PAULE
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SAINTE PAULE *

 

Paule fut une très noble dame de Rome, dont saint Jérôme a écrit la vie en ces termes : « Si toutes les parties de mon corps étaient converties en autant de langues et que chacune d'elles pût former une voix humaine, je ne pourrais rien dire qui approchât des vertus de la sainte et vénérable Paule. Illustre de race, mais beaucoup plus noble par sa sainteté puissante en richesses, mais elle l’est maintenant bien davantage, de ce qu'elle a voulu être pauvre pour J.-C. Je prends à témoin J.-C. et ses saints anges, nommément son ange gardien et compagnon de cette admirable femme, , que je ne dis rien par flatterie ou par exagération, mais par pure vérité, reconnaissant que tout ce que j'en bourrai dire est au-dessous de ses mérites. Le lecteur veut apprendre en peu de paroles quelles furent ses

 

* Saint Jérôme.

 

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vertus ; elle laissa tous les siens pauvres, étant elle-même encore plus pauvre. Entre toutes les pierres précieuses elle brille comme une perle inestimable ; et comme l’éclat du soleil éteint et obscurcit la lueur des étoiles, de même elle surpasse les vertus de tous par son humilité, se rendant la moindre de toutes, pour devenir la plus grande ; à mesure qu'elle s'abaissait, J.-C. l’élevait. Elle se, cachait et ne pouvait être cachée: elle fuyait la vaine gloire et elle mérita la gloire,. parce que la gloire fuit la vertu comme l’ombre, et en méprisant ceux qui la cherchent, elle cherche ceux qui la méprisent. Elle eut cinq enfants : Blésille, sur la mort de laquelle je l’ai consolée à Rome ; Pauline, qui laissa pour héritier de ses biens et de. ses résolutions son saint et admirable mari Pammache, auquel j'ai adressé un petit livre sui le sujet de sa perte ; Eustochie, qui demeure encore aujourd'hui dans les saints lieux et est par sa virginité un ornement précieux de l’Église; Rufine, qui, par sa mort prématurée, accabla de douleur l’ami si tendre de sa mère, et Toxoce, après la naissance duquel elle cessa d'avoir des enfants; ce qui témoigne qu'elle n'en avait désiré que pour plaire à son mari qui souhaitait d'avoir des enfants mâles. Après que son mari fut mort, elle le pleura tant qu'elle pensa perdre la vie, et elle se donna de telle sorte au service de Dieu qu'on aurait pu croire qu'elle aurait désiré d'être veuve.

Dirai-je qu'elle distribua aux pauvres presque toutes les richesses d'une aussi grande et aussi noble et aussi riche maison qu'était la sienne ? Enflammée par les vertus de saint Paulin, évêque d'Antioche, et (231) d'Epiphane, qui étaient venus à Rome, elle pensait par moments à quitter son pays. Mais pourquoi différer davantage à le dire ? Elle, descendit sur le port; son frère, ses cousins, ses proches et ce qui est beaucoup plus que tout le reste, ses enfants qui l’accompagnaient et s'efforçaient de vaincre cette mère si tendre. Déjà on déployait les voiles,: et à force de rames, on tirait le vaisseau dans la mer; le petit Toxoce lui tendait les mains sur le rivage; Rufine, prête à marier, la priait d'attendre ses noces, sans proférer une parole, mais toute en pleurs; mais Paule, élevant les yeux au ciel sans verser une larme, surmontait, par son amour pour Dieu, l’amour qu'elle avait pour ses enfants. Elle oubliait qu'elle était mère pour témoigner qu'elle était servante de J.-C. Ses entrailles étaient déchirées, et elle combattait contre une douleur qui n'était pas moindre que si on lui eût arraché le coeur. Une foi accomplie souffre. cela contre les: lois de la nature; mais il y a plus encore; son coeur plein de joie le désire, et méprisant l’amour de ses enfants par un amour plus grand pour Dieu, elle ne trouvait de soulagement que dans Eustochie qu'elle avait pour compagne dans ses desseins et dans son voyage. Cependant le vaisseau sillonnait la mer, et tous ceux qui le montaient regardaient le rivage ; elle en détourna les yeux pour n'y point voir ce qu'elle ne pouvait voir sans douleur. Etant arrivée aux lieux de la terre sainte, et le proconsul de la Palestine, qui connaissait parfaitement sa famille, ayant envoyé des appariteurs pour lui préparer un palais, elle choisit une humble cellule. Elle parcourait tous les endroits où J.-C. avait laissé  (232) des traces de son passage, avec tant de zèle et de soin, qu'elle ne pouvait s'arracher de ceux où elle était que pour se hâter d'aller aux autres. Elle se prosterna devant la croix comme si elle y eût vu le Seigneur attaché. Entrant dans le sépulcre, elle baisait la pierre de la résurrection que l’ange avait ôtée de l’entrée du monument, et le lieu où avait reposé le corps du Sauveur, elle le léchait de ses lèvres comme si elle eût été altérée des eaux salutaires de la foi. Ce qu'elle y répandit de larmes, quels furent ses: gémissements et sa douleur, tout Jérusalem en a été témoin; le Seigneur qu'elle priait en est témoin lui-même. De là elle alla à Bethléem, et étant entrée dans l’étable du Sauveur, elle vit la maison sacrée de la vierge, et jurait,en ma présence, qu'elle voyait, des yeux de la foi, l’enfant enveloppé de langes, qui pleurait dans la crèche, les mages adorant le Seigneur, l’étoile qui brillait au-dessus, la vierge mère, le père nourricier aux petits soins, les bergers qui venaient la nuit pour voir le Verbe qui s'était incarné, comme s'ils récitaient; le commencement de l’Évangile de saint Jean : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu et le Verbe s'est fait chair. Elle voyait les enfants égorgés, Hérode en fureur; Joseph et Marie fuyant en Egypte, et elle s'écriait avec une joie mêlée de larmes : « Salut, Bethléem, maison de pain, où est né le pain descendu du ciel; salut, terre d'Ephrata, région fertile, dont Dieu lui-même est la fertilité. David à pu dire avec confiance (Ps. CXXXI) : «Nous entrerons dans son tabernacle, nous l’adorerons dans le lieu où il a posé ses pieds, et moi, misérable pécheresse, j'ai été jugée digne de baiser (233) la crèche où le Seigneur a pleuré tout petit. C'est le lieu de mon repos, parce que c'est la patrie de mon Seigneur, j'y habiterai puisque mon Seigneur l’a choisie.

Elle s'abaissa à un tel point d'humilité que celui qui l’aurait vue et qui aurait été témoin de sa grandeur n'aurait pu la reconnaître, mais l’aurait prisé pour la dernière des servantes, lorsque, entourée d'une multitude de vierges, elle était la dernière de toutes, en ses habits, en ses 'paroles, en sa démarche. Depuis la mort de son mari, jusqu'à son dernier jour, elle ne mangea avec aucun homme, quelque saint qu'il fût, et quand bien même elle eût su qu'il était élevé à la dignité épiscopale. Elle n'alla aux bains qu'en l’état de maladie; elle n'avait un lit assez doux que quand elle avait de fortes fièvres, mais elle reposait: sur un cilice étendu sur la terre dure; si toutefois on peut appeler repos, joindre les nuits aux jours pour les passer dans des oraisons presque continuelles. Elle pleurait de telle sorte pour des fautes légères qu'on eût estimé qu'elle avait commis les plus grands crimes. Lorsque nous lui représentions qu'elle devait épargner sa vue et la conserver pour lire l’Écriture sainte, elle nous répondait : « Il faut défigurer ce visage que j'ai si. souvent peint avec; du vermillon, de la céruse et du noir contre le commandement de Dieu. Il faut affliger ce corps qui a été dans tant de délices; il faut que des ris et des joies qui ont si longtemps duré soient compensés: par des larmes continuelles. Il faut changer en l’âpreté du cilice la délicatesse de ce beau linge et la magnificence de ces riches étoffes de soie; (234) et comme j'ai plu à mon mari et, au monde, je désire maintenant plaire à J.-C. » Entre tant et de si grandes vertus, il me semble superflu de louer sa chasteté, qui lors même- qu'elle était dans le siècle, a servi d'exemple à toutes les damés de Rome, sa conduite ayant été telle que lés plus médisants n'ont osé rien inventer pour la blâmer. Je confesse ma faute en ce que lui voyant faire des charités avec profusion, je l’en reprenais, et lui alléguais le passage de l’apôtre (I Cor., VIII). « Vous ne devez pas donner de telle sorte qu'en soulageant les autres, vous vous incommodiez vous-même; mais il faut garder quelque mesure, afin que comme maintenant votre abondance supplée à leur nécessité, votre nécessité puisse être un jour soulagée par leur abondance. » J'ajoutai qu'il faut prendre garde à ne se mettre pas dans l’impuissance de pouvoir toujours faire le bien qu'elle faisait de si bon coeur. A quoi joignant plusieurs autres choses semblables, elle me répondait en fort peu de paroles et avec grande modestie, prenant le Seigneur à témoin qu'elle ne faisait rien que pour l’amour qu'elle ressentait pour lui; qu'elle souhaitait de mourir en demandant l’aumône, en sorte de ne laisser pas une obole à sa fille et d'être ensevelie dans un drap qui ne lui appartînt pas. Elle ajoutait pour dernière raison : si je suis réduite à demander, je trouverai plusieurs personnes qui me donneront; mais sucé pauvre meurt de faim faute de recevoir de moi ce que je lui puis aisément donner en l’empruntant, à qui demandera-t-on compte de sa vie? Elle ne voulait point. employer d'argent en ces pierres qui passeront avec la terre et le siècle, mais en ces pierres vivantes qui marchent sur la terre, et dont l’Apocalypse dit que la ville du grand roi est bâtie. A peine mangeait-elle de l’huile, excepté les jours de fête, ce qui fait assez connaître quel pouvait être son sentiment touchant le vin, les autres liqueurs délicates, le poisson, le lait, le miel, les neufs et autres choses semblables qui sont agréables au goût et dans l’usage desquelles quelques-uns s'estiment fort sobres; et s'en pouvoir soûler sans avoir sujet de craindre que cela fasse tort à leur continence. J'ai connu un méchant homme, un de ces envieux cachés qui sont la pire espèce de personnes, qui lui vint dire, sous prétexte d'affection, que son extraordinaire ferveur, la faisait passer pour folle dans l’esprit de quelques-uns et qu'il lui fallait fortifier le cerveau, et elle lui répondit (I Cor., IV) : « Nous sommes exposés à la vue du mondé, des anges et des hommes; nous sommes devenus fous pour J.-C., mais la folie de ceux qui sont à Dieu surpassé toute la sagesse humaine. » Après avoir bâti un monastère d'hommes dont elle donna la conduite à des hommes, elle partagea en trois autres monastères plusieurs. vierges tant nobles que de moyenne et de basse condition qu'elle avait rassemblées de diverses provinces; et elle les disposa de telle sorte que ces trois monastères étant séparés en ce qui était des ouvrages et du manger, elles psalmodiaient et priaient toutes ensemble. Si quelques-unes contestaient ensemble, elle les accordait par l’extrême douceur de ses paroles. Elle affaiblissait par des jeûnes fréquents et redoublés les corps de ces jeunes filles, qui avaient besoin de (236) mortification, préférant la santé de leur esprit à celle de leur estomac : elle disait que la propreté excessive du corps et des habits était la saleté de l’âme et que ce qui passe pour une faute légère et comme une chose de néant parmi les personnes du siècle, est un très grand péché dans un monastère. Bien qu'elle donnât à celles qui étaient souffrantes toutes choses en abondance et leur fît même manger de la viande, s'il arrivait qu'elle tombât malade, elle n'avait pas pour elle-même une égale indulgence et péchait contre l’égalité en ce qu'elle était aussi dure envers elle que pleine de clémence envers les autres. Je rapporterai ici un fait dont j'ai été le témoin. Durant un été très chaud, elle tomba malade au mois de juillet d'une fièvre fort violente et lorsqu'après qu'on eut désespéré de sa vie, elle commença à sentir quelque soulagement, les médecins l’exhortant à boire un peu de vin d'autant qu'ils le jugeaient nécessaire pour la fortifier et empêcher qu'en buvant de l’eau elle ne devînt hydropique, et moi, de mon côté, ayant prié en secret le bienheureux évêque Épiphane de le lui persuader et même de l’y obliger; comme elle était très clairvoyante et avait l’esprit fort pénétrant, elle, se douta aussitôt de la ruse que j'avais employée et me dit en souriant que le discours qu'il lui avait tenu venait de moi. Lorsque le saint évêque sortit après l’avoir longtemps exhortée, je lui demandai ce qu'il avait fait; et il me répondit : « J'ai si bien réussi qu'elle a presque persuadé à un homme de mon âge de ne point boire de vin.» Elle était très tendre en la perte de ceux qu'elle aimait, se laissant abattre à l’affliction de la mort de ses proches et  (237) particulièrement de ses enfants; comme il parut en celle de son mari et de ses filles, qui la mirent au hasard de sa vie : car bien qu'elle fît le signe de la croix sur sa bouche et sur son. estomac pour tâcher d'adoucir par cette impression sainte la douleur qu'elle ressentait comme femme et comme mère, son affection demeurait la maîtresse et ses entrailles étant déchirées, elles accablaient la force de son esprit par la violence de leurs sentiments. Ainsi son âme se trouvait en même temps et victorieuse par sa piété et vaincue par, l’infirmité de son corps. Elle savait par coeur l’Écriture sainte; et bien qu'elle en aimât l’histoire, à cause qu'elle disait que c'était le fondement de la vérité, elle s'attachait de préférence au sens spirituel; et elle s'en servait comme du comble de l’édifice de son âme. Je dirai aussi une chose qui semblera peut-être incroyable à ses envieux. Elle désira d'apprendre la langue hébraïque, dont j'ai acquis quelque connaissance, y ayant extrêmement travaillé dès ma jeunesse et y travaillant continuellement, de peur que si je l’abandonnais, elle ne  m’abandonnât aussi. Elle vint à bout de son dessein, tellement qu'elle chantait les psaumes en hébreu et le parlait sans y rien mêler de l’élocution latine, ce que nous voyons faire encore à sa sainte fille Eustochie. J'ai navigué jusqu'ici avec un vent favorable et mon vaisseau a fendu les ondes de la mer sans peine; maintenant cette narration va rencontrer des écueils, car qui pourrait raconter la mort de Paule, sans verser des larmes? Elle tomba dans une grande maladie, ou pour mieux dire, elle obtint ce qu'elle désirait, qui était de nous quitter pour s'unir (238) parfaitement à Dieu. Mais pourquoi  m’arrêtai-je et fais-je ainsi durer, encore davantage ma douleur en différant de la dire? Cette femme si prudente sentait bien qu'elle n'avait plus qu'un moment à vivre et que tout le reste de son corps était déjà saisi du froid de la mort. Son âme n'était plus retenue que par un peu de chaleur, qui se retirant dans sa poitrine sacrée, faisait que son coeur palpitait encore; et néanmoins comme si elle eût abandonné des étrangers; afin d'aller voir ses proches, elle disait ces versets entre ses dents : « Seigneur, j'ai aimé la beauté de votre maison et le lieu où réside votre gloire. Dieu des vertus, que vos tabernacles sont aimables! J'ai préféré être la dernière de tous dans la maison de mon Dieu. » Lorsque je lui demandais pourquoi elle se taisait et ne voulait pas répondre, et si elle sentait quelque douleur, elle me dit en grec : que nulle chose ne lui faisait peine et qu'elle ne voyait rien que de calme et de tranquille. Après quoi elle se tut et ayant fermé les yeux comme méprisant déjà toutes les choses humaines, elle répéta jusqu'au dernier soupir les mêmes versets, mais si bas qu'à peine les pouvions-nous entendre. Les habitants de tontes les villes de la Palestine vinrent en foule à ses funérailles. Il n'y eut point de cellule qui pût retenir les solitaires les plus cachés dans le désert, ni de vierges saintes qui pussent demeurer en leur petite retraite, parce qu'ils eussent tous cru faire. un sacrilège s'ils eussent manqué de rendre leurs devoirs à une femme si extraordinaire, jusqu'à ce que son corps eût été enterré sous l’église, tout contre la crèche de Notre-Seigneur. Sa sainte fille Eustochie qui se (239) voyait comme sevrée de sa mère, ne pouvait souffrir qu'on la séparât d'avec elle. Elle lui baisait les yeux, elle se collait à son visage, elle la couvrait de ses embrassements et elle eût désiré être ensevelie avec sa mère. J.-C. est témoin qu'elle ne laissa pas une pièce d'argent à sa fille, mais qu'elle la laissa chargée de pauvres et d'un nombre infini de solitaires et de vierges qu'il lui était difficile de nourrir et qu'elle n'eût pu abandonner sans manquer à la piété. Adieu, Paule, assistez-moi par vos prières dans l’extrémité de ma vieillesse vous que je révère. »

 

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