HOMÉLIE XXII
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HOMÉLIE XXII. NE SAVEZ-VOUS PAS QUE CEUX QUI EXERCENT LES FONCTIONS SAINTES, VIVENT DU SANCTUAIRE, ET QUE CEUX QUI SERVENT A L'AUTEL ONT PART A L'AUTEL? AINSI, LE SEIGNEUR A PRESCRIT LUI-MÊME A CEUX QUI ANNONCENT L'ÉVANGILE, DE VIVRE DE L'ÉVANGILE. (CHAP. IX, VERS. 13, 14, JUSQU'AU VERS. 23.)

 

435

 

ANALYSE.

 

1. Saint Paul cite une loi positive pour mieux prouver encore son droit de vivre de l'Evangile. 2. Excellence des oeuvres de surérogation : qu'elles méritent une récompense à part.

3. Je nie suis fait tout h tous.

4 et 5. Qu'il faut éviter l'hypocrisie. De la condescendance qui convient aux pasteurs. — Aimer ardemment Jésus-Christ. — Il y a plus de peine à faire le mal que le bien. — Contre les impudiques et les avares.

 

1. Il met un grand soin à prouver qu'il n'est pas défendu de recevoir. Non content de tout ce qu'il a déjà dit plus haut, il aborde maintenant la loi, pour offrir une démonstration plus concluante que la première. Car ce n'est pas la même chose de tirer une analogie des boeufs, ou de présenter une loi positive concernant les prêtres. Et voyez encore ici la prudence de Paul, et avec quelle dignité il traite son sujet ! Il ne dit pas : Ceux qui exercent les fonctions saintes reçoivent des offrandes. Que dit-il donc? «Vivent du sanctuaire » ; afin que ceux qui reçoivent n'en soient point blâmés, et que ceux qui donnent ne s'en glorifient pas. De là ce qui suit. Car il ne dit pas ensuite : Ceux qui assistent à l'autel reçoivent de ceux qui livrent la victime, mais : « Ont part à l'autel ». En effet, les victimes une fois offertes n'appartenaient plus à ceux qui les avaient offertes, mais au sanctuaire et à l'autel. Il ne dit pas non plus : Reçoivent les choses consacrées, mais : « Vivent du sanctuaire », en quoi il donne une nouvelle leçon de modération, et montre qu'il ne faut pas recueillir d'argent ni s'enrichir. Et s'il dit : « Ont part à l'autel », il n'entend point parler de distribution à part égale, mais donner une consolation à qui de droit. Pourtant la condition des apôtres était bien plus élevée. Dans l'ancienne loi, le sacerdoce était un honneur; ici, ce sont des périls, des égorgements, des meurtres. Aussi tous les autres exemples sont-ils bien au-dessous de ces paroles : « Si nous avons semé en vous des biens spirituels ».

Et par ce mot : « Nous avons semé », il entend les orages, les dangers, les embûches, les maux sans nombre qu'enduraient les prédicateurs de l'Evangile. Cependant malgré la supériorité de sa condition, il n'entend point déprimer l'ancienne loi, ni s'exalter lui-même ; mais il s'efface lui-même , et puise, non dans les périls, mais dans la grandeur du don, la raison de cette prééminence. Car il ne dit pas : Si nous avons couru des dangers, si on nous a tendu des embûches; mais : « Si nous avons semé en vous des biens spirituels », et il relève, autant que possible, la condition des prêtres en disant . « Ceux qui exercent les fonctions saintes, et ceux qui assistent à l'autel » ; voulant rappeler leur servitude perpétuelle et leur persévérance. Après avoir parlé des prêtres juifs, des lévites et des pontifes, il indique ensuite les deux rangs, les inférieurs et les supérieurs, quand il dit, en parlant des uns : « Ceux qui exercent les fonctions saintes », et des autres : « Ceux qui assistent à l'autel ». Car tous ne remplissaient point le même office ; aux uns les services plus vulgaires, (436) aux autres les fonctions plus relevées. Puis, les enveloppant tous ensemble, pour qu'on ne dise pas : A quoi bon rappeler l'Ancien Testament? Ne savez-vous pas que nous avons une loi plus parfaite? Il pose quelque chose de plus fort que tout le reste, en disant : « Ainsi le Seigneur a prescrit lui-même à ceux qui annoncent l’Evangile de vivre de l’Evangile ». Il ne dit point : D'être nourris par les hommes; mais comme pour les prêtres de l'ancienne loi, il a dit : « Du sanctuaire « et de l'autel » ; de même ici il dit : « De « l’Evangile » ; et comme là il s'est servi du mot « manger », il se sert ici du mot « vivre»; mais non trafiquer et thésauriser. « Car l'ouvrier mérite son salaire ». (Matth. X, 10.) « Pour moi, je n'ai usé d'aucun de ces droits». —Eh quoi ! dira-t-on, si vous n'en avez pas usé jusqu'à présent, vous voulez en user à l'avenir, et c'est pour cela que vous en parlez. — A Dieu ne plaise ! Car aussitôt il apporte le correctif, en disant : « Mais je n'écris pas ceci pour qu'on en use ainsi avec moi ».

Et voyez avec quelle force il refuse et repousse ce droit ! « Car j'aimerais mieux mourir que de laisser quelqu'un m'enlever cette gloire ». Et ce n'est pas une fois ou deux qu'il emploie cette expression, mais souvent. Il avait déjà dit plus haut : « Nous n'avons pas usé de ce pouvoir » ; et y revenant encore plus bas, il dit : « Pour ne pas abuser de mon pouvoir »; et ici: «Je n'ai usé d'aucun de ces droits ». De quels droits? De ceux indiqués par les exemples cités : le soldat, le laboureur, le berger, les apôtres, la loi, ce que j'ai fait chez vous, ce que vous faites chez les autres, les prêtres, les commandements du Christ; tout cela prouvait mon droit, et rien de cela n'a pu me déterminer à violer la loi que je me suis imposée de ne rien recevoir. Et ne me parlez pas du passé; sans doute je pourrais dire que j'en ai beaucoup souffert, mais ce n'est pas là-dessus seulement que je m'appuie; je m'engage pour l'avenir, et j'aime mieux mourir de faim que d'être privé de cette couronne. « J'aimerais mieux mourir de faim que de laisser quelqu'un m'enlever cette gloire». Il ne dit pas : Que de laisser quelqu'un m'enlever ma loi, mais : « ma gloire ». Et pour qu'on ne dise pas qu'il fait cela sans plaisir, mais avec tristesse et chagrin, il l'appelle sa gloire, voulant montrer par là l'abondance de sa joie et sa grande allégresse. Tant s'en faut qu'il s'en attriste, qu'au contraire il s'en glorifie, et qu'il aime mieux mourir que de se priver de cette gloire. Ainsi la vie même lui était moins chère que cette situation.

2. Aussi l'exalte-t-il encore d'une autre manière, et en fait-il ressortir la grandeur, non pour en recevoir lui-même de l'éclat (on sait combien ce sentiment lui est étranger), mais pour manifester sa joie et écarter jusqu'à l'ombre du soupçon. C'est pour cela, comme je l'ai déjà dit, qu'il l'appelle sa gloire. Que dit-il donc encore ? « Car si j'évangélise, la gloire n'en est pas à moi, ce m'est une nécessité, et malheur à moi si je n'évangélise pas ! Si je le fais de bon coeur, j'en aurai la récompense, mais si je ne le fais qu'à regret, je dispense seulement ce qui m'a été confié. Quelle est donc ma récompense? C'est que, prêchant « l’Evangile, je prêche gratuitement l'Evangile du Christ, pour ne pas abuser de mon « pouvoir dans l’Evangile ». Que dites-vous, Paul ? Ce n'est pas pour vous une gloire d'évangéliser , ruais seulement d'évangéliser gratuitement? Est-ce donc quelque chose de plus grand ? Non, mais c'est davantage sous un certain rapport : l'un est prescrit, et l'autre est l'effet de ma volonté. Or, ce qui se fait au-delà du commandement a par cela même un grand prix ; ce qui se fait par ordre n'en a pas autant. C'est pour cette raison, et non par la nature des choses que l'un l'emporte sur l'autre. Au fond, qu'est-ce qui égale la prédication? Par elle on rivalise avec les anges; cependant comme elle est un commandement et une dette, tandis que dans l'autre cas il y a acte de la bonne volonté, c'est en ce sens que nous établissons une préférence. Et c'est comme je viens de dire que Paul interprète, quand il dit : « Si je le fais de bon coeur, j'en aurai la récompense, mais si je ne le fais qu'à regret, je dispense seulement ce qui m'a été confié » ; prenant ces mots : « de bon coeur », et : « à regret » dans le sens de ce qui m'a été confié, ou : ne m'a pas été confié. De même ces expressions: « Ce m'est une nécessité », ne veulent pas dire qu'il agisse malgré lui, à Dieu ne plaise ! mais qu'il en est responsable comme d'un devoir à remplir, à la différence de la liberté de recevoir dont il a parlé. Voilà pourquoi le Christ disait à ses disciples : « Quand vous aurez tout fait, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles ». (Luc, XVII, 10.) Quelle est donc ma (437) récompense ? « C'est que, évangélisant, je prêche gratuitement l'Evangile ». Quoi donc? Et Pierre, dites-moi, n'a pas de récompense? Qui en a jamais eu une pareille ? Et les autres apôtres? Comment a-t-il pu dire : « Si je le fais de bon coeur, j'en aurai la récompense, mais si je ne le fais qu'à regret, je dispense seulement ce qui m'a été confié? »

Voyez-vous encore ici sa prudence? Il ne dit pas : Si je ne le fais qu'à regret, je n'aurai pas de récompense; mais : « Je dispense seulement ce qui m'a été confié » ; montrant par là qu'il aura une récompense, mais celle de l'homme qui a exécuté un ordre, et non celle de celui qui agit de son propre mouvement, et plus que n'exige la loi. Quelle est donc la récompense? « C'est que, prêchant l'Evangile, je prêche gratuitement l'Evangile, pour ne pas abuser de mon pouvoir dans l'Evangile ». Voyez-vous comme il emploie toujours ce mot de pouvoir, pour prouver ce que j'ai dit bien des fois, que ceux qui reçoivent ne sont point blâmables? Il a ajouté : « Dans l'Evangile », pour spécifier , et en même temps empêcher qu'on ne donne trop d'extension au principe. Car c'est celui qui enseigne, et non celui qui ne fait rien qui doit recevoir. « Aussi, lorsque j'étais libre à l'égard « de tous, je me suis fait l'esclave de tous, pour en gagner un plus grand nombre ». Autre avantage! C'est beaucoup sans doute de ne rien recevoir, mais ce qu'il va dire est encore beaucoup plus. Qu'est-ce donc? Non-seulement, dit-il, je n'ai rien reçu, non-seulement je n'ai pas usé de ce pouvoir, mais je me suis fait esclave, et dans tous les genres et dans les sens les plus variés. Et ce n'est pas seulement en argent, mais ce qui est bien plus, en toutes sortes de choses que j'ai donné des preuves de cette servitude volontaire ; je me suis fait esclave, alors que je n'étais soumis en rien à personne, et qu'aucune nécessité ne m'y forçait : car c'est le sens de ces mots : « Lorsque j'étais libre à l'égard de tous ». Je me suis fait l'esclave, non pas d'un homme, mais de l'univers entier; c'est pourquoi il ajoute : « Je me suis fait l'esclave de tous ». J'avais sans doute reçu l'ordre de prêcher, d'annoncer ce qui m'était confié ; mais ces négociations, ces sollicitudes sans nombre ont été l'effet de mon zèle. J'étais seulement obligé de distribuer l'argent déposé en mes mains; mais pour en obtenir, je mettais tout en oeuvre, et je faisais plus qu'il ne m'était commandé. Comme il agissait en tout librement, avec allégresse et par amour pour le Christ, il avait un insatiable désir du salut des hommes.

C'est pour cela qu'il franchissait les barrières par un généreux excès, et s'élançait à travers tous les obstacles jusqu'au ciel. Après avoir parlé de son esclavage, il en détaille les modes divers. Quels sont-ils? « Je me suis fait », dit-il, « comme Juif avec les Juifs, pour gagner les Juifs ». Et comment cela? Quand il donnait la circoncision, pour détruire la circoncision. C'est pourquoi il ne dit pas : Juif », mais : « Comme Juif », par prudence. Que dites-vous ? Le héraut du monde entier, qui a touché le ciel même, en qui la grâce a jeté un tel éclat, daigne s'abaisser jusqu'à ce point? Oui. Mais s'abaisser ainsi, c'est s'élever. Ne voyez pas seulement ici son abaissement, mais songez qu'il relève celui qui est à terre et qu'il l'attire à lui. « Avec ceux qui sont sous la loi comme si j'eusse été sous la loi, quoique je ne fusse plus assujetti à la loi, pour gagner ceux qui étaient sous la loi ».

3. Ou c'est une explication de ce qu'il a d'abord dit, ou il a quelque autre chose en vue ; appliquant le mot Juifs à ceux qui l'étaient dès le commencement, et entendant par « ceux qui sont sous la loi », les prosélytes ou ceux qui étant devenus fidèles, restaient encore attachés à la loi. Car ils n'étaient plus comme les Juifs, et cependant ils étaient sous la loi. Et comment Paul était-il sous la toi? Quand il se rasait, quand il sacrifiait. Non qu'il fît cela pour avoir changé de conviction, car t'eût été un mal, mais par condescendance de charité. Pour convertir ceux qui pratiquaient encore sincèrement ces rites, il s'y prête lui-même, non sincèrement, mais par forme, n'étant pas Juif et n'agissant point de coeur. Et comment l'aurait-il pu, lui qui s'efforçait de convertir les autres? En s'y prêtant, il voulait les délivrer de cet abaissement. « Avec ceux qui étaient sans loi, comme si j'eusse été sans loi ». Ceux-ci n'étaient ni des Juifs, ni des chrétiens, ni des Grecs, mais des gens en dehors de la loi, comme Corneille et autres de ce genre. En venant à eux, il feignait en bien des points de leur ressembler. Quelques-uns pensent qu'il fait ici allusion à la discussion (438) qu'il avait eue avec les Athéniens, à l'occasion de l'inscription d'un autel, et que c'est pour cela qu'il dit : « Avec ceux qui étaient sans loi, comme si j'eusse été sans loi ». Ensuite, pour qu'on ne crût point voir là un changement d'opinion, il ajoute : « Quoique je ne fusse pas sans la loi de Dieu, mais que je fusse sous la loi du Christ » ; c'est-à-dire, quoique je ne fusse pas sans loi, mais que je fusse sous une loi, et une loi plus sublime que la loi ancienne; sous la loi de l'Esprit et de la grâce; c'est pourquoi il ajoute : « Du Christ».

Après les avoir ainsi rassurés sur ses sentiments, il rappelle le fruit de sa condescendance, en disant : « Afin de gagner ceux qui étaient sans loi ». Partout il donne la raison de cette condescendance; il ne s'en tient même pas là, car il dit : « Je me suis rendu faible avec les faibles, pour gagner les faibles ». Il dit ceci pour eux et en dernier lieu; et c'est la raison même de tout ce qu'il a dit. Le reste était beaucoup plus important, mais ceci était plus personnel; c'est pourquoi il le place en dernier lieu. Il en a fait autant avec les Romains, quand il les blâmait à propos d'aliments, et aussi en beaucoup d'autres circonstances. Ensuite pour ne pas perdre le temps en trop longs détails, il dit : « Je me suis fait tout à tous pour en sauver au moins quelques-uns». Voyez-vous l'hyperbole? « Je me suis fait tout à tous », non dans l'espoir de les sauver tous, mais pour en sauver au moins un petit nombre. J'ai déployé un zèle, j'ai subi un ministère qui auraient dû suffire à les sauver tous, sans espoir cependant de triompher d'eux tous : grande entreprise d'une âme ardente. En effet, le semeur semait partout et ne sauvait pas toute sa semence, mais il faisait tout son possible. Après avoir parlé du petit nombre de ceux qu'il a sauvés, il ajoute ce mot : « Au moins », pour consoler ceux qui s'affligeraient en pareil cas. Car s'il n'est pas possible de sauver toute la semence, il n'est pas possible non plus qu'elle périsse toute. Aussi ajoute-t-il : « Au moins », parce qu'il faut de toute nécessité qu'un si grand zèle ne soit pas sans résultat. « Ainsi je fais toutes choses pour l'Évangile, afin d'y avoir part», c'est-à-dire, pour paraître y avoir contribué de moi-même et prendre part à la couronne réservée aux fidèles. Comme il disait plus haut : « Vivre de l'Évangile », c'est-à-dire, aux frais de ceux qui croient, ainsi dit-il ici : « Afin d'y avoir part », c'est-à-dire, afin de partager avec ceux qui auront cru à l'Évangile. Voyez-vous son humilité ? Comment, après avoir travaillé plus que tous les autres, il se range parmi la foule pour avoir part à la récompense? Il est clair que sa part sera plus grande. Pourtant il ne se juge pas digne du premier rang; il se contente de partager la couronne avec les autres. Et s'il parle ainsi, ce n'est pas qu'il ait agi en vue d'un prix quelconque, mais afin de les attirer et de les déterminer par ces espérances, à tout faire pour leurs frères. Voyez-vous sa prudence? Voyez-vous l'étendue de son zèle, comment il a fait plus que la loi n'exigeait, en ne recevant rien, quand il lui était permis de recevoir? Voyez-vous son extrême condescendance? Comment étant sous la loi du Christ, sous la loi suprême, il a été comme sans loi avec ceux qui étaient sans loi; comme Juif avec les Juifs, paraissant le premier de tous dans ces deux points et triomphant de tous? Faites-en autant, et ne croyez pas déchoir de votre haute position quand vous vous résignez à quelque chose de bas en faveur d'un frère; car ce n'est pas là déchoir, mais condescendre. Celui qui tombe est à terre, et a peine à se relever; celui qui descend, remontera et avec beaucoup de profit; comme Paul qui est descendu seul, et est remonté avec le monde entier, non pas pour avoir agi en hypocrite, car s'il eût été hypocrite, il n'aurait pas travaillé au bien de ceux qu'il a sauvés. L'hypocrite cherche la ruine des autres; il se masque pour recevoir et non pour donner. Il n'en est pas ainsi de Paul mais comme le médecin s'accommode à son malade, le maître à son élève, le père à son fils, pour faire du bien et non pour nuire, ainsi fait-il.

4. Pour preuve que son langage n'était point hypocrisie, et rien ne l'obligeait à parler ou à agir avec dissimulation, mais seulement l'ex, pression de ses dispositions et de sa confiance, entendez-le dire : « Ni vie, ni mort, ni anges, ni principautés, ni puissances, ni choses présentes, ni choses futures, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu, qui est dans le Christ Jésus Notre-Seigneur ». (Rom. VIII, 38, 39.) Voyez-vous cet amour plus brûlant que le feu? Aimons le Christ ainsi; et c'est facile, si nous le voulons. Car Paul n'était pas tel par nature. Sa (439) première conduite, si opposée à celle-ci, .a été rapportée pour nous apprendre que c'est là l'œuvre du libre arbitre, et que tout est facile à ceux qui veulent. Ne désespérons donc pas. Si vous êtes médisant, avare ou entaché de tout autre vice, songez que Paul a été blasphémateur, persécuteur, insolent en paroles, le plus grand des pécheurs, et que tout à coup il est monté au faîte de la vertu sans que sa conduite antérieure y fît obstacle. Et encore, personne ne met autant d'acharnement à se livrer au vice qu'il en mit à persécuter l'Eglise. Car alors il sacrifiait son âme, et il s'affligeait de n'avoir pas mille mains pour lapider Etienne. Et encore, il trouva le moyen de se servir de celles des faux témoins, en gardant' leurs vêtements. Et quand il entrait dans les maisons, il s'élançait comme une bête fauve, traînant et déchirant hommes et femmes, remplissant tout de tumulte, de trouble, et de combats. Il était si terrible que, même après son admirable conversion, les apôtres n'osaient encore s'attacher à lui. Et néanmoins, après tout cela, il est devenu ce qu'il est devenu ; il n'est pas besoin d'en dire davantage. Où sont donc ceux qui opposent au libre arbitre de notre volonté la nécessité du destin? Qu'ils écoutent cela et qu'ils se taisent. Rien n'empêche de devenir bon celui qui le veut, eût-il été d'abord des plus méchants. Et nous y sommes d'autant plus aptes, que la vertu est dans notre nature et le vice contre notre nature, de même que la maladie et la santé.

En effet, Dieu nous a donné des veux, non pour porter des regards impurs, mais pour admirer ses oeuvres et adorer leur auteur. L'aspect même des objets nous preuve que telle est la- destination de nos yeux. Nous voyons la beauté du soleil et du ciel à travers un espace infini ; personne ne verrait d'aussi loin la beauté d'une femme. Voyez-vous que notre oeil est particulièrement destiné au premier usage? De même, Dieu nous a donné l'ouïe, non pour entendre dés blasphèmes, mais des enseignements salutaires. Aussi quand elle est frappée d'un sou désagréable, l'âme et le corps même restent dans la torpeur. Il est écrit : « La parole de celui qui a jure beaucoup, fait dresser les cheveux sur a la tête» . Si nous entendons quelque chose de dur, d'inhumain, nous frissonnons; si, au contraire, c'est quelque chose d'harmonieux et d'humain, nous en sommes joyeux et satisfaits. Quand notre bouche profère des paroles inconvenantes, elle produit là honte et la rougeur; si elle dit des choses honnêtes, elle les prononce avec calme et en pleine liberté. Or, personne ne rougit de ce qui est conforme à la nature, mais seulement de ce qui lui est contraire. Et les mains à leur tour se cachent quand elles volent, et cherchent une excuse; quand elles donnent l'aumône, elles sont fières. Si donc nous le voulions, nous aurions de toutes parts une grande inclination pour la vertu. Si vous me parlez du plaisir que le vice procure, souvenez-vous que la vertu en procuré un plus grand. Car avoir une bonne conscience, être admiré de tout le monde, espérer de grands biens, c'est le plus doux de tous les plaisirs pour quiconque connaît la nature du plaisir; de même le contraire est la plus grande douleur pour qui connaît la nature de la douleur, comme par exemple, d'être déshonoré aux yeux de tout le monde, de devenir son propre accusateur, de trembler et de redouter les maux présents et à venir.

5. Pour rendre tout cela plus clair, supposons un homme marié qui séduit la femme de son voisin, et en jouit clandestinement et injustement ; opposons-lui-en un autre qui aime sa propre femme; et pour rendre la victoire plus grande et plus évidente, supposons que celui-ci qui ne jouit que de sa femme, aime pourtant la femme adultère, mais contient sa passion et ne fait rien d'illicite. En réalité, cette affection, même contenue, n'est pas exempte de péché; mais c'est une pure hypothèse que nous faisons pour vous faire sentir le plaisir attaché à la vertu. Rapprochons-les ensuite et interrogeons-les pour savoir lequel mène l'existence la plus douce vous entendrez l'un se glorifier et triompher de la victoire qu'il a remportée sur sa passion; et l'autre... il n'y a pas même besoin d'attendre de lui aucune réponse : car vous le verrez, à travers ses mille dénégations, plus malheureux que l'homme aux fers. En effet, il craint tout le mondé, tout lui est suspect : et sa propre femme, et l'époux de l'adultère, et l'adultère elle-même, et ses proches, et ses amis, et ses parents, et les murs, et les ombres et lui-même; et, ce qu'il y a de plus terrible encore, sa conscience réclame et aboie chaque jour. Et s'il songe au tribunal de Dieu, il a peine à se tenir debout. Le plaisir est court; mais la douleur qui le suit est perpétuelle : le (440) soir, la nuit, dans la solitude, dans la ville, partout l'accusateur le suit, lui montre la pointe du glaive, des tourments insupportables, et le fait sécher de frayeur. Mais celui, au contraire, qui a su se contenir, dégagé de tous ces maux, vit en liberté, voit sans crainte sa femme, ses enfants, ses amis, et peut promener partout un regard assuré. Or, si un homme qui aime et pourtant contient sa passion, jouit d'un si grand contentement; est-il un port plus doux, une mer plus calme, que l'âme de celui qui n'éprouve pas même cette affection et reste dans les limites d'une parfaite chasteté? Aussi trouverez-vous peu d'adultères et un plus grand nombre de personnes vivant dans la continence. Or, si le crime procurait plus de plaisir, c'est lui que la foule choisirait. Ne me parlez pas de la crainte des lois; car ce n'est pas là ce qui retient, mais l'extrême inconvenance du fait, vine somme de douleurs excédant celle du plaisir et aussi la voix de la conscience.

Voilà l'adultère. Maintenant, si vous le voulez, faisons paraître l'avare; mettons à nu un autre amour coupable. Nous le verrons encore partageant les mêmes craintes et incapable de jouir d'un plaisir pur. En pensant à ses victimes, à ceux qui en ont pitié, à l'opinion que l'on a de lui, il est comme agité par la tempête. Et ce n'est pas encore tout : il ne peut pas même jouir de ce qu'il aime. Si ceci vous semble une énigme, écoutez quelque chose de pire et de plus embarrassant : non-seulement les avares sont privés de la jouissance de ce qu'ils ont, en ce qu'ils n'osent en user à leur volonté, mais encore en ce qu'ils n'en, sont jamais rassasiés et qu'ils ont toujours soif. Qu'y a-t-il de plus pénible? Mais il n'en est pas ainsi de l'homme juste; il est exempt de terreur, de haine, de crainte, il n'est point tourmenté de cette soif insatiable; comme l'avare est l'objet de l'exécration universelle, il est béni par tous; comme l'avare n'a point d'amis, lui n'a point d'ennemis.

Cela posé (et tout le monde en convient) qu'y a-t-il de plus désagréable que le- vice et de plus doux que la vertu ? En dissions-nous mille fois davantage, nous ne pourrions exprimer la douleur qui s'attache à l'un et le plaisir qui résulte de l'autre, jusqu'à ce que nous en ayons fait l'épreuve. Nous trouverons que le vice est plus amer que le fiel, quand nous aurons goûté le miel de la vertu. Même ici-bas, il est désagréable, pénible, douloureux, et ceux qui s'y livrent n'en disconviennent pas; mais c'est quand nous l'avons quitté que nous sentons le mieux l'amertume de ses commandements. Rien d'étonnant toutefois à ce que la foule coure à lui; puisque les enfants choisissent souvent ce qu'il y a de moins doux, repoussent ce qu'il y a de plus agréable; puisque les malades pour une jouissance d'un moment se privent d'une satisfaction plus durable et plus sûre. C'est là l'effet de la faiblesse et de la folié des amateurs, et non de la nature des choses. Car l'homme heureux c'est celui qui pratique la vertu, qui est vraiment riche, vraiment libre. Et si quelqu'un accorde tout le reste à la vertu : la liberté, la sécurité , l'exemption des soucis, de toute crainte, de tout soupçon, et lui refuse le plaisir, celui-là est à mes yeux souverainement ridicule. Qu'est-ce donc que le plaisir, sinon l'exemption de la crainte, du chagrin, la parfaite indépendance? Lequel est heureux, s'il vous plaît, de l'homme furieux, agité, tourmenté par de nombreuses passions, toujours hors de lui-même, ou de celui qui est à l'abri de tous les orages et se tient calme dans sa sagesse comme dans un port? N'est-ce pas évidemment celui-ci ? Or c'est là le propre de la vertu. En sorte que le vice n'a que le nom de plaisir et non là chose; avant la jouissance, c'est une fureur et non un plaisir; et après la jouissance, le plaisir s'éteint aussitôt. Si donc, ni avant ni après, on n'y rencontre le plaisir, où et quand s'y trouve-t-il ? Pour éclaircir le sujet, donnons un exemple, et faites-y attention : quelqu'un aime une femme jeune' et belle ; tant qu'il ne l'a pas, il ressemble à un furieux, à un fou; dès qu'il l'a obtenue, sa passion s'éteint. Or si tout d'abord c'était une fureur, et non un plaisir; si ensuite l'usage du mariage émousse l'aiguillon, où se trouvera le plaisir? Mais il n'en est pas ainsi chez nous; dès l'abord nous sommes sans trouble, et notre satisfaction persévère jusqu'à la fin; elle n'a point de terme. Réfléchissant à cela, embrassons la vertu si nous aimons le plaisir, afin de jouir des biens présents et des biens futurs. Puissions-nous tous les obtenir par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit au Père, en même temps qu'au Saint-Esprit, gloire, puissance; honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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