HOMÉLIE VIII
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HOMÉLIE VIII. AUSSI, MES FRÈRES, JE N'AI PU MOI-MÊME VOUS PARLER COMME A DES HOMMES SPIRITUELS , MAIS COMME A DES HOMMES CHARNELS, COMME A DE PETITS ENFANTS EN JÉSUS-CHRIST. JE VOUS AI NOURRIS DE LAIT, ET NON DE VIANDES SOLIDES, PARCE QUE VOUS N'EN ÉTIEZ PAS CAPABLES ; ET A PRÉSENT MÊME VOUS NE L'ÊTES PAS ENCORE, PARCE QUE VOUS ÊTES ENCORE CHARNELS. (CHAP. III, VERS. 1, 2, JUSQU'AU VERS. 11.)

 

ANALYSE.

1. Que l'on peut encore n'être qu'un homme charnel tout en faisant des miracles.

2. Qu'une vie vicieuse empêche de voir la vérité.

3. Dans l'oeuvre du salut les hommes ne sont rien, Dieu est tout.

4. Nécessité de l'union immédiate avec Jésus-Christ. — Danger du désespoir qui est le propre de l'impie.

5. Eviter avec soin les petites fautes, parce qu'elles conduisent aux grandes. — Combien la pénitence est rare.

 

1. Après avoir détruit la sagesse profane et abattu tout son orgueil, il passe à un autre sujet. Sans doute on lui aurait dit : Si nous prêchions la doctrine de Platon, de Pythagore ou de quelque autre philosophe, vous auriez raison de nous parler si longuement : mais comme nous annonçons celle de l'Esprit, pourquoi ces attaques acharnées contre la sagesse du dehors? Ecoutez comme il répond à ce reproche : « Aussi, mes frères, je n'ai pu moi-même vous parler comme à des hommes spirituels ». C'est-à-dire : quand vous seriez parfaits, même dans les choses spirituelles, il ne faudrait pas ainsi vous enorgueillir: car ce que vous annoncez n'est pas à vous, ni de votre invention; vous ne le savez même pas comme il faut; vous êtes des disciples et les derniers de tous. Si donc vous vous enflez de la sagesse profane, il est démontré qu'elle n'est rien, qu'elle nous est même contraire dans les choses spirituelles; si vous vous enorgueillissez des choses spirituelles, vous n'en avez que la moindre partie et vous êtes au dernier rang. Aussi leur dit-il : « Je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels ». Il ne dit pas : Je ne vous ai pas parlé de peur de paraître agir par jalousie; mais il détruit. de deux façons leur manière de penser : d'abord en leur prouvant qu'ils ne connaissent pas la perfection; en second lieu, en (345) leur montrant que c'est par leur faute; et troisièmement, en leur faisant voir qu'ils n'en sont pas encore capables. Qu'ils ne l'aient d'abord pas pu, c'était peut-être dans la nature des choses; quoique il ne leur laisse pas même ce moyen de défense. Car il ne leur dit pas qu'ils n'ont pas reçu ces enseignements sublimes parce qu'ils ne le pouvaient pas, mais parce qu'ils étaient charnels. Du reste, s'il s'agissait du commencement, il n'y aurait pas eu matière à grand reproche; maïs après un si long espace de temps,.n'être pas encore arrivé à un état plus parfait, c'était l'indice d'une extrême lâcheté.

Il fait aussi ce même reproche aux Hébreux, mais non avec autant de force; car il attribue chez eux le mal à la tribulation, et. chez les autres au désir du mal; deux choses fort différentes. Evidemment,. il veut blâmer les Corinthiens, tandis qu'il ne cherche qu'à exciter les Hébreux en parlant selon la vérité. Aussi dit-il aux premiers : « A présent même vous n'en êtes pas capables »; et aux seconds : « Laissant l'enseignement élémentaire sur le Christ, passons à ce qui est plus parfait »; et encore : « Nous nous promettons de vous des choses meilleures et plus étroitement liées à votre salut , quoique nous vous parlions ainsi ». (Hébr. VI,1, 9.) Et comment appelle-t-il charnels ceux qui avaient reçu un si grand Esprit, et qu'il avait d'abord comblés d'éloges? Parce qu'ils étaient charnels aussi, ceux à qui le Seigneur disait : « Retirez-vous de moi ! Je ne vous connais pas, vous qui opérez l’iniquité » (Matth. VII, 23); et pourtant ils chassaient les démons, ressuscitaient les morts et démontraient les prophéties.

Ainsi on peut faire des miracles et être charnel. Ainsi Dieu a fait de Balaam son instrument, a révélé l'avenir à Pharaon et à Nabuchodonosor; Caïphe a prophétisé, sans savoir ce qu'il disait; quelques-uns ont même chassé les démons au nom du Christ, bien qu'ils ne fussent pas avec lui ; parce que ces prodiges se font pour les autres, et non pour . leurs auteurs. Souvent même ils se sont opérés par des instruments indignes. Et pourquoi s'étonner qu'ils s'opèrent pour les autres par des instruments indignes, quand ils se font aussi pour les autres par le moyen des saints? « Tout est à vous », dit l'apôtre, « soit Paul, soit Apollon, soit Céphas, soit la vie, soit la mort ». (I Cor. III, 22.) Et encore : « C'est lui qui a fait les uns apôtres, les autres prophètes, les autres pasteurs et docteurs pour la perfection des saints, pour l'oeuvre du ministère ». (Eph. IV, 11, 12.) Autrement tous seraient perdus sans ressource. Car il arrive que les chefs sont mauvais et pervers, tandis que les sujets sont bons et sages; que les laïques vivent dans la piété, tandis que les prêtres vivent dans la corruption ; et il n'y aurait eu ni baptême, ni corps du Christ, ni oblation par les mains de .ceux-ci, si la grâce eût toujours dû les trouver, dignes. Mais maintenant encore Dieu agit par le moyen des indignes, et la grâce du baptême ne souffre point de la conduite du prêtre : autrement celui qui la reçoit, ne l'aurait pas tout entière. Bien que cela soit rare, cela arrive pourtant.

Je dis ces choses de peur que quelqu'un de ceux qui sont ici, s'informant trop curieusement de la vie d'un prêtre, ne se scandalise à l'occasion des mystères. Car l'homme n'y met rien; tout est l'effet de la vertu de Dieu, et c'est lui qui vous initie. « Aussi, mes frères, je n'ai pas pu moi-même vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels. Je vous ai nourris de lait; mais non de viandes solides, car vous n'en étiez pas capables ». Pour ne pas paraître avoir parlé par ambition, quand il disait : « L'homme spirituel. juge de toutes choses », et : « Il n'est jugé par personne », et encore : « Nous avons la pensée du Christ», comme aussi pour abattre leur orgueil, voyez ce qu'il dit: « Je ne me suis pas tu parce que je n'avais plus rien à vous dire, mais parce que vous êtes charnels. A présent même vous ne le pouvez pas encore ».

2. Pourquoi n'a-t-il pas dit :.Vous ne voulez pas, mais : « Vous ne pouvez pas ? » C'est qu'il a mis l'un pour l'autre. En effet, on ne peut pas parce qu'on ne veut pas : c'est ce qui les accuse et excuse leur maître. Car si par nature ils n'eussent pas pu, peut-être auraient-ils été excusables; mais ils agissent volontairement, ils sont donc inexcusables. Il indique ensuite de quelle manière ils sont charnels : « Car, puisqu'il y a parmi vous jalousie et esprit de contention, n'êtes-vous pas charnels, et ne marchez-vous pas selon l'homme?» Bien qu'il eût pu leur parler de fornication et de libertinage, c'est cependant cet autre péché qu'il met en avant, celui qu'il a jusqu'alors cherché à corriger. Que si la jalousie rend (346) charnel, nous n'avons tous qu'à pousser des cris, à revêtir le sac et à nous rouler dans la cendre. Car, si je juge des autres par moi-même; qui est exempt de ce vice? Si la jalousie rend charnel et ne permet pas d'être spirituel, quand même on prophétiserait où qu'on ferait d'autres miracles: que penser de nous qui ne sommes point honorés de telles grâces, alors que nous sommes convaincus d'avoir ce défaut et de plus grands encore? Nous apprenons par là combien le Christ avait raison de dire : que celui qui fait le mal ne vient pas à la lumière (Jean, III, 20); qu'une vie impure est un obstacle à la connaissance des vérités élevées, et obscurcit la vue de l'âme. De même qu'il n'est pas possible que celui qui est dans l'erreur et mène une conduite régulière, reste dans cette erreur; ainsi celui qui vit dans le mal ne« peut pas facilement s'élever à la hauteur de nos dogmes, et celui qui est à la recherché de la vérité doit être exempt de tout vice. En effet, celui qui est délivré de ses vices, le sera aussi de l'erreur et parviendra à la vérité. Ne vous imaginez pas qu'il suffise pour cela de n'être pas avare ou fornicateur; il faut que tout se réunisse dans celui qui cherche la vérité. Aussi Pierre dit: «En vérité, je vois que Dieu n'a point fait acception de personne, mais qu'en toute nation celui qui le craint et pratique la justice lui est agréable » (Act. X, 34, 35), Cest-à-dire, que Dieu l'appelle et l'attire à la vérité. Ne voyez-vous pas Paul, le plus ardent des ennemis, le plus violent des persécuteurs? Et pourtant comme il menait une vie irréprochable et qu'il n'agissait point par un motif humain, il a trouvé grâce et il a surpassé tous les autres.

Mais, dira-t-on, pourquoi tel et tel païen qui est bon, bienfaisant, plein d'humanité, reste-t-il dans l'erreur? Je réponds : C'est qu'il a quelque autre vice, la passion de la vaine gloire, la lâcheté, ou qu'il ne s'inquiète point de son salut, mais se figure que toute sa destinée est1ivrée au hasard. Paul appelle irréprochable en tout, celui qui opère la justice ; « qui est conforme à la justice selon la loi » (Phil. III, 6) ; et encore : « Je rends grâce à Dieu qu'à l'exemple de mes ancêtres, je le sers avec une conscience pure.». (II Tim. I, 3) Mais comment, direz-vous, ceux qui étaient impurs ont-ils été jugés dignes de la prédication? Parce qu'ils ont voulu, parce qu'ils ont désiré. Dieu attire ceux qui sont dans l'erreur quand ils sont exempts de passions; il ne repousse point ceux qui viennent d'eux-mêmes; et beaucoup ont reçu de leurs ancêtres des traditions de piété. « Puisqu'il y a parmi vous  jalousie et esprit de contention ». Il commence enfin à attaquer les inférieurs. Plus haut il a abattu les chefs en disant que la sagesse du langage n'a aucun prix; maintenant il gourmande les inférieurs en disant: « Puisque l'un dit   Moi je suis à Paul; et l'autre : Moi je suis à Apollon, n'êtes-vous pas charnels? » Il leur fait voir que par là, non-seulement ils n'ont fait aucun profit, n'ont retiré aucun avantage, mais qu'ils ont au contraire retardé leurs progrès.

Et c'est là la source de la jalousie; or, la jalousie les a rendus charnels; et en devenant charnels, ils n'ont pu entendre de plus hautes vérités. « Qu'est donc Paul ? — Qu'est donc Apollon? » Après les preuves et les démonstrations,ses reproches deviennent plus clairs et plus formels; il. se nomme lui-même, pour prévenir toute aigreur et les empêcher de se fâcher de ses paroles. Car si Paul n'est rien et ne se fâche pas, beaucoup moins doivent-ils s'irriter. Il  les console de. deux manières d'abord en se mettant lui-même en scène, ensuite en ne les dépouillant point absolument comme s'ils n'eussent contribué en rien; il leur donne peu, mais enfin il leur donne quelque chose; car après avoir dit : « Qu'est donc Paul ? Qu'est donc Apollon? » il ajoute: « Des ministres par qui vous avez reçu la foi». En soi, c'est quelque chose de grand, et qui mérite une grande récompense; mais par rapport à l'archétype, à la racine de tout bien, ce n'est rien... Car le véritable bienfaiteur est celui qui accorde le bienfait, et non le ministre par qui il arrive. Il ne dit pas ; « Des évangélistes », mais : « Des ministres», ce qui dit davantage. Car ils ne nous ont pas seulement évangélisés, mais servis; l'un consiste en paroles et l'autre en action. Or, si le Christ n'est simplement que le ministre du bien, et non sa racine et sa source, en qualité de Fils, voyez jusqu'où cela nous conduit.

3. Comment donc , direz-vous, Paul le nomme-t-il ministre de la circoncision? (Rom. XV, 8.) Il parle là, de dispensation selon la chair (1), et non dans le sens que nous venons d'exposer ; par ministre, il entend celui qui a

 

1 Ou du mystère de l’Incarnation.

 

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complété le bienfait, et non celui qui l'a accordé de son fonds. Il ne dit pas : « Qui vous amènent à la foi, mais : « Par qui vous avez reçu la foi »; leur accordant par là davantage, et faisant voir que les prédicateurs sont des ministres. Mais s'ils n'ont été que des ministres, comment s'attribuent-ils l'autorité? Considérez qu'il ne les accuse point d'avoir usurpé l'autorité, mais de l'avoir cédée; car la cause de la faute était dans le peuple ; si les uns se fussent tenus à l'écart, les autres se seraient désistés. Il prend donc, deux sages mesures pénètre là où il fallait détruire le mal, et il agit sans animosité , sans. exciter davantage leur jalousie. « Selon le don que le Seigneur a départi à chacun ». Car ce faible avantage ne vient pas d'eux; mais c'est un don de Dieu. De peur qu'ils ne disent : Quoi ! nous n'aimerons pas ceux qui nous servent? vous les aimerez, répond-il, mais il faut savoir jusqu'à quel point : car ils n'ont rien d'eux-mêmes, tout leur vient de Dieu. « Moi, j'ai planté, Apollon a arrosé, mais Dieu a donné la croissance ». C'est-à-dire : J'ai le premier semé la parole; de peur que la semence ne fût desséchée par les tentations, Apollon y a mis du sien, mais le tout a été l'oeuvre de Dieu.

« C'est pourquoi ni celui qui plante n'est quelque chose, ni celui qui arrose; mais « celui qui donne la croissance, Dieu ». Voyez comme il les console, de peur qu'ils ne s'aigrissent, en entendant dire : Qui est celui-ci? qui est celui-la ? Car il ne leur était pas moins pénible d'entendre dire : Ni celui qui plante, ni celui qui arrose n'est quelque chose, que d'entendre dire : Qui est celui-ci? qui est celui-là? Mais comment les console-t-il? En ce qu'il attire le mépris sur sa propre personne, quand il dit : « En effet, qu'est-ce que Paul? qu'est-ce qu'Apollon? » et aussi en ce qu'il rapporte tout au don de Dieu. Car après avoir dit qu'un tel a planté, et que celui qui plante n'est rien, il ajoute : « Mais celui qui donné la croissance, Dieu ». Il ne s'arrête même pas là; il appliqué encore un autre remède en disant : « Or, celui qui planté et celui qui arrose sont une seule chose ». Son but est d'empêcher que l'un se glorifié vis-à-vis de l'autre. Il dit qu'ils sont une même chose, en ce sens qu'ils ne peuvent rien sans Dieu qui donne la croissance: Après avoir dit cela; il ne permet pas même que ceux qui ont beaucoup travaillé se pavanent devant ceux qui ont moins travaillé, ni qu'ils aient de la jalousie les uns envers les autres. Et comme cette conviction que ceux qui avaient beaucoup travaillé ire faisaient qu'une seule chose avec ceux qui avaient moins travaillé, pouvait amener le relâchement, voyez quel correctif il y met, en disant : « Mais chacun recevra sa propre récompense selon son travail ». Comme s'il disait : Ne craignez point parce que j’ai dit qu'ils sont une seule chose : cela est vrai, si on les compare à l'œuvre de Dieu; cela ne l'est plus, si on les juge d'après leurs travaux mais chacun d'eux recevra son propre salaire. Il prend même encore un largage plus doux, dès l'instant qu'il a atteint son but; il est généreux là où il est permis de l'être : « Car nous sommes les coopérateurs de Dieu; vous êtes le champ que Dieu cultive, l'édifice que Dieu bâtit ».

Voyez-vous quelle oeuvre considérable il leur attribue, après avoir d'abord établi que tout appartient à Dieu? Comme il recommande toujours d'obéir aux chefs, il ne les rabaisse pas trop. « Vous êtes le champ que Dieu cultive ». Ayant d'abord dit : «  J'ai planté », il persiste dans sa métaphore. Or, si vous êtes le champ de Dieu, il est juste que vous portiez son nom, et non celui des laboureurs. En effet, un champ porte le nom de son propriétaire et non de celui qui le laboure. « Vous êtes l'édifice que Dieu bâtit ». La maison appartient au propriétaire, et non à l'ouvrier. Que si vous êtes un édifice, il ne faut pas vous diviser, mais vous faire un rempart de la concorde. « Selon la grâce que Dieu m'a donnée, j'ai, comme un sage architecte, posé le fondement ». Ici il s'appelle sage, non par vaine gloire, mais pour leur donner un modèle et leur montrer qu'il est d'un sage de ne poser qu'un seul fondement. Du reste, voyez sa modestie. S'il se dit sage, il ne permet pas qu'on le lui attribue; il ne se donne ce nom qu'après s'être rapporté à Dieu tout entier : « Selon là grâce que Dieu m'a donnée, j'ai, comme un sage architecte, posé le fondement ». Il fait voir en même temps que tout appartient à Dieu, et que la grâce consiste surtout en ce qu'il n'y a pas de division, mais que tout reposé sur un seul fondement. « Un autre a bâti dessus; que chacun donc regarde comment il y bâtira encore » Ici il me semble les engager à combattre pour régler leur conduite, puisqu'il les a unis en un (348) seul corps. « Car personne ne peut poser d'autre fondement que celui qui a été posé, lequel est le Christ Jésus ». On ne peut poser le fondement qu'il n'y ait un architecte; une fois le fondement posé, l'architecte disparaît.

4. Voyez comme il emploie des notions vulgaires pour démontrer son sujet. Voici ce qu'il veut dire : J'ai annoncé le Christ, je vous ai donné 1e fondement : voyez comment vous bâtissez dessus, si c'est pour la vaine gloire, pour attirer des disciples à des hommes. Ne faisons donc aucune attention aux hérésies car personne ne peut poser d'autre fondement que celui qui a été posé. Bâtissons donc sur lui, attachons-nous-y comme à un fondement, comme le sarment à la vigne, et qu'il n'y ait point d'intermédiaire entre le Christ et nous car, s'il s'en trouve un, notre ruine est immédiate. Le sarment tire de la sève parce qu'il tient au tronc; un bâtiment reste debout parce que ses parties sont unies ; si elles viennent à se disjoindre, il tombe, faute d'appui. Ne tenons pas seulement au Christ, mais collons-nous à lui, en quelque sorte; si une fois nous nous en, séparons, nous sommes perdus. Il est écrit : « En vérité, ceux qui s'éloignent de vous, périront ». (Ps. .LXXII.) Collons-nous donc au Christ, mais par les oeuvres.: il nous dit lui-même : « Celui qui garde mes commandements, demeure en moi». (Jean, XIV, 21.) Il emploie une foule de comparaisons peur nous prouver la nécessité de l'union. Voyez: il est la tête, et nous les membres; or, peut-il y avoir un espace vide entre la tête et le reste du corps ? Il est le fondement, et nous l'édifice ; il est la vigne et nous les sarments; il est l'époux, et nous l'épouse; il est le berger, et nous les brebis; il est la route, et nous les voyageurs; nous sommes le temple, il en est l'habitant; il est le premier-né, nous sommes les frères; il est l'héritier, nous sommes les cohéritiers; il est la. vie, et c'est nous qui vivons; il est la résurrection, et c'est nous qui ressuscitons ; il est la lumière, et c'est nous qui sommes éclairés.

Tout cela nous représente l'unité et n'admet aucun intermédiaire, aucun vide, si petit qu'il soit. Car celui qui est quelque peu séparé, le sera bientôt beaucoup. Si peu que le corps soit divisé par le glaive, il périt; si peu que l'édifice se crevasse, il tombe en ruine : si peu que le sarment soit séparé de la racine, il devient inutile. Ainsi, ce peu n'est pas peu, mais

presque tout. Donc, quand nous avons un peu péché, ou été un peu lâches, ne négligeons pas ce peu; autrement il deviendra beaucoup. Ainsi, un manteau qui commence à se déchirer et qu'on néglige de réparer, se déchire en entier; ainsi un toit dont quelques tuiles sont tombées sans qu'on se donne la peine de les remettre, détruit toute, la maison. Songeons à tout cela et ne négligeons jamais les petites fautes, pour ne pas tomber dans les grandes; mais si nous les avons négligées et que nous soyons tombés au fond de l'abîme, ne désespérons cependant pas encore, de peur que notre tête ne s'appesantisse. Car, à moins d'une extrême vigilance, il sera bien difficile de remonter de là, non-seulement à cause de la longueur de l'espace, mais à raison de la situation même. En effet, le péché est un abîme profond, où l'on est entraîné et brisé dans la chute. Comme ceux qui tombent dans un puits ont de la peine à en sortir et ont besoin que d'autres les retirent, ainsi en est-il de ceux qui s'enfoncent dans l'abîme du péché.

Jetons-leur donc des cordes et retirons-les; non-seulement il en faut pour les autres, mais aussi pour nous-mêmes, afin de nous lier et de remonter, non-seulement de tout ce. que nous sommes descendus, mais de beaucoup plus si nous voulons. Dieu nous aide; lui «qui ne veut pas 1a mort du pécheur, mais qu'il se convertisse ». (Ezéch. XXIII, 3.) Que personne donc ne désespère, que personne ne se laisse atteindre par lé vice des impies : car, « quand l'impie est descendu au fond de l'abîme, il méprise ». (Prov. XVIII, 3.) Ainsi ce n'est pas la multitude des péchés; mais le sentiment de l'impiété, qui produit le désespoir. Eussiez-vous commis tous les crimes possibles, dites-vous à vous-mêmes : Dieu est bon et il désire notre salut. « Car quand vos péchés seraient rouges comme l'écarlate», nous dit-il, « je les rendrai blancs comme la neige » ( Is. I, 13) ; je les changerai en un état contraire. Donc ne désespérons pas; car tomber n'est pas aussi grave que de persévérer dans sa chute; être blessé est moins terrible que de ne pas vouloir laisser guérir sa blessure. Et « qui se vantera d'avoir le coeur pur ? Qui osera se dire exempt de péchés? » (Prov. XX, 9.) Je dis cela, non pour favoriser votre négligence, mais pour vous empêcher de tomber dans le désespoir.

 

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5. Voulez-vous savoir combien notre maître, est bon? Un publicain chargé d'iniquités , monte au temple, et pour avoir dit ces simples mots : « Ayez pitié de moi ! » (Luc, XVIII, 13), il en sort justifié. Et Dieu nous dit, par la bouche du prophète : « Je l'ai un peu contristé à cause de son péché, et voyant qu'il s'en allait affligé et triste, j'ai corrigé ses voies ». (Is. LVII, 17, 18.) Quelle charité égale celle-là? Parce qu'il était triste, nous dit-il, j'ai remis son péché. Pour nous, nous n'agissons pas ainsi; et c'est par là que nous provoquons surtout la colère de' Dieu. Celui que la moindre chose rend propice, a raison de s'irriter quand il ne rencontre pas cette disposition, et de tirer de nous la plus dure vengeance : car c'est le signe d'un extrême mépris. Mais qui s'attriste du péché? qui en gémit? Qui s'en frappe la poitrine? qui s'en inquiète? Personne, ce me semble. On pleure très-longtemps la mort d'un serviteur, une perte d'argent; et quand tous les jours nous donnons la mort à notre âme, nous n'en avons pas le moindre souci. Comment vous rendrez-vous Dieu propice, si vous ne savez pas même que vous avez péché? Mais, dites-vous; j'en conviens, j'ai péché. Oui, c'est un aveu de votre bouche; mais faites-le aussi de coeur, et après l'avoir fait, gémissez, afin d'avoir toujours bon courage. En effet, si nous nous affligions de nos péchés, si nous gémissions de nos fautes, nous n'éprouverions aucune autre douleur., car celle-là écarterait toutes les autres. En sorte que nous retirerions encore de la confession ce nouvel avantage de n'être jamais absorbés par les calamités de la vie présente, ni enflés par le succès et la prospérité : et par là nous nous rendrions Dieu plus propice, au lieu de l'irriter par notre conduite, comme nous le faisons maintenant.

Dites-moi : si vous aviez un serviteur qui eût éprouvé beaucoup de mauvais traitements de la part de ses compagnons et n'en tînt aucun compte, uniquement occupé à ne pas irriter son maître, cela ne suffirait-il pas à apaiser votre colère ? Mais si, au contraire, sans s'inquiéter de ses torts à votre égard, il ne s'occupait que de ceux qu'il a eus envers ses compagnons, ne le puniriez-vous pas avec plus de sévérité ? C'est ainsi que Dieu se conduit. quand nous nous soucions peu de son courroux, nous l'augmentons; quand nous nous en inquiétons, nous l'adoucissons. Nous l'apaisons même entièrement: car il veut que nous nous punissions nous-mêmes de nos péchés, et, dans ce cas, il renonce à nous en punir lui-même. C'est dans cette vue qu'il nous menace, afin que la crainte nous empêche de le mépriser. Quand la menace suffit à nous détourner du mal, il ne permet pas qu'elle s'accomplisse. Voyez ce qu'il dit à Jérémie : « Ne voyez-vous pas ce qu'ils font? « Leurs pères allument le feu; leurs fils apportent du bois; leurs femmes pétrissent la farine ». (Jérém. VII, 17, 18.) Il est fort à craindre qu'on n'en dise autant de nous. Personne ne cherche les intérêts de Jésus-Christ; chacun cherche les siens propres. (Phil. II, 21.) Leurs fils courent au libertinage; leurs pères à l'avarice et à la rapine ; leurs femmes aux caprices du siècle; elles excitent leurs époux, bien loin de les retenir. Tenez-vous sur la place publique; interrogez les allants et les venants, vous n'en verrez pas un montrer de l'empressement pour des choses spirituelles, mais tous . s'agitent pour des intérêts matériels.

Quand deviendrons-nous sages ? Combien de temps resterons-nous dans notre sommeil léthargique? Ne sommes-nous pas rassasiés de maux? A défaut de paroles, l'expérience nous apprend assez que tout est vanité et affliction ici-bas. Des hommes qui n'avaient que la sagesse du dehors et ne savaient rien de l'avenir, ont pu se convaincre du peu de valeur des choses présentes et par cela seul s'en détacher. Quel pardon pouvez-vous espérer, vous qui rampez à terre, qui n'avez pas la force de mépriser des biens futiles et passagers, et de les abandonner pour un bonheur immense et éternel; vous qui êtes instruit et éclairé là-dessus par Dieu lui-même et avez reçu de lui de si grandes promesses? Ceux qui, en dehors de ces promesses, ont su s'abstenir des biens de ce monde, notas prouvent assez par leurs exemples qu'il n'y pas là de quoi enchaîner nos affections. En effet, quelles richesses espéraient-ils, en embrassant la pauvreté ? Aucune. Ils savaient seulement que la pauvreté est préférable aux richesses. Quelle vie espéraient-ils en renonçant aux plaisirs, en menant une existence austère? Aucune. Mais pénétrant la nature des choses, ils sentaient que cela rendait l'âme plus sage et le corps plus sain. Animés donc des mêmes pensées; et portant toujours en nous l'espérance des biens futurs, détachons-nous du présent, afin d'obtenir ces biens à (350) venir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Pères et au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il..

 

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