CHAPITRE I
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LA VIE CHRÉTIENNE SOUS L'ANCIEN RÉGIME

 

CHAPITRE PREMIER LA DÉVOTION AU BAPTÊME

 

I. En quel sens on peut parler d'une « dévotion au baptême - La dévotion au baptême, l'École Française et la Métaphysique des Saints. - François de Saint-Pé.

II. La « consécration » baptismale. - Hugues Quarré. - « Un nouvel être et une nouvelle vie. » - Le pneuma et la psyché.

III. La promesse du baptême, voeu d'adhérence : Consentio tibi, Christe. - Résistances de l'école ascéticiste. - Réponses de Saint-Pé. - Les deux sortes d'adhérence ou d'union. - « Animer son baptême. »

IV. L'ascèse mystique impliquée dans la dévotion au baptême. - Adhérer ou imiter. - Doctrine d'anéantissement. - Duguet et le Portrait d'un chrétien enseveli en Jésus-Christ.

V. Figures et symboles. - Ferebatur super aquas. - Le déluge et le passage de la mer rouge. - Bossuet et la poésie de l'ancienne liturgie baptismale.

VI. Simplicité du « baptême essentiel ». - La critique des exorcismes. - Duguet et la défense des exorcismes. - Si, après le « baptême essentiel », le démon n'est plus dans le coeur, il reste fortifié aux alentours. - La partie de l'esprit non soumise à l'Esprit. - Le démon et ses droits sur l'imagination; « le pays du mensonge est le sien. » - Les exorcismes sauvés.

VII. Pratiques de la dévotion au baptême. - Le chrémeau et les petits « habits du baptême ». - L'anniversaire du baptême. - La « pâque annotine ». - Edme Calabre et les Fonts baptismaux. - Lazare Bocquillot et Fénelon. - Agonie de la dévotion au baptême.

 

EXCURSUS : LES LITANIES ET L'OFFICE DU BAPTEME

 

 

I. - J'ai longtemps résisté, mais on avouera bientôt que je n'ai pas eu tort de céder à la séduction de cette alliance de mots, peut-être nouvelle : la dévotion au baptême. Qu'elle se rencontre ou non dans l'abondante littérature « baptismale » du XVIIe siècle, elle caractérise parfaitement cette littérature et, de ce chef, elle s'impose à l'historien. C'est bien là une dévotion et au sens propre du mot. L'abbé Thiers, d'inquiète et d'agressive mémoire, a écrit deux volumes, sur « la plus solide, la plus nécessaire et souvent la plus négligée de toutes les dévotions » (17o1). Il veut dire l'observation du Décalogue ou, en un mot, l'amour de Dieu. Formule fâcheuse, me semble-t-il, car l'amour de Dieu, âme et fin suprême de toutes les dévotions, ne peut être appelé une dévotion. L'usage le veut ainsi, quand on ne le prend pas au sens abstrait, on réserve ce mot à de certaines pratiques religieuses qui ne sont pas commandées à tous comme nécessaires au salut et que les fidèles acceptent librement au gré de leur attrait ou de leur grâce propre : dévotion à saint Joseph, aux saints anges; dévotion des premiers vendredis du mois. Aimer Dieu n'est pas une de ces pratiques; assister le dimanche à la messe, pas davantage. Les dévotions ont leur histoire qui ne se confond pas avec l'histoire même de l'Église. On peut fixer la date plus ou moins tardive de leur naissance, tracer la courbe de leur développement, démêler les mouvements de ferveur qui ont facilité leur progrès, les variations par où elles passent, parfois aussi l'indifférence croissante qui peu à peu les submerge. La dévotion de l'Église primitive au baptême n'est pas tout à fait celle du XVIIe siècle, et celle-ci, comment ne pas reconnaître que, depuis longtemps, elle est morte? Dieu fasse qu'elle revive ! Aussi bien son apparition n'est-elle pas un phénomène isolé, spontané et qui trouve en lui-même sa raison suffisante, comme sera par exemple la dévotion du XIXe siècle à Notre-Dame de Lourdes. Elle dépend étroitement, j'allais dire elle est fonction de la mystique renaissance que nous connaissons déjà, et plus particulièrement du mouvement spirituel dont nous avons dégagé les directions doctrinales dans nos deux derniers volumes. Comme la dévotion à l'Enfance, et à l'Intérieur de Jésus, elle ne fait que traduire, sur le plan de la pratique, les principes de l'École française et de la Métaphysique des Saints. D'où

 

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vient que, parmi les spirituels de cette époque, il s'en trouve que la dévotion du baptême intéresse peu. Aucune hostilité formelle ; comment imaginer rien de pareil chez un croyant ? Pour telles pratiques, par exemple pour le renouvellement des voeux du baptême, ils sont naturellement tous d'accord. D'un côté comme de l'autre, on parle souvent du baptême, comme il va de soi, mais l'accent n'est pas le même, chez les uns et chez les autres. Il y aurait à ce sujet, de curieuses comparaisons à faire. Spéciale encore, en ce sens qu'elle aura plus de peine que d'autres à devenir vraiment populaire, car elle est pétrie de sublime, si j'ose m'exprimer ainsi, nourrie des spéculations les plus hautes, et grosse de résolutions héroïques : bref, réservée, non pas, ce qu'à Dieu ne plaise, aux savants ou aux contemplatifs, mais à l'élite pieuse, au pusillus grex, et inaccessible aux médiocres. Ainsi faite, qu'elle ait réussi pendant plus d'un siècle à nourrir des âmes sans nombre, rien peut-être ne montre mieux la splendeur religieuse de cet âge unique : gigantes autem erant super terram...

Pour la substance doctrinale et pour la symbolique essentielle, rien de nouveau. Tout a été dit une fois pour toutes par saint Paul et répété indéfiniment par les Pères. Presque rien de nouveau, non plus, dans la manière de présenter aux simples ces inconcevables merveilles ; tout est déjà dans l'ancienne liturgie du baptême, chef-d'oeuvre de pédagogie surnaturelle et de poésie qu'on ne se lasse pas d'admirer.

Mais ce catéchisme étonnant - la théologie paulinienne du baptême, dramatisée par les rites liturgiques - n'était plus guère qu'une lettre morte, au commencement de l'âge moderne. Le réanimer, le réaliser par une méditation ardente des sources antiques, le prêcher sans cesse, le rendre de nouveau familier au peuple chrétien, fonder sur ces principes oubliés tout le travail de la perfection, bref, organiser et répandre la dévotion au baptême, c'est ce qu'a voulu, une noble équipe de spirituels, fils de Bérulle, pour la plu-

 

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part, et parmi lesquels se distingue le P. François de Saint-Pé, religieux d'une vertu éminente et de l'orthodoxie la plus sûre. Non qu'ils obéissent à un mot d'ordre. Nous avons déjà dit que la logique du bérullisme commandait en quelque sorte cette propagande. Non pas davantage, je n'ose dire qu'ils fassent claquer leur fouet, mais qu'ils arborent avec fracas la bannière d'une école. Ils se désolent au contraire de l'apparence d'originalité qu'on peut leur trouver. Leur étonnement, leur stupeur est d'avoir à tant insister sur des vérités élémentaires. Ne croyez pas que ce soit ici « une imagination d'une nouvelle piété, écrit le P. Hugues Quarré; c'est le fondement du Christianisme; c'est le fond et le principe de l'état de grâce (1). »

 

Vous m'enseignez là d'admirables vérités, se fait dire le P. de Saint-Pé, et je m'étonne qu'on n'en instruise pas les chrétiens.

 

Et il répond :

 

Vous voyez que saint Paul en instruisait ceux de son temps (2).

 

Ainsi à chaque page du Dialogue sur le Baptême :

 

Timandre. Il me semble qu'on devrait parler plus souvent de ces choses... Je vous proteste que vous me ravissez ; mais pourquoi ne prêche-t-on point une doctrine si utile et si salutaire?

Paul. On la prêche quelquefois, mais, à la vérité, on la prêche trop peu, car la plupart des chrétiens l'ignorent entièrement...

Timandre. Je ne saurais assez admirer la grandeur du christianisme... Je n'avais jamais ouï dire ces paroles que je trouve ravissantes (3).

 

II. - Si traditionnelles qu'elles soient, ils ont leur manière à eux, leur grande manière, d'exprimer et d'orchestrer ces vérités fondamentales. « Par le baptême, écrit le P. Quarré,

 

(1) Trésor spirituel..., 7° édition, Paris 166o, p. 25.

(2) Le Nouvel Adam, Paris, 1667, p. 168.

(3) Dialogue sur le Baptême ou la Vie de Jésus communiquée aux chrétiens dans ce Sacrement..., Paris, 1675, pp. 8, 71, 192, 133.

 

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l'homme est approprié à Dieu et consacré par la Très Sainte Trinité (1). » « Consécration » revient souvent sous leur plume. « Il n'y a que trop de chrétiens, dit le P. Quesnel... qui n'ont peut-être jamais ouï dire que le Baptême soit une consécration, et que leur corps et leur âme sont vraiment consacrés à Dieu par ce sacrement (2). » Ou, si l'on use de ce mot, on ne lui donne pas son plein sens biblique. Par ce sacrement, continue Quarré,

 

la Très Sainte Trinité, nous donnant un nouvel être et une nouvelle naissance, en même temps elle nous sanctifie et nous consacre par une onction du tout extraordinaire et divine, et par cette consécration elle nous tire de nous-mêmes... pour nous dédier et référer du tout à son honneur et à sa gloire, et pour nous appeler à une société sainte, que nous devons avoir avec les personnes divines... ; et afin que, par cette société, nous soyons rendus dignes et capables de porter les effets de la grâce et des divines communications, d'être avec Dieu et d'être possédés de Dieu.

 

 

Consécration d'abord passive : c'est Dieu qui, par le baptême se consacre le catéchumène ou l'enfant, qui se le sépare et se le dédie.

 

Ce qui rend cette faveur singulière et plus admirable, c'est que la Très Sainte Trinité daigne elle-même s'appliquer à cet ouvrage, et elle l'accomplit d'une manière du tout particulière. Car elle-même nous sanctifie et nous consacre..., le Père nous donnant son Fils, et le Fils comme s'incarnant, souffrant et ressuscitant pour nous, et le Saint-Esprit comme opérant en nous la justification.

 

 

Toutes les créatures, et l'homme avec elles sont essentiellement « référées à Dieu ». Le chrétien n'est pas seulement référé, mais consacré. « Comme si vous disiez qu'il est

 

(1) Trésor spirituel, p. 1.

(2) Les trois consécrations ou exercices de piété pour se renouveler dans l'esprit : 1° du Baptême; 2° de la Profession religieuse ; 3° du Sacerdoce. - Livre souvent réimprimé. Je le cite d'après l'édition de Louvain, 1725. La ire approbation doctorale est de 1693.

 

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plus à Dieu et plus saintement que tout le reste des créatures. » ; référé à Dieu « comme Père, comme Fils et comme Saint-Esprit », et devenu, par cette consécration même « le temple, le trône, et le séjour de l'ineffable, immense et adorable Trinité (1). » « Nous portons tous par le baptême, écrit de son côté le P. Noulleau les formelles et véritables impressions des trois personnes divines, par l'intime présence desquelles » nous sommes « précisément et principalement sanctifiés et consacrés à Dieu (2) ».

« Il ne se peut rien penser de plus haut (3) ». Ne rejetez pas néanmoins

 

ce que je vous propose comme une chose nouvelle ou trop élevée...; goûtez et savourez à loisir cette vérité chrétienne; pesez tous ces mots... Donnez vous de la patience... Car il importe à votre bien que, si vous ne le pouvez comprendre, du moins vous l'admiriez. Et, parce que ce sont des vérités, vous le devez croire; et, par la foi, vous entrerez en l'estime de votre état, et vous confesserez qu'il est si divin et éminent que vous ne le comprenez pas. Mais dites hardiment que celui qui est tout-puissant veut faire de grandes choses en vous (4).

 

De toutes les grâces que nous recevons en ce mystère, celle que nos bérulliens s'attachent le plus, sinon à comprendre, du moins à réaliser,

 

c'est la grâce de filiation qui nous fait enfants de Dieu par adoption... Par cette grâce, les chrétiens ont un nouvel être et une nouvelle vie, qui va honorant et imitant la vie nouvelle de Jésus en son humanité sainte, et en est émanée comme de sa source et de son principe. Car, comme le Verbe s'unit à notre nature au mystère de l'Incarnation..., aussi le même Jésus s'unit à nous, (au baptême), non personnellement (non hypostatiquement veut-il dire),

 

si intimement toutefois, si réellement que nous sommes incorporés

 

(1) Trésor spirituel, pp. 7-11.

(2) J. B. Noulleau. L'idée du vrai chrétien, Paris, 1664, II, pp. 38, 39.

(3) Dialogue sur le baptême, p. 47.

(4) Trésor spirituel, p. 15.

 

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à son corps mystique. C'est là « proprement la grâce du christianisme et l'effet primitif du baptême (1) ».

 

Il ne faut pas vous imaginer que cette adoption divine soit semblable à celle qui se fait quelquefois entre les hommes. Quand un homme adopte un enfant pour le faire hériter de ses biens, il ne lui peut donner une nouvelle naissance, un nouvel être, ni une nouvelle vie.

 

Filiation juridique, ou fictive qui prend l'adopté et le laisse tel que l'avait fait sa filiation naturelle; adoption morale, si l'on peut dire, et non pas métaphysique.

 

Mais quand nous sommes adoptés pour enfants de Dieu dans le baptême, Dieu nous engendre de nouveau. En sorte que nous prenons une nouvelle naissance, nous recevons un nouvel être, nous commençons une nouvelle vie; nous avons un nouveau Père et une nouvelle Mère, dans le sein de laquelle nous sommes régénérés... (1) Nous entrons dans une nouvelle famille et nous avons une nouvelle race et une nouvelle extraction, qui est sainte, céleste et divine. Et ensuite de cela nous avons aussi un esprit nouveau, une nourriture nouvelle et un nouvel héritage (2).

 

C'est « l'homme nouveau » de saint Paul : nouveauté mystérieuse, certes, mais qu'ils tâchent de réaliser avec une sorte de passion. C'est que, pour eux, il y va de tout, je veux dire, de toute la spiritualité et bérullienne et paulinienne (3), laquelle s'écroule, n'est plus qu'éloquence vaine ou subtilité, si le baptisé n'est pas, au sens le plus plein du mot, une créature nouvelle, essentiellement différente du non baptisé.

 

L'homme nouveau, écrit un profond théologien d'aujourd'hui,

 

(1) Trésor spirituel, p.18.

(2) Dialogue..., pp. 17, 18. « La nouvelle Mère..., c'est l'Eglise... et son sein proprement sont les Fonts du Baptême, selon le langage de l'Eglise même » ; et il cite la splendide oraison « pour la bénédiction des Fonts », (pp. 120, 121).

(3) « Le Baptême... est... l'acte d'initiation à la vie chrétienne, par notre union au Christ mort et ressuscité. Par là, le baptême est la clef de voûte de toute la spiritualité de saint Paul. » J. Duperray, le Christ dans la vie chrétienne d'après saint Paul, Paris 1928. p. 1o5.

 

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est le fruit d'opérations divines que l'apôtre définit, selon les cas, par les verbes créer, ressusciter, réengendrer et adopter, avec Dieu comme sujet (1). En relation plus directe avec les deux derniers de ces verbes, l'homme nouveau reçoit de saint Paul les noms associés de fils ou enfant de Dieu et de frère de Jésus-Christ.

Sous ce terme d'homme nouveau, que découvrons-nous? Deux réalités : premièrement, celle du Christ vivant en nous, et celle de l'Esprit-Saint, qui nous est donné, habite en nous et devient le moteur de nos actes...

L'homme nouveau n'est-il rien d'autre en nous qu'une psychologie nouvelle?... La force des verbes rappelés plus haut et le réalisme général du langage de saint Paul ne nous inclinent guère à le penser. L'homme nouveau... représente sûrement pour l'apôtre quelque chose de plus stable, de plus substantiel (2).

 

Nos maîtres savent bien, et les résistances qu'on leur oppose leur rappelleraient au besoin, qu'il est plus que difficile de concevoir une aussi réelle, une aussi profonde et totale transformation - ou recréation. Sans aller jusqu'à se révolter, avec le bon Nicodème, contre un miracle physiologique, on s'arrête instinctivement à l'idée d'une profusion de secours divins que nous assurerait la grâce du baptême et

qui rendrait plus facile le travail ascétique de la perfection; ce ne serait là qu'une nouveauté « psychologique », comme parle excellemment le P. Lemonnyer, et non pas métaphysique. Mais saint Paul veut beaucoup plus.

 

Considérons de plus près cette vérité, car elle paraîtra difficile ou nouvelle à ceux qui ne connaissent pas l'excellence du Christianisme... et qui ne savent pas les mystères de leur salut... Quand on parle de la vie et des actions d'un chrétien, pour comprendre leur perfection, il faut se ressouvenir que le Fils de Dieu est venu au monde pour nous communiquer, non seulement sa grâce (actuelle), mais encore pour demeurer en nous; non pour nous justifier seulement (en nous faisant mourir au péché)..., mais pour être en nous... principe d'une nouvelle

 

(1) Je crois qu'il faut ajouter à cette liste : consacrer.

(2) R. P. Lemonnyer, o. p., Théologie du Nouveau Testament, Paris, 1928, pp. 115, 116.

 

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vie et d'un nouvel esprit... Par l'état et par la grâce de filiation et adoption divine, étant justifiés, nous vivons de la vie et de l'esprit de Dieu, qui est fait notre vie et notre esprit; vie et esprit qui... nous régit, nous vivifie, et est le principe de nos actions... La vie du chrétien est une vie par-dessus toutes les vies, et une essence par-dessus toutes les essences (1).

 

Un être métaphysiquement, ou essentiellement nouveau, animé d'une vie essentiellement nouvelle. Substitution réelle du pneuma à la psyché. Le pneuma, l'esprit, écrit le R. P. Lagrange, est acquis à l'homme par le baptême « comme

un élément propre, permanent... l'homme est devenu spirituel, pneumatikos. Il y a... entre les facultés humaines (psychiques) et l'Esprit de Dieu ce moyen terme - créature

nouvelle - qui est l'esprit participé et que la théologie catholique nomme la grâce » sanctifiante (2). D'où il suit que « l'action chrétienne », comme dit Quarré, est aussi « un moyen terme » entre les actions « psychiques » même les plus parfaites et l'action divine proprement dite.

 

Comme l'être et l'excellence du chrétien consiste en ce qu'il est membre de Jésus-Christ, aussi la perfection des actions chrétiennes (leur nature même) doit être en ce qu'elles sont opérées par  Jésus-Christ, vivant et opérant en nous, comme en ses membres. On voit bien que je ne veux pas dire seulement que nous devons imiter le Fils de Dieu... Car nos actions ne doivent pas seulement être bonnes et raisonnables,

 

mais, « animées » de la vie de notre Chef, « conduites par ses mouvements et réglées par ses intentions (3) ». A cette « essence » nouvelle, doit correspondre une activité nouvelle aussi et dont le propre est de s'unir ou d'adhérer à l'activité divine de celui qui vit et opère en nous. Acquiescement, union, adhésion ou adhérence, dont nous avons longuement parlé dans la Métaphysique des saints, mais où

 

(1) Trésor spirituel, pp. 31, 32.

(2) Cité par le P. Lemonnyer, op. cit., p. 120.

(3) Trésor spirituel, pp. 33, 34.

 

 

nous ramène présentement la grande promesse du baptême. Laissons encore parler François de Saint-Pé.

 

 

III. - Après avoir déclaré que l'on renonce au démon, à ses pompes et à ses oeuvres,

 

on fait profession d'adhérer à Jésus-Christ et de se donner à lui pour toujours. Sévère Alexandrin, décrivant le rituel de l'Eglise de Syrie, dit que le baptisé se tourne vers l'Orient, et dit par trois fois : Consentio tibi Christe. J'adhère à vous, ô Jésus (1).

 

Splendide formule qui explicite, en quelque sorte, ou qui

 

(1) Dialogue, pp. 247-248. Tous nos auteurs veulent que la promesse du baptême soit un « voeu ». Ils invoquent l'autorité de saint Thomas, de saint Augustin, « qui vaut seul tous les Pères » et qui « l'appelle notre plus grand voeu ». « C'est un voeu, continue Saint-Pé, non pas d'une religion particulière, mais de la grande Religion (ordre religieux) de Jésus-Christ, qui a pour cloître, l'Eglise; pour règle, l'Evangile; pour fondateur, un Dieu et pour habit, Jésus-Christ même. » (Ib. p. 249). Quesnel, l'éternel mosaïste que nous savons, s'approprie ces belles pensées, et, comme toujours, sans guillemets (Les Trois consécrations, p. 18). Bourdaloue n'aime pas cette façon de parler. « Ne négligez pas ce qui doit être la matière et l'obligation de l'amour le plus parfait, à cause des voeux de votre baptême ; disons des obligations de votre baptême et non pas des voeux de votre baptême. - Ah! ne faisons pas des voeux de nos obligations, etc... etc... ». Griselle. Les Sermons de Bourdaloue sur l'Amour de Dieu, Lille, 19or, p.5x. «Cette question des voeux du baptême, remarque Griselle (note t) revient assez fréquemment dans la prédication de Bourdaloue », de ces voeux qu'il ne veut pas qu'on appelle voeux. Pris en soi, ce problème me parait sans grand intérêt; question de mots, et sur laquelle le sensus communis des fidèles donne tort à Bourdaloue. Je crois que, sans le dire, il veut ici protester contre une tendance saint-cyranienne; il craint qu'on n'exalte ainsi la « Grande religion de J.-C. » que pour humilier les Ordres religieux proprement dits; ce qui n'est sûrement pas l'arrière pensée de St-Thomas, ni de Saint-Pé. Pour Quesnel, je ne saurais dire. Son livre des « trois consécrations » (baptême, sacerdoce; voeux religieux), ne donne pas cette impression. Mais plus je tâche d'éclaircir le mystère - et c'en est un, quoique prétende le naïf Gazier - du jansénisme, plus j'incline à croire que parmi les raisons séminales - non pas de l'hérésie janséniste proprement dite - mais de l'éternelle agitation jansénisante, le conflit entre séculiers et réguliers est une des plus virulentes. Au début, les microbes gallicans agissent moins que l'on ne croirait ; moins aussi les microbes du baïanisme. Ceux-ci ont infecté Jansénius lui-même beaucoup plus que Saint-Cyran et ce dernier est avant tout le vengeur du clergé séculier. D'où son prestige dans des mi-lieux que l'infiltration baïaniste n'a pas atteints, sur Camus, par exemple grand défenseur lui aussi des séculiers. J'appelle l'attention des érudits sur un livre d'Yves de Paris dont je ne soupçonnais pas l'importance, quand je composais mon Humanisme dévot. Les Heureux succès de la piété ou les triomphes de la vie religieuse sur le monde et sur l'hérésie, Paris, 1633. Extrêmement curieux et à lire, comme tous ces livres de combat, entre les lignes, ce livre a dû produire, sur les séculiers, à peu près le même effet que la plus fameuse et plus tapageuse Imago primi sæculi.

 

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précise le « je m'attache » français. Saint Jean Chrysostome veut qu'à chaque fois que l'on sort de la maison, on ait cette parole en la bouche : « Je renonce à toi, ô Satan, et je m'unis à vous, ô Jésus (1). »

Sur quoi, Saint-Pé, la sérénité même, croit devoir défendre, et non sans émotion, cette interprétation paulinienne et bérullienne des promesses baptismales, contre « un certain écrivain, qui met au nombre des dévotions hétéroclites,

celle de s'unir à Jésus-Christ dans ses actions ». Cette doctrine, s'écrie-t-il, et la pratique qui en découle,

 

non, je ne la quitterai jamais. L'autorité d'un si grand personnage (Chrysostome, qu'il vient de citer), mais, par-dessus cela l'autorité de mon baptême m'est sans comparaison plus considérable que le sentiment d'un particulier, qui fait voir par là qu'il ne connaît guère l'esprit de la religion chrétienne, et qu'il est du nombre de ceux dont parle S. Jude... quæcumque ignorant, blasphemant.

 

A qui en veut-il? Je ne sais. Ce ne peut être à un écrivain tout à fait négligeable. Mais peu nous importent les noms. L'intérêt ici pour nous est de constater une fois de plus, et sur un terrain aussi limité que celui des promesses du baptême, le vaste conflit que nous avons étudié dans la Métaphysique des Saints (2).

 

En vérité, continue Saint-Pé, il faut n'avoir jamais fait de réflexion sur les deux grandes qualités que nous recevons dans le baptême, à savoir celle d'esclaves de Jésus-Christ et de membres de son corps, pour croire que ce n'est pas une

 

(1) Il faudrait étudier, - mais ce n'est pas là mon affaire - l'évolution de ces diverses formules; bien naïf, du reste, qui reprocherait à Saint-Pé de tirer à lui la couverture, si l'on ose ainsi parler. Qu'il bérullise en l'explicitant ce magnifique consentio tibi Christe, on le voit bien. Saint Paul aurait-il reconnu dans ces livres du P. Saint-Pé, sa propre théologie du baptême ? Là est la question, qui manifestement n'est pas de ma compétence. Je dirai seulement que, dans l'exquis petit livre du P. Lemonnyer que j'ai cité plus haut, je n'ai pas trouvé un seul détail doctrinal que mon commerce avec les bérulliens ne m'eût déjà rendu familier.

(2) Je tiens à rappeler ici que Saint-Pé s'est toujours déclaré hautement contre le jansénisme, et au point détonner, sinon de scandaliser le jansénisant Batterel.

 

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pratique très sainte.., de faire toutes nos actions en honneur et union de celles de Jésus-Christ notre Seigneur et notre Chef adorable. Car quel est le bon esclave qui ne fait pas toutes ses actions pour son maître, et quine lui réfère pas tout son travail (1)? Et quel est le membre qui peut agir sans être uni à son corps et à son chef?

T. Mais qu'entendez-vous par cette union...?

P. II faut distinguer deux sortes d'union... L'une habituelle et virtuelle, qui est commune à tous les chrétiens qui sont unis à Jésus par le baptême, et qui, par conséquent, ne peuvent faire aucune bonne action qu'en lui et par lui. Mais il y a une autre union... qui est actuelle, et qui n'est que des âmes parfaites, ou qui travaillent sérieusement à la perfection. Car ces âmes, en vue de (se fondant sur) cette union habituelle et par le désir (de vivre) le plus qu'elles peuvent en Jésus-Christ et de perfectionner cette union, elles la réduisent en acte dans toutes leurs pensées, leurs paroles, leurs actions, leurs souffrances, leurs pas, leurs mouvements, etc..., par une foi animée, par une élévation amoureuse, par une application actuelle à Jésus opérant et souffrant (en elles), et un désir ardent de s'unir aux actions semblables qu'il faisait vivant sur la terre, et aux intentions et dispositions si saintes, si pures et si adorables de son âme déifiée. C'est là proprement vivre dans l'Esprit de Jésus; c'est animer son baptême ; c'est agir en la qualité de membre de Jésus-Christ que l'on y a reçue. Ainsi quoiqu'il suffise au commun des chrétiens d'agir selon la première union, ayant la grâce dans le coeur, on ne peut nier, sans s'aveugler soi-même, qu'il ne soit sans comparaison plus parfait d'avoir son esprit et son coeur actuellement unis dans les actions, à l'esprit, au coeur et aux actions de Jésus-Christ.

 

Quoi de plus irréfutable, mais aussi, de plus limpide !

Que nous y pensions ou non, notre activité morale, s'efforçant, par exemple, d'imiter les exemples du Christ est nécessairement une activité à deux. C'est le Christ qui s'imite en nous quand nous travaillons à l'imiter. Nous pouvons certes nous gouverner à la manière des psychiques ; mais le chrétien reste ce qu'il est, ce qu'a fait de lui son baptême - s'il

 

(1) Sur « l'état de servitude » que nous revêtons au baptême, cf. Quarré, op. cit., pp. 501, seq.

 

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en a conservé ou du moins retrouvé la grâce - à savoir un pneumatikos. D'où, non seulement l'insuffisance morale, mais l'absurdité métaphysique du moralisme religieux, j'entends de toute éducation de la vie parfaite qui n'est pas fondée sur le dogme de la grâce sanctifiante. Nous sommes nécessairement mystiques dans nos exercices d'ascèse, comme dans notre prière, puisque la grâce divinise ces exercices. Mais, d'un autre côté, cette vie singulière - notre vraie, notre seule vie morale - il ne nous est que trop facile, de n'en faire aucun état; de l'oublier, d'agir comme si nous étions seuls de la partie, ou, pour reprendre ces mots, d'imiter le Christ sans adhérer à sa propre action en nous. Ce que nous perdons à cet oubli, qui ne le sent? Or précisément c'est ici qu'intervient la spiritualité bérullienne; nous remettant sans cesse devant les yeux la vérité de notre être, elle nous apprend, non pas, pour parler en toute rigueur, à actualiser, mais à réaliser, ou, comme le dit plus splendidement Saint-Pé à animer notre baptême. Par où nous recevrons avec plus d'abondance « les effets et l'esprit des mystères et des actions de Jésus-Christ ».

 

T. Dites-moi encore si cette union de notre âme à l'âme de Jésus, de notre coeur à son coeur, et de nos actions à ses actions, lui peut rendre quelque honneur. Car cet écrivain dont j'ai parlé, n'est pas de ce sentiment (1).

P. N'en doutez point... N'est-ce pas l'honorer de reconnaître

 

 

(1) Cette difficulté parait si ridicule qu'on pourrait croire que le P. de Saint-Pé l'a imaginée de sa grâce, et pour triompher plus commodément de son adversaire. Mais il est bien incapable de recourir à de tels moyens. Je pense donc que l'auteur - anonyme pour nous jusqu'ici - qu'il réfute, faisait écho, dans le passage incriminé, à l'étrange conception qui prévalait alors en de certains milieux, et d'après laquelle la pure louange divine serait plus ou moins a stérile », et l'ascèse seule « pratique ». Comme peu auparavant, le P. A. Sirmond - dans un livre trop fameux - ils distinguaient amour affectif, et amour effectif; distinction parfaitement raisonnable, si on l'entend bien, mais qu'ils prenaient à contre-sens. Il n'est d'amour sérieux, disaient-ils, que celui qui se manifeste par des actes vertueux. Comme si la prière, et dans le cas présent, l'adhésion au Christ vivant en nous, n'était pas un acte de vertu, et souvent un acte héroïque. Et comme si l'adhésion sincère ne conduisait pas nécessairement à l'imitation.

 

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comme on fait par cette pratique que, comme Jésus est le fond de notre être par sa divinité, il est aussi le lien de notre être à Dieu par son humanité; qu'il est l'esprit de notre esprit, la vie de notre vie, la plénitude de notre capacité ; que tous nos mouvements doivent être à Jésus comme à notre accomplissement, et que nous ne pouvons avoir de vie, de repos, de force et de puissance pour agir, si nous ne la cherchons en lui et en ses actions et mystères; si nous n'adhérons à lui, et si nous ne sommes dans une actuelle et continuelle dépendance de lui, de ses états et de ses mystères, et si nous ne nous y unissons fortement pour en tirer la lumière, la direction, la force, l'esprit et la disposition dans laquelle nous devons agir.

 

Dans la personne de Jésus,

 

tout porte lumière, grâce et influence, et tout est capable infiniment d'imprimer sa ressemblance et son image dans les âmes dégagées de la terre, et pourainsi dire transparentes, qui s'exposent à lui en la manière que nous avons dite par l'union actuelle.

 

Et, retournant contre les adversaires de l'adhérence leur pauvre argument,

 

Accordons à ces personnes que rien n'est digne d'honorer Jésus-Christ que lui-même… Mais il faut prendre garde aussi que c'est lui-même qui s'honore lorsqu'il s'imprime dans les coeurs..., comme c'est le soleil qui s'honore lui-même quand il se peint dans l'eau.

 

Sur quoi, le bon Timandre, ravi, mais un peu étourdi par tant de sublime : « Je crois bien, dit-il, que nous ne sortirons jamais d'un sujet si fécond. » Il veut néanmoins avant de passer à un nouveau chapitre qu'on lui suggère « quelque modèle de l'acte intérieur ou élévation » par où cette union se renouvelle. Paul lui en propose de fort belles, mais un peu longues. Puis il se ravise. Contentez-vous, dit-il, de la grande promesse de votre baptême, et répétez-là sans cesse. « Il suffit de dire ces paroles de saint Chrysostome : « Abrenuntio tibi, Satana, et conjungor tibi Christe (1). »

 

(1) Dialogue, pp. 247, 282. passim.

 

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IV. - Ainsi, pour parler comme les savants, la dévotion au baptême aurait pour objet formel et spécifique cette réanimation du baptême. Les méditations doctrinales dont elle fixe le programme, les pratiques extérieures qu'elle conseille se terminent à la rénovation fréquente et fervente de l'acte primitif d'union ou d'adhérence. Dans la cérémonie même du baptême, deux activités se trouvent en jeu : d'une part, l'activité divine qui « s'applique » à créer en nous « l'homme nouveau »; d'autre part l'activité du baptisé lui-même acquiesçant, adhérant, par un consentement libre, à cette divinisation de son être propre - ou bien, ratifiant l'adhésion où se sont engagés pour lui le parrain et la marraine. Abrenuntio... Consentio : je veux être ce qu'à fait de moi le baptême, et l'être de plus en plus. Serait-ce là une dévotion paresseuse, ennemie de l'ascèse, et vaguement quiétiste, comme l'insinuait, j'imagine, l'anonyme qui a

tant ému Saint-Pé? Ou, en d'autres termes, à tant nous répéter que le Christ est notre vie, à tant célébrer les bienfaits de l'adhérence à cette vie, ne risque-t-on pas d'oublier que le Christ est aussi - et d'abord, pensent-ils, - notre modèle, et que l'important, dans l'ordre pratique, est moins de s'unir à lui que de l'imiter? Non, répond Saint-Pé,

 

si la qualité d'imitateur de Jésus-Christ nous oblige à une très grande abnégation, il est évident,

 

et d'une évidence tellement éblouissante qu'on ne conçoit même pas qu'un bon esprit lui résiste,

 

que nous sommes encore plus obligés comme membres. Il ne faut pas seulement renoncer à nos sentiments et à nos inclinations, mais à nos propres personnes, pour opérer en la personne de Jésus-Christ : ce qui dit une abnégation qu'on ne peut pas expliquer, et une très intime union avec Jésus-Christ, qui daigne être non seulement notre modèle, mais aussi notre chef.

 

Ascèse mystique, incomparablement plus exigeante que l'autre, puisqu'elle entraîne à une abnégation de tout l'être.

 

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Il faut donc être des membres vivants et animés du Saint-Esprit. Or nous ne pouvons jamais recevoir en nos coeurs cet Esprit infiniment saint qu'en renonçant au nôtre : car nous n'avons pas seulement à renoncer à notre corps et à notre chair, mais encore à notre esprit, qui est plein de vanité, d'erreur et de mensonge, et plus encore à notre volonté, qui est pleine de désobéissance et d'amour-propre. En un mot, il faut renoncer à tout ce que nous tenons d'Adam (1).

Comment, se demande l'auteur d'un gros volume sur les voeux du baptême,

 

comment donc serait-il possible que nous ne voulussions pas vivre envers ce Sauveur dans un état qui eût quelque rapport à celui où il a voulu se mettre lui-même pour notre salut...? Les voeux du baptême sont proprement une protestation de servitude à Jésus-Christ, une renonciation absolue à tous les droits que l'on pourrait prétendre sur soi-même et un engagement solennel à donner à ce Sauveur tous les droits qu'un souverain peut avoir sur ses sujets, qu'un maître peut avoir sur ses esclaves..., que la tète a sur les membres qu'elle gouverne et qu'elle fait agir. Par l'esprit et la grâce de ce sacrement, nous nous anéantissons devant Dieu, en nous conformant, selon l'avertissement de l'Apôtre, aux dispositions et aux sentiments où Jésus-Christ est entré quand il s'est anéanti; nous renonçons totalement à nous-mêmes, en ne voulant rien être qu'en Jésus-Christ et par Jésus-Christ (2),

 

Doctrine de mort, d'ensevelissement, d'anéantissement. « Ne savez-vous pas, dit saint Paul que... nous avons été baptisés en sa mort », c'est-à-dire, expliquent nos maîtres, « pour recevoir l'efficace de sa mort, l'exprimer et y être entièrement unis par une imitation effective et réelle ».

 

Nous ne mourons pas seulement avec Jésus-Christ, mais nous sommes de plus ensevelis avec lui par le baptême... La mort, précisément comme telle, ne cache point les traits du visage, ni

 

(1) Le nouvel Adam, pp. 148, 149. Sur la renonciation à « la volonté propre », cf. la Métaphysique des Saints, presque à toutes les pages, et notamment les textes de saint François de Sales.

(2) Du renouvellement des vaux du Baptême et des voeux de Religion, Paris, 1676, pp. 179, 18o. Livre plusieurs fois réimprimé.

 

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la figure du corps; elle ne sépare point entièrement du commerce des autres hommes...; elle ne porte point à oublier celui dont on a encore la vue; elle rend même plus vive la mémoire de ses actions et de son mérite, et il semble que jamais le consentement à louer un mort n'est plus général que lorsqu'il vient d'expirer et qu'il n'est plus l'objet de l'envie. Enfin, la mort, en occupant les vivants des obsèques de celui qui les a quittés..., le rend l'objet de l'attention de tous.

 

Et c'est encore trop.

 

Mais sa sépulture... en fait perdre bientôt le souvenir; elle le sépare entièrement du monde et sans retour.... ; on ne sait même quelque temps après s'il a vécu.... Et c'est une espèce d'étude que d'aller chercher ce qu'il a été... Voilà l'image d'une autre sépulture, qui regarde l'âme,

 

et où le baptême devrait nous fixer.

 

Notre vie, qui doit être secrète et cachée, comme celle que Jésus-Christ a maintenant dans le sein de son Père, consiste dans l'obscurité et l'humiliation; elle ne se conserve que dans le tombeau... Le signal pour paraître sera l'avènement de Jésus-Christ, et nous ne pouvons sortir de nos mystérieux sépulcres que lorsqu'il viendra nous en tirer.

 

Le chef-d'oeuvre de Duguet, auquel j'emprunte ces tendres et austères cadences, le Tombeau de Jésus-Christ, et l'explication du Mystère de la Sépulture, est comme un manuel de la Dévotion au Baptême. Les strophes que je viens, bien à contrecoeur, de mutiler, ne sont, du reste qu'un prélude au merveilleux poème qui a pour titre : Portrait d'un chrétien enseveli avec Jésus-Christ, et enseveli par son baptême. Le baptisé

 

est un, homme non seulement spirituel et insensible par sa nature, parce que les sens n'en sauraient juger; mais il est encore, par sa propre inclination, un homme caché. Il craint d'être connu, bien loin de le désirer; il regarde comme perdu, ou comme exposé au larcin, tout ce qu'il ne peut tenir sous la clef en le cachant aux ravisseurs.

Cet homme secret et caché est l'homme du coeur, c'est...

 

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dans le coeur qu'il réside..., qu'il vit... ; c'est dans le coeur qu'il est tout ce qu'il est. On ne définit point un tel homme, ni par les qualités de l'esprit, ni par les grands talents, ni même par les grandes actions. Il est inconnu à quiconque ne voit que ce qu'il fait ou ce qu'il souffre. Il ne se repose, ni sur les miracles, qui sont l'effet de la foi; ni sur les aumônes, quoiqu'il y emploie tout son bien; ni sur la connaissance des mystères de Jésus-Christ... Il craint même que, dans l'action la plus héroïque de la charité, qui consiste à demeurer immobile dans les flammes pour rendre témoignage à la vérité, le poison secret de l'orgueil ne lui fasse perdre la couronne que l'humilité seule peut recevoir. Il s'applique... à se renfermer uniquement dans son coeur, à le rendre inaccessible à Satan, à s'y ensevelir avec Jésus-Christ.

 

Et puisque Jésus « ne fut jamais plus éloigné de la corruption que dans son sépulcre », le baptisé, adhérant, de tout son intérieur, à cette incorruptibilité parfaite, évitera nécessairement, et autant du moins que le peut la faiblesse humaine, jusqu'aux moindres fautes ; il ne s'y compare pas

 

avec les autres; il n'y juge et n'y condamne personne; il ne s'y occupe distinctement que de ses faiblesses et de ses fautes, ne voyant celles des autres qu'en éloignement et en général, quoiqu'il soit très sensible au bien et au mal qui peuvent leur arriver. Il croit devoir tout à ses frères et n'en exige rien; il est plein d'attention pour ne les point blesser et plein en même temps de douceur et de patience pour n'être blessé de rien. Tout est important selon lui, quand les autres y ont intérêt, et tout lui devient indifférent, quand c'est lui seul qui n'est pas bien traité. Le ressentiment, les plaintes, les murmures lui paraissent directement contraires à son état. Un mort, selon lui, doit tout ignorer ou tout souffrir; les vivacités pardonnables à un homme qui vit encore sont inexcusables... dans un homme qui se dit enseveli... In incorruptione mansueti spiritus, et silentium amantis (1)

 

(1) Le Tombeau de Jésus-Christ..., Bruxelles, 1731, pp. 133-15o. Dans ces derniers paragraphes, Duguet commente la première épître de St Pierre (III, 4 seq.), « Qui absconditus est cordis homo, in incorruptibilitate quieti et modesti spiritus ». Il traduit suivant la concorde : In incorruptibilitate mansueti spiritus et silentium amantis. « On peut, dit-il, traduire tranquilli, quieti, mais il me semble que silentium amantis convient mieux au texte » (pp. 150, 151). Dans toutes ces pages sur le baptême et la sépulture, Duguet s'inspire manifestement d'un traité de M. de Sainte-Marthe : Avis à une personne sur le renouvellement du baptême (Traités de piété ou discours sur divers sujets de la morale chrétienne... Paris 1702, II, p. 577.) Il est beau de voir comme il transfigure ce modèle, assurément très noble, mais un peu morne. Ce traité de Ste-Marthe se trouve reproduit, mais anonyme, dans les Exercices de piété à l'usage des religieuses du Port-Royal, au désert, 1787.

 

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Que ne puis-je le citer encore! Aussi bien ai-je assez montré que l'ascèse mystique du baptême n'est pas une école de quiétisme, mais une école d'abnégation, puisqu'elle nous oblige à « exprimer » la mort et la sépulture du Christ.

 

V. - A la splendeur essentielle de la dévotion au baptême, je veux dire à la théologie fondamentale que les maîtres de cette dévotion exposent d'une manière si parfaite, s'ajoute la poésie des «figures» et des symboles. D'où vient, demande le Timandre de Saint-Pé,

 

que pour le Sacrement qui sert à régénérer, Dieu a choisi l'eau plutôt qu'une autre chose?

Paul. La meilleure raison c'est que Dieu l'a voulu ainsi, qui peut, par quelque créature que ce soit, et même sans aucune créature, nettoyer l'homme du péché... Vous devez aussi remarquer que Dieu, dès le commencement du monde, a préfiguré qu'il donnerait aux hommes une nouvelle naissance par cet élément; car le Saint Esprit, par la vertu duquel les hommes renaissent et sont purifiés, communiqua aux eaux, dès la création, cette divine fécondité qu'elles ont, et qu'elles donnent par le baptême. Et de là vient qu'il est dit au commencement de la Genèse que l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux ; et une version porte qu'il couvait les eaux, pour nous marquer que, dès lors, il les disposait à être saintement et divinement fécondes (1).

 

J'avoue que je ne transcris pas ce beau texte sans amertume : sans, veux-je dire, que ma pensée irritée n'évoque les catéchismes mortels qu'a subis notre adolescence. Avec quel acharnement placide ne s'est-on pas appliqué à souder, dans nos jeunes esprits, l'idée de religion et l'idée d'ennui ! Pour- peu qu'on le stimule, un élève moyen de seconde est

 

(1) Dialogue, pp. 42, 43.

 

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parfaitement capable de la poétique secousse que donne ce merveilleux ferebatur super aquas; deux fois plus talismanique, si l'on peut dire, quand on le traduit par couver. Rien  d'aussi émouvant ni dans Virgile, ni dans Lucrèce, qui, dès ce temps-là, nous initiaient à la poésie la plus haute. Quatre leçons, davantage même, sur le symbolisme comparatif des eaux, nous auraient tenus haletants et auraient  christianisé nos imaginations pour toujours (1).

 

Le déluge même a représenté le Baptême.

Timandre. Mais est-il possible que le déluge, dont les eaux surpassaient de quinze coudées les plus hautes montagnes, figure le baptême, dans lequel on en verse trois gouttes sur la tête du baptisé ?

Paul. Cela est si vrai que saint Pierre le dit... Et l'Eglise le confirme en la bénédiction du Cierge pascal... : « O Dieu qui purgeant par les eaux les pêchés du monde criminel, nous avez donné une figure de la régénération... (2)

 

Autre figure biblique - et chère à Saint Paul : le passage de la Mer Rouge :

 

Il faut bien plus admirer la vérité que la figure, et ce qui se passe aux yeux de la foi dans le baptême est sans comparaison plus surprenant et plus divin que ce qui se passa dans la Mer Rouge aux yeux du corps. C'était sans doute une chose merveilleuse de voir passer le peuple d'Israël au travers d'une grande rue qui avait des murailles d'eau à droite et à gauche... Mais quand nous voyons baptiser un homme (supposons que c'est un homme de trente ans), et que nous regardons de l’oeil de la foi ce qui se passe en lui, en vérité il y a sujet d'être surpris d'un plus grand étonnement.

 

Timandre en convient, mais, dit-il, « il y a bien des gens au monde que vous aurez peine à convaincre que, dans les

 

(1) Cf. dans la Tradition de l'Eglise sur les Bénédictions (Jean de Sainte-Beuve ?) Toulouse, 1679, les pages 33, seq. sur la symbolique des eaux. Il y a là des textes splendides et qui ensorcelleraient les enfants : « Principium mundi aqua, e1 principium Evangelii Jordanis » (St- Cyrille). « Deus qui maxima quaeque sacramenta in aquarum substantia condidisti. » « Modulatricibus aquis » (Tertullien) etc. etc...

(2) Dialogue, op. cit., p. 43.

 

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effets du baptême, il y ait quelque chose qui égale ce seul miracle de voir des eaux fermes et solides comme des murailles, qui conservent néanmoins toujours leur nature d'eau liquide et coulante. » Mais non, pour « l'homme spirituel », cette difficulté n'en est pas une ; et tout au contraire :

 

Supposons donc qu'un homme baptisé à l'âge de trente ans, conserve la grâce du baptême pendant trente autres années; et qu'étant naturellement superbe, il vive dans l'humilité; qu'étant avare et impie, il vive dans I'amour et dans la pratique de la pauvreté et de la mortification... De voir, dis-je, ces torrents impétueux des inclinations et des passions humaines être arrêtés, et ne causer plus leurs déluges ordinaires dans les âmes, c'est une merveille qui surpasse celle de la solidité et de la fermeté des eaux, quand même elles seraient devenues aussi dures que des rochers, sans cesser d'être de véritables eaux (1).

 

Saint-Pé ne s'attarde pas avec moins de ferveur à méditer « les mystères et les enseignements qui sont cachés sous les cérémonies extérieures » du baptême. Féconde et savoureuse matière, s'il en fut, et qui déjà transportait le vieux Théodulphe : « Omnia in baptismi ratione redolent mysteriis et exuberant sacramentis (2). »

 

La belle cérémonie, s'écrie Bossuet dans un sermon de jeunesse, qui se faisait anciennement dans l'église, au baptême des chrétiens! On avait accoutumé de les plonger tout entiers et de les ensevelir sous les eaux ; et comme les fidèles les voyaient se noyer, pour ainsi dire, dans les ondes de ce bain salutaire, ils se les représentaient en un moment tout changés par la vertu du Saint-Esprit, dont ces eaux étaient animées; comme si, sortant. de ce inonde à même temps qu'ils disparaissaient de leur vue, ils fussent allés mourir et s'ensevelir avec le Seigneur. Cette cérémonie ne s'observe plus, il est vrai, mais la vertu du sacrement est toujours la même, et partant vous devez vous considérer comme étant ensevelis avec Jésus-Christ (3),

 

(1) Dialogue, pp. 107-110.

(2) Ib., p. 179.

(3) Oeuvres oratoires, I, p. 113. Bossuet a repris souvent ce même morceau; cf. I., p. 5o8, II., p. 23.

 

 

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Anciennement, écrit Saint-Pé, et avec le même enthousiasme,

 

on faisait (le) renoncement (du démon) tourné à l'Occident - qui est opposé à l'Orient comme Satan l'est à Jésus-Christ, - la main étendue, soufflant trois fois en l'air, et tout nu comme étant prêt à combattre (1).

 

Assurément - et à l'exception, peut-être, de trois ou quatre jansénistes fanatisés - ils ne demandaient pas qu'on fit revivre ces rites antiques (2). Mais, comme Duguet l'a dit excellemment,

 

il est, non seulement permis, mais très avantageux à ceux qui n'ont été plongés ni trois fois ni une dans les eaux qui leur ont donné une nouvelle vie, de se représenter par une foi vive ce qui s'observait dans un autre temps, et de se mettre dans l'esprit les dispositions où on aurait dû être, si, après avoir renoncé solennellement à Satan, à ses oeuvres, à ses pompes, et à ses anges, un avait été enseveli trois fois sous les eaux par les mains de l'évêque et trois fois ressuscité par lui, pour avoir une pleine conformité avec Jésus-Christ, reposant trois jours dans le sépulcre et triomphant de la mort après cet intervalle (3).

 

(1) Dialogue, p. 246.

(2) Cf. à ce sujet un de nos auteurs, que je crois plus ou moins jansénisant. « En marquant dans le titre de cet ouvrage qu'on traite des anciennes cérémonies du baptême, on n'a nul dessein de les opposer à celles que l'Eglise pratique aujourd'hui, ni de redresser les unes par les autres. Le principal but de l'ouvrage est, au contraire, d'en montrer la conformité, nonobstant ces petites différences, que la diversité des temps et des conjonctures a nécessairement introduites, sans que la révolution de tant de siècles ait jamais altéré le fond des cérémonies ». Et il ajoute curieusement ; « On trouve aujourd'hui tant de gens prévenus contre les anciens usages de l'Eglise, et si fort remplis de ceux d'aujourd'hui, qu'ils ne comprennent pas qu'on ait

jamais pu faire autrement... Marquez quelque amour pour les anciennes règles de l'Eglise, ou quelque désir de voir rétablir, autant que le relâchement de ces derniers temps que le Clergé de France appelle la lie et la fin des siècles (1655) pourra permettre ; on attache à une si pieuse disposition un opprobre de singularité et de nouveauté, qui fait perdre toute espérance de voir jamais refleurir la discipline. » Traité historique des anciennes cérémonies de l'Eglise dans l'administration du sacrement de Baptême, par le sieur J. L. C. curé de Savenez, Paris, 1749. On voit percer, d'ici de la, le bout de l'oreille janséniste, et l'inquiétude éternelle du parti, mais le livre est excellent.

(3) Le Tombeau de Jésus-Christ, pp. 132. 133.

 

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On n'imagine pas en effet d'évocation plus dramatique. Poésie néanmoins pour poésie, je ne suis pas sûr que celle du baptême des enfants n'égale pas l'ancienne, si elle ne la dépasse. Saint-Pé n'est pas moins exquis dans l'explication lente et suave qu'il donne du rituel moderne.

 

L'Eglise.... emploie un souffle léger, pour montrer au démon combien elle le méprise et combien il est faible... Il est chassé de son fort par un petit souffle, comme une paille (1).

 

Mais puisque nous voici au seuil des exorcismes, tous nos autres maîtres n'ont plus qu'a se taire. Le sujet appartient à M. Duguet.

 

VI. - Rien de plus simple, de plus facile que ce que Duguet appelle « le baptême essentiel ». Dès le premier rudiment de catéchisme qu'il vient d'apprendre, tout en guidant ses chevaux sur la route de Gaza, le ministre de la reine Candace, montrant à Philippe un petit ruisseau qui chantait par là, « Voici de l'eau, dit-il, pourquoi ne pas me baptiser sans plus attendre ? » C'est bientôt fait. Les autres rites que l'on a organisés depuis sont donc accessoires. Qui ne voit néanmoins leurs multiples avantages, qui ne sent leur poésie? Les exorcismes notamment. «Tout ce qui peut rendre une cérémonie précieuse se trouve en celle-ci ; le dogme, les moeurs, le mystère, sans parler de son antiquité. Le mystère est sensible. C'est Jésus-Christ qui dépouille le fort armé et qui lui enlève sa proie; qui lui commandé avec empire, qui le juge, qui le met en fuite... L'Église, a voulu que tous ceux qui entraient dans son sein par le baptême, sussent d'où ils venaient.., à quel maître ils avaient appartenu, avant que d'être à Jésus-Christ. » Il faut leur apprendre à tous « qu'ils n'ont pu être pécheurs sans être possédés (2). »

 

­(1) Dialogue, op. cit., p. 195. Sur les anciens rites du baptême, cf. le livre docte et charmant du R. P. Dom Cabrol, La Prière des premiers chrétiens, Paris, 1929, pp. 69-81.

(2) Dissertations théologiques et dogmatiques, Paris, 1727, pp. 49, 47, 48.

 

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N'oublions pas que nous sommes au siècle de Descartes, et des tables rases. Comme nous aurons plus tard l'occasion de le rappeler, ces générations de croyants commencent à s'apprivoiser avec la critique. Timidement, pense-t-on, et faisant, avec une sincérité déjà branlante, la part du feu. Non, me semble-t-il. A la plupart, l'idée ne viendrait même pas de regarder aux vérités fondamentales de la foi. Mais à elles près, ils voudraient avoir la raison de tout. Ajoutez à cela une manie de réforme, voire de démolition, qu'exaspèrent chez plusieurs l'inquiétude et la suffisance jansénistes. C'est le siècle du rabot. L'Église a ses Boileau comme le Parnasse. Aimez donc la raison, et que votre prière même emprunte d'elle seule ses principes et ses règles. Adam de Saint-Victor ignore les mètres d'Horace; remplaçons-le par Santeul. Pourquoi ces jubés, lourds monuments de la barbarie gothique? Ils n'ont pas de raison d'être. Et bientôt les voilà par terre. Ils s'avisent un beau matin que les exorcismes n'ont plus de sens, lorsqu'on les récite sur un enfant qui a déjà reçu l'essentiel du baptême. Voyons, voyons, disent-ils, « le démon n'est plus dans le baptisé et par les exorcismes on lui commande d'en sortir »: le Saint-Esprit habite en lui, et par les exorcismes on lui commande d'y entrer ». Quoi de plus déraisonnable ? Manifestation nouvelle des deux tendances qui se partagent le siècle. D'un côté les mystiques, de l'autre, les précurseurs malgré eux du rationalisme. Ceux-ci plus dangereux que ceux-là, s'il est vrai, comme je le crois, que Mme Guyon est moins à craindre que Voltaire. Évidemment, la « raison » ne triomphera que par degrés. Mais, il n'y a que le premier pas qui coûte. « L'un ôtera les exorcismes, dit encore Duguet ; l'autre le sel ; un troisième dédaignera la salive; un quatrième se scandalisera de l'huile ; un autre ne comprendra pas pourquoi on arrête un baptisé à la porte de l'église » ; bref, tout le rituel du baptême y passera. Puis, et tôt ou tard, suivra tout le reste.

Qu'on nous pardonne ce petit fracas. Peut-être parlerais-je moins haut, si je ne tentais pas lé de me persuader à moi-même

 

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que j'ai le devoir de consacrer ici d'assez longues pages à une controverse qui parait d'abord bien grêle. Un excursus à la fin du chapitre n'eût-il pas suffi ? Non, si c'est là un de ces épisodes qui éclairent merveilleusement, dans leur variété vivante, les âmes religieuses de ce temps-là. Il y va, d'ailleurs, de tout l'esprit liturgique, sinon de la poésie elle-même. Enfin cet opuscule, peu connu et rare de Duguet, est d'une telle beauté que nombre de lecteurs me sauront gré de le leur avoir révélé.

Une lettre de Lazare Bocquillot à Mabillon montre que ce problème, si loin de nous, hélas passionnait également laïques et liturgistes. « Je confesse ingénument, dit-il, mon Révérend Père, qu'ayant fait les fonctions de curé plus de dix ans, j'ai toujours eu une terrible répugnance à souffler et exorciser des enfants baptisés. - bien que fort laid, souffler à l'actif ne gênait alors personne - je l'ai fait néanmoins, parce que le Rituel romain, dont j'étais obligé de me servir, le voulait ainsi. Je n'ai point vu d'homme qui entendit ces paroles, qui ne m'ait témoigné la même répugnance, et l'on m'a écrit depuis peu de Paris, que M. le Chancelier, tenant un enfant à la paroisse de Saint-Eustache, - aux cérémonies seulement, parce qu'il avait été baptisé à la maison - il arrêta tout court M. le curé et lui dit : Pourquoi faire des exorcismes à un enfant qu'on croit délivré du démon et avoir l'Esprit de Dieu? » Celui qui m'écrit ce fait m'assure que Messieurs les docteurs, qui travaillent actuellement à un nouveau Rituel de Paris, changeront les exorcismes en forme de prières, pour demander à Dieu qu'il ne permette pas que le démon rentre dans cet enfants. » Or, c'est justement pour détourner les réformateurs

 

(1) Vie et ouvrages de M. Lazare André Bocquillot... 1745 (pp. 444-466) (Cf. l'Index du Port-Royal de Ste-Beuve). Bocquillot, chargé de corriger le rituel de son diocèse, avait aussi consulté le grand Arnauld, lequel du reste parut peu favorable au changement proposé. Mabillon de même. Ils admettent néanmoins que le problème se pose. Le tranchant Pavillon, dans le Rituel d'Aleth, avait supprimé ces exorcismes d'un trait de plume, mais je crois, sans rencontrer l'approbation des docteurs les plus autorisés.

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parisiens d'une telle innovation - « ne rentre pas », au lieu de « sors » - que Duguet a composé sa dissertation sur les exorcismes (1).

Les origines de l'usage moderne sont assez obscures. Duguet se défend de les discuter, et pour deux raisons également émouvantes :

 

Non que je veuille dire, que les Papes aient clairement enseigné que les exorcismes qui manquaient au baptême essentiel, dussent être faits après. Mais leur raisonnement, leur esprit, et si j'ose le dire, la pente de leur coeur y conduisaient naturellement.

 

Le raisonnement, l'esprit, la pente du coeur, charmante gradation qui ne satisfera pas les érudits, mais qui ravira les spirituels.

D'ailleurs, il n'est pas permis de raisonner contre l'usage présent de l'Église.

 

Ce n'était point par l'âge et la vieillesse d'une coutume de cette importance qu'il fallait l'examiner..., et quand elle n'aurait qu'un jour, elle ne pourrait être censurée, s'il était vrai que l'Église la commandât depuis un jour (2).

 

Non qu'il se désintéresse de la tradition :

 

Je demande quel était le sens et la vérité des exorcismes qu'on prononçait la nuit du samedi saint sur ce catéchumène. Qui soufflait-on quand on lui soufflait au visage? Où était le démon, quand on lui disait : Sors d'ici, esprit impur ? Etait-il dans le coeur de cet homme, si sincèrement converti et depuis longtemps? Si l'Église avait raisonné sur les principes de ceux à qui je réponds, elle n'aurait point trouvé de personnes mieux disposées au baptême que ceux qu'elle en a toujours regardés comme indignes. Les pécheurs actuellement dans le crime,. esclaves de leur passion et du démon, auraient été bien plus propres aux exorcismes que tous les pénitents et les convertis. On n'aurait su que dire à ces derniers, et, dès le premier mot, on aurait cru

 

(1) La dissertation, beaucoup plus ancienne, n'a été imprimée ou publiée qu'en 1727.

(2) Dissertations..., pp. 48, 81.

 

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mentir au Saint-Esprit. Mais à l'égard des autres, tout était vrai; on savait à qui l'on parlait, et l'on n'était pas inquiété par la peur d'adresser mal le coup. Car le démon était seul au logis et bien maître.

 

C'est ici une des rares fois où nous prenons le scrupuleux Duguet en flagrant délit, non pas seulement d'humour, mais presque d'irrévérence. S'il avait lu ce passage, Sainte-Beuve en aurait été scandalisé. Mais je ne suis pas Saint-Beuve, et je continue bravement.

 

Il aurait fallu aussi que les évêques qui instruisaient les compétents, au lieu de les presser si fortement de renoncer au vice et de s'établir solidement dans la vertu, les eussent avertis de ne pas aller si vite et de réserver leur zèle et leur ferveur après le baptême. Car le danger était grand que tout ne fût déjà finit avant le samedi de Pâques, ou de la Pentecôte, et que le démon ne fût déjà si loin qu'il n'entendît plus les exorcismes, et le Saint Esprit si présent qu'il ne crût que c'était à lui qu'on parlait.

 

Cette jolie phrase est, sans doute, après son malheureux « appel », le plus gros péché de M. Duguet. Mais déjà elle le tourmente; il sent le besoin de s'excuser.

 

Je suis très persuadé que ceux qui liront ceci le prendront en bonne part. Je les honore comme mes maîtres et mes supérieurs. Mais il y a des choses qu'on ne peut rendre touchantes et sensibles qu'en paraissant y mêler un peu de raillerie (1).

 

Ce n'est là, du reste, qu'une première prise de contact avec l'adversaire. Pour l'argumentation elle-même, il m'est malheureusement impossible de la reproduire ici. Je n'en conserve presque tout entier que le dernier point, le plus original des trois, me semble-t-il, le plus pathétique, le plus représentatif aussi de ce réalisme chrétien qui régnait alors, et que tout le présent volume a surtout pour objet de ressusciter. Ceux-là mêmes, d'ailleurs, à qui cet état d'esprit

 

(1) Dissertations, paragraphes X-XIII.

 

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est le plus étranger, admireront l'aisance et religieuse et littéraire, avec laquelle ce noble génie pénètre dans les profondeurs de la vie intérieure (1).

 

Je réponds en troisième lieu, que les exorcismes après le baptême sont exactement vrais, et qu'ils sont aussi efficaces qu'ils paraissent l'être, je veux dire qu'on peut les prendre à la lettre, sans avoir besoin de les détourner, ni dans un sens passé, ni dans un sens à venir; et qu'il n'est pas même nécessaire, si l'on veut, d'y chercher des interprétations mystérieuses et symboliques. Je crois, par exemple, que le premier exorcisme... chasse en effet le démon, et l'oblige à laisser la place au Saint-Esprit.

L'Ecriture..., nous apprend que nous ne recevons que les prémices de l'Esprit par notre seconde naissance; et que ces prémices nous sont données pour nous faire gémir de ce qui manque à sa plénitude....

 

Cet Esprit nouveau est au milieu d'une terre étrangère et ennemie, toujours aux prises avec un esprit sensuel et corrompu, dont il arrête à la vérité la tyrannie, mais par lequel il est aussi très souvent arrêté dans ses saints désirs... Qui était plus parfait que saint Paul? Et cependant combien s'estimait-il malheureux de n'être régénéré qu'à demi ?... Qu'eut-il dit, si on avait voulu lui prouver que l'Esprit de Dieu n'avait rien à combattre en lui; que tous ses ennemis intérieurs étaient en fuite; et qu'il n'avait tout au plus que des combats extérieurs,

 

(1) 1° argument : « Les exorcismes ont souvent un effet anticipé, parce que Dieu  n'est point lié aux moyens qu'il a établis..., mais que c'est toujours avec un certain rapport aux exorcismes qu'il en donne la grâce et l'effet. Il en dispense quand il le veut... ; mais il ne dispense jamais de les respecter, de les désirer et de s'y soumettre dès qu'on en a la liberté. L'Eglise, tutrice des enfants, demande pour eux les exorcismes... Elle sait ce qu'ils doivent à leur vertu, avant même qu'ils aient été prononcés sur eux, et elle est bien instruite de la liaison qu'il a plu à Dieu de mettre entre cette cérémonie et leur délivrance du démon. Ainsi elle obéit au Saint-Esprit qui demande ce supplément ». 2° argument. Vérité historique et vérité liturgique (ou poétique) « La plupart des cérémonies, et des mystères mêmes ont deux faces... Si elles étaient examinées avec un esprit d'orgueil et de censure, ou par les ténèbres de la raison humaine, on n'y verrait point cette grandeur qui étonne les plus savants et cette vérité qui nourrit les simples... Rien n'y serait plus contraire qu'un raisonnement poussé trop loin ». Ainsi, « pendant l'Avent, il semble que (les chrétiens) soient devenus juifs, et qu'ils espèrent comme eux un libérateur qui n'est point venu... Que ferait-on à un homme que ces manières et ces expressions scandaliseraient, et qui soutiendrait que tout cela est faux ?... On lui apprendrait que ces choses, qui le blessent, sont des mystères et des cérémonies, dont le fond et l'esprit sont cachés... ; qu'en un certain sens tout y est vrai n. Ainsi pour les exorcismes après le baptême.

 

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sans que le fond de son coeur fût agité ? Hélas ! qu'eût-il dit?

Il n'y a donc rien de plus contraire à l'Écriture que de supposer que l'Esprit de Dieu remplit tout dès qu'il est donné à quelqu'un par le baptême. Et par une suite nécessaire, rien n'est plus conforme à l'Ecriture que de dire que ce qui n'est pas soumis à l'Esprit de Dieu est encore au démon et qu'il occupe tout ce que la concupiscence occupe...

La concupiscence demeure, quoiqu'elle n'opprime plus la liberté de faire le bien ; et le démon, à qui elle est, parce qu'elle est son ouvrage, la suit où elle se retire. Il possédait autrefois le coeur, parce qu'elle y régnait; il en est chassé avec elle, et perd ce qu'elle perd; niais il retient tout ce qu'elle retient. Et qui peut comprendre ce qu'elle conserve dans la volonté, dans l'esprit, dans les sens, et en général dans ce corps de mort, après même qu'elle n'est plus maîtresse de la liberté ? Tout cela reste donc au démon; et cette vie nouvelle, qui commence par le coeur, dans les baptisés, ne peut se fortifier ni s'étendre qu'en chassant l'ennemi des lieux les plus proches, qu'en gagnant tous les jours un nouveau terrain, et qu'en forçant l'un après l'autre tous les retranchements que le démon occupait...

Que peut donc faire l'Église de plus avantageux pour les enfants qui ont reçu le baptême sans exorcismes que de les suppléer dans un autre temps avec le reste des cérémonies? Ils ne chasseront pas le démon de leur coeur; il n'y est plus. Mais il en est si voisin, il a tant de chemins pour y arriver et il y conserve de si dangereuses intelligences; il est si maître de toute la campagne, c'est-à-dire de tout ce qui n'est point la liberté, ou, pour le moins, il y fait tant de ravages, il s'est si fortifié dans divers retranchements, et il y a tant de péril qu'il n'éteigne un jour l'esprit de grâce et de vie, que les exorcismes les plus terribles et les plus menaçants ne peuvent l'être trop. Et c'est une inhumanité que de retrancher cet important secours à des personnes à qui l'Église l'accorde, et qu'elle juge en avoir si grand besoin.

Nous le comprendrons encore mieux, si nous examinons ce qui reste au démon par rapport à l'esprit, comme nous venons d'examiner ce qu'il conserve par rapport à la volonté.

La juste punition de l'homme qui a voulu n'avoir point de maître, a été de ne pouvoir être le sien. Il se commande à lui-même et n'est point obéi, parce qu'il a refusé d'obéir à Dieu, la source et la cause de l'ordre aussi bien que de l'autorité.

 

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Cette désobéissance étonnante de l'homme à l'égard de soi-même est encore plus sensible par rapport aux pensées que par rapport aux désirs. On veut penser à de certaines choses, et l'on ne le peut; on veut au contraire écarter certaines pensées et il semble que les efforts qu'on fait pour les chasser ne servent qu'à les rendre plus importunes.

Je n'examine point en philosophe quelle est cette partie de l'esprit si peu soumise à l'esprit. Cette recherche ne servirait ici de rien. Il me suffit qu'il y ait en nous une source de pensées involontaires, comme il y a en nous une source de désirs involontaires, c'est-à-dire, que la raison et la liberté ne produisent et ne règlent point; que ces deux sources subsistent après le baptême; et que l'une soit connue sous le nom de concupiscence, et l'autre sous celui d'imagination...

Il est étonnant combien l'imagination ainsi définie conserve de pouvoir au démon dans les personnes sanctifiées par le baptême. Car c'est une porte toujours ouverte à ses illusions. C'est un champ abandonné, où il sème ce qu'il veut. C'est une toile sur laquelle il représente ce qu'il lui plaît; et les tableaux qu'il v forme subsistent malgré les commandements de l'esprit, qui en est affligé, mais qui ne peut en éviter la vue. Enfin c'est une place publique, pleine de tumulte et de bruit, où tout ce qu'on entend est faux, tout ce qu'on voit est frivole, tout ce qu'on étale est empoisonné; et qui est bien représenté par ce parvis profane, dont il est parlé dans l'Apocalypse, qui est abandonné aux infidèles, et qui n'est point mesuré avec le reste du temple, quoiqu'il en fasse partie...

Voilà où le démon habite, quand le temple, ou le coeur lui est interdit. Le désordre et la désobéissance qui y règnent viennent de lui. Il ne dit pas de l'imagination expliquée de cette sorte : Je m'en suis emparé, parce que je l'ai trouvée chez moi. Elle est elle-même sa maison et sa retraite ; et c'est par ce reste de juridiction, qu'il espère de regagner ce qu'il a perdu sur la liberté. Il est le maître où la vérité et la raison ne sont point écoutées. Le pays du mensonge est le sien. Enfin il retient dans la servitude ce qu'il n'a point encore plu à Jésus-Christ d'affranchir par sa puissance, et de guérir par sa grâce.

Concevons maintenant de quel péril pour le salut est un si redoutable voisinage. Qu'y a-t-il de plus près d'une pensée libre qu'une pensée suggérée? Ou, pour ne point donner lieu aux contestations, qu'y-a-t-il de plus présent à l'esprit que ce qu'il voit, et qu'il ne peut s'empêcher de voir ? La simple vue

 

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devient aisément un regard, elle affaiblit au moins l'attention qu'on devait à une autre chose, en la rendant plus pénible; elle détourne souvent, elle amuse quelquefois; c'est déjà un grand mal quand elle plaît; et tout cela arrive très ordinairement sans que l'on sache même s'il est arrivé.

De là vient cette foule de choses frivoles qui se mettent entre Dieu et nous, ces distractions presque invincibles qui interrompent les prières des justes, et qui sont presque toujours imperceptibles dans leur naissance; ces images corporelles, qui rendent à l'esprit la vue des vérités intellectuelles si rare, si difficile et si courte ; ces représentations affligeantes de tout ce qu'il y a de plus contraire à la vertu, et qui font verser tant de larmes aux personnes condamnées à cette dure épreuve; enfin c'est de là que viennent tant de vaines craintes et tant d'espérances encore plus vaines ; les fortes images des biens et des maux de cette vie; et le doute qu'il y ait quelque chose de réel qui ne soit pas naturel et sensible.

Qui peut donc trouver mauvais que l'Eglise, même après le baptême, s'efforce de chasser le démon d'un poste si dangereux, et qu'elle le contraigne à céder cette place au Saint-Esprit, qui doit remettre l'ordre et la paix dans l'homme, en réunissant toutes ses puissances, et qui doit guérir la division de la volonté par le règne de son amour, et la division de l'esprit par le règne de sa vérité?

Plût à Dieu au contraire que l'usage fût de réitérer souvent les exorcismes que l'Eglise n'emploie qu'une fois ! Les plus saints et les plus justes seraient ceux qui les recevraient avec plus de foi, et plus de sentiment de leur misère. Car ils savent bien qu'ils ne sont remplis de l'esprit de Jésus-Christ qu'imparfaitement; que son ennemi retient encore en eux plusieurs choses usurpées; et qu'il n'appartient qu'à celui qui l'a vaincu de dire ces paroles : Le prince de ce monde va venir; mais il n'a aucun droit sur moi. Tous les autres ont quelque chose qui est au prince du monde ; et par conséquent le prince du monde a quelque chose dans leur personne qui est à lui...

Aussi le même apôtre ne craint point qu'il fasse injure à l'esprit de grâce, que les Romains avaient reçu par le baptême, en demandant pour eux que Dieu brisât bientôt le démon sous leurs pieds, comme si cela n'avait pas déjà été fait par ce premier sacrement, et même par la confirmation, qui n'en était point alors séparée. Cette prière est un véritable exorcisme, et pour le sens, et pour l'effet. Elle suppose que le démon n'est

 

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point encore sous leurs pieds. Elle demande comme une chose nécessaire qu'il soit réduit; et ce n'est point par une précaution qui ne regarde que l'avenir, mais pour un besoin présent que saint Paul fait cette prière. Ainsi ce peu de paroles fait évanouir toutes les objections contre les exorcismes, et confirme, ce me semble, tout ce que j'ai dit jusqu'ici pour en faire retenir l'usage. Car je ne crois pas qu'il y ait personne qui osât censurer cet exorcisme sur un enfant déjà baptisé : Dieu de paix, hâtez-vous d'écraser le démon sous ses pieds; Deus pacis, contere Satanam sub pedibus ejus velociter. Et si cela est, il n'y a plus de question. Car ce que cet exorcisme signifie, les autres le signifient. L'effet qu'on lui attribuera, je l'étendrai aux autres. Et si l'on me demande où est le démon, je répondrai qu'il me suffit qu'il ne soit pas encore sous les pieds, afin que j'aie droit de l'exorciser ; et que je le poursuis partout où il est, pour le réduire où il doit être.

 

On est heureux de savoir que ce noble discours eut le succès qu'il méritait, et que, si j'ose dire, il emporta le morceau. « Ma dissertation n'est pas encore revenue dans mes mains », écrit Duguet à une daine de ses fidèles,

 

j'espère vous l'envoyer dans quelques jours... Toutes les per-sonnes qui l'ont lu, depuis (après) MM. les Commissaires du Rituel, sont du même avis que moi... Je puis vous nommer ici sans conséquence M. Boileau (de l'archevêché), le P. de la Tour (général de l'Oratoire), M. Nicole, M. Dodart, M. Couet,... et quelques autres de moindre autorité)(1) .

 

Une autre de ses lettres nous donne là-dessus des détails assez piquants. Il avait fait voir ces « papiers » à M. Nicole, lequel

 

en parut fort content et ne douta point que, si les Docteurs qui revoyaient le Rituel à Paris en avaient communication, ils ne perdissent pour toujours la pensée de retrancher les exorcismes, dans laquelle on disait qu'ils étaient. Il fit tomber la consultation dans leurs mains; elle fut lue dans leurs assemblées, et contre son attente, elle ne fit pas de si grandes merveilles. Il

 

(1) Lettres, V, pp. 291, 292.

 

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fut néanmoins résolu d'en faire un extrait et de le lire devant M. l'Archevêque,

 

Harlay, dont Nicole était le bras droit théologique,

 

avant de prendre une dernière résolution. Ce ne sera que pour la forme, car je crois les exorcismes déjà proscrits. J'en serai affligé, car je n'aime point les changements dans les choses que l'Église a observées et commandé d'observer. Ce serait là tout au plus une question pour un concile. Mais le tribunal de quelques docteurs, quoique très habiles, ne me paraît pas assez auguste... Pour moi, je me contente d'avoir essayé de justifier l'Église, et il faudrait qu'elle eût grand tort, si l'on n'avait rien du tout à dire pour elle.

 

Quoi que décide la Commission,

 

je ne me sens capable de changer de sentiment que quand l'Église universelle aura changé de conduite (1).

 

Il se trompait dans ses prévisions : l'archevêque se laissa convaincre ; la Commission céda, et les exorcismes furent maintenus.

VII. - Nous avons assez entrevu les inépuisables richesses de la dévotion au baptême. Venons maintenant aux pratiques par où s'exprime et s'entretient cette dévotion.

 

Timandre. Vous me ferez un plaisir singulier de m'enseigner ces pratiques. Car je sens, par la grâce de Dieu, une avidité merveilleuse pour tout ce qui peut contribuer à me faire vivre dans l'esprit de mon baptême.

Paul. Pour commencer par la dernière, vous devez savoir qu'anciennement on avait grand soin de conserver cette robe blanche que l'on avait reçue au sortir des eaux baptismales.

 

Aujourd'hui, plus de robe proprement dite, mais la pièce de lin - le chrémeau, comme on disait communément (2) - que le prêtre étend au-dessus de la tète du petit baptisé,

 

(1) Lettres, V, pp. 117, 119.

(2) Ce mot doit se conserver encore en quelques endroits où il signifie le baptisé lui-même. « Puis le père, emportant tout joyeux son petit chrémeau, regagna son logis. » A. A. Thierry, Revue des Deux Mondes, 15 octobre 19 18, p. 903.

 

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en lui disant Reçois ce vêtement blanc... Comme donc ce chrémeau

 

ne se conserve pas ,par, les baptisés, il est venu dans l'esprit; de quelques bons ecclésiastiques de faire faire une espèce de petit scapulaire, qu’ ils appellent l'habit du Baptême, et qu'ils font porter aux Chrétiens qui y ont dévotion.

Timandre. Que cette invention me paraît sainte!.... Il est bien raisonnable que les Chrétiens, ayant reçu Jésus-Christ pour leur habit, portent quelque chose sur eux qui leur représente cet habit divin qui est Dieu même... ; puisque nous. voyons qu'il y tant de inonde qui porte le Scapulaire de la sainte Vierge, la Ceinture de saint Joseph, le Cordon de saint François , et mille autres dévotions, que je ne condamne pas, mais qui, à mon avis, n'ont pas un fondement si solide que celle-ci.

Paul . Ecoutez le reste de la description de ce petit habit, car votre impatience m'a interrompu. Ce petit scapulaire est de toile de lin, et non pas de laine  (1); il y a d'un côté ces paroles : Quicumque baptizati estis, et de l'autre, celle-ci : Christum induistis. On le porte sur soi jour et nuit, parce qu'on doit toujours être revota de Jésus-Christ qu'il nous représente (2).

 

Quesnel, de quelque trente ans plus jeune que Saint-Pé, approuve fort cette pieuse pratique. « Je ne sais, écrit-il vers 1693, si cette dévotion a duré; mais je sais bien qu'elle fut reçue avec beaucoup d'empressement et qu'il se distribuait un nombre presque infini de ces petits habits. La nouveauté sans doute y contribuait; mais s'il y en avait qui y entraient par ce motif, beaucoup d'autres en profitaient... Aussitôt

qu'ils avaient les yeux ouverts, le matin, après le sommeil, ils se représentaient cette petite robe, la considérant avec respect comme le symbole de la grâce baptismale. Ils en

 

 

(1) « Parce que la laine, qui est la dépouille des bêtes, est le vêtement propre aux pécheurs, et une marque du péché qui les a rendus semblables à elles, en leur donnant des inclinations brutales; au lieu que « le lin est employé pour L'habit des chrétiens (comme on eu compose aussi celui des clercs, qui est le surpelis), à cause... qu'il est produit de la terre, par la vertu du soleil, d'une manière pure, innocente et vierge, pour ainsi dire. » (p. 311).

(2) Dialogue, pp. 3o5-3o9.

 

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formaient sur eux le signe de la croix, d'où cette grâce est émanée (1). » Au demeurant, cette dévotion paraît-elle moins bien conçue qu'on ne le croirait d'abord. Je ne m'étonne pas trop qu'elle ait disparu comme un météore, et sans presque laisser de traces dans l'histoire du baptême. Ainsi porté constamment, le petit chrémeau cessait bientôt de figurer l'habit du baptême, pour ne plus être que l'habit du baptisé, c'est-à-dire qu'un symbole de l'état de grâce. « D'une manière ou d'une autre, tous les gestes de la vie chrétienne nous rappellent, ou devraient nous rappeler que nous sommes chrétiens - le signe de la croix par exemple - au lieu que la fin principale de la dévotion particulière au baptême est de nous inviter à revivre le jour bienheureux où

nous avons été faits chrétiens. Aussi la pratique des pratiques, celle que nos maîtres se sont appliqués avec le plus de zèle à répandre, et avec le plus de succès est

 

de célébrer tous les ans la solennité de notre baptême, et d'en faire en notre particulier un jour de fête extraordinaire, dans lequel nous remercions Dieu de ce bienfait inconcevable et renouvelons la profession et les protestations que nous y avons faites, selon l'usage des premiers chrétiens (2).

 

Dévotion de tous les mois néanmoins, conseille Saint-Pé ; ou de toutes les semaines (Bail propose chaque mercredis) ; ou même de tous les jours, mais constamment ordonnée vers

 

(1) Les Trois consécrations... pp. 88-89. Cette dévotion des petits chrémeaux n'est peut-être. que le développement d'une pratique plus ancienne que je trouve mentionnée dates un livre que nous rencontrerons bientôt. Le jour de l'octave de leur baptême, les néophytes « rendaient le cierge à l'église avec la robe blanche qu'ils quittaient, ce qui fit appeler ce jour le samedi aux robes blanches. Bien entendu, dit saint Augustin qu'en quittant l'habit blanc, ils ne devaient jamais quitter la blancheur de leur âme... A la place de la robe blanche..., on lui donnait un Agnus Dei blanc, fait de la cire du cierge pascal et béni par le pape, et il le portait au col. » Conduite pour sanctifier le jour anniversaire du Baptême, Instr. III : Conduite des néophytes pendant la semaine de leur baptême.

(2) Dialogue, pp. 311-3i2.

(3) Bail, La philosophie affective, Paris 1649, I p. 151 «  Le mercredi destiné à la ressouvenance du baptême ».

 

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le jour, unique entre les jours, où nous avons été baptisés. On pourrait choisir

 

l'Épiphanie, dans laquelle l'Église célèbre la vocation des gentils à la connaissance de Jésus-Christ, et en même temps son baptême... ; ou bien... Pâques... ou la Pentecôte, qui étaient les jours destinés au baptême solennel, et dont toutes les octaves sont consacrées aux nouveaux baptisés.... Mais le plus naturel et le plus conforme à l'ancienne coutume est le jour anniversaire du baptême. On ordonnait à ceux qui étaient baptisés à Pâques de revenir à l'église l'année suivante à pareil jour, pour y célébrer la solennité anniversaire de leur renaissance, et ce jour était appelé Pascha annotinum, c'est-à-dire la Pâque annuelle ou anniversaire (1).

 

Ah! cette « pâque annotine », au nom savoureux, que de fois n'est-elle pas mentionnée dans les manuels de la dévotion au baptême! Éruditions charmantes, romantiques même en quelque manière, et que l'on proposait à la ferveur des

simples fidèles. Je songe notamment à une délicieuse Conduite pour sanctifier le jour anniversaire du baptême (2); humble catéchisme, rempli de curieux détails et où de plus grands clercs que moi trouveraient peut-être à s'instruire.

 

D. Cet usage de célébrer même par un office propre l'anniversaire du baptême, comme une autre Pâque (Annotine) subsista-t-il ?...

R. Oui, il subsistait encore dans le XII°  et le XIII° siècle dans toute l'Église, comme il paraît par le témoignage de Beleth, Dr de Paris, et de Durand...

D. N'y a-t-il point d'Église où l'usage de célébrer cette fête par un office particulier ait subsisté plus longtemps ?   

R. Oui, dans quelques Églises particulières, comme dans celle de Senlis..., où l'on trouve encore l'Office et la Messe propres pour la Pâque annotine, dans un bréviaire... (de) 1521. (3)

 

 

(1) Dialogue, pp. 313-314.

(2) Paris, 1794.

(3) Conduite, Instruction IV.

 

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Hélas! de ces beaux usages il ne reste plus que de rares vestiges, mais l'esprit de l'Église n'a pas changé,

 

et elle désire à présent plus que jamais que ses enfants sanctifient le jour anniversaire de leur baptême..., parce qu'elle est persuadée qu'il n'y a point de pratique plus propre à les faire entrer et à les entretenir dans l'esprit de leur religion.

 

Aussi le Rituel de Paris, prescrit-il, aujourd'hui encore (1724) aux Pasteurs « d'avertir les parents de remarquer le jour du baptême de leurs enfants, afin, dit-il, que, selon l'institution des saints Pères, l'ayant appris, ils passent tous les ans le jour qu'ils ont été baptisés dans des prières plus ferventes (1). »

Nous n'avons pas à suivre ici dans le détail le progrès de cette propagande baptismale, mais il me paraît certain qu'elle a réussi. Elle répondait si bien aux instincts religieux de cette époque ! Écrivant de Grasse, le 29 septembre 16 41, au président Thomassin, « Le jour où nous sommes, disait Godeau, est celui de mon baptême. Les anciens chrétiens en faisaient une grande fête tous les ans et j'estime que cette coutume était très sainte (2). » Benigne Joly regardait « le jour auquel, par le saint baptême, il était devenu enfant de Dieu et de l'Église, comme le jour le plus heureux de sa vie. C'était pour lui une fête particulière... Il en renouvelait les voeux... L'on a trouvé parmi ses papiers le formulaire de cette rénovation écrite de sa main (3). » Des formules de ce genre, mais dont l'étude comparée serait, je crois, sans intérêt, se rencontrent dans presque tous les manuels dévots,. attestant la popularité croissante de notre dévotion (4). La vie

 

(1) Conduite, Instruction V.

(2) Lettres de M. Godeau, Paris 1713, p. 217.

(3) La vie de M. Benigne Joly (par Dom A. Beaugendre) Paris, 1699, p. 292.

(4) Cf. entre autres, dans l'Adoration du T. S. Sacrement par le R. P. Floeur (oratorien, Rennes, 1658) la « Pratique du renouvellement du voeu du Baptême aux pieds de Jésus-Christ humilié dans le S. Sacrement » ; et dans le recueil, indéfiniment réédité, du P. Sanadon (Prières et instructions chétiennes) les « Méditations pour le renouvellement des Promesses du Baptême » Voir aussi le très curieux Catéchisme des dimanches et des fêtes, Paris, 1734. Il y a là plus de vingt pages sur la dévotion au baptême.

 

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de l'insigne oratorien, Edme Calabre, renferme à ce sujet de précieux, détails.

Longtemps professeur d'humanités, puis de théologie, « il exhortait souvent ses élèves, à faire réflexion sur les voeux de leur baptême... Quand il allait à Troyes, la première chose qu'il faisait, étant arrivé, était d'aller dans l'église paroissiale où il avait été baptisé, où il demeurait longtemps en prières auprès des fonts baptismaux... Tous les premiers jours du mois, il renouvelait les voeux de son baptême... et tous les derniers jours, il récitait les prières des agonisants... ; il avait soin de distribuer dans les familles une feuille où étaient imprimées les promesses du baptême, avec la manière de les renouveler tous les jours en forme de prière... et même il apprenait à ceux qui en étaient capables de quelle manière il fallait les méditer. Il inspirait beaucoup cette dévotion aux ecclésiastiques et surtout aux curés. Il leur recommandait de prendre souvent pour sujet de leurs prônes l'explication et le renouvellement des promesses du baptême, comme étant le fondement de tout le christianisme. Il les exhortait d'établir dans leurs paroisses que tous les ans, le dimanche après l'Épiphanie de Notre Seigneur (fête essentiellement baptismale, comme chacun sait) on fît dans leurs églises un renouvellement public des promesses d u baptême, au nom de tous les paroissiens (1). » Non moins intéressante

 

(1) Cloyseault, III, pp. 334, 335. Bien qu'elle se rattache à notre sujet l'histoire de ces renouvellements collectifs des promesses baptismales demanderait des statistiques et des précisions que je ne suis pas en mesure de donner. J'ignore, par exemple, à quelle date remonte l'usage moderne de choisir pour ce renouvellement le jour de la première communion. Dans les lettres (de Johannet) sur les ouvrages de Piété (1756, lettre 17) se trouve un long développement sur le renouvellement des voeux du. baptême. L'auteur renvoie aux oeuvres d'un évêque académicien, Mongin, de Bazas. qui a tout un mandement sur ce sujet. D'après Mongin, ce renouvellement devait: se faire le jour de la Pentecôte. Dans les Avis et Pratiques... à l'usage des Missions du Père Du Plessy de la Compagnie de Jésus, Paris, 1752, cf. les Pratiques de piété pour le renouvellement des engagements du baptême; pp. 156-167 Dans, ces missions, le renouvellement se faisait pendant la 1ère semaine.. « Pendant toute (la semaine), les Fonts Baptismaux, demeurent ornés et chacun va faire sa prière selon sa dévotion. » Ce livre est plein de documents intéressants: ainsi le mandement de Vintimille confiant la Miésion de Conflans-Charenton « à mes très, chers et bien-aimés les Pères du Plessis, Segaud de Sault, le Brun et Perrin, de là C. de J. » Cf, aussi le mandement sur un miracle obtenu pendant Ia mission d'Arras (1738).

 

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cette page que je cueille dans les homélies, longtemps classiques, de Lazare Bocquillot. Un moyen très capable de vivifier la foi des enfants, dit-il,

 

serait de les mener à l'Eglise, et surtout le jour de leur baptême, de les arrêter et leur parler dans les différents endroits où l'on a fait ces saintes cérémonies. Par exemple, à la porte de l'église : Voilà, mon enfant, le lieu où les prêtres de Jésus-Christ ont commandé au démon de vous quitter... Lorsque vous l'aurez approché des fonts baptismaux : C'est ici, mon fils, où vous avez promis de renoncer au diable... Faites-lui ensuite considérer le fonts et lui dites : C'est là-dedans, mon fils, qu'on a pris l'eau qui vous a nettoyé de tout péché… Il est presque impossible que de pareilles instructions n'entrent dans l'esprit de vos enfants, et ne s'y impriment avec force... On peut bien avec tout cela tomber dans des crimes, mais avec de telles impressions, on ne le peut faire sans remords, et l'inquiétude que causent ces remords rend l'état du péché insupportable (1).

 

A quoi Fénelon ajoute une nouvelle pratique :

 

Montrez-leur les fonts baptismaux; qu'ils voient baptiser ; qu'ils considèrent le jeudi saint comment on fait les saintes huiles, et le samedi comment on bénit l'eau des fonts (2).

 

Nos collèges catholiques, ceux de mon temps,, auraient tremblé sur leurs bases, si une tête brûlée dé catéchiste avait eu l'idée de « montrer » à ses élèves « les fonts baptismaux», ou, nouvelle folie, de les faire assister à un baptême. Hélas! je connais un vieux chrétien qui n'a qu'a fermer les yeux pour tout revoir de la belle église où il a  été baptisé et où il n'a plus remis les pieds depuis des années : les portes, les voûtes, les statues, fers tableaux, le marbre bigarré de la table de communion, la silhouette des vicaires,

 

(1) Homélies ou Instructions familières sur les commandements de Dieu, Paris, 1688, II, pp. 87-88.

(2) Éducation des Filles, chap. VII (Oeuvres complètes, V, 583).

 

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la majesté du curé..., tout excepté les fonts baptismaux (1). On ne m'a jamais appris à les regarder, à y revenir comme au plus saint des pèlerinages, notre Jourdain à nous : Principium Evangelii (nostri) Jordanis. Là-dessus nous ne nous écrierons pas avec Bossuet : « Tant le christianisme est aboli, tant le baptême est oublié (2) ! » Cette éloquence nous est défendue, à nous surtout qui savons par expérience que le christianisme n'est pas mort avec la dévotion au baptême. Mais de toutes nos anciennes pratiques françaises, c'est peut-être celle dont nous devons le plus déplorer la ruine et souhaiter la résurrection (3).

 

EXCURSUS : LES LITANIES ET L'OFFICE DU BAPTEME

 

Dans un précieux recueil - et très longtemps populaire - que nous étudierons plus tard, Litanies tirées de l'Ecriture sainte, se trouvent d'admirables Litanies du Baptême, pp. 235-264. Un vrai traité sous forme litanistique. 1° Figures ; 2° Effets et propriétés; 3° Baptême, fruit et ressemblance des mystères et de la

 

(1) « Les fidèles doivent chérir et fréquenter leurs paroisses... puisque c'est dans leur sein qu'ils ont été faits enfants de Dieu. S'ils sont sages et bien instruits, ils doivent se plaire à y voir souvent les fonts baptismaux ». J: B. Thiers, Traité de l'Exposition du Saint Sacrement de l'Autel, Paris, 1673, p. 294.

(2) Oeuvres oratoires. V. 648.

(3) Mgr Isoard écrivait en 1871 « Les chrétiens des premiers siècles célébraient avec beaucoup de religion l'anniversaire de leur baptême. Cet usage s'est longtemps conservé parmi les personnes pieuses et il n'a pas encore entièrement disparu. Le jour anniversaire du baptême est la première, la principale des fêtes marquées sur le calendrier dressé par elles des grâces et des miséricordes que le Seigneur leur a faites. » La vie chrétienne, 1871, p. 83. Depuis soixante ans, nous avons fait du chemin. J'ai connu un des derniers fidèles de cette dévotion préhistorique, le R. P. Joyard s. j., saint religieux de beaucoup d'esprit. Un jour que je le visitais, il. s'arrêta net au milieu de l'entretien commencé, et, regardant sa montre : « C'est l'heure, me dit-il, de mon baptême, il y a aujourd'hui soixante-quatre ans. Laissez-moi aller à la chapelle. Cette dévotion m'est chère, et je n'y ai jamais manqué. » Combien sommes-nous à savoir l'heure précise de notre baptême, et combien qui n'en connaissons même pas le jour ! Je n'ai pas à étudier ici les tentatives qui ont été faites, au cours du XIX° siècle, pour restaurer la dévotion au baptême. Cf. un beau chapitre de Dom Columba Marmion, Le Christ, vie de l'âme, Maredsous, 1922, p. 201, seq.

 

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Vie de Notre-Seigneur; 4° Obligations; 5° Crime de ceux qui violent le baptême; 6° Elévation à Dieu.

 

Pour les imitations liturgiques, il nous reste un gros livre, plus de 3oo pages, et dont voici le titre complet : Projet d'Office pour l'anniversaire du saint Baptême avec vigile et octave, où l'on joint à l'anniversaire du baptême ceux de la confirmation et de la première communion. Le tout tiré de l'Écriture sainte et de la Tradition. Je solennise la mémoire de la grâce que Dieu m'a faite le jour de ma sortie de l'Egypte (Exode, 13, v.) A Paris, chez Charles Osmont, rue Saint-Jacques à l'Olivier. 1737. Avec approbation et privilège du Roi.

Le livre, devenu très rare, est bien connu des bibliographes (cf. Barbier). Corblet le mentionne - un peu ahuri - dans son Histoire du Baptême. Il a pour auteur un certain Bucaille « ci-devant lazariste ». Ce n'était certainement pas le premier essai en ce genre. Nous lisons, en effet, dans l'Avertissement (qui a 68 pages) : « Il y a déjà nombre d'années que des personnes de piété s'édifient en leur particulier de quelques manuscrits, plus ou moins imparfaits, mais tous assez défectueux, d'un excellent Office du baptême, et qu'elles attendent avec une sorte d'impatience que l'impression leur fournisse un moyen de satisfaire plus. pleinement à une dévotion qui leur paraît des plus solides et qu'elles souhaiteraient voir aussi étendue que le christianisme. » - Cet Office n'est qu'un « projet », - on le donne comme tel et on s'engage à ne pas le reprendre; - mais qui a demandé un travail infini. Recours perpétuel, non seulement, ce qui va de soi, aux Livres saints, mais à toutes les anciennes liturgies, gallicane, mozarabe, etc... C'est très beau, mais trop beau! je veux dire trop plein de beautés. Pas un des textes bibliques, qui, de près ou de loin peuvent se rapporter au baptême, n'est oublié. Densité contraire, me semble-t-il, au vrai génie liturgique. Avec cela, presque illisible, ou si j'ose dire, inrécitable pour nous, car tout y est traduit en français. Il y a là peut-être quelque acharnement janséniste. Car enfin ceux qui pouvaient alors se servir d'un tel ouvrage, savaient, pour la plupart, le latin. Sur les hymnes qu'il a dû perpétrer de sa grâce, Bucaille est bien amusant : « II nous en a bien plus coûté à nous mêler de poésie. Mais nous avons en vain fait nos efforts pour l'éviter ; les poètes et les vers nous ont également manqué ; et, ne pouvant nous passer des uns, nous avons malgré nous été forcés de nous hasarder enfin à suppléer au défaut des autres, après avoir perdu près d'une année en attentes, en courses et en suppliques inutiles. (Cet

 

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excellent homme allant sonner à la porte de tous les poètes sacrés  ! !) Mais ce déluge d'hymnes - il y en a en effet des quantités - nous l'abandonnons en entier à tout ce que la Providence ordonnera. » Quand tout est dit, cet immense oratorio reste une belle chose, et qui a dû stimuler et nourrir la dévotion baptismale de plusieurs.

 

 

 

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