CHAPITRE V
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CHAPITRE V : LE MOULE LITURGIQUE. II. LES OFFICES DE DÉVOTION

 

Cristallisation liturgique des dévotions nouvelles : L'Office de l'Enfance. - Les « petits Offices » pour chaque jour de la semaine : Suffren et l'Exercice spirituel. - Les grands Offices de dévotion. - Le Bon Pasteur. - Le Pénitence. - Pour la Conversion des Juifs : Nobis mitans, caecus sibi. - Office du Triomphe de la Foi.

 

Au moins jusqu'à la fin du XVII° siècle, la récitation de ce qu'on appelle les « Petits Offices » est un des exercices les plus familiers au peuple dévot. Nouvelle preuve de la fascination que la liturgie exerçait sur eux. L'idée de ces raccourcis d'Offices n'était certes pas nouvelle. Le moyen âge les connaissait, les aimait déjà. Ils répondaient à la touchante nostalgie qui a fait naître les Tiers-Ordres. Comme ceux-ci organisent une sorte de moyen terme entre la vie proprement religieuse et la séculière, les petits Offices laissent croire aux simples fidèles qu'ils appartiennent eux aussi à l'élite sacrée des chapitres et des abbayes. Aussi bien la poésie liturgique, la poésie des « heures » n'est-elle pas le bien commun de toute l'Église, une des créations les plus bienfaisantes du génie chrétien ? « On a mis cette prière en forme d'Office, écrit, au milieu du XVIII° siècle, l'auteur d'un Office de la Pénitence, parce que cette manière de prier est consacrée par l'usage de l'Église, qui verrait avec joie tous les fidèles, non seulement ouvrir leurs coeurs, mais joindre leur voix, sept fois chaque jour, à celle de ses ministres (1). »

 

(1) Exercices du Pénitent, Paris, 1758, p. 355.

 

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C'était aussi par là que se. propageaient les dévotions nouvelles, canonisées, au sens étymologique du mot, par cette patine liturgique. Ainsi Marguerite de Beaune dictera, nous ne savons à qui, un « petit Office en l'honneur de l'enfance de N.-S. Jésus-Christ, où chaque heure est consacrée à un des mystères de ses douze premières années ». Santeul avait lu, peut-être l'hymne de Prime, en l'honneur de la Circoncision.

 

Legem subis abs te datant

Et munus imptens victimæ,

Vix dam coactum sanguinem

Infans Sacerdos immolas.

 

Il est en latin et charmant, avec ses miniatures de psaumes. Ainsi, pour les secondes vêpres « en l'honneur du saint Enfant Jésus retournant d'Égypte. »

 

Antienne. Angelus domini.

Vineam de Aegypto transtulisti; ejecisti gentes et plantasti eam.

Dux itineris fuisti...

Antienne. Surge.

Deus cum egredereris in conspectu populi tui; cum pertransires in deserto.

Terra mota est, etenim coeli distillaverunt a facie Dei Sinaï : a facie Dei Israel.

Viderunt ingressus tuos Deus; ingressus Dei mei, Regis mei, qui est in sancto.

Gloria.. Surge et accipe puerum (1)...

 

Nova et vetera. Un autre exemple nous rend sensible cette greffe du nouveau sur l'ancien. Dans ses Conduites pour les principales actions de la vie chrétienne (1677, au plus tard), le Père Saint-Jure avait inséré en latin « L'office de la Sapience incarnée, composé par Henry Suso ». Et voici, en 1693, un « Office de la sagesse éternelle; mis en français, et dédié au roi » par le jeune de Franqueville. Vous y trouverez ces quelques lignes qui résument tout le bérullisme.

 

(1) Amelote, Le Petit Office du saint enfant Jésus... Paris, 1658.

 

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Oblation au saint Enfant Jésus : Je vous regarde, je vous révère, je vous adore en votre sainte enfance. Je m'applique à vous en cet état, comme en un état auquel je m'offre, je me voue, je me dédie, pour vous rendre un hommage particulier, pour en tirer grâce, direction, protection, influence et opération singulière, et afin qu'il soit comme un état qui serve de fondement à l'état de mon âme, tirant vie, dépendance, subsistance et fonction de la conduite de cette enfance divine, comme de l'état de mon état, et de la vie de ma vie.

 

Ici, une fois encore, s'est produit le phénomène d'ailleurs prévu, que nous avons constaté dans le développement des litanies. La dévotion privée a fait craquer le moule liturgique. Ce n'est plus une collecte, c'est une contemplation parlée.

Réduit à ses éléments essentiels, ce genre de littérature est presque fatalement assez médiocre. C'est un résumé et pas plus qu'un poème, un Office ne se résume. Que l'hymne en fasse le noyau, rien de mieux, selon moi, je veux dire rien de plus conforme aux goûts religieux de ceux des fidèles pour qui sont composés les petits Offices. Vox populi, qui, au besoin apprendrait aux liturges officiels que les hymnes ne sont pas une parure adventive. Mais qu'est ce qu'une hymne distribuée en petits morceaux aux sept heures de la journée. Un des manuels les plus répandus à cette époque, l'Exercice spirituel contenant la manière d'employer toutes les heures du jour au service de Dieu - titre magnifique ! nous reviendrons bientôt, du reste, à ce recueil - nous offre d'abord sept petits Offices : De la Sainte-Trinité, pour le dimanche ; du Saint-Esprit, pour le lundi; du Saint Nom de Jésus, pour le mardi ; des Saints Anges gardiens, pour le mercredi; du Saint Sacrement, pour le jeudi ; de la Passion, ou de la Sainte-Croix, pour le vendredi ; de la Vierge, pour le samedi. Puis, trois supplémentaires : le petit Office du nom de Marie; de sainte Anne, qu'on peut dire le mardi ; et de saint Joseph qu'on peut dire le mercredi.

Chacune des heures a son bout de strophe, qui, avec l'invitation, l'antienne et l'oraison, fait tout l'Office. Ainsi

 

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pour le Saint-Esprit, Veni Creator à Matines; Tu septiformis à Tierce, etc. Au reste, il n'est pas douteux que, dans cette partie de son recueil, l'Exercice spirituel imite de très près les Avis et exercices spirituels du P. Suffren, publiés, pour la première fois, semble-t-il en 1642 (1). L'Exercice spirituel ayant été réimprimé plus d'une fois pendant le XVIII° siècle, les petits Offices que je viens d'énumérer auront donc été d'un usage commun chez nous, pendant une centaine d'années. Tous ces Offices sont en latin. Est-ce pour cette raison que, vers la moitié duXVIII° siècle, les nouveaux recueils de prière semblent les négliger? Dans la Journée du chrétien, dédiée à Madame de France - livre également très répandu - Lyon, 1755, les petits Offices ne figurent plus parmi les pratiques « de dévotion pour tous les jours de la semaine. » L'usage n'est certainement pas aboli, ni ne le sera de longtemps, mais il commençait, semble-t-il, à rentrer dans la catégorie des dévotions plus ou moins extraordinaires (2).

 

 

(1) Dans les Avis et Exercices, petit livre de poche, on a essayé de faire tenir les deux premiers tomes - grand in 4° - de l'Année chrétienne, plus vieux de quelque vingt ans. Chose curieuse, les Petits Offices des Avis ne se trouvent pas dans l'Année chrétienne. Ou ils m'auraient échappé. Deux mille pages ! Ce qui indiquerait peut-être que, vers 1642, cette pratique de dévotion serait revenue à la mode. Quelques différences, qui ont peut-être leur intérêt entre ces deux groupes de Petits Offices : Suffren consacre le lundi au Père Éternel; le mardi aux Saints Anges, etle mercredi au Saint-Esprit. Au lieu que l'Exercice s'en tient presque uniquement aux hymnes du bréviaire, Suffren divise entre les Offices du Père éternel, du Saint-Esprit, et de la Passion, un curieux poème mnémotechnique, vraisemblablement plus ancien, et que les savants identifieraient. Ainsi pour sexte du lundi : Vox patris intonuit, tunc cum in Jordane - Baptizari voluit Christus a Joanne - Et in Thabor splenduit, sicut sol in mane - Ac tonitru claruit aër per inane. Les rimes sont amusantes. A tierce du mercredi : Septiformem gratiam tunc acceptaverunt - Quare idiomata cuncta cognoverunt. A la fin une recommandation, foncièrement la même, et bien connue, mais curieusement adaptée à l'Office du jour : Has horas canonicas devotione - Tibi, sancte, Spiritus, via ratione - Dixi ut nos visites insoiratione - Et vivamus

jugiter in caeli regione. La pièce choisie pour le samedi est d'un autre mètre : Mors nil ausa tibi Virgo - Amor percussit cor tuum, - Non mortis ergo ferro - Sed est amore mortuum. Ce sont peut-être là des pastiches, mais je n'en sais rien.

(2) Dans la Journée de 1755, un léger changement dans les attributions. L'exercice spirituel consacrait le mardi au saint nom de Jésus : la Journée supprime cet Office et consacre le mardi aux Saints Anges, ce qui lui permet de donner officiellement à saint Joseph un jour de la semaine, le mercredi : La consécration, intéressante, du lundi au Saint-Esprit dans l'Exercice est maintenue. - On a par conséquent : Sainte-Trinité; Saint-Esprit; Ange gardien; Saint Joseph; Saint-Sacrement; Jésus souffrant; la Sainte Vierge. Ce sont là des minuties, mais peut-être significatives, et que les savants recueilleraient précieusement s'ils les rencontraient dans les monuments babyloniens. - Un livre de 1789, qui doit avoir une certaine importance dans l'histoire de la dévotion au Sacré-Coeur - Le parfait adorateur du Sacré-Coeur de Jésus ou exercice très nécessaire pour la dévotion du Sacré-Coeur... par Gabriel Nicollet, très humble adorateur du Sacré-Coeur de Jésus, Saint-Malo, 1789, propose deux petits Offices : Sacré-Coeur de Jésus ; Sacré-Coeur de Marie - En français, et tout en hymnes (d'ailleurs médiocres) « Dans ce coeur sont formés les arrêts immuables - Qui de cet univers règlent tous les destins - De lui coulent encor ces grâces secourables - qui font le bonheur des humains. »

 

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Pour la plupart, ces raccourcis stéréotypés n'ont pas coûté de longs tourments à leurs auteurs. Ils valent ce qu'ils ont coûté. A tous les points de vue, les « grands Offices » de dévotion qui, en ce temps-là n'étaient pas moins à la mode que les petits, paraissent beaucoup plus intéressants. Ce sont là de véritables poèmes, calqués presque toujours exactement sur les Offices canoniques, et souvent dignes d'être comparés à ces modèles. Ulysse Chevalier, plus curieux de liturgie que d'histoire, trouve « exorbitant qu'un simple prêtre - en l'espèce Frédéric Foinard - ait composé un bréviaire avec l'intention de le proposer à l'Église ». L' « essai » de Foinard est de 1720, et il a pour titre : Projet d'un nouveau bréviaire, dans lequel l'Office divin sans en changer la forme ordinaire, serait particulièrement composé de l'Écriture sainte, instructif, édifiant, dans un ordre naturel, sans renvois, sans répétition, et très court (1). Tout un bréviaire, c'est beaucoup peut-être pour un seul liturge. Mais, après tout, pourquoi pas, l'adoption de ce fantastique projet restant soumise au jugement de l'Église? Imaginez que pareille idée fût venue à Hugues de Saint-Victor, à Gerson, voire à Bossuet. Quelle fête pour nous ! Ou bien estime-t-on que chacun de nos Offices est la perfection même? Avec cela, trouverons-nous dans l'antique Romain un Office de Jeanne d'Arc ou de Notre-Dame de Lourdes? N'a-t-il pas fallu qu'on les confiât l'un et l'autre

 

(1) Chevalier, Poésie liturgique des Eglises de France..., pp. XIV-XV.

 

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à quelque Iiturge, moins vénérable, si l'on veut, mais peut-être aussi habile du moins n'est-ce pas impossible - que ses précurseurs de l'an 1000? J'ai connu un bon père jésuite, qui ne devait pas avoir beaucoup plus de génie que Foinard,

et qui, cependant, après cinquante ans d'instances, a fait canoniser par l'Église un Office de la Sainte Famille. Quel que soit, d'ailleurs, le mérite propre des diverses pièces dont je vais parler, ce qu'il y a ici pour nous de plus intéressant est de constater, une fois de plus, la ferveur, j'allais presque dire la hantise liturgique du classicisme dévot. La prière de ce temps-là incline à s'organiser, à se cristalliser en Office.

Un des plus beaux, l'Office du Bon Pasteur, latin et français, Paris, 1700, se trouve souvent relié avec la Relation abrégée de la vie de Madame de Combé, institutrice de la Maison du Bon-Pasteur; ouvrage non signé de l'abbé Boileau. L'Office ne serait pas indigne de ce prêtre éminent, mais rien ne prouve qu'il en soit aussi l'auteur. Noailles avait permis aux « Filles pénitentes » de chanter cet Office et

la messe qui l'accompagne, dans leur église de Paris. Hymne des premières vêpres :

 

Per lata centenas oves

Ducebat almus pascua ;

Fidoque Pastor a grege

Arcebat instantes lupos.

 

Aberrat et caulas ovis

Relinquit una pristinas,

Ferisque præda tristibus

Errore fertur devio.

 

Sensit benignus perditam

Pastor, dolore percitus,

Requirit amissam, gregem

Totumque mæstus deserit.

 

Tandem fame, siti, via

Confectus, ægram reperit;

Amplectitur, sinu fovet

Dorsoque defessam levat...

 

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O Pastor, o Jesu bone,

Istæc imago te notas,

Evravimus, peccavimus,

Quæris, reducis, expias.

 

Chaque hymne est traduite, vaille que vaille, en vers français :

 

Dans une riante prairie,

Un berger menait cent brebis...

 

Les spécialistes ne mépriseront pas, j'espère, ce Répons de Matines :

 

R/. Erraverunt oves meæ in solitudine, in inaquoso. Sed ego requiram eam, dicit Dominus.- Et suscitabo super eas Pastorem unum qui pascat eas. Alleluia... Visitabo oves meas et educam eas de populis. - Et suscitabo... Gloria... Et suscitabo

 

Pas davantage l'Introït de la Messe : Congratulamini mihi alleluia, quia inveni ovem meam... Misericordias Domini... Bien entendu, ils n'ont pas oublié la prose :

 

Pastor bone, te laudamus

Et qua præstas imploramus

Supplices clementiam.

Lapsas oves redemisti,

Fugitivas reduxisti,

Fove per custodiam.

 

L'Office de la Pénitence (1758) est plus morne, comme il convient. Un peu de latin nous le rendrait aimable peut-être, mais il est malheureusement tout français. Les versets des psaumes y sont flanqués d'une paraphrase ; chaque leçon, flanquée d'une élévation. Bref, il n'a d'un Office que le nom.

 

Pécheurs, si les plus saints succombent,

Est-ce de quoi vous rassurer?

Vous tombez avec ceux qui tombent,

Mais avec eux, il faut pleurer (1).

 

(1) Exercices du Pénitent.., Paris, 1758, pp. 336-346. Plus de cent pages.

 

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Nous avons aussi un Office de la Providence, latin-français, dressé selon le bréviaire et le missel de Paris, 1742. J'aime bien ces deux vers de la séquence :

 

Christe, scis hominis

Quæ sit tenuitas.

 

Mais je réciterai avec plus de goût, si jamais l'Église l'approuve - encore une fois, pourquoi pas? - les Prières particulières en forme d'Office ecclésiastique pour demander à Dieu la conversion des Juifs et le renouvellement de l'Église. En France, 1778. En France nous indiquerait, si besoin était, que cet ouvrage, d'inspiration janséniste, se distribuait sous le manteau. Tout catholique a certes le droit de prier pour la conversion des Juifs, mais non, ce faisant, de sous-entendre aveu Duguet et nombre d'appelants, que la Bulle Unigenitus a été dictée par l'Antechrist, et que, par suite, la fin du monde ne saurait tarder (1).

 

Cet Office aurait pour auteur le jansénisant Dom Foulon, et Dom Poisson l'aurait publié. Une fois désinfecté, il me paraît magnifique. Hymne de Prime.

 

Sopore mortis obruta,

Judæa plebs ad unicam

Quæ Christus est, vitam, Deus

Tuo resurget spiritu.

 

Voici, du reste, la traduction :

 

Sous un sommeil de mort longtemps ensevelie,

Par ton souffle, Seigneur,

Que Sion ressuscite à Jésus, notre vie

Recourant au Sauveur!

 

(1) La Préface est un beau morceau que M. le sénateur F. Ruffini aurait médité avec profit, quand il préparait son chapitre sur Alessandro Manzoni e il ritorno d'Israele. La vita religiosa di Alessandro Manzoni (Bari, 1931, II, pp. 371, seq.) Je compte revenir au Sionisme figuriste et au millenarisme dans raton volume sur le XVII° siècle.

 

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Triste enfant de la nuit, qu'elle soit revêtue

De la clarté du jour !

Puisse la vérité qu'elle avait combattue,

Gagner tout son amour !

 

Brillant d'un vif eclat la colonne céleste

Portait aussi la nuit.

Ta loi n'offre à Juda qu'un nuage funeste

Et son flambeau nous luit

 

La strophe latine est intraduisible :

 

Noctem ferebat et diem

Columna nubis prævia :

Nobis mitans, ccecus sibi,

Legis facem fert Israël.

 

Israël, nobis mitans, cæcus sibi, n'est-ce pas beau?

 

Honteusement chassé du séjour de ton père,

Malheureux Israël,

Tu vas mourir de soif près d'une eau salutaire,

Comme un autre Ismaël.

 

Jésus, enveloppé dans la sainte Écriture,

Au Juif découvre-toi :

Imprime dans son coeur non point la lettre obscure,

Mais l'esprit de la loi.

 

Ou bien et cent fois mieux :

 

Sacris latens in paginis,

O Christe ! Judæ luceas !

Non littera, sed spiritu

Inscribe legem pectori.

 

Mais pourquoi n'ai je pas cité d'abord l'hymne de Matines ?

 

Mutatus auri cur color optima ?

Hebræa proles, primas amor Dei...

 

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Qui n'aimera ce Primus amor Dei?

 

Horroris erras victima publici..

Agnosce patrum vota furentium...

 

Il y a une Prose, bien entendu :

 

Quis abyssos Dei scientiæ

Inaccessas mortalibus

Demetiri; quis sapientiæ

Thesauros ausit sensibus.

Abditos recludere?

 

Amor tus alternis vicibus

Plebs Judeae, plebs Gentium.

Omnimodis a te muneribus

Cumulatur...

 

Abramidis; Deus,  flebilibus

Adesto; flecle rigidos...

 

Errabundus, nec certis sedibus...

 

et une Préface, d'ailleurs si longue qu'elle briserait les poumons d'un géant, mais qui n'en est pas moins de toute splendeur :

 

Deus Abraham, Deus Isaac, Deus Jacob, qui zelatus es Sion zelo magno, et indignatione magna zelatus es eam. Quoties voluisti congregare filios ejus...

 

En janvier 1771, l'archevêque de Paris, Christophe de Beaumont, permit à la paroisse de Saint-Roch de célébrer par un Office propre « le Triomphe de la Foi » (Dimanche dans l'Octave des Rois.)

 

L'objet de cette fête n'est point de célébrer quelque triomphe récent, quelque victoire nouvelle remportée par l'Église. Il serait à désirer sans doute que son zèle et ses voeux obtinssent pour les âmes plongées dans l'erreur un retour à la foi qui ferait leur bonheur et sa gloire. Elle célébrerait un si beau triomphe sans

 

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vanité, mais avec joie. Celui dont elle s'occupe aujourd'hui en est un, moins éclatant peut-être, mais plus frappant.

 

C'est la victoire de la Foi à travers les âges, depuis dix-huit cents ans. « Des âmes pieuses » ont désiré l'institution de cette fête.

 

Alarmées des dangers qui menacent, non l'Église, puisqu'elle est inébranlable sur ses fondements, mais les membres qui la composent, elles ont souhaité que cette solennité fût pour nous une occasion de leur rappeler, tant dans nos instructions, que dans la composition de l'Office même, que c'est la foi qui seule fixe l'esprit de l'homme, règle son cœur, triomphe, depuis la création du monde, de la vanité des opinions humaines...

C'est dans cet esprit qu'est composé tout l'Office. Chanter la gloire de l'Église..., prévenir les fidèles contre les dogmes pernicieux qu'on affecte de répandre, et prier pour la conversion des malheureux que

 

l'incrédulité contemporaine a séduits (1).

Une pareille initiative me paraît extrêmement remarquable. Les liturges contemporains, Dom Festugière entre autres, ont fort bien dégagé la valeur apologétique de la liturgie : exposition religieuse, poétique et rayonnante des dogmes chrétiens. On veut même, et avec raison, qu'elle figure parmi les « lieux théologiques ». Voici mieux, néanmoins, je veux dire un Office, proprement et directement

apologétique, présenté comme tel, et, qui plus est, expliqué d'avance aux fidèles dans un Epitome analytique : bref, une réponse liturgique aux attaques des « Philosophes ». 1772, le moment est bien choisi. Office malheureusement incomplet : messe, vêpres et complies seulement, à quoi l'on ajoute des prières du même style pour la procession triomphale, et chose assez nouvelle, pour « le Salut (2) ».

Introït - Diminutæ sum veritates... Vana locuti sunt... Exsurgat Deus.

Collecte... Ne quis decipiat nos per philosophiam...

 

(1) Office du Triomphe de la foi... Paris, 1775, Avis, passim.

(2) Pour les matines, et pour les petites heures, on récite l'Office du jour.

 

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Longue épitre : celle de saint Jude. Et, en effet : Nubes sine aqua... despumantes suas confusiones... Prose :

 

Vincit errorem Fides,

Triumphet Ecclesia!

Impie, quam non vides

Respice, lux prævia

Ex alto dimittitur.

 

On s'est contenté de traduire en prose.

 

Il n'est point de Dieu, disent les impies; tout est soumis au caprice d'un sort aveugle. Ils s'endorment dans cette confiance ; la mort vient, les surprend et rompt le charme de leur délire. Solvitque delirium

Plongés dans l'erreur d'un songe, faites leur grâce, ô mon Dieu, source de la vraie lumière. Parce somniantibus...

L'impiété ose attaquer l'immortalité de l'âme..., elle nie le libre arbitre... Philosophes, laissez-vous vaincre... Abandonnez vos dogmes; ils sont funestes aux nations. Ces systèmes ennemis des rois, abjurez-les. Rendez la paix à vos coeurs :

 

Inimica gentibus,

Abnuite dogmata;

Inimica regibus

Linquite systemata.

Vobis pacem reddite

 

Hymne de Vêpres :

 

Quid triste, clamant, quid patimur jugum?

 

Soyons libres enfin; ne connaissons plus ni de dieux ni de maîtres.

 

A Complies :

 

Scriptis, ludibriis acriter, impie

Oppugnate fidem : vos radiis premet.

 

Il faut bien essayer de leur ouvrir les yeux; mais jamais ce Triomphe ne tourne à la haine. On a déjà lu ces belles paroles de l'avis préliminaire. Victorieuse des « Philosophes »,

 

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l'Eglise « célébrerait un si beau triomphe sans vanité », sans fracas. L'Epitome rappelle aussi que la charité doit présider à cette fête :

 

O chrétiens ! ils sont nos frères, membres d'un même corps. Supportons cette partie de nous-mêmes. En nous préservant de la contagion, faisons nos efforts pour lui rendre la vie. Enfants de la Foi, ramenons à leur mère ces fils rebelles.

 

Ce trait de nos anciennes moeurs chrétiennes est aujourd'hui si peu connu, même des érudits, que je ne m'excuse pas de m'y être arrêté un peu longuement. Aussi bien n'ai-je pu explorer qu'à la hâte cette littérature oubliée. (1).

 

(1) Dans notre volume sur la Vie chrétienne, j'ai déjà mentionné, à la fin du chapitre sur la Dévotion au baptême, un « projet d'Office pour l'anniversaire du saint baptême avec vigile et octave..., le tout tiré de l'Ecriture sainte et de la Tradition. Un volume plus gros que nos bréviaires. L'Étude approfondie des « Offices propres » qui furent composés pendant les XVII° et XVIII° siècles, nous mènerait loin. Ainsi les splendides Offices, si profondément bérulliens, de Saint-Sulpice : Vie intérieure de Jésus-Christ; Sacerdoce de Jésus-Christ; Vie intérieure de Marie. Cf. la très intéressante brochure de M. Levesque : Anciens offices propres de Saint-Sulpice, Limoges (Dumont) 1922. Vienne le jour où la joie de réciter ces Offices sera offerte à tout le clergé de France! Multa renascentur...

 

 

 

 

 

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