CHAPITRE IV
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CHAPITRE IV : LES MOULES LITURGIQUES. - I° LES LITANIES

 

   

I. La litanie et la prière. - Développement de la prière litanistique. - Végétation litanistique de l'ancien régime.

II. La formule nouvelle : Madariaga et Jacques de Jésus. – « Litanies des saints anges mentionnés dans l'Ecriture ». - Les « Litanies tirées de l'Ecriture Sainte », 1673. - Caractéristique ; excellence et succès de ce recueil. - Litanies du « Père éternel ». - Les saints Anges. - Fénelon et la prière litanistique. - Edme Calabre - Les désordres de la Régence et les litanies du P. Maugras. - Gourdan et les litanies du Sacré-Coeur. - Ferveur litanistique du siècle « gallican et janséniste ».

 

EXCURSUS

§ 1. - Les litanies de la Providence.

§ 2. - L'Anglicanisme et les Litanies.

§ 3. - Psychologie et critique de la prière litanistique.

 

 

I. - « Les litanies réalisent une forme très populaire de prière liturgique... Leur nom même indique qu'elles viennent de l'Orient, où elles apparaissent vers la fin du ive siècle. D'après la voyageuse Etherie, à Jérusalem, chaque jour, à la fin du « lucernaire », un diacre faisait diverses commémorations, après chacune desquelles un groupe d'enfants répondait : Kyrie eleison... On trouve, au début de la liturgie des Constitutions apostoliques, cinq séries de prières analogues : pour les catéchumènes, les énergumènes, les « illuminés » , les pénitents et les fidèles. Ayant invité successivement à la prière chacun de ces groupes, un diacre formule une série d'intentions, et à chacun de ces énoncés le peuple et surtout les enfants répondent Kyrie eleison; puis chaque série se clôt par une prière de l'évêque » (1). Ainsi parlent les savants, mais on voit bien que seule ici les occupe la première organisation rituelle de cette forme de

 

1. Abbé H. Rabotin, Les textes liturgiques, Liturgia, p. 35o.

 

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prière. Car, pour l'histoire préliturgique de la prière litanistique, elle doit commencer au paradis terrestre. Le mouvement spontané de la prière est en effet tout litanistique (1) : de courtes supplications et que l'on sent le besoin de répéter à plusieurs reprises, précisément parce qu'elles sont courtes. Comptez les miserere mei, soit dans le Psautier, soit dans les Évangiles. La prière du Christ lui-même au jardin - eumdem sermonem dicens - n'est-elle pas une litanie? Forme d'ailleurs si connaturelle à la prière qu'elle reparaît, presque à l'état pur dans les oraisons jaculatoires des mystiques. « Il est très difficile, poursuivent les savants, de dire l'origine de nos litanies actuelles, dont le type apparaît vers zoo. Elles se composent : 1° du Kyrie et du Christe eleison, suivis du Christe audi nos; 2° d'une liste plus ou moins longue de noms de saints, avec la réponse : ora pro nobis; 3° du Propitius esto...; 4° d'une double série de formules, l'une énonçant des maux redoutés (ab omni malo), l'autre des motifs empruntés aux mystères du Christ (per crucem tuam), que suit la réponse : libera nos Domine (noter que Domine désigne le Christ); 5° une série de demandes fort proches des litanies anciennes, sous forme optative : ut pacem dones, avec la prière : te rogamus, audi nos (à rapprocher du chant des soldats de Licinius, le 1er mai 313). » A ces précisions si riches de poésie, succèdent des conjectures aussi passionnantes que litigieuses. Ce type de litanies, dérive-t-il, comme le veut Bishop, « d'un original grec, fruit de la dévotion privée de Syriens... réfugiés à Rome dans la seconde moitié du VIIe siècle », ou bien est-il né plus près de nous? Laissons-les se disputer : il nous suffit présentement qu'au plus tard, dès le début du IXe siècle, « ce

 

(1) Aux historiens comme aux philosophes, l'Académie permet les néologismes, pourvu qu'avant de les employer on les maudisse une fois pour toutes. Ici, l'équipe de Liturgia emploie litanique. J'avais déjà forgé litanistique; plus expressif, me semble-t-il, je ne le trouve pas beaucoup plus laid : il a, d'ailleurs, le mérite d'afficher son pédantisme avec moins de respect humain. Je m'y tiendrai donc, si on veut bien me le pardonner, dans les pages qui vont suivre.

 

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nouveau type de litanies » ait eu chez nous, gallicans, « le plus grand succès » et le plus durable (1).

L'emploi liturgique des litanies est donc à peu près fixé depuis très longtemps. Mais cette cristallisation officielle ne doit pas nous faire oublier la vie débordante qui bouillonne dans une forme de prière aussi intimement liée que celle-ci avec la religion elle-méme. La prière litanistique a dû contribuer très activement à la formation de cette langue nouvelle et nécessaire : le latin chrétien ou mystique. De très bonne heure, les aspirations pressées, haletantes, la simplicité populaire des litanies tendent à dénouer la période cicéronienne. Rome fera la part du feu. Gardienne inflexible du latin savant, dont la majesté lente convient si bien à ses propres moeurs, elle accueille peu à peu des rythmes nouveaux, tous plus ou moins apparentés au style litanistique. Les hymnes d'Ambroise n'ont cure de respecter l'arabesque si compliquée d'Horace. Le Gloria in excelsis, plus tard le Te Deum, et plus tard le Salve regina, autant de prières litanistiques. Le latin des Confessions appelle celui de saint Bernard, et il n'y a pas si loin des proses victorines aux litanies de Lorette. Je parle, bien entendu, à vue de pays, mais j'ai l'impression que, du moyen âge au siècle de Louis XIV, la ferveur litanistique va toujours croissant. La Contre-Réforme litanise, si j'ose encore dire, avec passion. Redoublement deux fois significatif, si l'on songe que c'est aussi le temps où l'oraison discursive se propage, dans les milieux dévots, avec une rapidité surprenante. La litanie cède si peu néanmoins au prestige du discours, la prière dite vocale à la prière dite mentale, que la végétation litanistique devient presque inquiétante. L'abbé Thiers, toujours grognon, et ritualiste dans les moelles, déplorera plus tard ce débordement. On s'est alors, écrit-il, « donné la liberté de faire des Litanies de nos Mystères, du Nom de Jésus, de la sainte Vierge, de quantité de saints et de saintes. Il y

 

(1) Liturgia, p. 35o-351.

 

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en a des livres entiers », dont le plus scandaleux serait, paraît-il, « le Thesaurus Litaniarum ac Orationum sacer du P. Thomas Sailli, jésuite, à Paris en 1599 (1), » - Aussi Rome dut-elle intervenir. Un décret de Clément VIII (septembre 16o1) : « 1° condamne la licence que les particuliers prennent de faire de nouvelles litanies, sous prétexte d'entre-tenir la dévotion des fidèles; 2° dit que quelques-unes de ces litanies contiennent des sentiments badins et impertinents, et que quelques autres en contiennent de dangereux; 3° défend sous de grandes peines de publier de nouvelles litanies sans l'approbation de la Congrégation des Rites; 4° déclare que sans cette approbation, on n'en saurait chanter publiquement de nouvelles sans péché; 5° défend de dire publiquement aucune des anciennes litanies (autres que celles des Saints et celles de la sainte Vierge) à moins qu'elles n'aient été approuvées par la même Congrégation (2). » Sages mesures, certes, mais qui, manifestement ne réprouvent pas une des formes les plus vénérables, et, si on peut dire, les plus inévitables de la prière. Le Pape entend bien aussi mettre une digue aux quelques extravagances qui s'étaient fatalement mêlées à un développement légitime, mais son objet principal est d'empêcher que la liturgie soit envahie, comme elle menaçait de l'être, par les formules,

 

(1) De la plus solide, la plus nécessaire, et souvent la plus négligée de toutes les dévotions, II, pp. 753-754. Ritualiste jusqu'au pharisaïsme et, d'ailleurs, fermé à toute espèce de poésie, Thiers critique, par le menu, un certain nombre de litanies. Celles de saint Augustin : « On l'y appelle par excellence Firmamentum Ecclesiæ », quoiqu'il y ait plusieurs autres saints docteurs... Vas divinæ scientiæ. Sol lucens in templo Dei, ce qui lui est commun avec plusieurs autres saints Pères». « Dans celles de saint François , on appelle ce saint, l'Enseigne ou le Cornette de Jésus-Christ... Vexillifer.., le Chevalier du Crucifix, Eques ciucifixi.., le prédicateur des sauvages, ou des villageois.., Silvestrium.., le cocher ou le chartier de notre milice, Auriga militiæ nostræ : qui sont des qualités extraordinaires. » Celles de saint François Xavier ne lui déplaisent pas moins ni le Regina sacratissimi Rosarii, ajouté par les Dominicains aux litanies de Lorette. Voyons, voyons ! Sacrati ne suffisait-il pas? Réservons le superlatif à l'Eucharistie. Quelle idée ont eue les carmes d'appeler Marie, Decor Carmeli Flos Carmeli, Patrona Carmelitarum?» Il n'y a rien de sûr que de s'attacher aux commandements de Dieu, dont l'observation nous conduit infailliblement à la vie éternelle. » (Ib. pp. 756-76o). On n'est pas plus sot.

(2) Thiers, op. cit., pp. 754-755.

 

 

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moins précautionnées et trop verbeuses, de la dévotion privée. Aussi constaterons-nous sans étonnement l'extrême ferveur litanistique du classicisme dévot. Le décret de Clément VIII gardera force de loi. Non moins rigoureuse en ces matières que Rome elle-même, la liturgie gallicane ne s'annexera aucune des litanies innombrables dont nous allons parler : toutes destinées, non pas à la prière officielle de l'Église, mais aux réflexions et aux effusions solitaires des fidèles. Aussi bien ces litanies diffèrent-elles assez profondément des anciennes. C'est bien toujours le même rythme, mais adapté aux tendances particulières de ce temps-là. ici, comme dans tous les autres chapitres du présent volume, nous avons affaire à une littérature aussi copieuse que monotone et que je ne me flatte pas d'avoir méticuleusement dépouillée. Je m'en tiens aux quelques ouvrages que je sais avoir été particulièrement goûtés, ou qui, pour une raison ou pour une autre, ont piqué mon attention.

 

II. - L'évolution me paraît s'annoncer dans un recueil publié à Paris en 1633: Litanies d'honneur et de louange du saint nom de Jésus, recueillies de toute l'Écriture sainte, avec les citations des lieux parle R. P.D. L. Madariaga, chartreux. Un Portuguais, j'imagine, mais assez Français pour nous puisqu'il est imprimé à Paris, et que, de plus, il parle latin. Sauf toutefois, un ou deux mots qui viennent de beaucoup plus loin : Jehosuagh Jehovagh, miserere nobis. Chaque jour de la semaine a sa litanie spéciale. Lundi : « litanie de la Génération divine du Sauveur »; mardi : « de la Génération humaine »; mercredi : « du Royaume et de la Principauté»; jeudi : « de la Providence Paternelle et des amoureux entre-tiens avec Notre-Seigneur »; vendredi, de la Passion; samedi, de la Résurrection; dimanche : « de l'Ascension et de la dernière venue de Notre-Seigneur. »

Ici paraissent déjà les traits les plus caractéristiques de nos litanies : elles emploient, autant que possible, les propres

 

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paroles de l'Écriture sainte; elles se déroulent autour de quelque mystère, biblique et doctrinal, tout ensemble. C'est ainsi qu'or trouvera une sorte d'encyclopédie angélique, si l'on peut dire, dans l'émouvante plaquette de Jacques de Jésus : Litanies des saints Anges mentionnées dans l'Écriture sainte, pour réciter à l'intention d'obtenir de Dieu la paix et la conserver par l'entremise de la Reine des Anges... Paris, 1655. Les approbations sont de 1652 (1).

Pour le dire en passant, la dévotion aux saints Anges était alors des plus florissantes. Combien je regrette de n'avoir 'pu lui consacrer une étude particulière ! D'autant plus que, de nos jours, on ne sait pourquoi, elle s'est quelque peu refroidie. Cette litanie qui a, sans doute, consolé beau-coup de Français pendant les guerres de ce temps-là, aurait-elle eu la même action bienfaisante sur la France de 1914 ? « On ne peut les improuver, écrit l'évêque de Condom, Jean Destrades, sans violer le respect qui est dû à l'autorité de l'Ancien et Nouveau Testament, d'où elles sont fidèlement extraites. Celui qui a pris le soin de les recueillir a heureusement rencontré tout ce que l'Écriture nous enseigne de remarquable, touchant les emplois charitables que Dieu donne à ses Anges pour les hommes. Comme il n'est per-sonne qui ne gémisse sous le fléau de la guerre, et qui ne soupire après la paix, qui est maintenant le grand objet de nos voeux, je crois que tous seront bien aises d'implorer pour ce sujet, par les litanies, la faveur de ces nobles Intelligences. » Six pages inquarto, et très serrées.

 

Saint-Ange, qui vous déclarâtes être du parti de Josué, le glaive nu à la main, priez pour nous...

Saint Ange, qui apparûtes aux enfants d'Israël, au lieu des Plorants, à la sortie de Galgalis...

 

(1) Se trouvent à la fin des Exercices de dévotion sur la vie de Notre-Seigneur..., Paris 1653. La 1ère édition est de 1644. Je ne sais rien de ce Jacques de Jésus qui signait aussi parfois Jacques de Sainte-Barbe, sinon que les contemporains l'estimaient grandement. Je n'ai pas rencontré les premières éditions séparées de ces litanies.

 

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Saint Ange, qui avez maudit les habitants de la terre de Meroz, pour n'être venus au secours du peuple de Dieu...

Comme dans les litanies de Madariaga, « les lieux » sont marqués :

Saints Anges de paix, qui pleurez les désordres de la guerre, priez pour nous. Isaïe, c.33.

Saints Anges, qui vîntes au secours des Machabées et qui parûtes à la tête de leurs troupes, en forme d'un cavalier en habit blanc, avec des armes d'or, menaçant d'une lance... 2 Mach. II.

 

Après l'Ancien Testament, l'Évangile, puis six longues évocations où est résumée l'Apocalypse :

 

Saints Anges, qui, du milieu du soleil, appelez à grande clameur les oiseaux qui volent parmi l'air, c'est-à-dire les saints contemplatifs, de qui la conversation est au ciel, qu'ils aient à venir au grand souper de Dieu...

Saints Anges, protecteurs des Potentats de la terre, et des Ministres de leurs États...

Saint Ange, protecteur de ce royaume (1).

Saint Ange, qui, à la fin du monde...

 

Cette revue, plus humaine encore que grandiose, des armées, et tout ensemble, des amitiés célestes, ne vous semble-t-elle pas d'un très noble goût et très religieux ?

Franchissant quelque vingt années, pendant lesquelles la production litanistique ne chôme point, mais où je ne trouve rien de tout à fait marquant (2), j'arrive à l'étape la

 

(1) Pourquoi ne l'appelle-t-il pas de son nom ? Peut-être parce qu'il a rappelé, dès le début, la victoire de saint Michel sur le dragon.

(2) En 1658, Amelote publie deux litanies de l'Enfance. Je ne saurais dire si elles sont de sa façon. Elles ont dû être composées - peut-être remaniées - sous l'inspiration de Marguerite de Beaune. (Cf. dans mon Ecole Française le chapitre sur la dévotion bérullienne à l'Enfance). Le métier, car c'est un métier que de faire une litanie, m'en parait assez médiocre. Certains effets de style ou de pensée : Infans imago Patris; Infans origo matris. Origo n'est pas bon. Infans donum Patris; munus matris. On ne voit pas d'abord grande différence entre donum et munus. Infans senex a puero, bien que théologiquement exact manque de grâce. La seconde litanie, centon biblique, n'a de remarquable que son titre : Litanies en l'honneur de N.-S. tirées de la Sainte Ecriture, pour demander son avènement en nous et son règne dans toutes les âmes. Thymiama odoris suavissimi super altare... aureum. Le Petit office du Saint Enfant Jésus, 2° édition, Paris, 1658, I, p. 35; II, p. 102. De ces deux litanies, il semble que la première ait eu le plus de succès. J'en trouve la traduction dans un livre de 1762, qui n'est peut-être que la réédition d'un livre de 1683 : Méditations sur la Passion par un solitaire. La traduction vaut le texte : Infans origo matris : Enfant, l'origine de la Mère (!) Infans senex a puero : Enfant, vieux dès votre enfance. (pp. 352, 353). Dans ce même recueil, de 1762 plusieurs litanies, parmi lesquelles les litanies de la Providence auxquelles nous consacrerons un excursus. Curieuse traduction mi-paraphrasée des litanies de Lorette : Vous qui êtes un vase consacré et rempli d’une rare piété. Vous qui êtes une rose mystérieuse, qui répand la bonne odeur de J.-C. Vous qui êtes comme une tour d'ivoire, dont la pureté est inviolable... » (p. 379-380). Je mentionne ce détail sans la moindre indignation. Dans la critique des formules dévotes, il ne faut pas se mettre uniquement, mais il faut toujours se mettre au point de vue que j'appellerais paroissial, ou missionnaire. A nous, mandarins, si j'ose dire, Turris eburnea suffit. Non à une fraction importante de la communauté paroissiale. Il me semble, pour le dire en passant, que dans telles études récentes - et magnifiques - sur la liturgie, on oublie parfois quelque peu cette belle parole qui est, je crois, dans l'Evangile ou qui, en tous cas, est évangélique au premier chef. Pauperes liturgisantur. Je pense notamment à Guardini, L'Esprit de la Liturgie, Paris, 1929. - Aussi bien ne saurait-il être ici question de mentionner une à une toutes les litanies qui furent alors composées; il y en eut des quantités, et par exemple celles de sainte Pélagie la pénitente, qui est attribuée à Rancé. Cf. Prières chrétiennes en forme de méditations (Quesnel), nouvelle édition, Paris, 1732, II. p. 471, seq. Nombreuses litanies du Saint-Sacrement, de la Passion (v. g. dans l'Exercice de la mort de la Mère de Blémur ; et encore dans les Méditations sur la Passion que nous venons de citer). - On complétait volontiers les Litanies liturgiques des Saints par la mention des saints locaux. Ainsi Bossuet à Mme d'Albert : « J'y ajouterais (aux prières qui devraient être faites pour les besoins particuliers à Jouarre) les litanies, en y joignant en particulier, avec les saints de l'Ordre (bénédictin) celui (le nom) des saints et des saintes dont les reliques reposent à Jouarre, et surtout des saintes abbesses et des saintes religieuses, et des saints évêques sous qui cette maison a fleuri, particulièrement saint Ebrigisille... sans oublier saint Faron », Correspondance de Bossuet, IV, 237.

 

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plus importante dans l'évolution qui nous occupe, c'est-à-dire aux Litanies tirées de l'Écriture sainte, publiées pour la première fois en 1673, « par l'ordre de Monseigneur l'évêque et comte de Chalons », Vialart, et depuis très souvent rééditées (1). La préface, qui est de Vialart, accuse nettement les deux caractères que nous avons dits : biblique, didactique. D'ailleurs fort belle.

 

(1) Litanies tirées de l'Ecriture sainte qui contiennent en substance toute la doctrine chrétienne. Je cite d'après l'édition de 1722 « revue, corrigée et augmentée de nouvelles litanies de saint Joseph ». Curieuse addition, si l'on songe que le recueil original ne renferme aucune litanie de Marie (peut-être pour ne pas toucher au privilège des litanies de Lorette). La bibliographie, et l'étude critique des remaniements successifs qu'a dû subir ce recueil seraient peut-être intéressantes. Il n'est pas impossible que tel des remaniements ait eu pour objet de jauséniser quelque peu ces litanies. a Seigneur qui... daignez honorer la condition des hommes jusqu'à, donner à chacun d'eux (en faveur de ceux à qui l'héritage du salut est destiné) un ange pour le garder et le secourir » (p. 339).

 

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Puisque, selon la maxime des saints Pères, les prières que l'Eglise met dans la bouche des fidèles doivent être la règle de leur foi, et que, selon saint Augustin, l'instruction que nous devons davantage désirer est celle que nous recevons de l'Esprit de Dieu, en cette école si admirable et si éloignée des sens où il est lui-même le Maître et nos coeurs sont ses disciples; il est sans doute qu'il n'y a point de manière d'instruire plus utile et plus accommodée à cette communication intérieure et divine... que celle de la prière. En instruisant les fidèles de cette sorte, on parle à leur coeur, et l'on engage aussi leur coeur à parler à Dieu, et à recevoir de lui-même dans le plus intérieur de leur âme les enseignements qu'on leur donne au dehors.

 

Didactisme donc et catéchétique, mais en fonction, si j'ose dire, du didactisme intérieur et céleste.

 

Mais il est certain qu'entre toutes les manières de prier, il n'y en a point de plus animée que celle des Litanies,

 

 

Ah ! comme ils nous dépassent! Jusqu'ici, essayant de montrer l'excellence de la prière litanistique, ai-je rien trouvé d'aussi lumineux que ce simple mot : la « plus animée » des prières ?

 

ni, par conséquent, de plus propre à échauffer le coeur et à le remplir des sentiments de piété, principalement quand elles sont toutes tirées, comme celle-ci, de la parole de Dieu... Il faut donc... qu'un coeur soit étrangement dur et rebelle, s'il n'est pénétré par des prières aussi vives et aussi touchantes que sont celles qui sont composées des propres termes de l'Ecriture sainte et qui contiennent les vérités de la foi, comme Dieu lui-même a voulu nous enseigner.

 

Quoi qu'en aient dit certains écrivains, passionnés et confus, Vialart n'était pas janséniste. Simplement ami de Port-Royal, ce qui n'est pas un péché; aussi devons-nous lui savoir gré, à lui si grave, de ne pas identifier la dévotion à l'ennui.

 

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La diversité des vérités qu'on y rencontre, doit empêcher de... trouver (ces litanies) ennuyeuses : et la distinction qu'on y a mise doit empêcher de les trouver longues. Chaque verset est une élévation et une prière courte et fervente, pendant laquelle on ne doit pas avoir le temps d'être distrait.

 

Ce « on ne doit pas » est exquis.

 

Il est certain que cette variété de prières est extrêmement propre à entretenir et à renouveler l'attention et la ferveur, à l'augmenter quand on n'en a pas encore assez, et à fournir les pensées et les sentiments dont il faut que notre âme soit occupée en communiquant avec Dieu. C'est pourquoi, désirant de tout notre coeur de voir croître la piété véritable et solide dans les fidèles de notre diocèse, et n'y jugeant rien de plus propre que des prières qui les instruisent en les élevant à Dieu, nous les exhortons à bien profiter de ce recueil dont nous leur avons procuré l'impression.

 

Le bel évêque ! Un précieux détail qu'il ajoute en finissant nous apprendrait, si nous ne le savions déjà, à quel point ces nouvelles formules de prières répondent à l'instinct catholique de l'âge moderne.

 

Au reste, on doit au saint prêtre Horstius (le Rhénan Jacques Merlo, mort en 1644)... la première pensée de ce recueil. Elle a été conçue en lisant de semblables litanies dans un petit livre qu'il a nommé : le Paradis de l'âme ,

 

un des maîtres livres de la dévotion moderne (1).

 

mais parce qu'on a vu en voulant traduire les litanies de cet auteur, qu'elles n'étaient que comme une ébauche et comme un essai, selon qu'il le dit lui-même, on a cru en devoir faire d'autres sur les siennes, en y mettant beaucoup plus de versets, et tâchant de les disposer avec plus d'exactitude et plus d'ordre (2).

 

(1) Traduit par le bon Fontaine, un de nos messieurs, en 1685. « Cette traduction, écrit Chaudon, est suspecte à quelques personnes, mais l'original jouit de l'estime générale à cause de l'onction et du grand goût de piété qui y est répandu. Il serait à souhaiter que ceux qui blâment la version de Port Royal, voulussent bien en entreprendre une meilleure. » (Dictionnaire historique des auteurs ecclésiastiques.)

(2) Litanies, pp. 6-12. passim.

 

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Oeuvre toute catholique, mais aussi toute française ; à mon avis, un des monuments les plus remarquables de notre classicisme dévot. Onze groupes de litanies, pour ne pas compter celles de saint Joseph, addition postérieure : La Sainte Trinité ; le Père Éternel ; le Verbe incarné; le Saint-Esprit; le Saint-Sacrement; les Saints; le Baptême; la Pénitence ; les Vertus des Saints de l'Ancien et du Nouveau Testament; les Saints Anges; recours à Dieu dans les maladies et les autres afflictions. Pour les litanies de la Vie de Jésus-Christ, et pour celles de la Vierge, on se promettait d'en faire un volume à part, mais qui, je crois, n'a jamais paru.

 

Seigneur qui n'avez point de semblable, et qui nous faites connaître qu'il n'y a point d'autre Dieu que vous...

Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob (1)...

 

Celles du Père Éternel sont d'une rare beauté :

 

Père de la grande famille du Ciel...

Père céleste, qui avez une bonté infinie pour agir vers nous...

Père céleste, de qui descend toute grâce excellente...

Père de Jésus-Christ, qui nous avez élus en lui, avant la création du monde, par un pur effet de votre bonté...

Père éternel, qui avez parlé en diverses manières aux anciens fidèles par vos prophètes, mais qui nous parlez par votre Fils.

Père éternel, qui donnez à chacun de nous, par votre Esprit d'adoration et d'amour, la hardiesse de vous crier mon Père, mon Père (2)...

 

On dira que ces augustes centons ne peuvent être que fulgurants. Sans doute, mais ni le choix, ni l'agencement, ni l'ordre, ni le style lui-même ne sont du premier venu.

 

Seigneur, qui tendez les bras tout le jour à des incrédules et à des rebelles...

 

(1) Litanies, pp. 1-2.

(2) Ib., pp. 21, seq.

 

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Homme céleste et intérieur, qui devez habitez dans nos coeurs par une foi qui soit animée de votre amour...

Seigneur, qui nous avez ordonné d'apprendre de vous, comme une doctrine capitale, que vous êtes doux et humble de coeur (1) ...

 

Mais comment choisir ?

 

Jésus, auteur de tous nos bons mouvements, qui mîtes dans le cœur de Zachée de vous recevoir dans sa maison avec confiance et avec joie, et dans le coeur du Centurion de n'oser vous recevoir en la sienne, par un sentiment sincère de respect et d'humilité, ayez pitié de moi.

Afin que, toutes les fois que j'ai le bonheur de vous recevoir, j'ai toujours également au fond de mon coeur ces deux dispositions d'amour et de crainte, de refus et de confiance (2).

 

On ne dira pas que les pierres d'une telle mosaïque sont rassemblées au hasard. En voici d'ailleurs, plus loin, une sorte de doublet.

 

Saint Paul... priez pour moi.

Afin qu'avant de m'approcher de ces mystères terribles, je m'éprouve et je m'examine, selon l'avertissement que vous m'en donnez.

Saint Jean... qui, dansla dernière Cène, par la hardiesse que vous donna votre amour vers ce divin Maître, et par la confiance que vous eûtes en l'amour qu'il avait pour vous, ne craignîtes point de vous reposer sur son sein..., priez pour moi.

Afin que je sois plutôt attiré par l'amour vers le Sauveur résidant en ce Sacrement, que je n'en sois éloigné par la terreur. (3)

 

Ces litanies au Saint-Sacrement me paraissent la perfection même. Remarquez cette invocation :

 

Saint Thomas, qui par votre excellente doctrine et par votre esprit angélique, avez singulièrement augmenté dans l'Église la vénération et le culte du Très Saint-Sacrement...

 

(1) Litanies, pp. 56-59,

(2) Ib., p. 135-136.

(3) Ib., pp. 157, 158.

 

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Sainte Julienne, que N.-S. J.-C. à suscitée pour rendre plus solennelle l'adoration de l'Eucharistie (1)..

 

L'histoire de l'Église aussi bien que le dogme, ce catéchisme lyrique donne encore plus que ne promettait le titre : Litanies... qui contiennent en substance toute la doctrine chrétienne. Nous y retrouvons les Litanies des Saints Anges, naturellement tissées des mêmes textes que celles de 1652, mais plus riches de théologie, plus sublimes et de pensée et de style.

 

Anges saints, qui avez représenté la majesté de Dieu même, et qui avez parlé en son nom aux Patriarches et aux Prophètes...

Anges saints, que les anciens fidèles ont écoutés comme si Dieu leur avait lui-même parlé...

Ange du Seigneur, descendu du ciel pour être le premier prédicateur de sa résurrection glorieuse...

Anges saints, que l'élévation et la gloire de votre état n'empêche pas de prendre soin même des entants...

Saints Moissonneurs du champ de l'ÉEglise, qui séparerez à la fin du monde les mauvais grains du bon grain...

V/. Armées du Seigneur, bénissez-le toutes

R/. Vous qui êtes ses ministres et exécutez ses volontés...

V/. C'est lui qui commande à ses Anges

R/. De te garder en toutes tes voies

V/. Les Anges du Seigneur campent à l'entour de ceux qui le craignent.

R/. Afin de les délivrer et de les mettre en sûreté.

V/. Mon Dieu, je vous chanterai des hymnes en présence de vos Anges.

R/. Je vous adorerai dans votre Temple saint et je bénirai votre nom (2).

 

Que l'on songe au chemin parcouru depuis les premiers Kyrie eleison. Se dégage d'elle-même la loi qui préside à la vie des formules religieuses, et qui tour à tour rapproche ces formules de la liturgie, et les en éloigne. Au début les mouvements spontanés et les bégaiements de la prière

 

 

(1) Ib., pp. 164-167.

(2) Litanies, pp. 325-339.

 

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personnelle : ces litanies, « prières de dévotion », usitées par les Syriens de langue grecque, ou par des moines carolingiens, et que peu à peu la prière liturgique fait siennes. Le rythme fondamental ne changera plus. Puis, de nouvelles variations de la prière privée, finissant par imposer à la liturgie officielle, les enluminures du lyrisme médiéval. Avec la Contre-Réforme, cette végétation litanistique, par trop luxuriante, que nous avons dite et que la dévotion privée cherche en vain à intégrer dans la liturgie officielle; celle-ci, instinctivement fidèle aux exigences de sa nature se refusant à l'assimilation. Le développement litanistique ne fléchira pas pour cela : nous venons de voir au contraire, la vie intérieure du catholicisme moderne plier cette ancienne forme; toujours la même, à tous ses besoins : progrès, d'autant plus libre qu'il est maintenu par la force des choses, dans la zone de la dévotion privée. Si toutefois leur plenitude doctrinale, affective et poétique ne permet plus à ces litanies de prétendre aux honneurs sévères de la prière publique et publiquement chantée, elles n'en restent pas moins, de par leur rythme, en relations étroites avec celle-ci : ce ne sont ni des méditations, ni des élévations proprement, dites, mais des prières semi ou quasi liturgiques, prolongement et orchestration des grandes litanies officielles.

Trop sérieusement et, j'allais dire, trop catholiquement et trop intelligemment mystique, pour mépriser la prière dite vocale, Fénelon doit aussi être mentionné parmi les témoins de cette même évolution. « Il y a dans son Manuel de Piété, écrit un fénelonien de marque, l'abbé Delplanque, des Litanies d'un caractère à part. » Non, dites plutôt d'un caractère pleinement conforme à une tradition déjà établie. « Toutes les raisons de croire et d'aimer servent comme de considérants aux invocations. Ainsi : « Jésus, voie qui nous mène à la vérité; vérité qui nous promet la vie; vie dont nous vivrons à jamais dans le sein du Père, ayez pitié de nous ». - « Jésus, qui guérissiez toutes les langueurs du corps, pour préparer la guérison des plaies de notre âme,

 

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ayez pitié de nous ». Les Prières du soir sont faites de même. Ici les Litanies sont celles de la Sainte Vierge. Toute l'histoire de la Sainte Vierge est résumée dāns ces invocations. Toutes nos raisons d'estimer et d'aimer la Sainte Vierge... sont exposées tour à tour, en une phrase nette, en un admirable raccourci, dans chacune de ces invocations. Ainsi : « Marie, qu'un prophète admirait de loin, mettant au monde le Fils du Très-Haut, priez pour nous »... « Marie, dont les yeux virent Jésus mourant sur la croix, et dont le coeur fut percé par le glaive que Siméon avait prédit, priez pour

nous (1) ».

Un oratorien qui ne nous a laissé que peu de pages, mais toutes saintes, le P. Edme Calabre (1665-171o), a composé d'admirables Litanies de Jésus-Christ pour les pécheurs et les pénitents, tirées de l'Écriture Sainte.

 

Jésus-Christ, qui, par tant de paraboles, avez marqué le désir que vous aviez de la conversion du pécheur, la joie qu'elle vous donnait...

Donnez-nous de sentir au fond du coeur, jusqu'à la fin de nos jours, combien il est malheureux de vous avoir offensé, Jésus-Christ, nous vous en conjurons par l'amertume du péché que vous avez porté dans votre âme, tous les jours de votre chair...

Élevez-nous aux choses du ciel autant que nous avons été appesantis vers la terre, Jésus-Christ, nous vous en conjurons par votre Ascension glorieuse.

Fils de l'homme, ayez compassion de nous.

Fils de Dieu, exaucez-nous (2).

 

On sait que la littérature la plus profane s'est annexé le tremblement de terre de Lisbonne. Cette même catastrophe, ainsi que la peste de Marseille, ont inspiré à un Doctrinaire,

 

(1) A. Delplanque, La pensée de Fénelon, Paris, 1930, p. 216.

(2) Homélie ou paraphrase du psaume L..., composée par feu le R. P. Edme Calabre, nouvelle édition, Paris, 1748 (la 1ère est de 1723), pp. 227-244. - les litanies se trouvaient reproduites, sans le nom de l'auteur, dans les Exercices du Pénitent, Paris, 1748 (1° édition 1727; plusieurs réimpressions. Mais l'attribution à Calabre me paraît probable. Dans ce même recueil, Entretiens (d'un goût plus mêlé) avec J.-C. dans le Saint-Sacrement, en forme de litanies.

 

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aussi pieux que lettré, le P. Maugras (+ 1756), avec une Ode sur l'endurcissement des hommes insensibles aux plus grandes marques de la colère de Dieu, deux petits volumes fort curieux d'Instructions chrétiennes sur les afflictions, où se trouvent des Litanies tirées de l'Écriture Sainte pour demander à Dieu la grâce d'éviter les trois causes de nos malheurs, l'injustice, la débauche, et l'impiété. La première édition, il y en eut d'autres, est de 1721. Soit une critique des moeurs contemporaines - la Régence - tirée des propres paroles de l'Écriture. Après cela, on ne sait pas de quel côté le genre litanistique pourrait tourner ses conquêtes. L'évolution est achevée.

Avec les jansénistes - et je n'ai pas encore compris qu'on pût leur en faire un crime, - pour mieux dire, avec tout le classicisme dévot et avec l'Église éternelle, Maugras estime que

 

les meilleures prières.., sont celles qui sont tirées de l'Éeriture Sainte; parce que la prière n'est jamais plus parfaite ni plus utile que quand le Saint-Esprit, appelé par le prophète un esprit de prières, nous met lui-même en la bouche les expressions dont nous nous servons pour parler à Dieu (1).

 

Puisons donc « dans cette source divine, des prières proportionnées à des besoins » qui ne furent jamais si pressants. « Jamais les hommes n'ayant moins aimé leur prochain : ils n'ont jamais été plus injustes. »

Pour nous abstenir de l'injustice !

 

Seigneur, qui par votre Prophète, vous plaigniez de Jérusalem, dont les murailles étaient nuit et jour environnées d'iniquité, ayez pitié de nous...

Vous qui inspirâtes à Bescleel et à Ooliab la fidélité nécessaire pour ne se rien approprier dans la construction du tabernacle, ayez pitié de nous.

Afin que ceux qui vivent de leur travail s'abstiennent de toute injustice, et de toute fraude dans les matières qu'ils emploient, et dans les paiements qu'ils exigent.

 

(1) Maugras, op. cit., I, pp. 97-98.

 

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Vous qui donnâtes à Lydie la piété et la bonne foi dans la marchandise, ayez pitié de nous.

Afin que ceux qui vivent de leur commerce évitent avec soin ce que vous avez en horreur : deux sortes de poids et mesures (1)…

 

Pour ne pas tomber dans l'impiété

 

Vous qui, dans le jour des vengeances, accablerez d'une con-fusion terrible les impies qui ne croient point l'immortalité de leur âme, ayez pitié de nous,

Afin que toute hauteur qui s'élève contre votre science soit détruite, et tout raisonnement humain confondu...

Vous qui submergeâtes Pharaon au milieu des eaux pour avoir osé dire : Je ne connais pas le Seigneur, ayez pitié de nous.

Afin que ceux qui nient votre existence et votre providence vous connaissent, vous obéissent et redoutent vos jugements.

Vous, pour le nom duquel les fidèles d'Ephèse, nouvellement convertis, brûlèrent en présence de tout le monde pour cinquante mille deniers de livres impies, ayez pitié de nous.

Afin que, quelque chers et quelque agréables que puissent être les mauvais livres, ou tout autre instrument de péché, ceux qui veulent retourner à vous aient le courage de les sacrifier (2).

 

Ce parallélisme perpétuel entre le passé biblique et les réalités les plus concrètes du présent - la bibliophilie incrédule ou libertine, par exemple - devait émouvoir la société, chrétienne encore, de ce temps-là. Suivent des prières, un peu longues, mais d'un beau style :

 

Nous avons cherché dans la créature, et contre votre volonté, une félicité que nous ne croyions pas trouver en vous et que nous ne pouvions trouver en nous-mêmes. Il n'y en a pas une à qui nous n'ayons fait violence pour la détourner du service qu'elle vous rendait, et pour l'engager, malgré son instinct le plus naturel, à contribuer, en quelque chose à nos crimes; mais il n'y en a pas une qui ne vous ait été fidèle, qui ne nous ait abandonné, et qui maintenant ne prenne les armes pour vous venger et nous punir. Le soleil semble ne luire que pour allumer des pestes... L'air n'entre dans nos poumons que pour les corrompre.

 

(1) Mangras, op. cit., p. 1o4-105.

(2) Ib., p. 112-114.

 

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Inondations, tremblements de terre, incendies.

 

Votre Prophète nous apprend que vous nous avez tous écrits en vos mains ; sans doute par la pointe des clous et par votre sang. Lisez donc, o Dieu de bonté, lisez cette Ecriture favorable. Voyez vos plaies et nous guérissez; voyez votre sang et nous sauvez (1).

 

Je finirai cette revue par un petit livre aussi intéressant pour l'histoire de la dévotion au Sacré Coeur que pour l'histoire des Litanies : Le Coeur chrétien formé sur le Coeur de Jésus-Christ selon les maximes de l'Écriture et des saints Pères, en forme de litanies et d'oraisons latines et françaises pour chaque jour de la semaine par l'auteur du Sacrifice perpétuel - Paris 1732. C'est notre vénérable ami, le P. Simon Gourdan, que nous avons déjà rencontré dans le chapitre sur les hymnographes gallicans. On est d'abord surpris de ne pas trouver dans ce petit livre la moindre allusion aux révélations de sainte Marguerite-Marie, dont il est impossible qu'à cette date le P. Gourdan n'ait pas entendu parler. C'est manifestement que la dévotion de Paray-le-Monial, telle qu'il la comprenait, ne lui présentait à l'esprit rien de nouveau. Il ne la distinguait pas de celle qu'avait propagée le P. Eudes, disciple lui-même de l'École française Coeur synonyme d'intérieur (2). Il faut, écrit Gourdan,

 

 

adorer le Coeur ou l'Intérieur de Jésus; c'est-à-dire l'union de son esprit et de son coeur avec la Divinité et le commerce éternel qu'il entretenait avec elle, et s'y lier par imitation; cette vie

 

(1) Maugras, op. cit., pp. 136-141. Maugras ne m'intéresse particulièrement ici que par cette contribution originale à la littérature litanistique. Mais la suite de ses Instructions chrétiennes sur les afflictions mériterait une étude. Ainsi les Pensées chrétiennes pour tous les jours du mois sur le bon usage des afflictions (de la pauvreté dans les meubles... ; du gain modique; du défaut d'ouvrage; du salaire retenu; des pratiques enlevées; de la cherté des vivres; des enfants rebelles; des antipathies; des mauvaises manières; des intentions mal interprétées...) : Non moins curieux ni bienfaisants ses Exercices... pour pratiquer la patience dans toutes les occasions. Je ne suis pas sûr qu'on ait fait mieux depuis.

(2) Je me suis expliqué longuement sur ces deux dévotions, dans mon volume sur l'Ecole française; distinction dont de plus compétents que moi ont depuis reconnu la justesse et que s'est appropriée, entre autres, un des maîtres du sujet, le R. P. Ramon.

 

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divine et cette retraite du Coeur de Jésus en Dieu son Père était si profonde, si intime, si inaltérable que, soit qu'il demeurât caché ou parût en public, soit qu'il se tînt en silence on répandît ses paroles de grâce, soit qu'il agît, soit qu'il souffrît, rien n'a jamais pu interrompre le langage de son coeur, ni les applications de son âme toute sainte. Il faut à proportion qu'un coeur véritablement chrétien porte en soi Jésus-Christ profondément gravé, en quelque occupation qu'il se trouve... Le Coeur de Jésus doit être son premier mobile dans tous ses mouvements (1).

 

Tout l'intérieur du Christ, tous ses mouvements, surtout « ses devoirs infinis et perpétuels d'adoration, de louanges... et d'holocaustes de soi-même (2) ». Au lieu que la dévotion de Paray a pour objet l'amour de Jésus pour nous symbolisé dans son coeur de chair.

 

Quelque mystère... que l'Eglise célèbre, un adorateur du Coeur de Jésus ne se contente pas d'honorer les circonstances du mystère, de se rendre fidèle à tous les devoirs et à toutes les pratiques de piété qu'il inspire ; il pénètre plus avant..., il sonde avec religion les dispositions du Coeur de Jésus et s'y unit de tout son coeur.., se rend avec lui un même esprit, un même coeur, et une même victime.

 

C'est là, comme on le voit, tout le bérullisme; c'est notamment la distinction essentielle que j'ai marquée maintes fois, entre l'imitation du Christ et l'adhésion à la vie intérieur du Christ.

 

S'il faut prier, c'est dans le Coeur de Jésus qu'il prie et qu'il offre à Dieu ces gémissements ineffables que l'Esprit saint forme dans les coeurs ouverts à celui de Jésus... Quelque action qu'il fasse..., c'est au Coeur de Jésus qu'il s'offre et qu'il s'unit, afin qu'il reçoive dans son propre coeur, comme une cire molle ses divines impressions; qu'il ne vive pas, mais Jésus en lui; qu'il suive tous ses sentiments, qu'il s'attache à tous ses mouvements d'une liaison très intime, et qu'il demeure en lui comme dans un tabernacle vivant (3).

 

 

(1) Le Cœur chrétien, pp. 13-14.

(2) Ib., p. 19.

(3) Ib., p. 21-24. Le R. P. Ramon ne mentionne pas cet ouvrage. Des, écrits de Gourdan sur le Sacré-Coeur, il semble ne connaître que la lettre de 1711 au cardinal de Noailles. Aussi bien, de 111 à 1722, la pensée de Gourdan n'a-t-elle pas varié. « Simon Gourdan, écrit le R. P. Ramon, ne comprend pas la dévotion au Sacré-Coeurs omme la comprend la bienheureuse Marguerite-Marie ». Histoire de la dévotion au Sacré-Cœur, III, Paris, 1928, p. 4o9. Dans la revue Regnabit (juin 1825), M. Buron cite de longs extraits du Cœur chrétien, mais d'après une réédition plus complète que celle que je cite moi-même. Détail curieux la belle gravure qui se trouve dans le Coeur chrétien paraît s'inspirer davantage de la dévotion parodienne.

 

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Tout le bérullisme, encore une fois, et toute la métaphysique des saints.

Tant s'en faut néanmoins que les litanies de Gourdan s'adaptent, comme je l'avais espéré d'abord et comme il aurait fallu, à ce bel exposé dogmatique. Ni à l'ancienne, ni à la nouvelle mode, ce ne sont là de vraies litanies, mais une pauvre contrefaçon maussade, piétinante et inanimée. Il n'y a là de mouvement ni doctoral ni lyriqne. Armé d'une concordance, il s'est imposé le tour de force puéril de clouer, vaille que vaille, le mot Cor dans chacune des invocations : il y en a plus de cinq cents! martyrisant pour cela et le latin de la Vulgate et les lèvres de ses lecteurs. Essayez plutôt de prononcer à voix haute les grincements que voici :

 

Jesu, contra quem cor malum induratur tanquam lapis et stringitltr quasi malleatoris incus.

 

Il a trouvé moyen de rendre plus pesante la carapace du Leviathan. (Job 41, 15.) Son français n'est pas plus liquide :

 

Jésus, contre qui le coeur mauvais s'endurcit comme une pierre et se roidit comme une enclume...

 

Ou encore, « Jésus, par la seule grâce duquel... (1)» Béni soit le décret de Clément VIII qui nous a épargné la torture de chanter dans nos églises Jesu urens cor (2) et autres cacophonies non moins cruelles. Par exemple :

 

Jesu detestans cujus car concupiscentia subvertit.

 

(1) Le Cœur chrétien, pp. 159-161.

(2) Ib., p. 81. Renvoi au psaume 25 : « Ure renes mens et cor meum

 

2o3

 

Jésus qui détestez celui dont les passions criminelles ont perverti le coeur (1).

 

Pas plus de goût que de musique. Il ne pouvait naturellement pas oublier le texte d'Osée : Ecce ego lactabo eam et ducam eam in solitudinem, et loquar ad cor ejus. Un enfant lui aurait dit que, dans une invocation litanistique les quatre premiers mots offusqueraient la beauté de ceux qui suivent ; qu'ils devaient tomber. Pas du tout. Non seulement il les garde, mais encore il les pétrifie :

 

Jesu, sponsam lactans et ducens in solitudinern et loquens ad cor ejus (2).

Par où l'on voit que la litanie est un art, comme, d'ail-leurs, tout ce qui touche à la liturgie. La piété la plus vive n'y suffit pas. Gourdan, qui a composé ces litanies pour son usage, montait peut-être au septième ciel, rien qu'à prononcer Jesu urens cor, on contra quem cor, mais à beaucoup de fidèles, ces atroces consonnes, du coup, fermeraient le ciel. Par où l'on appréciera d'avantage l'humble mérite des autres prières que nous avons rencontrées plus haut. Elles ne caressent pas toujours l'oreille, mais elles évitent de la déchirer. Gourdan est mort. en 1729. Après cette date, et jusqu'à la Révolution française, il ne parait pas que la dévotion litanistique diminue chez nous. Maison ne me demande pas de pousser plus loin mes recherches (3). C'est affaire aux érudits. Et voici qu'achevant ce chapitre, me tombent par hasard sous les yeux deux lignes qui me dictent ma péroraison. Elles sont d'un vrai savant que j'admire fort et que, pour cette raison, je n'ai pas le courage de nommer. « Le siècle gallican et janséniste, écrit-il, a méconnu le moyen âge...

 

(1) Le coeur chrétien, 172.

(2) Ib., p. 172.

(3) Dans un recueil de l'abbé Briquet - Élévation et prières à la Sainte Vierge, Paris, 1727, plusieurs litanies : Voici la plus curieuse : Litanies du Saint-Esprit par rapport à Marie son Epouse bien-aimée.

 

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Le discours et la période déclassent la litanie (1). » Quand donc renoncerons-nous à ce cliché ridicule et malfaisant. Ce maudit grand siècle est aussi le siècle de François de Sales, de Bérulle, d'une foule de mystiques, de Bossuet et de Fénelon. Mais enfin, serait-il gallican jusqu'au schisme et plus délibérément janséniste que Jansénius, on ne peut vraiment pas lui reprocher d'avoir méprisé « la litanie ». J'avoue d'ailleurs que si l'ignorance où ils sont de ce siècle me déconcerte, leur modération m'étonne encore d'avantage. Puisqu'ils y sont, que n'affirment-ils donc pas avec une même assurance que l'Ancien régime tout gallican, tout janséniste et, j'allais l'oublier, tout quiétiste, faisait gras le vendredi saint et ne manquait pas une messe noire.

 

(1) De quel moyen âge parle-t-on? Ou bien prenez-vous saint Bernard, que le xvne siècle a beaucoup aimé, et que peut-être il pratiquait plus que nous, pour un contemporain ou d'Auguste ou de Louis XIV? Mais laissant de côté la ferveur proprement litanistique de l'Ancien Régime, il n'est pas vrai du tout que la littérature dévote de ce temps-là n'ait connu que le style périodique. Les grandes oeuvres apologétiques, catéchétiques, ou morales, oui, peut-être - et j'ai assez montré, par exemple, à maintes reprises, le balzacisme des écrivains d'avant la majorité de Louis XIV, Yves de Paris, par exemple. Mais dans les oeuvres qui s'ouvrent d'elles-mêmes au lyrisme - les passages proprement dévots des sermons, par exemple, les méditations, etc., - le style litanistique reprend ses droits. Ainsi déjà chez le P. Hercule, balzacien pourtant (Cf. Métaphysique des saints, I). Sans chercher si loin, le savant et charmant ami que je suis en train de pourfendre n'aurait-il rencontré que des périodes cicéronienncs dans les Sermons de Bossuet, les Elévations, etc., ou dans les écrits métaphysiques de Fénelon? J'ai déjà dit qu'on semble toujours oublier que le XVII° siècle catholique - même dans l'ordre littéraire - dépend de saint Bernard autant que de Balzac. A plus forte raison de saint Augustin. J'attends aussi qu'on me montre que, dans la partie la plus essentielle de la liturgie romaine, « le discours et la période » ne « déclassent » pas « la litanie ». Rien de plus anti-romain  (littérairement) que cette façon de défendre Rome en démolissant le grand siècle. Tous leurs coups tombent dru sur la moindre Bulle, ce qui va sans dire, mais encore sur les collectes du Missel et du Bréviaire romain.

 

204

 

EXCURSUS

 

§ 1. - Les litanies de la Providence.

 

On sait que J.-J. Rousseau les admirait fort.

Deux textes de Bernardin : a) La vie et les ouvrages de Rousseau, éd. Souriau, pp. 1o6-1o8. » Arrivés. Conduits à la chapelle. Litanies de la Providence. – « Providence, qui avez soin des empires, des voyageurs. » - Il me dit : « ... Ces litanies de la Providence sont belles. » b) Etudes de la Nature, 2e édit., 1786, III, pp. 5o7-5o8, en note : « Nous arrivàmes chez eux (Mont-Valérien) un peu avant qu'ils se missent à table, et pendant qu'ils étaient à l'église. J.-J. Rousseau me proposa d'y entrer et de faire notre prière. Les hermites récitaient alors les litanies de la Providence, qui sont très belles. Après que nous eumes prié Dieu... et que les hermites se furent acheminés à leur réfectoire, Jean-Jacques me dit avec attendrissement : « Quand plusieurs d'entre vous seront rassemblés en mon nom, je me trouverai au milieu d'eux. Il y a ici un sentiment. de paix et, de bonheur qui pénètre l'âme ». Je lui répondis : « Si Fénelon vivait, vous seriez catholique. » - Il me répondit hors de lui et les larmes aux yeux : « Oh ! si Fénelon vivait, je chercherais à être son laquais, pour mériter d'être son valet de chambre. » Cf. André Monglond, Vies Préromantiques, p. 67, note 1 et 2.

Chose plus curieuse, Sylvain Maréchal aussi, du moins s'il en faut croire Grégoire. « Sylvain Maréchal, auteur d'un volume de poésie contre l'existence de Dieu et d'une brochure anonyme intitulée : Culte et loi d'une société d'hommes sans Dieu... Par une contradiction étrange, il allait à Notre-Dame dans le temps des offices : il a même fait un commentaire sur les Litanies de la Providence » (Histoire des sectes religieuses, Paris, 1828, I, p. 24.) En lisant ces litanies de la Providence dans la Journée du Chrétien de Lamennais, l'idée m'était venue qu'une au moins des invocations - et non pas la moins belle - avait été ajoutée

 

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assez récemment au texte original. La voici : « Providence de Dieu, conduite par le Coeur de Jésus-Christ, ayez pitié de nous. » Or j'ai trouvé - tant il est vrai que la critique interne est par-fois maîtresse d'erreur ! - cette même invocation dans un texte de ces litanies - qui est, au plus tard de 1762. Réédité pour la huitième fois en 1762, l'ouvrage où j'ai rencontré ce texte, à savoir : Méditations sur la Passion de Notre-Seigneur pour tous les jours du mois par un solitaire, a été publié pour la première fois en 1693 (Le solitaire s'appelait Antoine Montagnon). Il est d'ailleurs possible que les litanies de la Providence ne figurent pas dans cette première édition, que je n'ai pu lire. On voudrait être sûr que ce beau texte est du xvue siècle et que le remarquable verset : « conduite par le Coeur de Jésus » est du même temps. Le texte de Montagnon (1762) et celui de Lamennais sont identiques. Deux changements, dont l'un n'est peut-être qu'une faute d'impression 1762. Providence de Dieu, consolation de l'âme pèlerine ; Lamennais : Consommation de l'âme pèlerine. 1762 : Trésor inépuisable de tous biens; Lamennais : de tous les biens.

L'oraison est la même dans les deux textes. Une seule correction, et amusante : 1762. Accordez-nous.., la grâce que nous nous abandonnions si absolument à tous les ressorts de cette mdme Providence... que nous puissions arriver... Lamennais, très délibérément sans doute, a remplacé ressorts par desseins. Scrupule littéraire? Je ne crois pas, mais il veut qu'aucune difficulté de langue ou de sens n'arrête les fidèles qui se servaient de son recueil.- La Journée du Chrétien par M. l'Abbé F. de Lamennais se trouve encore en vente aujourd'hui à la librairie Téqui (fonds Sagnier et Bray) : c'est l'édition de 1852.

 

§ 2. - L'Anglicanisme et les Litanies.

 

On sait la place très importante que tiennent les Litanies dans la liturgie anglicane. « The oldest thing in our Prayer Book. » Plus ancienne même que le Book of Common Prayer.

 

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La première Letanie a été composée en 1544 par Cranmer. Cf. une foule de détails -curieux et charmants dans : The Litany : a Sermon preached in Trinity college Chapel... by H. F. Stewart, University Press, Cambridge, 1931. Ce sermon nous apprend que nombre d'anglicans d'aujourd'hui auraient moins de goût pour cette forme de prière : ils diraient même que « it tends to keep men away from Chapel ». « The Litany as a whole, estime au contraire M. Stewart, is so precious, so comforting... Chat I rejoice to restore it to its place », c'est-à-dire « in our Sunday devotions before the Eueharist... They help to unite us to Him and to our brethren..., in one Holy Communion. » Et il ajoute ces paroles, extrêmement remarquables sur la nécessité d'une préparation à la communion. (Cf. dans La Vie chrétienne, le chapitre sur la communion fréquente) : « Something of the kind is, I feel, much wanted now. The very frequency of Communion, which is, thanks be to God, a feature of our present religions life, tends to obscure the duty of thougtful preparation for that great gift. It is not easy to imagine a better preparation than the Litany. » (P. 8.)

L'usage des litanies de dévotion, plus ou moins semblables à celles que nous venons d'étudier, était également fort répandu chez les anglicans d'autrefois. Jeremy Taylor a composé plusieurs litanies, et fort belles. Voir aussi les Dévotions, toutes litanistiques, de l'évêque Andrews. Newman les admirait fort et les a rendues populaires en les traduisant (du grec) et en en disposant avec un art infini l'ordonnance typographique. C'était même, avant sa conversion, un de ses livres préférés : The Devotions of Bishop Andrewes translated from the greek and arranged anew. Oxford, 1841 (traduction qui avait paru d'abord dans les Tracts for the Times). Après sa conversion, Newman est resté fidèle à cette forme de prière. Voir des litanies de lui dans ses Méditations aux Dévotions (trad. franç. par Mlle A. Peraté, Gabalda).

 

§ 3. - Psychologie et critique de la prière litanistique.

 

Sur ce beau sujet que je n'ai pu qu'effleurer, on trouvera des vues intéressantes dans le grand ouvrage de M. Robert Will :

 

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Le culte : étude d'histoire et de philosophie religieuse, surtout dans le tome II, Strasbourg, 1929, pp. 383, seq. Voir aussi l'index.

« Zimendorf, qui avait un sens liturgique plus aiguisé que le piétisme, a introduit la litanie dans la communauté des Frères Moraves. M. Otto voudrait reconquérir à la litanie une place dans le culte protestant. Nous nous associons à son voeu. Elle nous semble être une forme potentielle de la prière. Elle en augmente l'intensité, en la soutenant sur un plan élevé et en conduisant même, degré par degré, plus haut, les puissances affectives de la foi. La régularité de ses répons apaise l'esprit, d'autre part leur brièveté, on dirait volontiers leur entrain agressif, exalte les désirs de l'âme profonde. « Quelle vie, quelle action réciproque, quel mouvement et quelle impétuosité, dit Lohe, le liturgiste luthérien...; quiconque a appris à prier renoncera au préjugé moderne contre la litanie. »

 

 

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