisirs déréglés, attachons-nous à la table où règne la frugalité, afin que, dans les bonnes dispositions de l'âme et du corps, nous pratiquions toutes les vertus, et que nous puissions obtenir les biens de la vie future, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père , comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

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