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CONFÉRENCE De saint Augustin avec Maximin, évêque Arien.

Traduction de M. l'abbé BARDOT.

 

I. Augustin et Maximin s'étant rendus en un même lieu devant une assemblée nombreuse de clercs et de laïques, Maximin prit la parole : Je ne suis point venu dans cette cité, dit-il, pour établir une dispute avec votre religion; mais je suis venu par l'ordre du comte Ségisvult dans le dessein de faire la paix. Dans une conférence que le prêtre Eraclius a eue avec moi et qui a été commencée avec des intentions amicales de part et d'autre, je lui ai répondu comme j'ai pu, après avoir été cependant provoqué par lui à cette conférence; mais il s'est enflammé jusqu'à prononcer votre nom comme un défi porté contre moi. Et puisque votre religion a bien voulu s'imposer ce sacrifice, si vous m'interrogez, je vous répondrai autant qu'il me sera possible de le faire. Si vos paroles sont fondées en raison, il faut de toute nécessité que je me range à votre avis. Si vous nous citez des passages des divines Ecritures, qui sont notre propriété commune à tous, nous devons nécessairement les entendre ; mais quant aux paroles étrangères à l'Ecriture, elles ne sont en aucun cas reçues par nous; car du reste le Seigneur lui-même nous donne un avertissement à cet égard, lorsqu'il dit : « Ils me rendent un culte vain, enseignant des coin« mandements et des préceptes humains (1) ».

II. Augustin. Si je voulais répondre à tout ce dont vous parlez, je paraîtrais, moi aussi, avoir pour but de ne point en venir à la question. Afin donc de traiter à l'instant le sujet dont il s'agit, dites-moi quelle est votre foi touchant le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Maximin. Si vous me demandez quelle est ma foi, je tiens celle qui a été non-seulement exposée à Rimini par trois cent trente évêques, mais qui est appuyée sur l'autorité de la signature de ces mêmes évêques.

 

1. Matt. xv, 9.

 

III. Aug. Je l'ai dit déjà, et puisque vous n'avez pas voulu répondre, je le répète : Dites quelle est votre foi touchant le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Max. Comment, après la réponse que je viens de vous faire, pouvez-vous me reprocher de ne vous avoir point répondu?

IV. Aug. Voici pourquoi je vous ai dit que vous n'avez point voulu me répondre : tandis que je cherchais à savoir par vous -même quelle est votre foi touchant le Père, le Fils et le Saint-Esprit, comme je désire encore le savoir en ce moment, au lieu de me dire quelle est votre foi, vous avez nommé le concile de Rimini. Je veux connaître votre foi, votre croyance, vos sentiments touchant le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Si vous le voulez bien, je désire l'apprendre de votre bouche. Ne me renvoyez pas, je vous prie, à des écrits qui n'existent plus, ou bien que nous n'avons pas entre les mains, ou enfin dont l'autorité n'en est pas une pour moi. Dites ce que vous croyez touchant le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Max. Ce n'est point pour éluder votre question, que j'ai fait intervenir le décret du concile de Rimini, mais pour montrer l'autorité des Pères qui nous ont transmis, suivant les divines Ecritures, la foi qu'ils ont puisée dans ces mêmes Ecritures. Mais puisque cela ne vous est pas agréable, et que « l'on croit de coeur pour être justifié, en même temps que la confession de bouche est nécessaire au salut (1) » : car nous sommes préparés et tout disposés à répondre à quiconque nous demande raison de notre foi et de notre espérance (2); puisque d'ailleurs le Seigneur Jésus dit lui-même : « Celui qui me confessera devant les hommes, moi aussi je le confesserai devant mon Père qui est dans les cieux; et celui qui m'aura renié devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père

 

1. Rom. X, 10. — 2. I Pierre, III, 15.

 

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qui est dans les cieux (1) » : craignant, dis-je, ce péril, quoique je n'ignore pas les lois de l'empire, mais instruit en même temps de la loi du Sauveur qui nous a donné cet avertissement : « Ne craignez point, dit-il, ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l'âme (2) » ; par tous ces motifs, je réponds en termes clairs et positifs : Je crois qu'il n'y a qu'un seul Dieu le Père, lequel n'a reçu la vie de personne; je crois qu'il n'y a qu'un seul Fils, lequel a reçu du Père son existence, sa nature et sa vie; je crois qu'il n'y a qu'un seul Saint-Esprit paraclet, lequel illumine et sanctifie nos âmes. Et j'affirme cela d'après les divines Ecritures. Si vous me l'ordonnez, je vais vous en donner les témoignages : si votre religion me trouve répréhensible en quelque point, je vous donnerai une réponse sur tout ce qui me paraîtra être l'objet précis de votre critique.

V. Aug. J'admire comment vous attribuez au Saint-Esprit exclusivement le privilège de nous illuminer; comme si le Christ, lui aussi, n'accomplissait pas cet office. C'est pourquoi je désire tout d'abord savoir de votre bouche, quels sont vos sentiments à cet égard.

Max. Pour nous, nous reconnaissons un seul Dieu le Père, créateur de toutes choses, et de qui procède, par des degrés divers, toute illumination. Car enfin, l'apôtre saint Paul, aux Actes des Apôtres, rend de lui-même ce témoignage : « Dieu, dit-il, nous l'a ordonné en ces termes » ; et entre autres paroles de la bouche même de Dieu: « Je vous ai établi pour être la lumière des nations (3) ». Si l'Apôtre, en sa qualité de docteur, a été établi pour être la lumière des nations, à combien plus forte raison doit-il en être de même du Saint-Esprit, qui illuminait l'Apôtre, et par qui ce même Apôtre parlait, suivant ses propres expressions, dans l'épître aux Corinthiens: «Personne ne peut dire Seigneur Jésus, si ce n'est par le Saint-Esprit (4) ! » Oui assurément, il appartient au Saint-Esprit d'illuminer, puisqu'il a illuminé l'Apôtre. Mais c'est un privilège qu'il a reçu du Christ, suivant le témoignage même de celui-ci, qui parle en ces termes dans l'Evangile : « J'ai beaucoup de choses à vous dire; mais vous n'avez pas assez de force pour les entendre en ce moment: quand cet Esprit de vérité sera venu,

 

1. Matt. X, 32, 33. — 2. Id. 28. — 3. Act. XIII, 47. — 4. II Cor. XII, 3.

 

il vous dirigera dans la voie de la vérité pleine et entière. Car il ne parlera point de lui-même, mais il dira tout ce qu'il aura entendu, et il vous annoncera ce qui doit arriver. C'est lui qui me glorifiera, parce qu'il recevra de ce qui est à moi, et il vous l'annoncera (1) ». Donc le Saint-Esprit a reçu du Christ, suivant le témoignage du Christ même. D'autre part, il est certain que le Christ a fait lui-même cet aveu : « Ma doctrine n'est pas de moi, mais de mon Père qui m'a envoyé (2) » ; et encore : « Je dis ce que j'ai vu et entendu en mon Père (3) ». Ainsi, quand le Christ nous éclaire dans ses enseignements, cette illumination appartient au Père, qui envoyé le Fils pour cette fin; quand l'Esprit. Saint nous éclaire, cette illumination remonte au Créateur, qui est la source de toute bonté; à la vérité, c'est par un don du Saint-Esprit que le bienheureux Apôtre et même tous les saints éclairent ceux qui croient; mais cette illumination remonte exclusivement au Créateur. Et c'est pour cette raison que le Prophète disait : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut; qui pourrai-je craindre (4)? »

VI. Aug. Je ne nie point qu'il appartienne au Saint-Esprit d'éclairer; mais le Christ éclaire-t-il par lui-même ? Le Père éclaire-t-il par lui-même ? Ou bien l'un et l'autre éclairent-ils seulement par le Saint-Esprit? Voilà ce que je vous ai demandé en peu de mots; voilà ce que je vous demande.

Max. Je crois que votre religion n'est pas sans connaître ces paroles du bienheureux apôtre saint Paul : « Lorsque est apparue la bonté et l'humanité de notre Sauveur Dieu, ce n'est point par les oeuvres de justice que nous avons faites, mais, selon sa miséricorde, c'est par le baptême de régénération et de « renouvellement de l'Esprit-Saint, qu'il nous a sauvés; de l'Esprit-Saint, dis-je, qu'il a répandu sur nous abondamment par Jésus-Christ, notre Sauveur (5) ». Guidé par ces paroles, je dis et je professe que le Saint-Esprit éclaire par le Fils, comme il vient d'être dit: « Le Saint-Esprit qu'il a répandu en nous abondamment, par Jésus-Christ notre Sauveur ». Telle est ma réponse, car soit que Paul éclaire, cette illumination remonte au créateur Dieu le Père; soit que le Saint-Esprit éclaire, cette illumination remonte au même

 

1. Jean, XVI, 12.14. — 2. Jean, VII, 16. — 3. Jean, VIII, 38. — 4. Ps. XXVI, 1. — 5. Tit. III, 4-6.

 

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créateur; soit enfin que le Christ éclaire, cette illumination remonte toujours à la même source. Et ainsi instruit à l'école du Christ, je poursuis en citant les paroles de ce même Christ. « Mes brebis entendent ma voix, et a elles me suivent; et je leur donne la vie éternelle, et elles ne périront jamais, et personne ne les ravira de ma main. Ce qui m'a été donné par mon Père est plus grand que toutes choses, et nul ne peut le ravir de la main de mon Père ». Et il dit encore : « Mon Père et moi nous sommes une seule chose (1) ». Ainsi, pour défendre les brebis et pour les éclairer, le Père et le Fils ne sont qu'un, dans une concorde et une identité complète de sentiments, conformément à ce principe que vous avez entendu: « Personne ne peut ravir de ma main les brebis que le Père m'a données » ; il est pareillement impossible de les ravir de la main du Père.

VII. Aug. Vous dites des choses indubitables, mais qui sont étrangères au sujet. Vous n'avez point répondu à la question que je vous ai posée, et cependant vous avez dit bien des paroles. Si, laissant de côté le sujet dont il s'agit entre nous, vous prétendez citer l'Evangile tout entier, combien de jours y suffiront, combien de temps cela n'exigera-t-il pas? Dites-moi en deux mots, puisque je vous ai adressé cette question, si le Christ éclaire par lui-même, ou bien s'il éclaire seulement par le Saint-Esprit. Non-seulement vous n'avez point voulu répondre à cette question, mais si j'ai bien compris ce que j'ai entendu, vous avez dit plutôt que le Saint-Esprit éclaire par le Christ.

Max. Il n'est pas conforme aux principes de la religion, surtout quand notre discours a pour objet Dieu lui-même, de prononcer des paroles calomnieuses. Je vous ai fait une réponse, et si ce que j'ai dit ne suffit pas, j'ajouterai les preuves de cette vérité, que le Saint-Esprit a été répandu par Jésus-Christ dans tous ceux qui croient. Nous lisons en effet ces paroles du bienheureux Pierre dans les Actes des Apôtres : « Dieu a ressuscité ce même Jésus; nous en sommes tous témoins. Elevé donc par la droite de Dieu, et après avoir reçu de son Père la promesse du Sainte Esprit, il a répandu cet Esprit que vous voyez vous-mêmes et que vous entendez en ce moment (2)». Or, j'ai dit que le Saint-Esprit

 

1. Jean, X, 27-30. — 2. Act. II, 32, 33.

 

a reçu du Christ tout ce qu'il nous communique. Recourez aux témoignages rapportés plus haut, et vous le reconnaîtrez.

VIII. Aug. En voulant vous efforcer de prouver ce que moi-même je reconnais, vous consumez en des choses inutiles un temps nécessaire à d'autres sujets. Je suis loin de nier que le Saint-Esprit ait été répandu par le Christ sur ceux qui croient; et c'est vainement que vous avez voulu, par des témoignages qui ont absorbé un temps considérable, prouver ce que je confesse moi-même. Voici ce que j'ai dit, ce que je vous ai demandé, et ce que je vous répète : le Christ éclaire-t-il par le Saint-Esprit, ou bien le Saint-Esprit éclaire-t-il par le Christ? Car vous avez dit plus haut que le Saint-Esprit éclaire par le Fils. S'il ne vous en souvient point, qu'on lise vos paroles dans les Actes, afin que l'on sache que nous avons ordonné d'en faire la lecture, et je prouverai que vous avez dit ce que je vous demande.

Max. Cette preuve en effet eût été nécessaire, si vous n'aviez réussi à vous apaiser vous-même. Car vous avez enfin trouvé dans les témoignages que j'ai apportés, ou dans les raisonnements que j'ai faits, le moyen d'en venir là. Cette question étant donc terminée, veuillez en proposer.une autre qui demande une réponse de ma part. Car vous venez d'avouer qu'il vous a été donné satisfaction suffisante par rapport à celle qui précède.

IX. Aug. Avez-vous dit que le Saint-Esprit éclaire par le Christ, ou bien ne l'avez-vous pas dit ? Je vous prie de vouloir bien me répondre en quelques mots : l'avez-vous dit, ne l'avez-vous pas dit, oui ou non ?

Max. Conformément aux enseignements du Christ, j'ai fait cette profession de foi par rapport au Saint-Esprit : soit qu'il éclaire, soit qu'il enseigne, il a reçu du Christ l'un et l'autre pouvoir; dans tout ce qu'il fait sans exception, il exerce les pouvoirs qu'il a reçus du Dieu seul engendré. Si les témoignages que j'ai cités ne suffisent pas, j'en ajouterai d'autres.

X. Aug. Afin qu'il ne dise pas que nous l'accusons faussement, qu'on lise les paroles qu'il à prononcées tout à l'heure.

Le secrétaire Antoine lut ce passage : Je dis et je professe que le Saint-Esprit éclaire par le fils, comme il vient d'être dit: « Il a répandu en nous avec abondance le Saint-Esprit par (568) « Jésus-Christ notre Sauveur ». Cette lecture terminée,

Max. répondit : Comme on le voit, c'est bien plutôt vous-même qui cherchez par des retards volontaires, à nous empêcher de revenir à la question principale et qui prétendez par vos raisonnements nous retenir la journée entière sur le même sujet. Car nous vous lisons, nous, que le Saint-Esprit a été répandu par le Fils, et nous avons cité le témoignage non-seulement du bienheureux Paul, mais encore de Pierre, le premier des Apôtres. Nous avons dit pareillement que le Saint-Esprit reçoit du Christ, en nous appuyant sur ce témoignage cité plus haut : « Il me glorifiera, parce qu'il recevra de ce qui « est à moi, et il vous l'annoncera». Et puisque j'y suis de nouveau obligé, je répète ce que j'ai déjà dit, savoir que le Saint-Esprit, soit qu'il éclaire, soit qu'il enseigne, soit qu'il distribue ses faveurs, exerce en tout cela des pouvoirs qu'il a reçus du Christ ; car « toutes choses ont été faites » par le Christ, « et rien n'a été fait sans lui (1) ». Le Christ dit qu'il a reçu lui-même de son Père tous ces dons, qu'il vit à cause de lui, et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu le Père (2). « Le Christ est le chef de tout homme ; l'homme est le chef de la femme ; Dieu est le chef du Christ (3) ». Le Saint-Esprit est soumis au Fils ; et le Fils est soumis au Père,comme un Fils bien-aimé, très-obéissant et d'une perfection pareille à la perfection de celui qui l'a engendré. Car le Père n'a pas engendré un Fils qui lui soit opposé; il a engendré au contraire un Fils qui a pu s'écrier et dire avec vérité : « Je fais toujours ce qui plaît à mon Père (4) ».

XI. Aug. Si le Christ éclaire parle Saint-Esprit ; et si en même temps le Saint-Esprit éclaire par le Christ, la puissance de l'un est donc égale à la puissance de l'autre. Lisez-moi quelque part que le Saint-Esprit est soumis au Fils, comme vous l'avez dit il y a un instant. Vous rappelez cette parole du Seigneur à l'égard du Saint-Esprit : « Il recevra de ce qui est à moi » ; mais cette parole a été dite en ce sens que le Saint-Esprit a reçu du Père, et que tout ce qui appartient au Père appartient aussi et sans aucun doute au Fils. C'est pour cela que le Christ, après avoir prononcé ces mots, ajouta : « J'ai dit : Il recevra

 

l. Jean, I, 3. — 2. Philipp. II, 11. — 3. I Cor. XI, 3. — 4. Jean, VIII, 29.

 

de ce qui est à moi, parce que tout ce « qui appartient à mon Père, m'appartient à moi-même (1) ». Répondez donc à mon interrogation, et prouvez par des témoignages de l'Écriture, que le Saint-Esprit est soumis au Christ. Car nous lisons au contraire ces paroles du Christ lui-même: « L'Esprit du Seigneur est sur moi ; c'est pourquoi il m'a consacré pour évangéliser les pauvres (2) ». S'il dit lui-même que le Saint-Esprit est sur lui, comment pouvez-vous dire que ce même Esprit lui est soumis? Cependant le Christ ne dit pas que le Saint-Esprit est sur lui, en ce sens qu'il soit au-dessus du Verbe de Dieu, lequel est Dieu lui-même ; mais en ce sens qu'il est au-dessus de l'humanité prise parle Verbe quand il s'est fait chair. Car ces paroles écrites par saint Jean : « Le Verbe s'est fait chair (3) », ne signifient pas autre chose que ceci . Le Verbe s'est fait homme. De même quand Isaïe dit : « Toute chair verra le salut de Dieu (4)», il veut dire précisément, tout homme. Enfin, quand saint Paul écrit aux Romains : « Nulle chair ne sera justifiée par la loi » », il faut entendre, nul homme. C'est donc parce que « le Verbe s'est fait chair », et parce qu'il «s'est anéanti lui-même en prenant la forme d'esclave», c'est à raison même de sa nature d'esclave, que le Christ a dit: « L'Esprit du Seigneur est sur moi » ; car leur puissance est égale, leur nature est unique ainsi que leur divinité. Et quoique nous adorions une Trinité, parce que le Père n'est pas le Fils, le Fils n'est pas le Père, le Saint-Esprit n'est ni le Père ni le Fils ; nous adorons cependant un Dieu unique, parce que l'union sublime et ineffable de la Trinité nous révèle elle-même un seul Dieu, un seul Seigneur. De là cette parole: « Écoute, ô Israël; le Seigneur ton Dieu est un Seigneur unique (5) ». Pourquoi voulez-vous nous donner deux dieux et deux seigneurs? Vous dites que le Père est Seigneur, que le Père est Dieu; vous accordez les mêmes titres au Christ. je vous demande alors si tous deux ne font cependant qu'un. Vous me répondez: Ce sont deux dieux. Il ne vous reste plus qu'à leur élever des temples et à fabriquer leurs idoles.

Max. La calomnie n'est jamais nécessaire contre ceux qui inventent une religion. Vous m'avez demandé de vous citer des témoignages

 

1. Jean, XV, 14, 15. — 2. Luc, XV,18. — 3. Jean, I, 14. — 4. Isa. XL, 5. — 5. Rom. III, 20. — 6. Deut. VI, 4.

 

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et d'appuyer ainsi sur l'Ecriture ma profession de foi : puis, vous-même vous déclarez reconnaître trois personnes semblables et égales, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Ensuite, après avoir ainsi professé l'égalité des trois personnes, par une évolution nouvelle, vous citez un témoignage des divines Ecritures, qui se rapporte non pas à cette égalité, mais à l'unité du Dieu tout-puissant, à qui seul est attribuée la création de toutes choses. Cependant, puisque vous êtes le plus avancé en âge, et que votre autorité est supérieure à la mienne, expliquez, prouvez d'abord par des témoignages de l'Ecriture qu'il y a trois personnes égales, toutes-puissantes, incréées, invisibles, immenses : et alors enfin nous serons obligés de nous conformer à ces témoignages. Supposé que vous ne puissiez appuyer vos raisonnements sur les divines Ecritures, l'obligation subsistera encore pour moi de produire des témoignages, même aussi multipliés que vous le désirerez, relativement à tout ce que j'ai avancé ci-dessus, savoir Que le Père ne reçoit la vie de personne; que le Fils a reçu la vie du Père, car j'ai fait cette profession; enfin ce que j'ai dit par rapport au Saint-Esprit.

XII. Aug. Je vous ai demandé de vouloir bien dire par quel texte de l'Ecriture vous pourriez prouver que le Saint-Esprit est soumis au Christ, et vous ne l'avez-point dit : je réponds néanmoins aux questions que vous m'avez posées. Nous ne disons point qu'il y a trois tout-puissants, par la même raison que nous ne disons pas qu'il y a trois dieux. Si l'on nous interroge sur l'une des trois personnes en particulier, et qu'on nous demande si le Père est Dieu, nous répondons : Il est Dieu; et si l'on nous fait la même question par rapport au Fils, par rapport au Saint-Esprit, nous répondons de la même manière. Mais quand on nous demande par rapport aux trois personnes en général, si elles sont trois dieux, nous nous rapportons à cette parole des divines Ecritures : « Ecoute, ô Israël : le Seigneur ton Dieu est un Seigneur unique » ; et cette prescription divine nous révèle clairement que cette même Trinité est un seul Dieu. De même si l'on nous interroge par rapport à l'une des trois personnes en particulier, et qu'on nous demande : Le Père est-il tout-puissant ? nous répondons : Il est tout-puissant; nous faisons la même réponse : relativement au Fils, et nous reconnaissons que le Saint-Esprit lui-même est tout-puissant. Et cependant nous ne disons pas qu'il y a trois tout-puissants, comme nous ne disons pas qu'il y a trois dieux : et comme, dans le premier cas, les trois personnes ensemble ne font qu'un seul Dieu, de même aussi dans le second elles ne sont toutes trois qu'un seul tout-puissant; et le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un Dieu unique et invisible. C'est donc sans motif que vous nous croyez enveloppés dans une contradiction numérique, tandis que la puissance de la divinité est au-dessus même de la nature des membres. Et quand les âmes d'une multitude d'hommes, après avoir reçu le Saint-Esprit, après avoir été en quelque sorte fondues ensemble sous le souffle brûlant de la charité, quand ces âmes sont devenues cette âme unique dont parle l'Apôtre : « Ils n'avaient qu'un coeur et qu'une âme (1) » ; quand la charité du Saint-Esprit a fait un seul cœur de tous ces coeurs, de tous ces milliers de coeurs; quand le Saint-Esprit appelle une seule âme toutes ces âmes qu'il a lui-même réduites à cette unité : ne pouvons-nous pas avec bien plus de raison appeler un seul Dieu, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, qui sont éternellement et inséparablement unis entre eux par les liens d'une charité ineffable ?

Max. Mais par ces paroles mêmes vous exprimez cette ressemblance et cette égalité que vous n'avez pu cependant établir sur des témoignages de l'Ecriture : ce qui vous a fait passer à un autre sujet. Pour nous, nous savons d'une foi certaine et qui exclut toute hésitation, que tous les croyants n'avaient qu'un cœur et qu'une âme. Et cela, loin de porter préjudice à notre religion, est en parfaite harmonie avec elle. Car assurément, si tous les croyants n'avaient qu'un cœur et qu'une âme, pourquoi ne pourrait-on pas dire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu'un par l'accord mutuel et l'harmonie parfaite, par la charité et l'union intime de sentiments qui règnent entre eux? Le Fils a-t-il jamais fait quelque chose qui ait déplu au Père ? Le Père a-t-il donné des ordres auxquels le Fils ne se soit pas soumis? ou bien le Saint-Esprit a-t-il transmis des commandements opposés à la volonté du Christ ou à celle du Père? Il est d'ailleurs prouvé

 

1. Act. IV, 32.

 

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par cette parole du Sauveur : « Mon Père et moi nous sommes un (1) », que le Père et le Fils ne font qu'un par la conformité de leurs pensées et de leurs sentiments. Mais, comme le Christ l'a déclaré lui-même, le Père est le Père, sans avoir été jamais le Fils ; le Fils est le Fils, et éternellement il demeure le Fils le Saint-Esprit enfin est le Saint-Esprit. Par rapport au Saint-Esprit et au sujet du Saint-Esprit, nous professons ce qu'il est réellement et ce que nous lisons de lui : Il est si grand et si parfait, que les anges eux-mêmes brûlent du désir de le contempler (2). Ce même Esprit-Saint est si grand qu'il est capable de recevoir à la fois les supplications des hommes de toutes les parties de l'univers, et d'être leur fidèle avocat. Et je cite comme témoin de cette vérité le bienheureux Paul qui dit : « Nous ne savons ce que nous devons demander dans nos prières; mais l'Esprit lui-même demande pour nous avec des gémissements inénarrables (3) ». Je crois ce que je lis, savoir « que le Saint-Esprit demande avec des gémissements inénarrables ». Et ainsi, instruit à l'école de saint Paul, je dis que le Saint-Esprit est soumis entant qu'il demande pour nous en gémissant. Mais je professe l'unité de Dieu, et non pas que trois sont un; Dieu est un, au-dessus de toute comparaison, immense, infini, sans commencement, invisible; il a reçu et il reçoit les prières du Fils lui-même; près de lui enfin le Saint-Esprit remplit l'office d'avocat. Le Fils, dis-je, prie le Père; en effet, bien que ce soit votre habitude d'appliquer à sa nature corporelle tous ces témoignages que nous avons lus dans le saint Evangile, notre devoir est de montrer par une étude approfondie des divines Ecritures, que maintenant encore le Fils assis à la droite du Père intercède pour nous. Et voilà pourquoi j'ai dit : Il a prié et il prie; car il est certain qu'il intercède pour nous maintenant, suivant cette parole de l'Apôtre : « Qui accusera les élus de Dieu? Sera-ce le Dieu qui les justifie? Quel est celui qui les condamnerait? Serait-ce le Christ qui est mort, bien plus, qui est ressuscité, qui est à la droite de Dieu, et qui intercède même pour nous (4) ? » Le Christ se trouvant- encore au milieu de ses disciples, leur promit de remplir plus tard l'office de suppliant : « Si vous m'aimez, dit-il, observez mes commandements ;

 

1. Jean, X, 30. — 2. I Pierre, I, 12. — 3. Rom. VIII, 26. — 5. Id. 33, 34.

 

et moi je prierai mon Père, et il vous donnera un autre avocat, afin que cet avocat soit avec vous éternellement; il vous donnera l'Esprit de vérité que ce monde ne peut recevoir, parce qu'il ne le voit pas et ne le connaît pas; mais vous, vous l’avez vu, et vous le connaissez, parce qu'il demeure au milieu de vous et qu'il est en vous (1) ». Si ces témoignages suffisent, m'arrête; s'ils ne suffisent pas, j'en ajoute autant que vous l'exigerez.

XIII. Aug. Rien ne vous oblige à nous donner les preuves des vérités que nous confessons nous-mêmes; et comme je l'ai dit plus haut, en agissant ainsi vous ne réussissez qu'à perdre un temps très-précieux. Nous savons que le Fils de Dieu est le Fils de Dieu; nous savons qu'il n'a point reçu l'être de lui-même; mais qu'il a été engendré par le Père. Nous savons que le Père au contraire n'a pas été engendré, qu'il n'a reçu l'être et la vie de personne: tandis que le Fils a reçu la vie du Père, non pas cependant en ce sens que pour recevoir la vie, il ait dû, à une époque quelconque, être sans vie. Car le Père a donné la vie au Fils, précisément en engendrant la vie, c'est-à-dire en engendrant le Fils qui est la vie Quant à l'égalité entre le Père et le Fils, elle nous est révélée dans ces paroles du Christ : « Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d'avoir aussi en lui-même la vie (2) ». Le Père a la vie en lui-même; le Fils a en lui-même une vie égale à la vie du Père; cependant le Fils n'a point reçu la vie de lui-même, parce qu'il n'est point né de lui-même, étant né du Père. Le Père a donné la vie au Fils en l'engendrant, non pas en ce sens que celui-ci existait déjà, mais sans vie, lorsque la vie lui fut donnée; nous mêmes, lorsque nous avons été privés de la  vie par le péché, nous la recevons ensuite par une indulgence et une faveur gratuite; mais il n'en est pas ainsi du Fils : il a reçu la vie du Père, précisément parce qu'il est né du Père pour être lui-même la vie. Pour la même raison vous n'avez pu dire que le Saint-Esprit est soumis au Fils, si ce n'est en ce sens qu'il intercède pour nous avec des gémissements. Vous vous représentez cette sainteté si parfaite continuellement gémissante, sans aucune trêve à ses gémissements. O condition éternellement malheureuse ! Comprenez

 

1. Jean, XIV, 15-17. — 2. Id. V, 26.

 

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le sens de ces mots, et le blasphème ne souillera point vos lèvres. L'Apôtre dit que « le Saint-Esprit intercède avec des gémissements », pour nous donner à entendre que le Saint-Esprit nous fait intercéder nous-mêmes avec des gémissements. Car il habite en nous, et en répandant la charité dans nos durs, il nous fait intercéder avec des gémissements. Enfin l'Apôtre dit en un endroit que « le Saint-Esprit crie : Abba, Père (1) » ; et en un autre endroit il dit que « nous crions par le Saint-Esprit : Abba, Père (2) » : Ce premier texte : « Le Saint-Esprit crie : Abba, Père », est expliqué par le second : « Nous crions par le Saint-Esprit. » D'où il suit que ces mots : « Il crie », n'ont d'autre sens que celui-ci : « Il nous fait crier ». Donnons un exemple de cette manière de parler. Dieu ne tonnait-il pas dans sa prescience toutes les choses futures ? Personne ne serait assez insensé pour le nier. L'Apôtre cependant s'exprime ainsi : « Maintenant que vous connaissez Dieu, ou plutôt que vous êtes connus de Dieu (3) » . Si Dieu a commencé à les connaître seulement à l'époque présente, il ne les connaissait donc pas, il ne les avait point choisis, il ne les avait point prédestinés avant la création du monde. Mais saint Paul dit aux Galates : « Maintenant que vous connaissez Dieu, ou plutôt que vous êtes connus de Dieu », pour leur faire entendre que Dieu leur avait donné la connaissance de lui-même. « Vous connaissez Dieu »; qu'est-ce à dire : « Vous connaissez  Dieu ? » Ne vous attribuez pas ce mérite, n'en tirez point vanité; car « vous êtes connus de Dieu ». Qu'est-ce à dire : « Vous êtes connus de Dieu ? » Dieu vous a donné la connaissance de lui-même; il vous a donné de le connaître. Il en est de même de cette parole du Seigneur : « Je sais maintenant », quand il dit à Abraham : « Je sais maintenant que vous craignez le Seigneur (4) ». Au moment où ce patriarche prend son fils pour l'offrir en holocauste, Dieu lui dit : « Je sais maintenant ». Est-ce donc là toute la prescience divine? Dieu a-t-il commencé à le savoir quand il a dit: « Je sais maintenant ? » Evidemment ces paroles: « Je sais maintenant », signifient. c'est maintenant que je te fais savoir. Ainsi donc si vous aviez acquis, dans l'étude des divines Ecritures, la connaissance

 

1. Galat. IV, 6. —  2. Rom. VIII, 15. — 3. Galat. IV, 9. — 4. Gen. XXII, 12.

 

de ces manières de parler, quand il est dit du Saint-Esprit qu'il intercède avec des gémissements, vous ne le supposeriez pas réduit à la triste condition de gémir véritablement. Car toujours gémir, est-ce autre chose que toujours être dans l'affliction ? Si nous gémissons, nous, c'est précisément parce que l'affliction pèse sur nous. Ah ! rendons grâces au Saint-Esprit, dont il est dit qu'il gémit, parce qu'il nous fait gémir nous-mêmes par l'amour des biens éternels; il est dit de lui qu'il pousse des cris, parce qu'il nous fait crier nous-mêmes; il est dit : « Ou plutôt, vous êtes connus de Dieu », parce que ce même Esprit nous donne la connaissance de Dieu; comme il fut dit à Abraham . «Je sais maintenant », parce que Dieu lui donnait cette connaissance.

Max. Vous montrez clairement combien vous méritez vous-même les reproches que vous nous adressez. Il est certain, en effet, et la sainte Ecriture nous en avertit, que les longs discours ne sont point exempts de péché, et que la sagesse consiste à être sobre de paroles (1). Cependant, quand il s'agit des témoignages des divines Ecritures, lors même qu'on en citerait pendant un jour entier, cette abondance de paroles ne devrait pas être regardée comme réellement excessive: si, au contraire, grâce aux ressources de la littérature, ou à la fécondité naturelle de son esprit, quelqu'un débite un discours préparé avec art, mais étranger à la sainte Ecriture, ses paroles sont alors oiseuses et superflues. Pour moi, il me suffit de vous avoir amené à reconnaître, publiquement que le Père est le Père, parce qu'il n'a pas été engendré, parce qu'il n'a reçu la vie de personne; que le Fils a reçu la vie du Père, et que le Saint-Esprit est le Saint-Esprit. Cependant, quand vous .dites qu'il n'y a qu'un seul Dieu, vous auriez parfaitement raison, si en même temps que vous confessez l'unité de Dieu, vous ne donniez, par une contradiction manifeste avec vous-même, le nom de Dieu unique au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Nous adorons, nous, un Dieu unique, lequel n'a été ni engendré, ni formé, invisible, et qui n'est point descendu jusqu'à la corruption humaine,jusqu'à prendre un corps mortel. Quant au Fils, il est, suivant l'Apôtre, non pas un petit, mais un grand Dieu : « Attendant, dit saint Paul,

 

1. Prov. X, 19.

 

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la bienheureuse espérance et l'avènement de la gloire du grand Dieu, notre Sauveur Jésus-Christ (1) ». Or, ce grand Dieu, Jésus-Christ, dit en saint Jean : « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu (2) » ; et ainsi il établit, en s'abaissant lui-même, l'unité de Dieu. Celui-là donc est Dieu unique, comme le déclarent les textes rapportés plus haut, qui est adoré par le Christ et par le Saint-Esprit, et qui reçoit les respects et les hommages de toutes les créatures; c'est en ce sens que nous le déclarons un : non pas cependant que cette unité de Dieu résulte de l'union ou de la confusion du Fils avec le Père, ni même du Saint-Esprit avec le Fils ou avec le Père. Celui-là seul, au contraire, est Dieu unique et parfait qui, suivant ses propres paroles, n'a reçu la vie de personne, et qui a donné au Fils d'avoir, à son exemple, la vie en lui-même; nous les reconnaissons seulement unis par la charité et par l'accord de leurs sentiments. Mais, comme nous l'avons déjà démontré plus haut, le Sauveur lui-même nous déclare que le Père est différent et tout à fait distinct du Fils, quand il dit : « Si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage n'est point véritable ; il y en a  un autre qui rend témoignage de moi ». Et afin que personne n'eût la pensée téméraire d'entendre par ces mots: « un autre », saint Jean-Baptiste, ou même l'apôtre saint Pierre ou saint Paul, le même Sauveur continue en ces termes : « Vous avez envoyé vers Jean, et il a rendu témoignage à la vérité. Pour moi, ce n'est pas d'un homme que je reçois témoignage; mais je dis ceci afin que vous soyez sauvés». « Il était », dit-il encore, « la lampe qui brûle et qui éclaire ; et un moment vous avez voulu vous réjouir à sa lumière. Mais moi, j'ai un témoignage plus grand que celui de Jean. Les oeuvres que mon Père m'a données à accomplir, ces oeuvres mêmes que je fais, rendent de moi le témoignage que le Père m'a envoyé. Et le Père qui m'a envoyé, rend lui-même témoignage de moi (3) ». Qui serait assez insensé pour ne pas comprendre que le Père, qui a rendu témoignage, est différent du Fils qui l'a reçu? Car c'est assurément le Père qui a dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toutes mes complaisances; écoutez-le (4) ». En lisant

 

1. Tit.      II, 3. — 2. Jean, XX, 17. — 3. Id. V, 31-37. — 4. Matt. XVII, 15.

 

ce mot « bien-aimé », je crois que c'est le Père qui aime, et le Fils qui est aimé. Quand on me dit que le Christ est Fils unique, je ne doute pas qu'il soit seul engendré par un seul. Quand Paul s'écrie que le Christ est le premier-né ; « qu'il est l'image du Dieu invisible, le premier-né d'entre toutes les créatures », je professe alors, conformément aux paroles mêmes des saintes Ecritures, que le Fils est premier-né, et qu'il a réellement pris naissance. Saint Paul ajoute : « C'est par lui que toutes choses ont: été créées, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre ; les choses visibles et les choses invisibles, les Trônes, les Dominations, les Principautés, les Puissances ; toutes choses qui ont été faites par lui et créées en lui; et lui-même est avant tous, et tout subsiste en lui  (1) » : voilà bien le Fils de Dieu, Dieu fils unique puisqu'il est avant tous. D'ailleurs il dit lui-même : « Je dis ce que j'ai vu en mon Père (2) ». Enfin ce même Fils (quoique selon vous ces paroles s'appliquent à sa nature corporelle), ce même Fils s'exprime en ces termes dans le saint Evangile : « Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je m'en vais à mon Père ; parce que mon Père est plus grand que moi (3) ». En même temps que nous lisons ces paroles, nous croyons et nous professons, suivant les enseignements de l'Apôtre, que tout est soumis au Christ comme à un grand Dieu. Mais ce grand Dieu, qui doit cette qualité au Père qui l'a engendré, a confessé positivement, comme ses propres paroles l'attestent, que le Père est plus grand que lui; et par là il a établi que le Père est un Dieu unique, dans le sein duquel habite le Fils, suivant le récit pompeux de saint Jean l'Evangéliste. Entendez aussi ce même évangéliste dire et proclamer, relativement à l'invisibilité du Dieu tout-puissant, que « jamais personne n'a vu Dieu; le Fils unique qui est dans le sein du Père, est celui qui l'a fait connaître (4) ». Instruit à cette école, saint Paul dit et proclame à son tour: « Le bienheureux et seul puissant, le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs; qui seul possède l'immortalité, et habite une lumière inaccessible; qu'aucun homme n'a vu, ni ne peut voir; à qui soit honneur et. puissance à jamais. Ainsi soit-il (5) ». Ailleurs, il dit dans le même

 

1. Coloss. I, 15-17. — 2. Jean, VIII, 38. — 3. Id. XIV, 28. — 4. Id. I, 18. — 5. I Tim. VI, 15, 16.

 

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sens: « A Dieu, seul sage, gloire éternelle par Jésus-Christ. Ainsi soit-il (1) ». Ainsi nous professons, nous, l'unité de Dieu, parce qu'il n'y a qu'un seul Dieu, élevé au-dessus de toutes choses, lequel n'a été ni engendré, ni formé, comme nous l'avons établi. Si vous ne croyez pas que le Fils est né, malgré le témoignage de saint Paul, qui le proclame le premier-né de toute créature; croyez du moins au témoignage du Fils lui-même qui, à cette question de Pilate : « Vous êtes donc roi ? » répondit : « C'est pour cela que je suis né (2) ». Je lis qu'il est né, et je professe ce que je lis; je lis qu'il est premier-né, et je me range à ce sentiment; je lis qu'il est Fils unique, et, dussé-je être attaché au chevalet, je ne tiendrai point un autre langage : je professe ce que les saintes Ecritures nous enseignent. Mais vous qui proclamez l'unité du Père et du Fils, donnez au Père le nom de seul engendré, le nom de premier-né, attribuez au Fils ce qui appartient au Père, dites que le Fils n'a pas été engendré, qu'il n'est point né, dites que jamais personne ne l'a vu, que personne même ne peut le voir. Attribuez ensuite au Saint-Esprit ce que l'Ecriture attribue au Père, dans les textes cités plus haut, pour montrer que le Saint-Esprit est égal au Père. Parlez, je vous prie, rangez-moi parmi vos disciples. Dissertez sur le Fils, démontrez qu'il n'est point né, qu'il n'a pas eu de commencement. S'il est égal, il est semblable; s'il est semblable, par là même il n'est point né; s'il n'a pas de naissance, il s'ensuit qu'il n'a été vu par aucun homme. Donnez vos témoignages, éclairez-moi, enseignez-moi, et vous me compterez parmi vos disciples.

XIV. Aug. Vous avez dit que vous adorez un seul Dieu, autant que j'ai pu le remarquer dans votre discours : conséquemment ou bien vous n'adorez pas le Christ, ou bien vous adorez non pas un Dieu unique, mais deux dieux. Vous avez dit aussi relativement au Père qu'il n'est point descendu jusqu'à la corruption humaine, jusqu'à notre chair mortelle. Vous ne savez peut-être pas que le mot corruption renferme toujours l'idée de quelque souillure; et quand vous avez voulu faire entendre que le Christ est descendu jusqu'à la corruption humaine, vous avez déclaré par là même que le Christ a été souillé par le corps humain dont il s'est revêtu. Moi au contraire, ou plutôt la

 

1. Rom. XVI, 27. — 2. Jean, XVIII, 37.

 

foi catholique que je possède avec l'Eglise du Christ, dit qu'en Notre-Seigneur Jésus-Christ le Verbe et la chair ont été unis sans que le Verbe subît aucune atteinte de la corruption de la nature et de la chair humaines. Il est venu en effet pour purifier, non point pour se souiller lui-même. Ainsi il a pris une âme humaine et une chair humaine, mais en dehors de toute atteinte de corruption; il a même voulu sauver en lui-même l'un et l'autre, c'est-à-dire l'âme et la chair humaines. Mais puisque vous ne voulez pas, ce me semble, admettre qu'il soit véritablement invisible, considérez, je vous prie, que le Christ a été visible seulement en tant que revêtu de notre chair et de notre humanité. Car en tant qu'il est le Verbe, Dieu en Dieu, il est, lui aussi, invisible. Si le Christ est la sagesse de Dieu et si la sagesse humaine est invisible, comment la sagesse de Dieu pourrait-elle être visible? Ainsi, relativement à cette nature par laquelle il est égal au Père, il est pareillement Dieu, pareillement tout-puissant, pareillement invisible, pareillement immortel.

Vous avez dit aussi, autant que j'ai pu le remarquer, que cette parole de l'Apôtre : « Lequel seul possède l'immortalité (1) », doit être entendue de telle sorte qu'elle soit regardée comme s'appliquant au Père exclusivement. Voulez-vous donc que le Verbe de Dieu soit mortel? Suivant vous, la sagesse de Dieu n'est pas immortelle. Ne comprenez-vous pas que le Fils n'aurait pu, en aucune manière, subir la mort, s'il n'avait pris notre chair mortelle? Enfin, c'est la chair qui est morte en lui, et non point lui qui est mort en tant qu'il est Dieu, en tant qu'il possède la divinité par laquelle il est égal au Père. En effet, il a parlé aux hommes en ces termes : «Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui après cela ne peuvent plus rien faire (2) » ; il a parlé ainsi, dis-je, parce que l'âme ne saurait mourir : et le Verbe de Dieu peut mourir? et la sagesse de Dieu. est sujette à la mort? et ce même Fils unique aurait pu mourir avant d'avoir pris un corps? Au reste, après son incarnation par laquelle il s'est fait homme, il a reconnu tantôt son égalité : « Mon Père et moi, dit-il, nous sommes un (3) »; et tantôt son infériorité en tant qu'il est «le Verbe fait chair et qu'il a habité parmi nous (4) ». « Il n'a point cru que ce fût une usurpation de se

 

1. I Tim. VI, I6. — 2. Luc, XII, 4. — 3. Jean, X, 30. — 4. Id. I, 19.

 

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faire égal à Dieu ». Il l'était par nature, non par usurpation; il n'a point pris injustement ce titre, il le possédait par droit de naissance. Et néanmoins « il s'est anéanti en prenant la nature d'esclave ». Vous avez vu son égalité, commencez maintenant à reconnaître son infériorité, « prenant la nature d'esclave, devenu semblable aux hommes, et revêtu extérieurement de la forme d'homme (1) ».Voilà sa nature par laquelle il est inférieur au Père : ne confondez pas l'économie de son incarnation avec sa divinité, qui demeure sans jamais mourir, et ne vous égarez point dans des paroles que vous aimez singulièrement à citer, mais que vous ne daignez pas méditer sérieusement. Je professe que le Fils est né, comme vous déclarez vous-même que le Père est sans naissance. Mais quoique l'un soit né et que l'autre ne soit point né, ils ne sont pas pour cela de nature et de substance diverses. En effet, celui qui est né, est Fils par là même; s'il est Fils, il est Fils véritable, parce qu'il est seul engendré. Il est vrai que nous aussi nous sommes appelés fils: mais sommes-nous tous autant de fils uniques? Ce n'est pas ainsi qu'il est Fils unique: il est Fils par nature, tandis que nous sommes fils par grâce; étant Fils unique né du Père, il est absolument le même que le Père quant à la nature, quant à la substance. Prétendre qu'il est d'une nature différente, précisément parce qu'il est né, c'est nier qu'il soit fils véritable. Nous avons au contraire le témoignage de l'Ecriture : « Afin que nous soyons en son Fils véritable Jésus-Christ; c'est lui-même qui est le vrai Dieu et la vie éternelle (2) ». Pourquoi est-il « le vrai Dieu?» parce qu'il est le vrai Fils de Dieu. En effet, il a été donné aux animaux d'engendrer exclusivement des êtres semblables à eux-mêmes; et tandis qu'un homme engendre un homme, qu'un chien engendre un chien, Dieu n'engendrerait pas un Dieu? Si donc le Fils est de la même substance, pourquoi le déclarez-vous inférieur? Serait-ce peut-être parce que, quand un père humain engendre un fils, bien que ce soit alors un homme qui engendre un homme, celui qui est engendré est cependant inférieur à celui qui l'engendre? Dans ce cas, nous n'avons qu'à attendre que le Christ grandisse, comme nous voyons grandir les hommes engendrés par d'autres hommes. Si au contraire le Christ, depuis sa naissance,

 

1. Philipp. II, 6, 7. — 2. I Jean, V, 20.

 

qui ne s'est pas accomplie dans le temps, mais dans l'éternité, si le Christ est constamment le même, et que néanmoins il soit inférieur au Père, sa condition est donc pire que celle des hommes; car un homme du moins peut grandir et parvenir un jour à l'âge et à la force de son père, tandis que le Christ n'aura jamais ce pouvoir : comment dès lors est-il véritablement fils? Mais en réalité nous reconnaissons tellement au Fils la qualité de grand Dieu, que nous le déclarons égal au Père. Ainsi, c'est bien vainement que vous avez voulu nous prouver, par des témoignages de l'Ecriture et par de longues paroles, ce que nous professons hautement. Quand le Christ disait : « Mon Dieu et votre Dieu (1) », il pensait à la nature humaine dont il était revêtu. Au reste, quant à ces paroles de saint Jean : «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu (2) », ces paroles ne signifient point que le Père est Dieu d'un autre Dieu, mais bien qu'il est Dieu du Christ en tant que le Christ s'est fait homme. C'est pour cela que le Christ dit lui-même dans les psaumes, en quel sens Dieu est son Père : « Dès le sein de ma mère vous êtes mon Dieu (3) ». En disant qu'il est son Dieu dès le sein de sa mère, il montre que le Père est Dieu à l'égard du Fils, en ce sens que celui-ci est homme et, comme tel, inférieur au Père. Voilà pourquoi il dit en saint Jean: « Mon Dieu et votre Dieu». De là aussi cette soumission que nous ne devons pas nous étonner de lui voir rendre, comme homme, au Père, puisque suivant l'Ecriture, il était soumis même à ses parents (4) et que cette même Ecriture dit de lui: « Vous l'avez abaissé un peu au-dessous des anges (5)».

Je voudrais aussi, pour notre instruction, entendre de votre bouche quelques paroles de l'Ecriture attestant que le Père est adoré par le Saint-Esprit. J'apprends par les paroles du Fils, bien que vous n'en apportiez aucun témoignage, que celui-ci comme homme adore Dieu : vous ne me lisez, je le répète, aucun texte à cet égard, mais on admet cela facilement, dès lors qu'il s'agit uniquement de son humanité. Cependant je réclame de vous expressément la lecture d'un texte établissant que le Père est adoré par le Saint-Esprit, ou du moins rappelez-nous un témoignage divin à cet égard ; il est possible qu'il en existe,

 

1. Jean, XX, 17. — 2. Id. I, 1. — 3. Ps. XXI, 11. — 4. Luc, II, 51. — 5. Ps. VIII, 6.

 

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mais ils m'échappent ; dès que vous en aurez trouvé quelqu'un, je vous dirai dans ma réponse en quel sens il doit être entendu, comme je l'ai fait, relativement aux gémissements du Saint-Esprit, à l'aide d'une forme de langage usitée dans l'Ecriture. Vous dites encore que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont point, par cette union ineffable, un seul Dieu : voulez-vous savoir jusqu'où va cette union ? Certes, il est manifeste, non point d'après nos propres paroles, mais d'après le langage de l'Ecriture, que l'esprit de l'homme et l'Esprit du Seigneur sont tout à fait différents: De là ces mots de saint Paul : « Le Seigneur est Esprit (1) », c'est-à-dire, il n'a point de corps; et cependant l'Apôtre dit : « Celui qui s'unit à une prostituée, devient un même corps avec elle ; mais celui qui s'unit au Seigneur est un seul esprit avec lui (2) ». Ainsi cette union d'esprit de natures différentes (l'esprit de l'homme et l'Esprit de Dieu étant différents l'un de l'autre), cette union, dis-je, forme un seul Esprit ; et vous ne voulez pas que le Fils soit tellement uni au Père, qu'il ne soit avec lui qu'un seul Dieu ? Il faut en dire autant du Saint-Esprit, qui est Dieu. Car du reste si le Saint-Esprit n'était pas Dieu, certainement il ne pourrait pas nous avoir nous-mêmes pour temples. Or, il est écrit en saint Paul: « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous (3) ? » et encore : « Ne savez-vous pas que vos corps sont en vous un temple intérieur du Saint-Esprit, que vous avez reçu de Dieu (4) ? » Est-ce que, si nous élevions à un ange d'une sainteté et d'une perfection éminentes, un temple de bois et de pierres, nous ne serions pas frappés d'anathème par la vérité de Jésus-Christ et par l'Eglise de Dieu, et cela parce que nous rendrions à une créature un culte qui n'est dû qu'à un seul Dieu ? Si donc nous serions coupables de sacrilège en bâtissant un temple à une créature quelconque, comment n'est-il pas véritablement Dieu, celui à qui nous ne bâtissons point de temple, mais dont nous sommes nous-mêmes les temples ? Quant à ces paroles de Jésus-Christ : « Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d'avoir en lui-même la vie (5) », je vous ai dit plus haut ce qu'elles signifient. Mais puisque vous prétendez que c'est l'accord

 

1. II Cor. III, 17. — 2. I Cor. VI, 16, 17. — 3. I Cor. III, 16. — 4. Id. VI, 19. — 5. Jean, V, 26.

 

mutuel et la charité qui produisent l'unité du Père et du Fils, quand vous m'aurez prouvé par l'Ecriture qu'il y a unité entre des natures différentes, je songerai alors quelle réponse je dois vous faire. Nous lisons bien : « Celui qui plante et celui qui arrose sont une seule chose (1) » ; mais tous deux étaient des hommes ; leurs natures étaient les mêmes et non point différentes. Nous lisons aussi ces paroles de Jésus-Christ lui-même : « Afin qu'ils sont une seule chose, comme nous sommes nous-mêmes une seule chose (2) ». Il ne dit point : Afin qu'eux-mêmes et nous nous ne soyons qu'une seule chose ; mais il dit: « Afin qu'ils ne soient qu'une seule chose », dans leur nature et leur substance propre, unis en quelque sorte et comme fondus ensemble dans une égalité et un accord parfaits ; de même que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu'une seule chose à raison de leur nature indivisible et identique. Il y a en effet une grande différence entre ces mots unum sunt (ne sont qu'une seule chose) et ceux-ci ; unus est (est un). Les premiers désignent une substance unique, lors même que le mot chose n'est pas exprimé. Les seconds, appliqués à deux substances différentes, éveillent nécessairement l'idée d'une personne unique. Par exemple, l'âme et le corps sont des substances différentes, et cependant elles ne font qu'un seul homme : de même l'esprit de l'homme et l'Esprit de Dieu sont des substances différentes, et cependant quand l'homme « s'unit au Seigneur, il devient un seul esprit avec lui (3) » ; saint Paul dit : « Un seul esprit », il ne dit point: Ils ne sont qu'une seule chose. Ces dernières expressions désignent toujours une substance unique, bien que vous prétendiez le contraire et qu'en même temps vous ayez la témérité d'affirmer que vous reconnaissez le Christ comme vrai Fils de Dieu. De plus, le Père n'est pas plus grand parce qu'il rend témoignage du Fils; car les Prophètes aussi ont rendu témoignage au Fils. A la vérité, celui qui rend témoignage et celui à qui il est rendu, sont distincts l'un de l'autre, parce que le Père est le l'ère, et que le Fils est le Fils ; mais non point parce que le Père et le Fils ne sont ni une seule chose ni un seul Dieu, quand ils sont (et ils le sont toujours) unis ensemble de l'union la plus étroite et la plus intime. Vous

 

1. I Cor. III, 8. — 2. Jean, XVII, 11. — 3. I Cor. VI, 17.

 

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dites aussi que la différence entre le Père et le Fils vient de ce que le Père aime, tandis que le Fils est aimé ; comme si vous pouviez nier que le Fils aime le Père. Si donc ils s'aiment tous deux d'un amour réciproque, pourquoi niez-vous qu'ils soient d'une seule nature ?

J'ai dit, relativement au Père, qu'il a été appelé plus grand que le Fils, à cause de la nature d'esclave dont celui-ci s'est revêtu, j'en dis autant encore de son invisibilité : le Fils a été appelé visible à raison de cette même nature d'esclave. Du reste, par rapport à la nature divine elle-même, soit du Père, soit du Fils, soit du Saint-Esprit, elle est absolument invisible. Et quand la divinité, se manifestait à nos pères, elle révélait son invisibilité par les créatures mêmes qui lui servaient d'intermédiaires. Car par sa propre nature elle est tellement invisible, que Moïse lui-même, avec qui le Seigneur parlait face à face, disait : « Si j'ai trouvé grâce devant vous, montrez-vous à moi vous-même en toute évidence (1) ». Il voulait voir Dieu comme on le voit des yeux du cœur, suivant ces paroles : « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu (2) ». Celui à qui il disait : « Montrez-vous à moi vous-même en toute évidence », il voulait le voir de la même manière que l'on voit aussi les perfections invisibles de Dieu, par les choses qui ont été faites. Car, dit l'Apôtre, « ses perfections invisibles, devenues compréhensibles par les choses qui ont été faites, sont rendues visibles aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité (3) ». Ainsi les perfections invisibles de Dieu se laissent voir à ceux qui en ont l'intelligence, et cependant elles sont appelées invisibles. Et après que tout a été fait par le Christ (4), les choses visibles et les choses invisibles, nous pourrions croire qu'il est lui-même visible ? Vous dites pareillement qu'on doit entendre du Père seul ces paroles de l'Apôtre: « A Dieu seul sage (5) ». Donc le Père seul est un Dieu sage, et la sagesse de Dieu, c'est-à-dire le Christ, que l'Apôtre désigne en ces termes : « Le Christ, la puissance de Dieu, et la sagesse de Dieu (6) », cette sagesse elle-même n'est point sage ! Il ne vous reste plus qu'à déclarer (et votre témérité n'en sera point effrayée), il ne vous reste plus qu'à déclarer insensée la sagesse de

 

1. Exod. XXXIII, 11 , 13. — 2. Matt. V, 8. — 3. Rom. I, 20. — 4. Jean, I, 3. — 5. Rom. XVI, 27. — 6. I Cor. I, 24.

 

Dieu. Vous dites aussi que le Père n'a point été fait, comme si le Fils, par qui toutes choses ont été faites, avait été fait lui-même. Sachez donc que le Fils a été fait, mais seulement par rapport à sa nature d'esclave. Car par rapport à sa nature divine, non-seulement il n'a pas été fait, mais c'est par lui que toutes choses ont été faites. S'il eût été fait lui-même, toutes choses n'auraient point été faites par lui, mais seulement celles qui ne sont point lui. Ainsi, je ne dis pas que le Fils n'a point été engendré ; je dis au contraire que le Père a engendré et que le Fils a été engendré. Mais en même temps le Père a engendré un Fils identique à lui-même : autrement, c'est-à-dire si le Fils n'était pas absolument le même que le Père, il ne serait point Fils véritable; comme nous avons établi ci-dessus, par rapport à la génération des êtres animés, que les enfants véritables sont d'une nature identique à celle de leurs parents. Mais pourquoi demandez-vous que je vous montre le Saint-Esprit égal au Père, comme si vous aviez montré vous-même le Père plus grand que le Saint-Esprit, ainsi que vous avez pu le faire par rapport au Fils, à raison de sa nature d'esclave ? Nous savons que le Père a été proclamé plus grand que le Fils, parce que celui-ci était revêtu de la nature d'esclave ; aujourd'hui même il possède encore la nature humaine qu'il a élevée dans les cieux; c'est pour cela qu'il a été dit de, lui, que maintenant encore « il intercède pour nous (1) ». Et cette même nature immortelle subsistera éternellement dans son royaume; de là ces paroles : « Alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a soumis toutes choses (2) ». Mais pour le Saint-Esprit qui ne s'est uni hypostatiquement aucune créature, bien qu'il ait daigné, lui aussi, se montrer visiblement par l'intermédiaire des créatures, tantôt en forme de colombe, tantôt en forme de langues de feu, jamais il n'a été dit que le Père fût plus grand que lui ; jamais il n'a été dit que le Saint-Esprit eût adoré le Père, ni qu'il fût inférieur au Père. Vous dites enfin; « Si le Fils était égal, il serait nécessairement semblable » : c'est-à-dire que, le Fils ayant été engendré, il ne vous paraît point semblable au Père, qui ne l'a pas été. Vous pourriez dire de même que ces êtres engendrés par Adam n'étaient point des hommes, parce que

 

1. Rom. VIII, 34. — 2. I Cor. XV, 28.

 

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Adam lui-même avait été non pas engendré, mais créé par Dieu. Si au contraire Adam a pu exister sans avoir été engendré, et si en même temps il a pu engendrer des êtres tout à fait semblables à lui-même, comment prétendez-vous que Dieu n'a pu engendrer un Dieu égal à lui-même? Je crois avoir répondu à toutes vos questions. Mais si vous ne voulez pas être mon disciple, épargnez-moi du moins la longueur de vos discours.

XV. Max. Vous parlez comme un homme qui s'appuie sur le secours des princes, nullement suivant la crainte de Dieu. J'ai eu la patience de vous écouter pendant de longues heures, vous vous êtes expliqué comme il vous a plu. Avec le secours de Dieu nous répondrons à tout. Car notre force ne réside point dans des paroles purement humaines, mais dans le témoignage des divines Ecritures. Seulement si nous avons eu la patience d'écouter vos explications, ayez la même patience à notre égard, afin que nous répondions à chacun de vos raisonnements, comme vous avez vous-même répondu aux nôtres autant qu'il vous a plu.

XVI. Pour nous, nous adorons le Christ comme Dieu de toute créature; car il reçoit les adorations et les hommages non-seulement du genre humain, mais même de toutes les puissances célestes. Entendez le bienheureux Paul qui s'écrie : « Ayez en vous les sentiments  qu'avait en lui Jésus-Christ ; lequel étant a dans la nature de Dieu n'a pas cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu; mais qui s'est anéanti lui-même, prenant la nature d'esclave, étant devenu semblable aux hommes et se montrant avec les formes extérieures de l'humanité. Il s'est humilié lui-même, s'étant rendu obéissant jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la croix. C'est pourquoi Dieu l'a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom ». Sans doute vous avez jugé à propos dans votre discours de passer ces paroles sous silence, sachant bien qu'elles sont contraires à votre profession de foi et que cette lecture vous condamnerait. Car après avoir dit que « Dieu lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom », l'Apôtre déclare que tout genou fléchit devant le Christ : « Afin », ajoute-t-il aussitôt, « qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers; et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu le Père (1) ». Dans ces paroles : « Afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers », dans ces paroles, dis-je, sont comprises toutes les créatures. Rien dans le ciel, qui ne fléchisse le genou devant le Christ; tout ce qui est resté sur la terre, tout ce qui existe dans les enfers, tout absolument fléchit le genou devant le Christ. Et c'est le Père qui lui a donné ce privilège. Les lecteurs sont en état de prouver si, en raisonnant ainsi, je m'appuie sur mon autorité propre, ou, comme vous m'en accusez, sur la facile abondance de mes paroles, ou bien au contraire si mes réponses sont fondées sur le témoignage des divines Ecritures.

XVII. Vous dites que le Saint-Esprit est égal au Fils. Montrez-nous des textes de l'Écriture attestant que le Saint-Esprit est adoré, que tout genou fléchit devant lui au ciel, sur la terre et dans les enfers. Pour nous, nous avons appris que Dieu le Père doit être adoré, de la bouche du bienheureux apôtre Paul :  « C'est pourquoi, dit-il, je fléchis les genoux devant le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de qui toute paternité tire son nom au ciel et sur la terre (2) ». Nous adorons le Père, sur le témoignage des saintes Ecritures ; instruits également par ces mêmes divines Ecritures, nous rendons nos hommages et nos adorations au Christ Dieu. S'il est dit quelque part que le Saint-Esprit doit être adoré, si le Père ou le Fils lui a rendu ce témoignage, si lui-même s'est attribué ce privilège, lisez cela dans les divines Ecritures, quand nous aurons fini de parler.

XVIII. Le même Apôtre, après avoir dit que le Christ est à la droite de Dieu, qu'il intercède pour nous (3), continue la même pensée en un autre endroit : « Recherchez, dit-il, les choses d'en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu (4) ». Dans son épître aux Hébreux il dit encore : « Après avoir opéré la purification des péchés, il s'est assis au plus haut des cieux à la droite de la suprême grandeur (5) ». Le Saint-Esprit lui-même avait fait longtemps avant, et par la bouche d'un prophète, une prédiction conçue en ces termes : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite ». Enfin, le Fils a fait, dans

 

1. Philipp. II, 5-11. — 2. Ephés. III, 14, 15. — 3. Rom. VIII, 34. — 4. Coloss. III, 1. — 5. Hébr. I, 3.

 

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l'Evangile, une déclaration expresse à cet égard (1). Et ensuite, au prince qui lui adressait cette adjuration : « Dites-nous si vous êtes le Christ, Fils du Dieu béni », il répondit : « Je le suis », ou du moins : « Vous le dites » ; puis il ajouta : « Un jour vous verrez le Fils de l'homme assis à la droite de la puissance de Dieu (2) ».

XIX. Nous rendons de justes honneurs au Saint-Esprit comme docteur, comme guide, comme illuminateur, comme sanctificateur; nous offrons nos hommages au Christ comme créateur ; nous adorons avec une piété sincère le Père comme principe de toutes choses, et en tout lieu et devant toutes sortes de personnes nous le proclamons principe unique. Au reste, ces calomnies sont des inspirations de votre science philosophique. Je ne pense pas que vous ayez lu ces paroles de l'Apôtre : « Le Christ, qui assurément n'était point pécheur, a été de par la volonté de Dieu rendu péché pour l'amour de nous, afin qu'en lui nous devinssions justice de Dieu (3)». Peut-être aussi n'avez-vous, pas connaissance de ces paroles de l'Écriture : « Maudit soit quiconque est pendu au bois »; paroles que le bienheureux apôtre Paul a interprétées ainsi dans son épître aux Galates : « Il est devenu malédiction pour nous, afin que la bénédiction fût accomplie sur les Gentils (4) ». Vous ignorez également ces autres paroles du même Apôtre : «Le premier homme, Adam, tiré de la terre, est terrestre; le second homme, le Seigneur, venu du ciel, est céleste (5) ». Ces dernières paroles prouvent que le Christ a pris réellement la nature humaine, comme vous l'avez expliqué vous-même; et voilà pourquoi nous disons qu'il est descendu jusqu'à la corruption terrestre. Nous n'ignorons pas en effet qu'il est écrit de lui : « Il n'a point commis de péché, et le mensonge n'a point été trouvé sur ses lèvres; quand il était maudit, il ne maudissait point; quand il recevait de mauvais traitements, il ne menaçait point; il s'abandonnait avec confiance à celui qui le jugeait avec justice (6) ». Nous connaissons pareillement ces paroles de saint Jean-Baptiste : « Voici l'Agneau de Dieu, voici Celui qui ôte le péché du monde (7) ». Point de difficulté à cet égard, puisque vous avez

 

1. Ps. CIX, 1; Matt. XXII, 44. — 2. Marc, XIV, 61, 62; Matt. XXVI, 63, 64. — 3. II Cor. V, 21. — 4. Deut. XXI, 23; Galat. III, 13. — 5. I Cor. XV, 47. — 6. I Pierre, II, 22, 23. — 7.  Jean, I, 29.

 

parlé vous-même en ce sens. Car nous ne devons pas pousser l'opiniâtreté jusqu'à refuser d'applaudir à ce que vous dites de bien. Votre langage a été parfaitement juste quand vous avez dit que le Christ est venu plutôt pour nous purifier de nos péchés et de nos iniquités; sans toutefois se souiller lui-même, comme vous l'avez dit encore. Car, par rapport à cette heureuse substance de sa divinité, qu'il possédait avant la création du monde, avant les siècles, avant les temps, avant les jours, les mois et les années, avant qu'aucun être existât ou seulement qu'il fût l'objet d'une pensée, il est certain, dis-je, que dans cette heureuse nature le Christ est Dieu, ni du Père.

XX. Quand il s'agit de Dieu, on ne doit employer que des comparaisons dignes. Ce qui, me déplaît, ce qui m'a causé une douleur profonde, c'est de vous avoir entendu dire qu'un homme engendre un homme, et qu'un chien engendre un chien : une comparaison si ignoble ne devait pas être employée à l'égard d'une si haute majesté.

XXI. Mais qui donc ignore que Dieu a engendré un Dieu, que le Seigneur a engendré un Seigneur, que le Roi a engendré un Roi, que le Créateur a engendré un Créateur, que celui qui est bon, sage, clément, puissant, a engendré un fils bon, sage, clément, puissant ? Le Père engendrant le Fils n'a- fait aucuns réserve frauduleuse. Il a engendré ce Fils in. liniment bon, non point avec un sentiment de jalousie, mais parce qu'il est lui-même la source de toute bonté, comme toutes les créatures en rendent témoignage : car vous l'aven reconnu vous-même, et je vous en fais mes éloges sincères, quand vous avez dit, en citant un passage des divines Écritures : « Ses perfections invisibles, rendues compréhensible, depuis la création du monde, par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles aussi bien que sa puissance. éternelle et sa divinité (1) ».

XXII. J'ajoute maintenant, non point pour contredire votre discours dans ce qu'il a d'exact, mais pour y conformer mon sentiment, j'ajoute que les beautés infinies de la création font connaître dignement le créateur et le culte qui lui est dû. Je crois avoir déjà répondu à ce sujet. Et du reste, le bienheureux Paul a dit encore: « Le Christ a aboli,

 

1. Rom. I, 20.

 

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en l'attachant à la croix, la cédule même qui nous était contraire, et se dépouillant de sa chair, il a, avec une noble fierté, emmené les puissances et les principautés captives, triomphant d'elles en lui-même (1) ». Cependant supposé que, en ma qualité d'homme étranger à la connaissance des belles-lettres et à la science de la rhétorique, supposé que j'eusse commis quelque faute dans mon langage, vous auriez dû vous attacher uniquement au sens, et laisser passer inaperçue une faute de langage, au lieu de m'en faire un sujet de reproche. Mais à Dieu ne plaise, certes, que j'aie parlé ainsi ! Et sans aucun doute le Dieu seul engendré est le Dieu de toute la création, il est pur et sans tache, il est saint, il est à l'abri de tout péril, comme il est exempt de toute souillure. Aussi « celui qui n'honore point le Fils, n'honore point le Père qui l'a envoyé (2)». Et l'évangéliste, après avoir déclaré que « le Verbe s'est fait chair, et qu'il a habité parmi nous », l'évangéliste ajoute : « Nous avons vu sa gloire comme la gloire qu'un fils unique reçoit de son Père; il était rempli de grâce et de vérité (3)». Antérieurement à l'Evangile, l'Ancien Testament renfermait précisément sur ce sujet une prédiction ainsi conçue : « Il lavera sa robe dans le vin, et son manteau dans le jus de la. vigne (4)». Je crois ce que je lis, savoir que « le Verbe s'est fait chair, et qu'il a habité parmi nous». Je lis ensuite ces paroles du bienheureux Paul « Il transformera le corps de notre humilité, pour le rendre conforme à l'image de son corps glorieux (5) ». Je crois en effet que le Christ Dieu engendré par le Père, s'était bâti lui-même, avant tous les siècles, une maison parfaite, conformément à ces paroles de Salomon, que nous lisons au livre des Proverbes «La sagesse elle-même s'est bâti une demeure (6)» ; et il a accepté cette maison pour son temple.

XXIII. Vous avez expliqué vous-même en quel sens le Christ est visible, en quel sens il est invisible; et si je ne me trompe, il y a déjà longtemps que votre religion a connaissance de cette doctrine. Dans l'argumentation que vous venez de faire, vous avez tiré une comparaison de l'âme, et vous avez montré que nous avons une raison aussi pieuse que pleine de justesse pour croire et savoir que si l'âme

 

1. Coloss. II, 14, 15. — 2. Jean, V, 23. — 3. Id. I, 14. — 4. Gen. XLIX, 11. — 5. Philipp. III, 21. — 6. Prov. IX, 1.

 

humaine unie à un corps ne peut cependant être vue des yeux de ce corps; à plus forte raison le Créateur de l'âme ne saurait être vu de ces mêmes yeux corporels. Car si les anges sont invisibles par l'essence même de leur nature, combien plus doit l'être aussi le Créateur des anges qui a élevé à un état si sublime et si parfait les anges, les archanges, les trônes, les dominations, les principautés, les puissances, les chérubins, les séraphins! Nous lisons dans l'Evangile que le genre humain tout entier n'est, au jugement du Christ lui-même, que.comme une seule brebis, en comparaison de cette multitude d'esprits célestes: « Laissant, dit-il, quatre-vingt-dix-neuf brebis sur les montagnes, il est venu chercher celle qui était égarée» ; et plus loin : « De même il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur faisant pénitence, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de pénitence (1)». Car assurément quels sont ceux qui n'ont pas besoin de pénitence, sinon ces puissances célestes qui n'ont rien de commun avec la nature humaine? Il faut donc concevoir la plus haute idée de la puissance du Fils unique de Dieu, et admirer en lui l'immensité de la toute-puissance de Dieu le Père, qui a engendré un Fils si grand et si parfait, si puissant et si sage, tel en un mot qu'il a pu créer ces puissances célestes si grandes elles-mêmes et si parfaites. Mais afin d'éviter toute abondance excessive de paroles, puisque vous avez daigné tout à l'heure nous attribuer aussi le titre de grand parleur ; et certes plût au ciel qu'il en fût ainsi et que nous pussions dire à notre tour : «Pour nous, nous sommes insensés à cause du Christ», et : «Nous sommes devenus comme les ordures de ce monde (2) », et moins encore, s'il plaît à votre religion de nous juger indignes de ce partage même; nous savons, en effet, quel est celui qui a dit: « J'ai supporté durant tout le jour des railleries injurieuses à cause de vous (3) » ; c'est pour nous exciter à suivre cet exemple que saint Paul disait : « Soyez mes imitateurs comme je le suis moi-même du Christ (4)»; et saint Pierre ne dit-il pas aussi: « Le Christ a souffert pour vous, vous laissant son exemple, afin que vous marchiez sur ses traces (5) ? » afin d'éviter, dis-je, cette abondance de paroles, nous dirons que, suivant

 

1. Luc, XV, 4, 7. — 2. I Cor. IV, 10, 13. — 3. Ps. LXVIII, 8. — 4. I Cor. IV, 16. — 5. I Pierre, II, 21.

 

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sa nature divine, le Fils est invisible non-seulement aux hommes, mais aux puissances célestes elles-mêmes. En effet, un archange peut, bien voir un ange; le regard de celui-ci peut bien atteindre nos âmes spirituelles et en pénétrer les profondeurs : ce regard et cette pénétration sont d'un être plus grand à des créatures moins grandes. Et, suivant cette parole du Sauveur, adressée autrefois à un homme qui se glorifiait d'être riche: « Insensé, cette nuit même on te redemande ton âme (1) », c'est l'office d'un ange, de ramener l'âme en présence du Seigneur. Mais une âme ne peut voir un ange, ni le présenter. Elevez-vous au-dessus de cet ordre de créatures, et vous verrez que Dieu le Père est seul invisible; il n'a au-dessus de lui personne dont le regard embrasse et pénètre sa nature; son immensité n'a d'autre mesure que l'infini; la langue ne saurait le décrire, l'esprit ne saurait le concevoir; les hommes et avec eux toutes les puissances célestes réunies parlent de sa grandeur, suivant la mesure de leurs forces, mais ils ne la montrent pas telle qu'elle est. Quand toutes les formules de langage sont épuisées, on n'a pas encore dit le premier mot de lui. Le Fils seul peut lui rendre les honneurs, et lui offrir des louanges dignes de sa majesté, grâce aux dons infinis qu'il a reçus de son Père, antérieurement à la pensée même du monde. Quoique les quatre Evangiles attestent qu'il lui rend ainsi honneur, louange et gloire, je citerai cependant ici un texte qui résume ceux où il est dit que le Fils adore son Père dans le ciel; et je laisserai de côté ceux que vous avez coutume d'appliquer à sa nature corporelle. Saint Paul parle aux Hébreux en ces termes : « Le Christ, qui est le type de la vérité, n'est point entré dans des temples faits de main d'hommes; c'est dans le ciel même qu'il paraît aujourd'hui pour nous devant la face de Dieu (2) ». Sans aucun doute, il s'agit ici d'une époque postérieure au retour du Christ dans le ciel. Car le Christ avait prononcé du haut des cieux ces paroles : « Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous (3) ? » le Saint Esprit avait dit aussi : « Séparez-moi Barnabé et Paul pour l'oeuvre du ministère auquel je les ai appelés (4)»; quand Paul ainsi appelé à l'apostolat écrivit: « Le Christ, qui est le type de la vérité, n'est pas entré dans des temples faits de

 

1. Luc, XII, 20. — 2. Hébr. IX, 24. — 3. Act. IX, 4. — 4. Id. XIII, 2.

 

main d'hommes; c'est dans le ciel même qu'il paraît aujourd'hui pour nous devant la face de Dieu ». Mais votre religion m'a donné occasion de répondre à cette question: Le Fils voit-il le Père? Or, nous lisons dans l'Evangile : « Personne n'a vu le Père, sinon celui qui est de Dieu; car celui-là a vu le Père (1) ». Il a donc vu le Père, mais il l'a vu tel que rien ne saurait le contenir. Le Père, au contraire, voit le Fils dans son propre sein on il est renfermé, suivant ce témoignage déjà cité: « Jamais personne n'a vu Dieu; le Fils unique qui est dans le sein du Père, est celui qui l'a fait connaître (2) ». En effet, le Père voit le Fils comme son Fils; le Fils voit le Père comme son Père qui n'a de bornes que l'infini. Votre religiosité déclare que la sagesse humaine est invisible: or, il suffit, ce me semble, de citer cette parole d'Isaïe : «Est-ce que c'est peu de chose pour vous, de combattre avec des hommes? Et comment donc soutiendrez-vous un combat avec le Seigneur (3) ? » Il est certain en effet que ce n'est pas peu de chose de combattre avec des hommes, parce que, quelle que soit la sagesse d'un mortel, il a toujours un plus sage qui le voit. D'ailleurs la sagesse d'un homme ne se voit-elle pas dans ses oeuvres ? ne se révèle-t-elle pas dans ses disciples ? Ainsi la sagesse humaine n'est point invisible, puisqu'on peut la découvrir, lavoir et même la critiquer. Du reste, c'est une convenance et un devoir pour vous de mettre de la dignité dans vos comparaisons, par la raison que vous parlez de Dieu, dont la grandeur est infinie; car lors même qu'on emploierait à son égard les comparaisons les plus parfaites que l'esprit humain puisse concevoir, ou même celles que le: divines Ecritures nous fournissent, jamais ces comparaisons ne seraient tout à fait dignes de celui qui est au-dessus de toute comparaison.

XXIV. Pour moi, conformément aux témoignages déjà cités, je dis que le Père seul, et non point avec un deuxième et un troisième, est un Dieu unique. Si, au contraire, l'unité de la nature divine n'appartient pas à lui seul, il n'en possède donc qu'une partie. Cependant, je ne dis pas que le Dieu unique est un composé de parties; je dis au contraire que sa nature est une puissance non engendrée et tout à fait simple. Le Fils est lui-même aussi une puissance, mais engendrée avant

 

1. Jean, VI, 48. — 2. Jean, I, 18. — 3. Isa. VII, 13.

 

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tous les siècles; et sans aucun doute c'est de cette puissance du Fils que le bienheureux Apôtre disait: « Vous et mon esprit étant réunis, avec la puissance du Seigneur Jésus (1) ». Car mes paroles et ma profession de foi sont conformes aux enseignements des saints Evangiles. Enfin le Saint-Esprit lui-même est une puissance d'une nature à lui particulière : le Seigneur en a donné un témoignage quand il a dit: « Pour vous, (il parlait à ses disciples) demeurez dans la ville de Jérusalem, jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la puissance d'en haut (2) ».

XXV.Si vous déclarez que le Fils est invisible, précisément parce qu'il ne peut être contemplé par les yeux des hommes; pourquoi ne déclarez-vous pas également invisibles les puissances célestes qui, elles aussi, sont inaccessibles aux regards humains? Pour moi, j'ai mis en avant un témoignage de l'Écriture, sans aucune interprétation de ma façon, quand j'ai dit: « Le bienheureux et seul puissant, le Roi des rois, et le Seigneur des seigneurs (3) ». Si j'ai cité l'Écriture textuellement, je n'ai pas dû recevoir de reproches; mais puisque vous approfondissez le sens des livres saints, je vais vous donner mes raisons.

XXVI. L'Apôtre dit en effet: «Le bienheureux et seul puissant, le Roi des rois ». Il dit que le Père est seul puissant, mais non pas en ce sens que le Fils ne soit point puissant. Entendez au contraire le témoignage rendu au Fils par le Saint-Esprit lui-même qui s'écrie : « Ouvrez vos portes, ô princes ; ouvrez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera ». Puis le texte ajoute : « Quel est ce roi de gloire ? » Il répond : « Le Seigneur fort et puissant (4) ». Comment ne serait-il pas puissant, celui dont toutes les créatures annoncent la puissance?

XXVII. Comment ne serait-il pas sage, celui dont le Saint-Esprit célébrait la sagesse en ces termes : « Combien vos oeuvres sont magnifiques, ô Seigneur ! Vous avez tout fait avec sagesse (5)? » Car; puisque tout. a été fait par le Christ, c'est à lui assurément que le Saint-Esprit adressait cette louange : « Vous avez tout fait avec sagesse ». Mais s'il en est ainsi, il faut donc chercher en quel sens le bienheureux Paul dit : « Le bienheureux et seul

 

1. I Cor. V, 4. — 2. Luc, XXIV, 49. — 3. I Tim. VI, 15. —  4. Ps. XXIII, 7, 8. — 5. Ps. CIII, 24.

 

puissant ». Or, si je ne me trompe, saint Paul dit qu'il est seul puissant, par la raison que seul il possède une puissance tout à fait incomparable, suivant ces paroles d'un Prophète qui s'écriait, ravi d'admiration : « O Dieu, qui est semblable à vous (1) ? » Voulez-vous vous convaincre qu'il est seul puissant? Considérez le Fils, admirez la puissance du Fils, et vous comprendrez alors que celui-là seul est puissant, qui a engendré un Fils dont la puissance est si étendue. C'est par sa puissance infinie que le Père a engendré un Créateur puissant. C'est par la puissance qu'il a reçue du Père, comme il le déclare lui-même : « Toutes choses m'ont été données par mon Père (2) », c'est par cette puissance, dis-je, que le Fils a, non point créé un Créateur, mais formé les créatures. Saint Paul admirait avec étonnement cette puissance de Dieu le Père, lorsqu'il le proclamait « bienheureux et seul puissant ». Car si l'homme a, lui aussi, la puissance et la sincérité en partage, suivant ce que l'Écriture dit de Job : « Cet homme adorait Dieu avec sincérité et justice », et suivant ces autres paroles renfermées dans la description du pays de Job : « Il était puissant et grand entre tous dans cette partie de l'Orient (3) », comment alors le Père est-il seul puissant ? Or, saint Paul emploie ces mots : le Père seul, en ce sens que personne ne peut lui être comparé et qu'à lui seul appartient une grandeur, une autorité,. une puissance aussi étendues. C'est de cette manière aussi que le bienheureux Apôtre Paul proclame le Père seul sage, en ces termes .. « A Dieu seul sage (4) ». Recherchons en effet en quel sens il est seul sage. Ce n'est pas en ce sens que le Christ ne soit point sage; car vous avez avancé, plus haut, que le Christ « est la Puissance de Dieu et la Sagesse de Dieu (5) » ; nous avons nous-même prouvé par un texte de l'Écriture, qu'il a créé toutes choses par sa sagesse. Cependant le Père est véritablement seul sage. Nous croyons à l'Écriture et nous en vénérons les divines paroles elles-mêmes ; loin de nous le désir d'en passer une seule virgule ! nous redoutons cette menace contenue précisément dans ces livres sacrés : « Malheur à ceux qui y font des retranchements ou des augmentations (6) » Voulez-vous donc savoir combien

 

1. Ps. LXXXII, 2. — 2. Matt. XI, 27. — 3. Job, I, 1, 3. — 4. Rom. XVI, 27. — 5. I Cor. I, 24. — 6. Deut. IV, 2.

 

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la sagesse du Père est immense? Tournez vos regards vers le Fils, vous verrez la sagesse du Père. C'est pour cette raison que le Christ disait lui-même : « Celui qui m'a vu, a vu aussi le Père (1) » ; c'est-à-dire, celui-là voit en moi la sagesse du Père et loue en moi sa puissance; il glorifie celui qui avant tous les siècles m'a engendré, moi si grand et si parfait, celui qui seul m'a engendré, moi son Fils unique, celui enfin qui est parfaitement un et auquel moi-même je ressemble en cela. Car le Père a engendré le Fils, sans chercher pour le former une matière préexistante, sans réclamer le secours de personne, mais comme il l'a entendu lui-même et par la puissance et la sagesse qui lui sont propres. Non pas, quoique vous nous en accusiez faussement, non pas que nous professions que le Fils ait été fait de rien, à l'exemple des autres créatures tirées du néant et comme l'une d'entre elles. Ecoutez à ce sujet ces paroles revêtues de l'autorité d'un concile : « Si quelqu'un dit que le Fils tire son origine du néant, et non point de Dieu le Père, qu'il soit anathème ».Telles furent, entre autres, les paroles de nos pères à Rimini. Si vous l'exigez, je citerai à l'instant des témoignages de l'Ecriture. Car le bienheureux apôtre Jean s'exprime ainsi : « Quiconque aime celui qui a engendré, aime aussi celui qui est né de lui (2)».

XXVIII. Voici ce qui m'étonne, mon très-cher. Vous dites que le Saint-Esprit est, lui aussi, de la substance du Père; mais si le Fils et le Saint-Esprit sont, l'un et l'autre, de la substance du Père, pourquoi le premier est-il Fils, tandis que le second ne l'est pas ? En quoi celui-ci vous a-t-il donc offensé, puisqu'il est de la même substance que le Fils, puisque, suivant vos propres expressions, il est égal au Fils? pourquoi dès lors n'est-il pas, lui aussi, établi héritier universel? pourquoi, lui aussi, n'est-il pas fils? pourquoi n'est-il pas, aussi bien que le Fils, appelé du nom de « premier-né de toute la création (3) ? » Ou bien, s'il est égal au Fils, le Fils unique n'est donc plus unique, puisqu'il partage avec un autre sa qualité de Fils; et que de plus cet autre est de la même substance du Père, dont vous dites que le Fils tire son origine ? Assurément tout cela est pénible à entendre. Car vous comparez cette majesté si sublime, non point à

 

1. Jean, XIV, 9. — 2. I Jean, V, 1. — 3. Coloss. I, 15.

 

l'âme qui a reçu en partage la noblesse, mais au corps qui est la faiblesse même. La chair, en effet, le fils corporel naît d'un autre corps; mais l'âme ne naît point d'une autre âme. Si donc notre âme engendre sans éprouver aucune corruption ni aucune souffrance, sans se sentir ni amoindrie ni souillée ; si au contraire elle peut engendrer un fils légitimement et conformément aux lois divines et qu'elle ne perde rien de son intégrité, quand elle accorde avec sagesse son consentement à l'oeuvre du corps ; à combien plus forte raison doit-il en être ainsi du Dieu tout-puissant? Je l'ai dit déjà il y a un instant, nous nous efforçons de parler de lui suivant la mesure de nos forces, mais aucune comparaison humaine ne saurait en donner une juste idée. A combien plus forte raison Dieu le Père, qui est essentielle ment incorruptible, a-t-il engendré le Fils sans éprouver les atteintes de la corruption ! Il l'a engendré cependant; croyez à l'assurance que je vous en donne ; car je possède à cet égard le témoignage des saintes Ecritures: « Qui pourra raconter sa génération (1) ? » Il a engendré comme il l'a voulu, parce qu'il est puissant, sans faire aucune réserve frauduleuse ; il a engendré un Fils puissant sans que la jalousie ait eu aucune part dans cette couvre. Je l'ai dit, pour les hommes religieux il n'est pas convenable de porter des accusations fausses. Or, je professe, moi, que le Verbe de Dieu est le Verbe de Dieu, immortel et à l'abri de la corruption. Car, quant au corps qu'il a pris pour notre salut, voici ce qui en est dit dans l'Ecriture : « Ma chair reposera dans l'espérance »,  c'est-à-dire dans l'espérance de la résurrection; « car vous ne laisserez point mon âme dans les enfers, et vous ne permettrez point que votre saint voie la corruption (2) ». Si, en effet, cet être saint qui a été appelé le Fils de Dieu, n'a point vu la corruption, puisque sans aucun doute il est ressuscité le troisième jour d'entre les morts; à combien plus forte raison la divinité, qui a pris ce corps, doit-elle demeurer aussi exempte de corruption ? Pourquoi dites-vous que vous ne comprenez pas ? Si je ne réponds pas à toutes vos questions, je serai justement convaincu de manquer d'intelligence; mais dans le cas contraire, il n'est pas conforme à la religion

 

1. Isa. LIII, 8. — 2. Ps. XV, 9.

 

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de m'attaquer par des injures. Car, non-seulement j'affirme que la sagesse du Fils de Dieu est immortelle, mais je prouverai aussi que la sagesse même des saints de Dieu est immortelle. En effet, si les saints eux-mêmes, c'est-à-dire leurs corps, sont rappelés à une vie immortelle, combien plus cette sagesse vivante qui leur appartient et qui fleurira jusqu'à la fin du monde dans tous ceux qui croient, doit-elle aussi demeurer immortelle?

Quoique, dans ce long discours, j'aie omis de parler de l'immortalité du Dieu tout-puissant, de ce que le bienheureux apôtre Paul exprime en ces termes : « Seul il possède l'immortalité (1) », je m'arrêterai cependant sur ce texte et, avec l'aide de Dieu et le secours de sa grâce, j'en donnerai l'interprétation. L'Ecriture attribue à Dieu seul l'immortalité, comme elle attribue aussi à lui seul la puissance et même la sagesse. Mais qui donc, parmi les hommes spirituels, ignore que l'âme humaine est immortelle? surtout après cette maxime du Sauveur : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l'âme (2) », parce qu'elle est immortelle. De plus, si l'âme est immortelle, à plus forte raison devons-nous reconnaître que toutes les puissances célestes sont nécessairement immortelles aussi. Enfin le Sauveur dit : « Celui qui garde ma parole, ne verra jamais la mort (3) ». Or, si celui qui garde la parole du Christ « ne verra jamais la mort », combien plus le Christ lui-même doit-il, par la puissance de sa divinité, être immortel, puisque l'efficacité de sa parole est si grande ! Cependant nous avons déjà expliqué le sens de ces paroles de l'Apôtre : « Lui seul possède l'immortalité ». Le Fils, il est vrai, possède l'immortalité, mais il la reçoit du Père. Toutes les puissances célestes possèdent aussi l'immortalité, mais elles la reçoivent par l'intermédiaire du Fils ; car c'est par lui que toutes choses existent. Le Père au contraire possède seul véritablement l'immortalité, parce qu'il ne l'a pas reçue d'un autre, parce qu'il n'a pas été engendré et qu'il ne tire son origine de personne. Le Fils au contraire, comme il l'a déclaré lui-même, est immortel parce qu'il a été engendré par le Père. Vous affirmez souvent que le Fils est égal au Père : cependant le Fils unique lui-même, Dieu véritable, proclame

 

1. I Tim. VI, 16. — 2. Matt. X, 28. — 3. Jean, VIII, 51.

 

toujours et partout qu'il a été formé parle Père; ainsi que je l'ai dit tout à l'heure, il a même déclaré avoir reçu lai vie de lui, en ces termes : « Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d'avoir aussi en lui-même la vie (1) ». Reconnaissez donc que si le Fils est immortel, incorruptible et inaccessible à toutes nos pensées, il tient ces qualités du Père aussi bien que la vie. Le Père a la vie en lui-même sans la recevoir de personne ; c'est pour cela qu'il est véritablement « bienheureux et seul puissant ». Mais quel est celui qui « s'est anéanti  lui-même? » Est-ce le Père, ou le Fils? lequel les deux s'est empressé de plaire à l'autre par son obéissance, sinon celui qui disait : « de fais toujours les choses qui lui sont agréables (2) ? » Quel est celui qui disait en arrivant près du tombeau de Lazare : «Mon Père, je vous rends grâces de ce que vous m'avez écouté; pour moi, je savais bien que vous m'écoutez toujours; mais je dis ceci à cause de ceux qui m'environnent, afin qu'ils croient que vous m'avez envoyé (3) ? » Quel est enfin celui qui, au moment où il ouvrait les yeux d'un aveugle-né, fut interrogé par ses disciples en ces termes «Est-ce celui-ci ou bien ses parents qui ont péché, pour qu'il soit né aveugle ? » et leur répondit. : « Ni celui-ci, ni ses parents n'ont péché ; mais c'est afin que les oeuvres de Dieu soient manifestées en lui : il faut que j'accomplisse les oeuvres de celui qui m'a envoyé (4) ? » Sans aucun doute c'est le Fils bien-aimé du Père, le même qui ayant pris des pains, ne les rompit point tout d'abord, mais éleva auparavant ses regards vers le ciel, rendit grâces à son Père, et les rompit ensuite et les distribua. C'est ainsi en effet qu'il agit dans sa passion même, ou plutôt immédiatement avant sa passion, comme il est rapporté dans l'Evangile (5) : car « le Seigneur Jésus », dans la nuit même où il fut trahi, « prit du pain, et après avoir rendu grâces il le rompit (6)». Mais sans m'étendre davantage sur ce point, de peur de vous fatiguer désormais par l'éloquence de mes paroles ou par l'abondance des témoignages, et afin de terminer par un trait qui résume tout, c'est ce Fils qui enseignait en ces termes que rien n'arrive sans la permission du Père, pas même la

 

1. Jean, V, 26. — 2. Id. VIII, 29. — 3. Id. XI, 41, 42. — 4. Id. IX, 2-1. — 5. Matt. XXVI, 26. — 6. I Cor. XI, 23, 24.

 

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mort d'un passereau : « Deux passereaux ne se vendent-ils pas un as? cependant pas un seul d'entre eux ne tombera sur la terre sans la volonté du Père (1) ». C'est lui enfin qui disait en parlant de sa propre puissance qu'il avait reçue du Père : « J'ai le pouvoir de donner mon âme, et j'ai le pouvoir de la prendre de nouveau. Car j'ai reçu ce commandement de mon Père (2) ». Si tel est le récit des Evangiles, il faut s'en tenir à ce qui est écrit ; si au contraire j'ai par hasard changé quelques passages, ou si j'en ai omis par oubli, montrez-le-moi. Car je ne suis pas homme à ne point souffrir qu'on me reprenne. Le bienheureux apôtre Paul ordonne en effet, que l'évêque se laisse volontiers enseigner (3); or, celui-là seul est ainsi disposé, qui apprend chaque jour et qui chaque jour aussi donne un enseignement plus parfait aussi nous ne repoussons point ce que l'on peut dire de mieux; nous sommes disposé à tout, malgré les injures qu'on nous adresse. Toutefois, de peur que la vérité ne soit exposée à des contradictions inconvenantes nous ne nous plaignons point des injures que nous souffrons; nous nous bornons à annoncer la gloire de Dieu.

XXIX. Ce que dit l'Apôtre est incontestable « Lorsqu'il était dans la nature de Dieu ». Aussi, personne ne nie que le Fils soit dans la nature de Dieu. Nous-même nous avons dit plus haut, et assez longuement, ce me semble, qu'il est Dieu, qu'il est Seigneur, qu'il est Roi. Le bienheureux apôtre Paul nous apprend encore « qu'il n'a point pensé « que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu » ; or, nous ne lui attribuons point, cette usurpation qu'il n'a pas commise; mais nous employons toutes nos forces à publier « qu'il s'est anéanti lui-même, en se rendant obéissant » au Père « jusqu'à la mort et jusqu'à la mort de la croix (4) ». Pour nous, c'est par grâce que nous avons été appelés enfants; nous ne le sommes point par nature et dès notre naissance : mais le Fils est Fils unique, parce qu'il a reçu dès sa naissance tout ce qui appartient à sa nature divine. Si vous voulez vous-même lui adjoindre un frère, car en affirmant que le Saint-Esprit est semblable et égal au Fils, vous déclarez par là même que le Saint-Esprit, lui aussi, est de la substance du Père; s'il en est ainsi, dis-je,

 

1. Matt. X, 29. —  2. Jean, X, 18. — 3. I Tim. III, 2. — 4. Philipp. II, 6-8.

 

le Fils n'est donc plus unique, puisqu'il en est un autre de la même substance. Pour nous, notre nature ne vient point de Dieu le Père qui est sans naissance : nous croyons à ces paroles du Christ : « Dieu est esprit (1) ». Mais le Fils a pris naissance de lui, ainsi que nous l'avons dit : car nous le proclamons Fils véritable, et nous ne nions point qu'il soit semblable au Père; du reste cet enseignement nous vient des divines Ecritures. Et puisque vous nous accusez de parler de natures différentes, sachez que, suivant nos propres expressions, le Père qui est esprit a engendré avant tous les siècles un autre esprit, Dieu a engendré un Dieu ; et le reste que nous avons déjà exposé plus haut. Le Père qui est véritable et sans naissance, a engendré un Fils véritable. A la vérité le Seigneur dit dans l'Evangile : « Qu'ils vous connaissent, vous,  seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ (2) » ; mais ici le Père est appelé seul véritable dans le même sens qu'il est appelé seul bon, seul puissant, seul sage. Le démon lui-même, je crois, n'a point osé dire que le Père a engendré avant toutes choses un Fils qui n'est point parfait. Le Fils engendré par le Père n'est point susceptible de perfectionnement. Si l'homme, puisque vous avez employé cette comparaison, si l'homme pouvait engendrer en un instant un fils parfait, il n'engendrerait point un peut enfant qui aura besoin de plusieurs années successives pour réaliser enfin un jour la volonté de son père. Le Père au contraire, qui est véritablement heureux et seul puissant, a engendré le Fils tel qu'il est maintenant et tel qu'il demeurera éternellement, non susceptible de perfectionnement parce qu'il est parfait; et qui de plus a reçu cette perfection de son Père, comme il a reçu aussi la vie de lui. Au reste, c'est une maxime du Sauveur, que « la parole de deux ou trois témoins mettra fin à toute discussion (3) ». Or, vous avez cité ce texte de l'Apôtre : « Lorsqu'il était dans la nature de Dieu, il n'a point pensé que ce fût une usurpation » ; et ce texte, vous. l'avez interprété à votre libre volonté; nous-même à notre tour, nous avons répondu suivant notre manière de voir. Les auditeurs auront maintenant la liberté de choisir l'un ou l'autre sentiment; et sans doute, suivant la suite de ce texte, ils regarderont comme

 

1. Jean, IV, 24. — 2. Id. XVII, 3. — 3. Matt. XVIII, 16.

 

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obéissant au Père, le Fils « qui s'est anéanti en prenant la nature d'esclave », et auquel aussi le Père « a donné », comme nous l'avons dit, « un nom qui est au-dessus de tout nom » ; ou bien ils parviendront tous à comprendre votre interprétation.

XXX. «Je monte vers mon Dieu et vers votre Dieu (1)». Vous affirmez, je crois, que le Seigneur s'est exprimé ainsi à cause de la nature d'esclave qu'il a prise : c'est, dites-vous, par un acte d'humilité volontaire et lorsqu'il était revêtu d'un corps humain, quoique sa victoire sur le démon, son triomphe sur la mort et sa propre résurrection fussent alors accomplis, c'est pour cela, dites-vous, qu'il tenait ce langage : « Je monte vers mon Père et vers votre Père ». A cette époque cependant l'humilité de sa. chair n'était plus nécessaire, comme vous dites, à cause des Juifs; il s'agissait seulement de donner une règle de foi exacte. C'est de cette manière encore, qu'après sa résurrection il disait en un autre endroit à ses disciples réunis sur le mont des Oliviers : «Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre : allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit, leur apprenant à observer tout ce que je vous ai commandé (2) ». Mais si le Fils a parlé ainsi par humilité et non point en toute vérité, pourquoi l'Apôtre a-t-il osé répéter les mêmes expressions et dire : « Que le Dieu de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père rempli de gloire..... (3) ? » Pourquoi du moins dit-il «Dieu qui est Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, béni dans tous les siècles, osait... (4) et ailleurs. « Afin que d'un même coeur et d'une même bouche, vous rendiez gloire à Dieu et au Père de Notre-Seigneur  Jésus-Christ (5)? » Pourquoi ajoute-t-il encore ces expressions formelles : « Béni soit Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ (6) ? » Pourquoi enfin le Saint-Esprit disait-il au Fils, avant même l'incarnation du Christ : « C'est pour cela que Dieu, votre Dieu, vous a oint (7) ? » Argumentez autant qu'il vous plaira, vous ne réussirez pas à prouver que cette onction a été faite sur le corps du Christ nous lisons bien qu'il a été baptisé (8), mais

 

1. Jean, XX, 17. — 2. Matt. XXVIII, 18-20. — 3. Eph. I, 17. — 4. II Cor. XI, 31. — 5. Rom. XV, 6. —  6. II Cor. I, 3. — 7. Ps. XLIV, 8. — 8. Matt. III, 16.

 

nous ne lisons pas qu'il ait été oint corporellement. Mais le texte est conçu en ces termes : « C'est pourquoi Dieu, votre Dieu, vous a oint de l'huile de l'allégresse plus abondamment que vos frères », et par là même il est évident que dans cette expression: l'huile de l'allégresse, le mot huile désigne cette allégresse dont le Fils disait par la bouche de Salomon : « J'étais pour lui chaque jour le sujet d'une joie toujours nouvelle; moi-même je me réjouissais continuellement devant sa face, pendant qu'il se réjouissait à la vue des perfections de l'univers et surtout à la vue des enfants des hommes (1) ». Par rapport à ces paroles . « J'étais pour lui chaque jour le sujet d'une joie toujours nouvelle », on lit expressément au livre de la Genèse, que, suivant ce qui est dit au même livre : « Et Dieu vit que toutes choses étaient excellemment bonnes (2) », le Père se réjouissait à la vue de chacune des oeuvres de son Fils, et était rempli d'une vive allégresse, quand il contemplait la perfection avec laquelle ce même Fils les avait accomplies. En même temps le Fils se réjouissait devant son Père de l'accomplissement parfait de la volonté paternelle. « Toute Ecriture divinement inspirée est utile pour enseigner (3) ». C'est pourquoi « pas un seul iota, pas un seul point de la loi ne passera (4)». « Le ciel et la terre passeront », a dit le Seigneur, « mais mes paroles ne passeront point (5).

XXXI. Il est certain que le Fils était dans le principe, qu'il était dans le Père, et qu'il était Dieu ; il était dans le principe en Dieu, comme premier-né de toute la création ; toutes choses ont été faites par lui, et rien n'a été fait sans lui (6) : mais ces paroles ne sauraient être appliquées à la personne du Saint-Esprit. Vous ne trouverez dans les divines Ecritures aucun texte qui vous autorise à dire que le Saint-Esprit est égal au Fils. Car ce même Fils était dans le principe ; le Père, au contraire, est avant tout principe, il est sans principe, n'ayant pas été engendré et n'ayant pas eu de naissance. Mais le Fils était dans le principe, comme premier-né de toute la création (7). Il était avant toute créature, avant qu'il existât quoi que ce soit, et il était en Dieu, et il était Dieu, et il était dans le principe en Dieu.

XXXII. Que direz-vous maintenant, si vous.

 

1. Prov. VIII, 30, 31. — 2. Gen. I, 31. — 3. II Tim. III, 16. — 4. Matt. V, 18. — 5. Id. XXIV, 35. — 6. Id. I, 1-3. — 7. Coloss. I, 15.

 

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entendez le Père s'exprimant en ces termes : « Toute puissance est à vous au jour de votre force, au milieu des splendeurs des saints ; je vous ai engendré dans mon sein avant l'aurore (1) ? » Vous reconnaissez qu'il est né selon la chair du sein d'une mère, ce que les Juifs mêmes ne nient point. Mais pourquoi ne citez-vous pas ici publiquement les témoignages qui établissent sa naissance dans le principe, ainsi que le texte précédent nous l'enseigne? S'il se reconnaît redevable à son Père, à raison du corps dans lequel il s'est anéanti, lui « qui étant riche, s'est fait pauvre à cause de nous », comme parle l'Apôtre (2) ; à plus forte raison doit-il nécessairement, en sa qualité de Fils bien-aimé, témoigner sans cesse à son Père le respect et la soumission qu'il lui doit pour avoir été par lui engendré si grand et si parfait. Vous avez dit avec beaucoup de raison qu'il obéissait même à ses parents, à cause de sa nature d'esclave (3). Or, si on le voit obéir à ses parents qu'il a créés lui-même, puisque toutes choses ont été faites par lui ; car nous savons que le Fils a été engendré par le Père, non point dans le temps, mais avant tous les temps ; s'il est soumis, dis-je, à ses parents, comme l'autorité des divines Ecritures le montre on ne peut plus clairement; à combien plus forte raison assurément est-il soumis à ce même Père par qui il a été engendré si grand et si parfait, suivant ces paroles de l'apôtre saint Paul : « Lorsque tout aura été soumis au Fils, alors le Fils lui-même sera soumis à celui par qui toutes choses lui auront été soumises (4) ». Vous prétendez nous faire dire à nous-mêmes, que nous reconnaissons hautement que tout est soumis à son corps, ou plutôt à l'économie entière de l'incarnation accomplie par lui pour notre salut ; mais que du reste ce même corps seul est soumis au Père, et non point le Fils unique, Dieu véritable. Nous savons en effet et nous croyons nous-mêmes que « le Père ne juge personne, mais qu'il a remis tout jugement entre les mains du Fils, afin que tous rendent gloire au Fils comme ils rendent gloire au Père lui-même (5) ». Aussi, nous reconnaissons hautement que si, au jour de la résurrection, alors que toutes choses lui auront été soumises, si tous rendent gloire au. Fils et lui offrent leurs hommages et leurs

 

1. Ps. CIX, 3. — 2. II Cor. VIII, 9. — 3. Luc, II, 51. — 4. I Cor. XV, 28. — 5. Jean, V, 22-23.

 

adorations, le Fils cependant ne s'élève point en cela au-dessus de ce qu'il est; mais en même temps nous voyons clairement qu'il est soumis à son Père avec tout ce qui lui est soumis à lui-même, quand il dit : « Venez, bénis de mon Père; possédez le royaume qui vous est préparé depuis le commencement du monde (1) ».

XXXIII. On a entendu déjà la citation d'un texte que vous avez paru dénaturer à votre gré pour le rendre conforme à votre manière de voir. Mais la parole de l'Apôtre n'en subsiste pas moins: « Nous ne savons ce que nous devons demander dans la prière; mais l'Esprit lui-même demande pour nous avec des gémissements inénarrables ». Vous avez paru nous intimider par cet argument: le Saint-Esprit est donc malheureux jusqu'à être réduit à gémir? Cependant nous ne disons point que le Saint-Esprit soit dans un état capable d'exciter la compassion. Car ce même texte fait éclater la gloire du Saint-Esprit, puisque, suivant l'Apôtre, il gémit, non point à cause de lui, mais « à cause de nous (2) ». Du reste le Fils même intercède et prie non point pour lui, mais pour nous pareillement, comme je l'ai dit déjà ci-dessus. « Celui qui est fidèle dans de petites choses, est fidèle aussi dans celles qui sont plus grandes (3) ».

XXXIV. Il n'y a, pour établir l'unité du Père et du Fils, qu'un seul genre de preuves possible: vous et moi, nous ne pouvons prendre nos arguments ailleurs que dans ces comparaisons mêmes dont vous vous êtes servi. Si donc, comme vous le dites et comme l'Apôtre le confirme, si « celui qui s'unit au Seigneur, devient un seul esprit avec lui (4) », assurément cette unité d'esprit consiste en ce que cet homme accomplit la volonté de Dieu à laquelle il se conforme, suivant ce que le Sauveur a enseigné. Car le Sauveur nous a appris à dire, entre autres formules de prières que nous devons réciter: « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel (5) ». La terre assurément, c'est nous-mêmes. Conséquemment, de même que la volonté de Dieu est faite dans les cieux, de même aussi nous devons accomplir en nous ce que nous demandons, et le réaliser dans nos oeuvres; et ainsi, en voulant ce que Dieu veut, nous deviendrons un seul esprit avec lui. Or, le Fils lui-même,

 

1. Matt. XXV, 34. — 2. Rom. VIII, 26, 27. — 3. Luc, XVI, 10. — 4. I Cor. VI, 17. — 5. Matt. VI, 10.

 

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peu d'heures avant sa passion, s'écriait aussi en s'adressant à celui qui l'a engendré : « Abba, Père, que ce calice passe loin de moi ; toutefois non pas comme je veux, mais comme vous voulez vous-même (1) ». Par ces paroles : « Non pas comme je veux, mais comme vous voulez vous-même », il montre que sa propre volonté est véritablement soumise à son Père ; car c'est pour faire la volonté de celui-ci qu'il est descendu du ciel: « Je suis descendu du ciel, dit-il, pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé (2) ». La volonté du Fils est donc entièrement conforme à la volonté du Père. Et autant le Fils comme Dieu est supérieur à toute créature, autant cette conformité à la volonté de son Père est plus parfaite et son union avec lui plus intime. Je dis : son union avec lui plus intime ; il lui est uni en effet comme son Fils bien-aimé, par les liens de l'amour et de la plus tendre affection, par la conformité mutuelle de leurs pensées, de leurs sentiments et de leurs volontés. Nous devons recevoir avec un respect sans bornes toutes les citations tirées des saintes Ecritures. Car ce n'est point pour être corrigés par nous, que ces livres divins nous ont été donnés comme maîtres. Et certes, plût au ciel que nous méritions d'être appelés disciples fidèles des Ecritures !

XXXV. J'accepte ces paroles que vous avez citées : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous (3) ? » Dieu en effet n'habite point dans un homme, si cet homme n'a été auparavant sanctifié et purifié par le Saint-Esprit. Enfin il fut dit aussi à la bienheureuse Vierge Marie : « Le Saint-Esprit descendra en vous » : sans doute pour la sanctifier et la purifier. Puis le texte ajoute : « Et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre (4) ». Vous-même avez dit plus haut que la vertu du Très-Haut, c'est le Christ. La vérité, du reste, ne se démontre point par des raisonnements, elle se prouve par des témoignages incontestables de l'Écriture. C'est pourquoi vous devez citer des textes établissant que le Saint-Esprit est Dieu, qu'il est Seigneur, qu'il est Roi, qu'il est auteur et Créateur, qu'il est assis avec le Père et le Fils, qu'il est adoré, sinon par les esprits célestes, du moins par les créatures terrestres, pour né

 

1. Marc, XIV, 36. — 2. Jean, VI, 38. — 3. I Cor. III, 16. — 4. Luc, I, 35.

 

pas en nommer d'autres ; car peut-être vous démontrerez qu'il est adoré par les êtres infernaux. Et en vous demandant de produire ces témoignages, nous ne portons aucune atteinte à l'honneur du Saint-Esprit. Car, . nous l'avons déjà dit ci-dessus, il est ce même Esprit-Saint sans lequel « personne ne peut dire : Seigneur Jésus (1) ». Il est cet Esprit-Saint « en qui nous crions : Abba, Père (2) ». Il est cet Esprit-Saint si grand et si parfait «que  les anges mêmes désirent le contempler aussi (3) ». Il est si parfait, si puissant que sur tous les points de l'univers créé, soit à l'Orient ou à l'Occident, soit au Septentrion ou au Midi, quiconque se prosterne devant lui, ne saurait prononcer « le nom du Seigneur Jésus, si ce n'est dans le Saint-Esprit ». Sa nature est telle qu'il est présent à la fois dans tous ceux qui prient Dieu avec sincérité (4). Il est si grand et si parfait que, là où on baptise une personne, soit en Orient, soit en Occident, ou dans un endroit quelconque, il y est présent à l'instant même. Voyez combien grande est la puissance du Saint-Esprit. On ne saurait porter atteinte à sa dignité sans porter atteinte en même temps à celle du Dieu Fils unique, « par qui toutes choses ont été faites et sans qui rien n'a été fait (5) » ; de même que celui « qui ne rend pas gloire au Fils, ne rend pas gloire non plus au Père qui l'a envoyé (6) ».

XXXVI. Vous prétendez que le Christ notre Sauveur n'a point dit : Afin qu'eux-mêmes et nous nous soyons un; niais: « Afin qu'ils soient un » dans leur nature et leur substance propre, unis en quelque sorte et comme fondus ensemble dans une concorde et une égalité parfaites ; selon vous encore, le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un à cause de leur nature indivisible et identique. Je vais lire le texte ; c'est par cette lecture qu'on peut prouver ce que le Christ a dit. Or, dans l'Évangile, priant son Père pour ses disciples, il s'exprime ainsi : « Mon Père, faites qu'ils soient un, comme nous-mêmes nous sommes un; afin que comme je suis en vous et vous en moi, eux aussi soient un en nous, et qu'ainsi ce monde sache que vous m'avez envoyé, et que vous les avez aimés comme vous m'avez aimé moi-même (7) ». Je crois ce que je lis : il est parlé ici d'amour, et non

 

1. I Cor. XII, 3. — 2. Rom. VIII, 15. — 3. I Pier. I, 12. — 4. Ps. CXLIV, 18. — 5. Jean, I, 3. — 6. Id. V, 23. — 7. Id. XVII, 21-23.

 

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point de substance. Il est certain aussi que le même Sauveur a dit : « Celui qui entend mes commandements et qui les garde, c'est celui-là qui m'aime. Or, celui qui m'aime sera aimé par mon Père, et moi-même je l'aimerai; et nous viendrons, et nous établirons en lui notre demeure (1) ». En effet, si cette grandeur et cette majesté infinies du Père, et celles du Fils pareillement, peuvent être embrassées par un esprit aussi borné que le nôtre, à combien plus forte raison est-il certain et hors de doute que le Fils peut être dans le Père ! mais toutefois comme Fils et comme une personne différente du Père : car, ainsi que vous l'avez vous-même exposé, le Père et le Fils sont un, mais ils ne sont pas une seule personne : la première expression désigne l'unité qui naît de la concorde, la seconde désigne l'unité numérique. Vous avez cité à ce sujet un témoignage du bienheureux Paul, auquel nous avons donné un entier assentiment : il est en effet une sorte de vérités si inébranlables, qu'elles sont proclamées par ceux mêmes qui y opposent leur contradiction. Vous avez cité ces paroles de saint Paul « Moi, j'ai planté, Apollo a arrosé ; mais Dieu a donné l'accroissement. C'est pourquoi celui qui plante et celui qui arrose ne sont rien ; mais celui qui donne l'accroissement est tout. Or, celui qui plante et celui qui arrose ne sont qu'un; et cependant chacun recevra son salaire propre selon son  travail (2) ». Ainsi, remarquez-le bien; quoiqu'ils ne soient qu'un par leur concorde mutuelle, cependant « chacun recevra son salaire propre selon son travail ». Voyez encore ce que dit le Seigneur en saint Jean : « Moi et le Père nous sommes un (3) » : paroles que nous croyons et que nous recevons avec une foi assurée. Celui qui dit : « Moi », c'est le Fils; et en disant : « et le Père », il montre que le Père est distinct de lui. « Nous sommes un », dit-il, et non pas : nous sommes une seule personne. Nous avons dit plusieurs fois que la première de ces deux expressions désigne l'unité qui naît de la concorde. Pourquoi le Père et le Fils ne seraient-ils pas un, puisque le Fils s'écriait autrefois : « Pour moi, je fais toujours ce qui est agréable au Père (4) ? » Pour qu'il ne fût pas un avec le Père, il faudrait qu'il fît parfois des choses opposées à la volonté du Père. Les Apôtres aussi sont un

 

1. Jean, XIV, 21, 23. — 2. I Cor. III, 6-8. — 3. Jean, X,30. — 4. Id. VIII, 29.

 

avec le Père et le Fils en ce sens que, regardant en toutes choses la volonté de Dieu le Père, ils sont eux-mêmes, à l'exemple du Fils, soumis au Dieu unique qui est le Père. Et nous lisons que le Sauveur a demandé cette sorte d'unité non-seulement pour les Apôtres, mais aussi pour ceux qui devaient recevoir la foi par la parole des Apôtres : « Je prie, dit-il, non-seulement pour ceux-ci, mais à encore pour ceux qui doivent, par leur parole, croire en moi : que tous soient un, comme vous, mon Père, êtes eu moi et moi en vous, afin qu'ils soient, eux aussi, un en nous, et que ce monde sache que vous m'avez envoyé, et que vous les avez aimés comme vous m'avez aimé moi-même ». Comme nous l'avons dit, le Sauveur parle ici de l'amour et non point de la divinité. Et qui donc ignore que Paul est Paul, qu'Apollo est Apollo? Paul lui -même ne dit-il pas quelque part : « J'ai travaillé plus qu'eux tous ; non pas moi cependant, mais la grâce de bien avec moi (1) ? » Car celui qui travaille davantage, obtient aussi davantage. Néanmoins Paul et Apollo ne sont qu'un par la communauté de leurs pensées, de leurs sentiments, de leur amour, quand ils font ce que Dieu veut.

XXXVII. Vous dites qu'il n'y a qu'un seul Dieu. Ajoutez donc ou bien que le Père et le Fils et le Saint-Esprit sont un Dieu unique,ou bien que ce titre appartient exclusivement au Père, lequel a pour Fils le Christ qui est notre Dieu. Est-ce dans le sens de la loi judaïque, que vous nous exhortez à professer l'unité de Dieu ? Ou bien est-ce plutôt la soumission du Fils, telle que la foi chrétienne la proclame, qui révèle l'unité de ce Dieu dont le Fils est notre Dieu, ainsi que nous l'avons dit? Carle Père et le Fils n'ont point entre eux cette unité : croyez-en du moins le témoignage de saint Paul qui le déclare dans presque chacune de ses épîtres : « Que la grâce et la paix, dit-il, soient avec vous de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ (2) ». Ailleurs encore : « Il n'y a qu'un seul Dieu, le Père ; de qui viennent toutes choses, et en qui nous sommes nous-mêmes ; il n'y a aussi qu'un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui toutes    choses  existent, et en qui nous sommes pareillement (3) ».

 

1. I Cor. XV, 10. — 2. Rom. I, 7 ; I Cor. I, 3 ; II Cor. I, 2; Gal. I, 3; Eph. I, 2. — 3. I Cor. VIII, 6.

 

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Celui que nous chrétiens nous déclarons Dieu unique, est le même que le Fils proclame seul bon, quand il dit : « Nul n'est bon, si ce n'est Dieu seul (1) ». Non pas que le Christ ne soit bon; car il dit lui-même : « Je suis le bon pasteur (2) ». Non pas que le Saint-Esprit ne soit bon; car le Prophète s'écrie : « Votre Esprit qui est bon me conduira dans la voie droite (3) ». Ecoutez encore ce témoignage du Sauveur: «L'homme bon, dit-il, tire le bien du trésor de son cœur (4) ». Enfin toute créature de Dieu est excellemment bonne. Or, si la créature est bonne, si l'homme est bon, si le Saint-Esprit, si le Christ sont bons, où pourra-t-on trouver celui qui est seul bon ? Mais le Sauveur dit que « nul n'est bon, si ce n'est Dieu a seul », en ce sens que celui-ci est la source même de la bonté et qu'il est bon sans avoir reçu cette perfection de personne. Le Christ au contraire tient de son Père toute la bonté qu'il possède; de même toutes les créatures de Dieu ont reçu, par le Christ, tout ce qu'elles ont de bon. Mais c'est à cette source unique de bonté, que le Fils et ceux qui ont été créés parle Fils, ont tous sans exception, et suivant la mesure de leur foi personnelle, puisé la bonté qu'ils possèdent ; le Père seul ne tient que de lui-même sa propre bonté. C'est en ce sens que le Christ dit : « Nul n'est bon, si ce n'est Dieu seul ». Ainsi donc Dieu est unique en ce sens que seul il est incomparable, seul immense, comme nous l'avons dit déjà.

XXXVIII. Nous ne nions point que le Fils n'aime le Père, puisque nous lisons quelque part dans l'Ecriture : « Afin que ce monde sache que j'aime le Père et que je fais ce que le Père m'a commandé (5) ». Il est certain que le Fils est aimé et, qu'il aime, et qu'il accomplit les ordres du Père, comme il le déclare lui-même. C'est pour cela qu'ils sont un, suivant ces paroles du Sauveur : « Moi et mon Père nous sommes un (6) ». Quant à ces autres paroles : « Celui qui me voit, voit aussi le Père (7)», nous devons croire d'une foi assurée que celui qui voit le Fils, voit et contemplé le Père par le Fils.

XXXIX.Vous avez déclaré que la supériorité du Père n'existe que par rapport à la nature d'esclave du Fils : ceci me paraît plus qu'insensé. Car nous savons, et vous avez dit vous-même hautement, que le Fils est devenu par

 

1. Marc, X, 18. — 2. Jean, X, 11. — 3. Ps. CXLII, 10. —  4. Luc, VI, 4 . — 5. Jean, XIV, 31. — 6. Id. X, 30. — 7. Id. XIV, 9.

 

sa nature d'esclave, inférieur même aux anges. Assurément vous restreignez trop la gloire de Dieu, en déclarant que la supériorité du Père est relative seulement à cette nature d'esclave. Cette supériorité appartient aux anges mêmes. Le Christ n'est point venu pour nous apprendre que le Père est supérieur à la nature d'un esclave ; mais la Vérité est venue à nous précisément pour nous enseigner et nous faire comprendre que le Père est plus grand que le fils, même en tant que ce Fils est un grand Dieu. Pour nous donc, voici quelle est la gloire que nous rendons au Père : nous le proclamons plus grand que ce grand Dieu, nous publions qu'il surpasse en élévation l'élévation même du Fils. Quant à la question de savoir si on rend à Dieu l'honneur qui lui est dû, en disant que la supériorité du Père est relative à la nature d'esclave, cela vous regarde.

XL. Vous dites que la divinité s'est montrée à nos pères : et vous avez déclaré un peu auparavant que la divinité est certainement invisible. Oui, la divinité s'est montrée, mais non point le Père qui est invisible; et si nous disions que le Père a été vu, nous accuserions de mensonge l'Apôtre qui dit de lui : « Il n'a été vu par aucun homme, et personne ne peut le voir (1) ». Et non-seulement nous donnerions un démenti au Nouveau Testament, mais nous contredirions pareillement l'Ancien même. Car Moïse dit expressément : « Nul ne peut voir Dieu, et vivre (2) ». D'autre part, ce même Moïse a rapporté, au livre de la Genèse, que depuis Adam, le premier homme, jusqu'au temps de l'incarnation, le Fils a toujours été vu. En voulez-vous des preuves? lisez l'endroit qui nous montre le Père disant au Fils : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance». Puis le texte ajoute: « Et Dieu créa l'homme (3) ». Quel est ce Dieu, sinon le Fils ? Vous l'avez démontré vous-même dans vos propres traités. Ainsi ce Fils qui est le prophète de son Père et qui disait encore : « Il n'est pas bon que l'homme soit seul; faisons-lui une aide, semblable à lui (4)» ce Fils a été vu par Adam, puisque l'Ecriture met dans la bouche de celui-ci ces paroles : « J'ai entendu votre voix pendant que vous marchiez dans le paradis, et je me suis caché parce que j'étais nu ». Vous savez

 

1. I Tim. VI, 16. — 2. Exod. XXXIII, 20. — 3. Gen. I, 26, 27. — 4. Id. II, 18.

 

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aussi ce que Dieu lui répondit : « Et qui vous a montré que vous étiez nu ? N'est-ce point parce que vous avez mangé du fruit de l'arbre dont je vous avais défendu de manger (1) ? » Ce même Dieu a été vu aussi par Abraham (2) : Abraham a vu le Fils, et si vous voulez y croire, c'est le Dieu seul engendré qui l'a affirmé lui-même dans le saint Evangile, en ces termes : « Abraham votre père s'est réjoui dans l'espérance de voir mon jour ; il l'a vu, et il a été rempli de joie (3) ». Jacob aussi vit ce même Fils qui, par une préparation antérieure, lutta avec lui dans la forme dont il devait être revêtu à son avènement, c'est-à-dire dans une forme humaine. De là ces paroles de Jacob : « J'ai vu le Seigneur face à face et mon âme a été sauvée ».

L'endroit lui-même fut nommé: «Vision de Dieu ». Nous avons aussi à cet égard la parole affirmative du Dieu qui luttait avec Jacob pour se préparer à ce que nous voyons accompli dans la passion du Christ. Car il dit à Jacob lui-même : « Désormais vous ne serez plus appelé Jacob; votre nom sera Israël (4)», c'est-à-dire homme voyant Dieu. Enfin nous avons dans le Nouveau Testament la preuve que ce Dieu a été vu. C'est de lui que les Apôtres disaient : « Et nous avons vu sa  gloire, comme la gloire que le Fils unique reçoit du Père (5) ». Au reste, si on déclare, comme vous essayez vous-même de le faire, que le Père a été vu, toutes les Ecritures sont donc à vos yeux mensongères. Car enfin saint Paul proclame que le Père est invisible (6), et le Seigneur l'affirme dans l'Evangile (7). Vous nous accusez fréquemment de dire avec une hardiesse téméraire des choses qui ne doivent pas être dites : le lecteur en jugera. Nous ne parlons point pour obtenir les éloges de qui que ce soit: la crainte de Dieu m'a obligé à vous répondre dans le seul désir de resserrer les liens de la fraternité qui règne parmi ceux de notre parti : peut-être aussi est-ce en vue de cette fraternité que vous avez daigné vous-même nous provoquer à vous répondre dans le but d'amener par ce moyen ceux qui sont connus pour être des nôtres, à donner leur assentiment, je puis le dire, à votre profession de foi. Car vous avez travaillé à m'arracher ces disciples, non-seulement par vos paroles ; mais vous avez

 

1. Gen. III, 10, 11. — 2. Id. XVIII, 1. — 3. Jean, VIII, 56. — 4. Gen. XXXII, 23-30. — 5. Jean, I, 14. — 6. I Tim. VI, 16. — 7. Jean, I, 18.

 

donné aussi votre traité auquel je suis obligé de répondre, comme je l'ai fait relativement à l'invisibilité du Dieu tout-puissant. De plus, vous avez vous-même, quoique dans un autre dessein, déclaré par vos propres paroles, que le Sant-Esprit a été vu en forme de colombe, et en forme de langues de feu (1) ; le Fils incontestablement a été vu aussi dans sa nature humaine. Le Père au contraire n'a été vu ni en forme de colombe, ni dans une nature humaine ; jamais il ne s'est transformé, et jamais il ne se transformera ; car il est écrit de lui : « Je suis celui qui suis, et je n'ai point changé (2) ». Le Fils a pris une nature humaine quand déjà il possédait certainement sa nature divine, comme vous l'avez déclaré vous-même: ce que le Père n'a point fait ; le Saint-Esprit a pris également la forme d'une colombe : ce que le Père n'a point fait non plus. Sachez donc qu'il n'y a qu'un seul invisible, un seul incommensurable, un seul immense. Ma prière et mon désir, c'est d'être disciple des divines Ecritures. Et votre religion n'a pas oublié, je pense, cette réponse que je lui ai faite ci-dessus : Si vous déclarez que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont une seule puissance, une seule substance, une seule divinité, une seule majesté, une seule gloire ; si vous le prouvez par les divines Ecritures, si vous citez un texte quelconque à cet égard, nous souhaitons devenir les disciples de ces livres divins.

Moi Maximin, évêque, j'ai signé.

Collation faite des présentes, Augustin dicta ce qui suit : Vous avez dit que je parle en m'appuyant sur le secours des princes, et nullement selon la crainte de Dieu. Mais les hommes auxquels Dieu donne l'intelligence, voient assez quel est celui qui parle selon la crainte de Dieu : ils jugent facilement entre celui qui se conforme pleinement à cette parole du Seigneur : « Ecoute, ô Israël . le Seigneur ton Dieu est un Seigneur unique (3) »; car pour nous, nous recevons cette parole avec soumission et nous la prêchons fidèlement ; et celui qui refuse d'entendre cette même parole et prétend que les deux Seigneurs sont deux dieux ; car introduisant deux dieux et deux seigneurs aussi, il montre bien qu'il ne craint point le Dieu et Seigneur

 

1. Matt. III, 16; Act. II, 3. — 2. Exod. III, 14; Malach. III, 6. — 3. Deut. VI, 4.

 

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unique par qui il a été dit : « Ecoute, ô Israël : le Seigneur ton Dieu est un Seigneur unique ». Vous savez que votre discours d'une longueur démesurée nous a ravi le temps nécessaire pour vous répondre et que le reste du jour serait faut à fait insuffisant pour qu'on nous donnât seulement une seconde lecture de ce que vous avez dit. Cependant tout ce que vous avez mis en avant pour prouver que le Fils de Dieu est Dieu, qu'il est un grand Dieu, qu'il est né du Père, qu'il diffère de celui-ci parce que le Fils n'est point le même que le Père, tout cela, sachez-le bien, avait pour but d'absorber par ces longueurs sans fin, un temps qui nous était tout à fait indispensable : comme si vous étiez obligé de nous prouver ce que nous reconnaissons nous-mêmes être véritable. Car nous ne disons point que le Père est le même que le Fils, ni que le Père ou le Fils est le même que le Saint-Esprit qui appartient à la Trinité.

Ils sont complètement distincts entre eux mais tous ensemble ne sont qu'un seul Dieu et Seigneur. Et si nous disions qu'il y a deux seigneurs dieux, l'un grand et l'autre plus grand; l'un bon et l'autre meilleur; l'un sage et l'autre plus sage; l'un miséricordieux et l'autre plus miséricordieux; l'un puissant et l'autre plus puissant ; l'un invisible et l'autre plus invisible; l'un véritable et l'autre plus véritable; en un mot, si nos paroles étaient absolument conformes au langage que vous avez tenu pour nous amener à reconnaître nous aussi deux seigneurs dieux, Dieu lui-même nous condamnerait par ces paroles que j'ai déjà rappelées : « Ecoute, ô Israël : le Seigneur ton Dieu est un Seigneur unique ». Comme s'il nous disait : « O enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti? pourquoi aimez-vous la vanité, et  cherchez-vous le mensonge (1) ? » Pourquoi vous faites-vous à vous-mêmes deux seigneurs dieux? pourquoi ne voulez-vous pas m'entendre quand je vous crie : « Ecoute, ô Israël : le Seigneur ton Dieu est un Seigneur unique?» pourquoi criez-vous pour me contredire : Nos seigneurs dieux sont deux seigneurs? Agiriez-vous ainsi, si vous vouliez être Israël? Conséquemment, puisque ce mot signifie : homme voyant Dieu, pardonnez-moi, je vous prie, si vous ne voulez pas être Israël, moi je veux

 

1. Ps. IV, 3.

 

l'être. Oui, je veux être compté parmi ceux à qui il est donné de voir Dieu. Et nous rendons grâces à ce même Dieu, de ce qu'il nous fait voir « maintenant dans un miroir et en énigme; mais alors face à face », comme parle l'Apôtre (1). Nous voyons donc par un bienfait de sa part, encore, il est vrai, dans un miroir et en énigme, mais enfin nous voyons comment il n'y a point contradiction entre ces deux propositions : Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont distincts entre eux, et cependant tous trois ensemble ne sont qu'un seul Seigneur Dieu. J'ai essayé, autant qu'il m'a été possible, de vous le faire voir aussi à vous-même: mais vous avez mieux aimé résister à mes efforts, parce que vous n'avez point voulu être Israël. Toutefois, si pour une raison quelconque, il vous est maintenant impossible de le voir, croyez et vous verrez ensuite. Car c'est en les comprenant qu'on voit ces choses, et non point en les considérant avec les yeux de la chair. Vous savez ce qu'a dit le Prophète à ce sujet : « Vous ne comprendrez point, si auparavant vous n'avez cru (2) » . Ainsi puisque vous entendez ces paroles : « Le Seigneur ton Dieu est un Seigneur unique », ne faites point, du Père et du Fils, deux seigneurs dieux. Et quand vous entendez ces autres paroles : « Ne savez-vous pas que vos « corps sont en vous un temple du Saint-Esprit que vous avez reçu de Dieu ? » et au même endroit : « Ne savez-vous pas que vos corps sont les membres du Christ (3)? »quand, dis-je, vous entendez ces paroles, ne niez point que le Saint-Esprit ne soit Dieu, afin de ne pas faire des membres du Créateur le temple d'une créature. Croyez d'abord que par leurs personnalités propres ils sont trois, et que cependant tous ensemble ne sont point trois seigneurs dieux, mais un seul Seigneur Dieu unique : et ensuite le Seigneur lui-même accordera à votre foi et à votre prière l'intelligence, et vous mériterez ainsi de voir, c'est-à-dire de comprendre ce que vous croyez. Considérez attentivement tout ce que vous avez dit dans votre longue controverse, et vous verrez que tout cela découle de cette erreur qui vous fait établir deux seigneurs dieux, contrairement à cette parole du Seigneur qui dit on ne peut plus clairement : « Le Seigneur votre Dieu est un Seigneur unique » ; de cette erreur qui vous fait aussi nier la

 

1. I Cor. XIII, 12. — 2. Isa. VII, 9. — 3. I Cor. VI, 19, 15.

 

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divinité du Saint-Esprit, quoiqu'il vous soit impossible de nier que cet Esprit habite un temple saint. Cependant après notre conférence, où nous avons parlé tour à tour et sans intermédiaire, il me suffira pour le moment de vous avoir adressé ces observations. Mais, comme c'est une oeuvre longue et que vous avez hâte de retourner dans votre pays, je mettrai, s'il plait à Dieu et aussi clairement qu'il me sera possible, nos discours sous les yeux de ceux qui voudront les lire ; et avec ou sans permission, je montrerai que vous avez, à la vérité, cité des témoignages véridiques et divins, mais dans le but de prouver vos opinions erronées.

Et d'une autre main: Moi, Augustin, évêque, j'ai signé.

Puis d'une autre main encore, Maximin terminé : Quand vous aurez cet ouvrage et que vous me l'aurez envoyé, si je ne réponds pas à toutes les difficultés, les torts seront de mon côté.

Fin de la conférence; je l'ai collationnée.

 

Traduction de M. l'abbé BARDOT.

 

 

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