C. DOCT. ARIENS
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DOCTR. ARIENS
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CONTRE LA DOCTRINE DES ARIENS.

 

Traduction de M. l'abbé BARDOT.

 

I. Je réponds dans cette controverse aux arguments précédents de ceux qui reconnaissent à la vérité, que Notre-Seigneur Jésus-Christ est Dieu, mais qui ne veulent pas reconnaître qu'il est Dieu véritable, un seul Dieu avec le Père; et qui nous introduisent ainsi deux dieux de natures diverses et inégales, un Dieu véritable et un autre qui ne l'est pas ; contrairement à cette parole de l'Ecriture : « Ecoute, Israël; le Seigneur ton Dieu est un Seigneur unique (1) ». Car s'ils prétendent que cette parole doit s'entendre du Père, il s'ensuit que le Christ n'est point notre Seigneur et notre Dieu. S'ils veulent l'entendre du Fils, la conséquence sera la même à l'égard du Père. S'ils l'entendent de l'un et de l'autre, le Père et le Fils sont nécessairement notre Dieu et Seigneur unique. Et ainsi il ne faut attribuer à ces paroles de Jésus-Christ rapportées dans l'Evangile : Ut cognoscant te unum verum Deum, et quem misisti Jesum Christum (2), d'autre sens que celui-ci: « Afin qu'ils reconnaissent que vous a et Jésus-Christ envoyé par vous, êtes Dieu unique et véritable ». Car l'apôtre saint Jean a dit aussi du Christ : « Il est lui-même le Dieu véritable et la vie éternelle (3) ».

II. De même quand ils disent que le Christ a été formé avant tous les siècles par la volonté de Dieu son Père, ils sont forcés d'avouer que le Fils est coéternel au Père. Car si le Père n'a pas toujours eu le Fils, il fut donc antérieurement à celui-ci un temps où le Père était seul et sans lui. Mais comment le Fils existait-il avant tous les siècles, si avant lui il fut un temps où le Père était sans lui? Le Fils est donc, sans aucun doute, coéternel au Père, s'il a existé lui-même avant tous les temps (car on ne peut pas entendre autrement ces paroles : «Au commencement était le Verbe », et ces autres : « Tout a été fait par lui (4) » ; le temps, en effet, ne peut pas exister sans quel

 

1. Deut. VI, 4. — 2. Jean, XVII, 3. — 3. Jean, V, 20. — 4. Jean, I, 1, 3.

 

que mouvement de la créature, et ainsi nous reconnaissons que le temps même a été fait par Celui par qui tout a été fait). Mais ils disent qu'il a été formé par la volonté du Père, afin précisément de ne pas dire qu'il est Dieu de Dieu, égal, engendré et coéternel. Nulle part cependant ils ne lisent que « le Fils a été formé par la volonté du Père avant tous les siècles ». Mais ils s'expriment ainsi afin que la volonté du Père, par laquelle ils prétendent qu'il a été formé, paraisse lui être antérieure. Et voici quelle est ordinairement leur manière de discuter : ils demandent si le Père a engendré le Fils volontairement ou contre sa volonté; si on répond qu'il l'a engendré volontairement, ils disent que la volonté du Père est donc antérieure. Il est tout à fait impossible de répondre qu'il l'a engendré contre sa volonté. Mais pour leur faire comprendre l'inanité de leurs paroles, il faut leur demander à eux-mêmes si Dieu le Père est Dieu volontairement ou contre sa volonté. Car ils n'oseront pas dire qu'il est Dieu malgré lui. Si donc ils répondent qu'il est Dieu volontairement, il faut de cette manière leur rendre visible l'ineptie de leur raisonnement, dont la conclusion peut être que la volonté de Dieu est antérieure à Dieu même : où trouver en effet un langage plus insensé ?

III. Ils disent ensuite que, « conformément à la volonté et au commandement du Père, il a, par sa propre puissance, donné l'être aux choses célestes et terrestres, aux choses visibles et invisibles, aux corps et aux esprits, lorsque rien n'existait encore ». Ici nous leur demandons si lui-même aussi a été fait par le Père, lorsque rien n'existait, c'est-à-dire s'il a été fait de rien ? S'ils n'osent répondre affirmativement, il est donc Dieu de Dieu, puisqu'il n'a pas été fait de rien par Dieu. Or, cette conclusion prouve l'unité et l'identité de nature entre le Père et le Fils. Car, si un homme, un animal, un oiseau, un poisson (544) peuvent engendrer des êtres de même nature, Dieu a nécessairement aussi ce pouvoir. Mais s'ils osent se précipiter dans un nouvel abîme d'impiété, et dire que le Fils unique de Dieu même a été formé de rien par le Père ; qu'ils cherchent donc par qui le Père a fait de rien le Fils. Car le Fils n'a pu être fait par lui-même : autrement il aurait existé déjà avant d'être fait, afin d'être précisément celui par qui il serait fait lui-même. Et qu'avait-il donc besoin d'être fait, s'il existait déjà? ou comment a-t-il pu être, fait afin d'exister, s'il existait déjà avant d'être fait? Mais si le Père l'a fait par quelque autre, quel peut être cet autre même, puisque tout a été fait par lui ? Si enfin le Père l'a fait sans intermédiaire, comment le Père a-t-il pu faire quelque chose sans intermédiaire, puisque tout a été fait par son Fils, c'est-à-dire par son Verbe ?

IV. « Avant qu'il eût fait l'univers », disent-ils, « il était établi Dieu et Seigneur, Roi et  Créateur de toutes les choses futures, dont il avait une prescience naturelle, et dans l'exécution desquelles il attendait toujours les ordres de son Père; c'est lui aussi qui par la volonté et le commandement du Père est descendu du ciel et est venu en ce monde, comme il le dit lui-même : Car je ne suis point venu de moi-même, mais c'est lui qui m'a envoyé (1) ». Je voudrais que nos adversaires disent s'ils établissent deux créateurs. S'ils n'osent pas tenir ce langage (car il n'y a qu'un seul Créateur, puisque toutes choses sont de lui et par lui et en lui (2) ; la Trinité elle-même est un Dieu unique, et il n'y a qu'un seul Dieu comme il n'y a qu'un seul Créateur), que signifient dans leur bouche ces paroles : Le Fils a créé toutes choses par l'ordre du Père, comme si le Père, sans rien créer lui-même, avait seulement ordonné que tout fût créé par le Fils ? Que ceux qui jugent selon la chair, cherchent par quelles autres paroles le Père a intimé cet ordre à son Verbe unique. Car, dans les inventions fantastiques de leur coeur, ils se créent comme deux personnages qui, bien que très-rapprochés l'un de l'autre, occupent cependant chacun une place spéciale, et dont l'un commande et l'autre obéit. Ils ne comprennent pas que cet ordre même, donné par le Père pour que tout fût fait, n'est pas distinct de la parole du Père, par laquelle tout a été fait.

 

1. Jean, VIII, 42. — 2. Rom. XI, 36.

 

Quant à la mission donnée au Fils parle Père, on ne peut pas la nier. Mais qu'ils considèrent, s'ils le peuvent, comment le Père a envoyé Celui avec qui il est venu lui-même. Car il n'a pas menti, Celui qui a dit : « Je ne suis point seul, parce que le Père est avec moi (1) ». Au reste, qu'ils entendent cette mission comme il leur plaira; est-ce que la diversité de nature résulte nécessairement de ce que le Père envoie et de ce que le Fils est envoyé ? A moins peut-être que le pouvoir accordé à un homme d'envoyer un autre homme, son fils d'une seule et même nature, n'appartienne point à Dieu, parce que la séparation qui se forme entre l'homme envoyé et l'homme qui envoie, n'est plus possible quand il s'agit de Dieu. Mais le feu envoie son éclat, quoique cet éclat envoyé ne puisse pas être séparé du feu qui l'envoie : cependant comme il s'agit ici d'une créature visible, elle ne saurait être, sous tous ses rapports, cour parée à l'objet dont nous parlons. Car, lorsque le feu envoie son éclat, celui-ci s'étend à une distance où le feu ne s'étend pas; et parlé même l'éclat du feu projeté par une lampe, s'il avait l'usage de la parole, ne pourrait pas, sur la muraille où il est parvenu sans le feu de la lampe, dire avec vérité : Le feu qui m'a envoyé est avec moi; tandis que le Fils envoyé parle Père a pu dire : « Mon Père est avec moi ». Cette mission donnée au Fils parle Père étant donc tout à fait au-dessus de la portée de nos discours, inaccessible même à toutes nos pensées, nos adversaires n'y découvrent aucune raison pour démontrer que le Fils est d'une nature différente et inférieure; d'autant plus que la mission donnée à un homme par un autre homme, ne démontre point par elle-même la différence de nature entre celui qui envoie et celui qui est envoyé.

Mais on peut encore entendre ceci dans un autre sens. Cette mission serait attribuée au Fils de la part du Père, précisément parce que le Fils, et non point le Père, est apparu aux hommes revêtu d'une chair. En effet, qui est envoyé là où il est ? et en quel lieu ne se trouve pas la sagesse de Dieu, c'est-à-dire le Christ, puisqu'il est écrit « qu'elle atteint d'une extrémité à l'autre avec force, et qu'elle dispose tout avec douceur ? » Si donc le Fils même est en tous lieux, comment pouvait-il être envoyé là où il n'était pas, si ce n'est en

 

1. Jean, XVI, 32.

 

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apparaissant sous une forme qu'il n'avait pas encore eue? Cependant nous lisons aussi que le Saint-Esprit a été envoyé, quoique assurément il ne se soit point uni hypostatiquement à la nature humaine. Et il a été envoyé, non-seulement par le Fils, ainsi qu'il est écrit : « Lorsque je m'en serai allé, je vous l'enverrai (1) » ; mais encore par le Père, suivant cette autre parole : « Celui que mon Père enverra en mon nom (2) » : ce qui montre que le Saint-Esprit n'a pas été envoyé par le Père sans le Fils, ni par le Fils sans le Père, mais par tous deux ensemble ; car les oeuvres de la Trinité sont inséparables. Le Père seul, dans l'Écriture, n'est pas envoyé, parce que seul ii n'a pas de principe de qui il soit engendré ou dont il procède. Et conséquemment cette absence exclusive de mission attribuée au Père ne vient point d'une différence de nature qui n'existe pas dans la Trinité, mais de sa qualité même de principe : comme l'éclat ou la chaleur n'envoie point le feu, tandis que le feu envoie et l'éclat et la chaleur. Mais ces deux objets sont loin d'être semblables, et, parmi les créatures spirituelles ou corporelles, on n'en trouve aucune qui puisse être justement comparée avec cette Trinité, qui est Dieu même.

V. Ils disent encore: a Et parce que, parmi tous les degrés des êtres spirituels et raison« nables, l'homme paraissait en sa qualité d'être corporel et fragile, un peu abaissé au-dessous des anges (3) ; de peur qu'il ne se a regardât comme une chose sans prix et qu'il ne désespérât de son salut, le Seigneur Jésus, pour honorer son ouvrage, a daigné prendre un corps humain, et il a montré que l'homme n'est point une chose vile, mais précieuse, a suivant cette parole de l'Écriture: L'homme est grand et précieux (4). Et il a daigné ainsi rendre héritier de son Père, l'homme seul comme son propre cohéritier, afin de compenser par cette supériorité d'honneur a l'infériorité de la nature humaine ». Ils veulent, par ces paroles, faire entendre que le Christ a pris un corps sans prendre une âme humaine. C'est précisément l'hérésie des Apollinaristes; et nous voyons que ceux-là aussi, c'est-à-dire les Ariens, dans leurs discussions, admettent non-seulement qu'il y a dans la Trinité des natures différentes, mais encore

 

1. Jean, XVI, 7. — 2. Id. XIV, 26. — 3. Ps. VIII, 6. — 4. Prov. XX, 6, suivant les Septante.

 

que le Christ n'a point une âme humaine : au reste, la suite de cette controverse le prouvera d'une manière plus évidente encore. Pour le moment, voici notre réponse aux paroles que nous venons de citer, et qui leur appartiennent : Qu'ils remarquent de nouveau que l'épître aux Hébreux applique au Christ ce passage de l'Écriture : « Vous l'avez abaissé un peu au-dessous des anges (1) » ; et ils comprendront que ces autres paroles : « Mon Père est plus grand que moi (2) », n'établissent point une distinction et une inégalité de nature entre le Père et le Fils, mais plutôt, que le Fils, prenant la nature d'esclave avec ces faiblesses qui l'ont assujetti aux souffrances et à la mort, est devenu inférieur aux anges mêmes.

Ils ajoutent : « Lorsque est venue la plénitude des temps, dit l'Apôtre, Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme (3). Celui qui a pris une chair par la volonté du Père, est le même qui a, par la volonté et le commandement de ce même Père, vécu dans un corps, suivant ses propres paroles : Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m'a envoyé  (4). C'est lui encore qui, baptisé à a l'âge de trente ans parla volonté du Père, manifesté par la voix et le témoignage de ce même Père (5), prêchait l'Évangile du royaume des cieux par la même volonté et a le même commandement, comme il le déclare : Il faut que je prêche l'Évangile aux a autres villes; car c'est pour cela que j'ai été envoyé (6) ; et ailleurs : Il m'a prescrit lui-même ce que je dois dire, ou ce dont je dois parler (7). Et ainsi par la volonté et le commandement du Père il a marché à grands pas vers sa passion et sa mort, conformément à ces paroles : Mon Père, que ce calice passe loin de moi ! toutefois non pas ce que je veux, mais ce que vous voulez (8). L'Apôtre nous assure pareillement, qu'il s'est fait obéissant au Père jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la croix (9) ». Que s'efforcent-ils de persuader par ces témoignages des saintes Écritures, sinon qu'il y a différence de nature entre le Père et le Fils, par la raison que ces textes nous montrent le Fils obéissant au Père? Cependant ils ne raisonneraient

 

1. Hébr. II, 7. — 2. Jean, XIV, 28. — 3. Galat. IV, 4. — 4. Jean, VI, 38. — 5. Luc, III, 21-23. — 6. Id. IV, 43. — 7. Jean, XII, 49. — 8. Matt. XXVI, 39. — 9. Philipp. II, 8.

 

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certes pas ainsi à l'égard des hommes car quand un fils obéit à son Père, homme comme lui, leur nature n'est pas différente pour cela.

VI. Du reste, ces paroles mêmes de Jésus-Christ : «Je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé (1) », se rapportent à un fait particulier. Le premier homme, Adam, dont l'Apôtre dit : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme et la mort par le péché, et ainsi la mort a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché », le premier homme, dis-je, en faisant sa volonté, et non pas la volonté de celui par qui il avait été fait, rendit coupable et digne de châtiment le genre humain tout entier, sa race flétrie. C'est pourquoi celui qui devait être notre libérateur, a par une raison contraire fait non pas sa volonté, mais la volonté de celui par qui il a été envoyé. Ici, en effet, l'expression : sa volonté, doit être entendue dans le sens d'une volonté personnelle opposée à la volonté divine. Car,lorsque nous obéissons à Dieu et que, à raison de cette obéissance, on dit que nous faisons la volonté de Dieu, nous n'agissons pas en cela contre notre volonté, mais bien volontairement; et par là même, si nous agissons volontairement, comment est-il vrai que nous ne faisons pas notre volonté, sinon parce que ces mots : notre volonté, lorsque l'Ecriture les emploie, désignent une volonté personnelle opposée à la volonté de Dieu? Cette volonté a existé dans le premier homme, elle n'a -pas existé en Jésus-Christ, et c'est pour cela que nous avons reçu la mort dans le premier et la vie dans le second. Car on peut sans exagération appliquer ces expressions de vie et de mort à la nature humaine; dont la désobéissance a fait naître en elle-même cette volonté personnelle opposée à la volonté de Dieu. Du reste, quant à la divinité du Fils, la volonté du Père et la sienne ne sont qu'une seule et même volonté; et elles ne peuvent en aucune manière être différentes, la nature de la Trinité étant immuable dans toute son étendue. Mais le Médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme (2), pour ne pas faire cette volonté propre, opposée à Dieu, n'était pas seulement homme, il était Dieu et homme. Et par ce privilège admirable et unique, la nature

 

1. Jean, VI, 38. — 2. I Tim. II, 5.

 

humaine pouvait être en lui exempte de toute espèce de péché. Il s'exprime donc ainsi: « Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui.m'a envoyé », parce que étant descendu du ciel, c'est-à-dire étant à la fois Dieu et homme, son obéissance devait être parfaite et absolument exempte de toute faute de la part de l'homme qui était en lui. Ainsi il montre qu'il y a unité de personne entre les deux natures, entre la nature de Dieu et la nature de l'homme; car s'il établissait ici deux personnes, il n'y aurait plus une trinité, mais bien une quaternité. Il y a donc en Jésus-Christ deux substances et une seule personne, et c'est pour cela que ces paroles : « Je suis descendu du ciel », se rapportent à la suprême excellence de Dieu, tandis que celles-ci : « Non pour faire ma volonté », ajoutées à cause d'Adam, qui a fait sa.volonté, se rapportent à l'obéissance de l'homme. Et bien que le Christ soit à l'un et l'autre, c'est-à-dire Dieu et homme, néanmoins son obéissance, qui est opposée à la désobéissance du premier homme, est pour lui un sujet de louanges en tant qu'il est homme. De là ces paroles de l'Apôtre : « Car, de même que parla désobéissance d'un seul homme, beaucoup ont été constitués pécheurs; de même aussi, par l'obéissance d'un seul, beaucoup seront constitués justes (1) ».

Cependant cette expression: « D'un homme », n'exclut pas, dans la pensée de saint Paul, Dieu qui a pris la nature humaine; par la raison que, comme je l'ai dit, et comme ou ne saurait trop le répéter, il y a unité de personne. Car le Fils de Dieu par nature avant tous les temps et le Fils de l'homme, qui lui a été uni dans le temps par une faveur gratuite, ne sont qu'un seul Christ : et celui-ci n'a pas été uni de telle sorte que son union fût postérieure à sa création, mais il a été créé par cette union même. Et ainsi, comme on ne doit voir qu'une seule personne dans l'une et l'autre nature, on dit que le Fils de l'homme est descendu des cieux, quoiqu'il soit sorti du sein d'une vierge qui vivait sur la terre; on dit pareillement que le Fils de Dieu a été crucifié et enseveli, quoiqu'il ait subi cette double épreuve non pas dans sa divinité même par laquelle il est Fils unique coéternel au Père, mais dans la faiblesse de sa nature humaine.

 

1. Rom. V, 19.

 

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Car il a dit lui-même que le Fils de l'homme est descendu du ciel, ainsi que nous le lisons

en saint Jean: « Personne n'est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est dans le ciel (1) », Nous confessons tous aussi dans le symbole que le Fils unique de Dieu a été crucifié et enseveli. C'est pour cela que l'Apôtre dit aussi : « S'ils l'avaient connu, jamais ils n'auraient crucifié le Seigneur de la gloire (2) ». Ailleurs le bienheureux Apôtre nous montre cette unité de la personne de Jésus-Christ Notre-Seigneur, subsistant dans l'une et l'autre nature, c’est-à-dire dans la nature divine et dans la nature humaine, de telle sorte qu'elles se communiquent mutuellement leur nom même, la nature divine à la nature humaine et la nature humaine à la nature divine. Voulant, par l'exemple du Christ, nous exhorter à une humilité miséricordieuse : « Ayez en vous, dit-il, les sentiments qu'avait en lui Jésus-Christ, lequel étant de la nature de Dieu, n'a pas cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu; mais il s'est anéanti lui-même, prenant la nature d'esclave, étant devenu semblable aux hommes et étant regardé comme un homme par les dehors. Il s'est humilié lui-même, s'étant fait obéissant jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la croix (3) ». Le nom de Christ lui vient de ces paroles prophétiques : « Dieu, votre Dieu vous a oint de l'huile de l'allégresse avant ceux qui y participent avec vous  (4) » ; et conséquemment si « prenant la nature d'esclave il a été regardé comme un homme par sa forme extérieure », laquelle assurément a commencé dans le temps, cela se rapporte à la nature humaine qu'il a revêtue; et cependant c'est précisément de ce même Christ qu'il a été dit : « Lorsqu'il était de la nature de Dieu », c'est-à-dire lorsque étant de la nature de Dieu, avant d'avoir pris la nature d'esclave, il n'était pas encore Fils de l'homme, mais Fils de Dieu, égal au Père, non par usurpation, mais par nature. Car il devait son élévation non point à l'usurpation, mais à sa naissance; et c'est pourquoi il n'y avait rien en elle que de véritable. Il n'était donc pas encore le Christ, mais il a commencé à l'être lorsqu'il s'est anéanti lui-même, non en perdant la nature de Dieu, mais en prenant la

 

1. Jean, III, 13. — 2. I Cor. II, 8. — 3. Philipp. II, 5-8. — 4. Ps. XLIV, 8.

 

 

 

nature d'esclave. Cependant, si nous demandons quel est celui « qui, étant de la nature de Dieu n'a point cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu », l'Apôtre nous répondra : « C'est Jésus-Christ ». Et ainsi sa divinité a reçu ce nom de son humanité. De même si nous demandons quel est celui « qui s'est fait obéissant jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la croix », on nous répondra avec une justesse parfaite : C'est celui « qui, étant de la nature de Dieu, n'a pas cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu » ; et conséquemment son humanité a reçu aussi ce nom de sa divinité. Et cependant il se révèle toujours comme un seul et même Christ, géant d'une double substance; dans l'une obéissant, dans l'autre égal à Dieu; Fils de l'homme par la première, Fils de Dieu par la seconde; il peut dire en un sens: « Le Père est plus grand que moi (1) » ; et en un autre sens : « Mon Père et moi ne sommes qu'un (2) »; en un sens il ne fait pas sa volonté, mais la volonté de celui par qui il a été envoyé; et dans un autre sens, « comme le Père réveille les morts et les rend à la vie, ainsi le Fils donne la vie à ceux à qui il veut  (3) ».

VII. Ils poursuivent en ces termes : « C'est lui encore qui, suspendu à la croix, laissa entre les mains des hommes, par la volonté et le commandement du Père, le corps humain qu'il avait reçu de la sainte Vierge Marie, et qui remit sa divinité entre les mains du Père en disant : Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains (4). Car Marie enfanta un corps qui devait mourir, mais Dieu immortel engendra un Fils immortel. La mort du Christ ne fut donc pas un amoindrissement de sa divinité, mais la déposition de son corps. Comme sa génération d'une Vierge ne fut point une corruption de sa divinité, mais bien l'action de prendre un corps ; de même aussi dans sa mort il n'y eut pour sa divinité aucune souffrance, aucune défaillance, mais une séparation d'avec sa chair. Car, si en déchirant un vêtement on fait tort à celui qui le porte, ceux qui crucifièrent son corps, outragèrent en même temps sa divinité ». Ainsi, ces expressions qui leur appartiennent le montrent clairement : ils nient que l'âme humaine elle-même appartienne à l'unité de la personne du

 

1. Jean, XIV, 28. — 2. Id. X, 30. — 3. Id. V, 21. — 4. Luc, XXIII, 46.

 

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Christ; ils reconnaissent seulement en lui son corps et sa divinité. En effet, ces paroles qu'il prononça, lorsqu'il était suspendu au bois « Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains », ils prétendent qu'on doit les entendre en ce selfs qu'il remit à son Père sa divinité même, et non pas son esprit humain, c'est-à-dire son âme. Dans la discussion même qui précède et où ils ont prétendu montrer que le Christ a fait non pas sa volonté, mais la volonté de son Père, pensant que par cette raison même il est d'une nature inférieure et différente, ils ont rappelé avec raison ces paroles qui sont de lui : « Mon Père, que ce calice passe loin de moi; toutefois non pas ce que je veux, mais ce que vous voulez » ; mais ils n'ont pas voulu citer ces autres qui sont également de lui: « Mon âme est triste jusqu'à la mort (1) ». Qu'ils nous permettent donc de leur rappeler les suivantes : « Mon âme est triste jusqu'à la mort ; j'ai le pouvoir de  déposer mon âme (2) ; personne n'a une plus grande charité .que celui qui donne son âme pour ses amis (3) » ; et ces autres où les Apôtres ont vu une prophétie qui regarde le Christ

« Vous ne laisserez point mon âme aux enfers (4)». Au lieu de se raidir contre ces témoignages et d'autres semblables des saintes Ecritures, qu'ils reconnaissent que le Christ a réuni au Verbe seul engendré, non-seulement un corps, mais aussi une âme humaine, pour former une seule personne qui est le Christ, Verbe et homme, mais homme composé d'un corps et d'une âme ; et qu'ainsi le Christ est à la fois Verbe, âme et corps. Et conséquemment la double substance qui est en lui, c'est-à-dire la substance divine et la substance humaine doivent être entendues en ce sens que la seconde soit composée. d'un corps et d'une âme. Ils hésiteront peut-être encore devant ce texte. « Le Verbe s'est fait chair », dans lequel il n'est fait aucune mention de l'âme. Mais qu'ils comprennent bien que la chair est mise ici pour l'homme, la partie désignant le tout par une forme de langage pareille à celle-ci : « Toute chair viendra à vous », et à cette autre . « Nulle chair ne sera justifiée par les oeuvres de la loi ». Car l'Apôtre s'exprimant plus clairement dit en un autre endroit : « Personne ne sera justifié par la loi (5) » ; et ailleurs encore: « L'homme n'est point justifié

 

1. Matt. XXVI, 39, 38. — 2. Jean, X, 18. — 3. Id. XV, 13. — 4. Ps. XV, 10; Act. II, 31; XIII, 35. — 5. Galat. III, 11.

 

par les oeuvres de la loi (1) ». Ainsi ces mots: « Toute chair », ont dans la pensée de l'Apôtre le même sens que ceux-ci : « Tout homme ». D'où il suit que les autres : « Le Verbe s'est fait chair », ont aussi le même sens que: Le Verbe s'est fait homme. Mais alors même qu'ils ne veulent pas voir en Jésus-Christ homme, autre chose que son corps humain, car assurément ils ne nieront pas qu'il soit homme, puisqu'il est dit de lui en termes très-clairs : « Jésus-Christ homme, seul médiateur entre Dieu et les hommes (2) », j'admire comment ils prétendent ne pas reconnaître avec nous que ces paroles : « Le Père est plus grand que moi », ont pu être prononcées à raison de cette nature humaine, quelle qu'elle soit, et non point à raison de cette autre nature dont il a été dit : « Le Père et moi nous sommes un ». Quelle que soit en effet la grandeur d'un homme, souffrirait-on qu'il s'exprimât ainsi : Dieu et moi nous sommes un ? Qui lui ferait un reproche de dire au contraire : Dieu est plus grand que moi ? C'est ainsi que le bienheureux apôtre Jean écrivait: « Dieu est plus grand que notre coeur (3) ».

VIII. « Celui, disent-ils, qui par la volonté et le commandement du Père accomplit fidèlement sa mission, est le même qui ressuscita, toujours par cette volonté et ce commandement, son propre corps d'entre les morts; « et qui a été placé par son Père dans la gloire avec ce même corps, comme un pasteur avec sa brebis, comme un prêtre avec son offrande, comme un roi avec sa pourpre, comme un Dieu avec son temple ». Il faut demander à ceux qui tiennent ce langage, quelle brebis le pasteur a ramenée à son Père. Car si c'est une chair sans âme qu'il lui a ramenée, cette brebis est-elle autre chose qu'une poussière inerte, incapable même de rendre aucune action de grâces ? De quoi en effet peut être capable un corps sans âme?

IX. Ils poursuivent en disant : « Celui qui, par la volonté du Père, est descendu et remonté, est le même qui, par cette volonté et ce commandement, s'est assis à la droite de ce même Père et quia entendu ces paroles de sa bouche : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied (4). Celui qui, par la volonté du Père, s'est assis à sa droite,

 

1. Galat. II, 10. — 2. I Tim. II, 5. — 3. I Jean, III, 20. — 4. Ps. CIX, 1.

 

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est celui qui doit, toujours par la même volonté et le même commandement, venir à la consommation des siècles, comme l'Apôtre nous le crie en ces termes : Et le Seigneur lui-même, dit-il, au commandement et à la voix de l'archange, et au son de la trompette ode Dieu, descendra du ciel (1). Celui qui doit venir par la volonté et le commandement du Père, est le même qui, par cette volonté et ce commandement, doit juger avec équité le monde entier, et rendre à chacun selon sa foi et ses oeuvres, ainsi qu'il le dit lui-même : Le Père ne juge personne, mais il a remis tout jugement au Fils; et encore : Je juge suivant ce que j'entends; et mon jugement est conforme à la vérité, parce que je ne cherche point «ma volonté, mais la volonté de Celui qui a m'a envoyé (2) . C'est pourquoi, lorsqu'il juge, il donne le premier rang à la présence de son Père, et le second à sa propre dignité et à sa puissance divine : Venez, dit-il, les bénis de mon Père (3). Le Fils est donc le juste juge; mais l'honneur et l'autorité de ses jugements naissent des lois souveraines du Père; et la dignité de juste juge appartient au Fils unique de Dieu, comme l'office d'avocat et de consolateur appartient au Saint-Esprit ». Les réponses que nous avons données plus haut, conservent encore toute leur force contre ces paroles. Le Fils, il est vrai, obéit à la volonté et au commandement du Père. Mais parmi les hommes eux-mêmes, cette obéissance ne prouve aucune différence, aucune inégalité de nature entre le Père qui commande et le Fils qui obéit. Cependant il y a plus encore. Le Christ n'est pas seulement Dieu, égal au Père par sa nature divine; il est aussi homme, et le Père est plus grand que cette nature humaine dont il est non-seulement le Père, mais le Seigneur même. De là cette parole d'un prophète : « Le Seigneur m'a dit : Vous êtes mon Fils (4) ». Ici en effet, on voit une substance inférieure que le Père surpasse en grandeur, une nature d'esclave dont il est le Seigneur. Or, cette nature humaine qu'il a prise sans perdre sa nature divine, afin de devenir semblable aux hommes et d'être reconnu comme homme par ses apparences extérieures (5), cette nature humaine apparaîtra aussi au jugement où le

 

1. I Thess. IV, 15. — 2. Jean, V, 22, 30. — 3. Matt. XXV, 34. — 4. Ps. II, 7. — 5. Philipp. II, 6, 7.

 

Christ jugera les vivants et les morts. C'est pour cela qu'il est dit du Père : « Il ne jugera personne, mais il a remis tout jugement au Fils (1) ». Et les impies, dont il a été dit : « Ils verront celui qu'ils ont percé (2)», ces impies verront en effet dans le Christ prêt à les juger alors, la nature du Fils de l'homme; mais certes ils ne verront pas dans ce même Christ la nature divine qui le rend égal au Père. Le prophète Isaïe l'a déclaré d'avance : « Que l'impie disparaisse, afin qu'il ne voie point la splendeur du Seigneur (3) ». C'est aussi le sens de ces paroles : « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu (4)». Enfin, le Christ le déclare lui-même en termes très-clairs, lorsqu'il dit que le Père « lui a donné le pouvoir de juger, parce qu'il est Fils de l'homme (5) ». Ce n'est donc point parce qu'il est Fils de Dieu : car en cette qualité il possède avec le Père, de toute éternité, une seule et même puissance ; c'est parce qu'il est Fils de l'homme, et il a commencé à l'être dans le temps, précisément afin que cette puissance lui fût donnée aussi dans le temps. Cependant, si l'on s'exprime ainsi, ce n'est pas qu'il ne se soit point donné lui-même, ou en d'autres termes, que la nature divine qui est en lui, n'ait point donné cette puissance à la nature humaine qui lui appartient également; loin de nous cette croyance. Car le Père ne saurait faire quoi que ce soit, sinon par son Fils unique, conjointement avec le Saint-Esprit lui-même, puisque les opérations de la Trinité sont inséparables. Conséquemment, si le Père a donné cette puissance au Fils parce qu'il est Fils de l'homme, il la lui a donnée réellement par le Fils même, parce qu'il est Fils de Dieu. Car tout a été fait par lui et rien n'a été fait sans lui. Cependant par honneur et par convenance, il attribue au Père ce qu'il fait aussi lui-même en tant que Dieu, parce qu'il est Dieu engendré du Père. Car le Fils est Dieu engendré de Dieu, tandis que le Père est Dieu pareillement, mais non engendré de Dieu.

« Il a entendu, disent-ils, ces paroles de la bouche du Père : Asseyez-vous à ma droite, et c'est pour cela qu'il s'est assis à la droite du Père » : comme s'il eût agi en cela uniquement par l'ordre de son Père, et non point aussi par sa propre puissance.

 

1. Jean, V, 22. — 2. Zach. XII, 10; Jean, XIX, 37. —3. Is. XXVI, 10. — 4. Matt. V, 8. — 5. Jean, V, 27.

 

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D'abord si l'on n'entend point ces paroles dans un sens spirituel, le Père sera donc à la gauche du Fils. Or, la droite du Père est-elle autre chose que cette félicité éternelle, ineffable où est parvenu le Fils de l'homme lui-même, lorsque son corps a été élevé à l'état d'immortalité? Car si, au lieu de nous arrêter à des formes corporelles qui n'existent pas en Dieu, si avec autant de sagesse que de vérité nous entendons la main de Dieu le Père dans le sens de la puissance qui exécute, nous l'entendrons par là même du Fils unique par qui tout a été fait, et dont le prophète Isaïe dit aussi : « Le bras du Seigneur, à qui a-t-il été révélé (1) ? » Mais comment le Fils entend-il le Père ? Comment plusieurs paroles sont-elles dites parle Père à sa Parole unique? comment parle-t-il transitoirement à celui qui est sa parole permanente ? comment dit-il quelque chose dans le temps à celui qui lui est coéternel et en qui se trouvait déjà tout ce qu'il dit suivant l'opportunité de chaque temps? Qui osera chercher la solution de ces problèmes? Qui pourra la trouver? Et cependant : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite (2) » ; et par cela seul qu'il l'a dit, il a été fait ainsi. Lors donc que le Verbe s'est fait chair, cette incarnation même existait déjà dans le Verbe. Et parce qu'elle existait déjà en lui d'une manière véritable avant qu'il eût pris une chair, elle a été accomplie d'une manière réelle lorsqu'il a pris cette chair; parce qu'elle existait déjà dans le Verbe avant tous les temps, elle a été accomplie en son temps dans une chair. C'est dans cette chair que celui qui était descendu du ciel sans s'en éloigner, est monté au ciel; c'est dans cette chair que le bras du Père est assis à la droite du Père; dans cette chair enfin qu'il descendra pour le jugement « au commandement, à la voix de l'archange et au son de la trompette de Dieu (3) ».

Ils prétendent que la puissance du Fils paraît ici moins grande, parce qu'il est dit qu'il descendra « au commandement ». Mais il faut leur demander quel est ce commandement. Si c'est le commandement du Père, il faut leur demander de nouveau par quelles paroles momentanées le Père commande à sa Parole éternelle de descendre du ciel. Car ce commandement même de Dieu, qui aura lieu en son temps, existait déjà avant tous les temps

 

1. Is. LIII, 1. — 2. Ps. CIX, 1. — 3. I Thess. IV, 15.

 

dans ce même Verbe de Dieu. Et si le Fils de Dieu est descendu du ciel en tant qu'il est Fils de l'homme, c'est donc par lui-même en tant qu'il est Verbe, que l'ordre lui sera donné de descendre du ciel. Car si le Père ne commande point par. lui, il ne commandera donc point par son Verbe : ou bien il y aura un autre Verbe par qui il commandera à son Verbe unique. Et j'admire comment, celui-ci sera unique, dès lors qu'il en existera un autre. Le Père, il est vrai, a quelquefois adressé au Fils des paroles momentanées, quand par exemple cette voix sortit de la nuée: « Vous êtes mon Fils bien-aimé » ; non pas cependant afin que le Fils unique reçut par elles de nouvelles connaissances, mais plutôt ceux à qui il était nécessaire d'entendre ces paroles. Et par là même le bruit de ces paroles transitoires adressées au Fils, n'a point été fait sans le Fils: autrement toutes choses n'auraient pas été faites par lui. D'ailleurs, est-ce qu'un bruit et des paroles semblables, lorsqu'il lui sera commandé de descendre du ciel, seront nécessaires pour faire connaître au Fils la volonté du Père? Loin de nous une telle croyance. Mais quel que soit le genre de paroles qui devront être adressées au Fils, le Père ne fera rien si ce n'est par ce même Fils. — Au Fils, disons-nous, en tant qu'il est Fils de l'homme, créé avant toutes les créatures, par lui-même, en tant qu'il est Fils de Dieu, par qui le Père fait toutes choses. — Mais s'ils prétendent que ces paroles: « Au commandement, à la voix d'un archange», doivent s'entendre réellement du commandement d'un archange, comme les expressions mêmes semblent l'indiquer, que leur reste-t-il encore à dire, sinon que le Fils seul engendré est inférieur aux anges mêmes, puisque l'Ecriture nous le montre obéissant à leurs ordres, et celui- qui reçoit un ordre étant suivant eux, inférieur à celui qui le donne? Bien que ces paroles de l'Ecriture: « Au commandement, à la voix d'un archange », puissent être entendues en un autre sens, et que cette voix même d'un archange puisse être regardée comme émanée d'un commandement de Dieu ; en d'autres termes, l'ange qui doit être regardé comme la trompette de Dieu, recevrait du Seigneur l'ordre de faire retentir sa voix à l'oreille des créatures inférieures, autant qu'il leur sera nécessaire de l'entendre, quand le Fils de Dieu

 

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descendra du ciel. Car c'est précisément de cette trompette qu'il est dit en un autre endroit : « Il sonnera de la trompette, et les morts ressusciteront délivrés de la corruption (1) ».

Ainsi le Fils a dit : « Je juge comme j'entends », soit par un acte de soumission humaine et en sa qualité de Fils de l'homme ; soit suivant cette nature immuable et simple, qui appartient au Fils, de telle sorte cependant qu'il la reçoit du Père. Dans cette nature il n'y a aucune distinction entre ces trois choses entendre, voir, exister; celle-ci se confond avec les deux premières. D'où il suit que le Fils reçoit l'action d'entendre et de voir, de celui-là même dont il reçoit l'être. Et ces paroles qu'il a dites ailleurs : « Le Fils ne peut  rien faire de lui-même; sinon ce qu'il voit que le Père fait », sont beaucoup plus difficiles à comprendre que celles de ce texte cité par eux : « Je juge comme j'entends ». En effet, puisque « le Fils ne peut rien faire de lui-même, sinon ce qu'il voit que le Père fait » ; comment pourra-t-il juger, sans avoir vu le Père jugeant lui-même? Mais le Père ne juge personne; il a remis au contraire tout jugement au Fils. Le Fils juge donc après avoir reçu du Père non pas quelques jugements, mais tout jugement; et cependant il ne voit point le Père rendant des jugements, puisque celui-ci ne juge personne. Comment donc le Fils qui juge sans avoir vu le Père jugeant « ne peut-il rien faire de lui-même, sinon ce qu'il voit que le Père fait ? » Car Jésus-Christ ne dit point : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, sinon ce qu'il a entendu lui être commandé par le Père ; mais « sinon ce qu'il a vu être fait par le Père ». Qu'ils appliquent sur ce sujet leur esprit, leurs pensées, leurs réflexions; et dans cette application, s'il est possible, qu'ils se dépouillent, pour ainsi dire, de leur corps; au lieu de s'efforcer dans leurs pensées charnelles d'établir des séparations et des distinctions de substances dans la nature unique et identique de la Trinité, et d'y introduire divers degrés de puissances subordonnées les unes aux autres. Il a été dit, en effet, que le Fils ne fait rien de lui-même, par la raison qu'il ne reçoit pas son être de lui-même; et conséquemment tout ce qu'il fait, il voit le Père qui .le fait aussi, parce qu'il voit qu'il reçoit

 

1. I Cor. XV, 52.

 

la puissance de le faire précisément de celui dont il voit qu'il reçoit son existence même. Et en disant qu'il ne peut pas, il ne révèle en lui-même aucune absence de perfection, mais seulement la permanence de sa génération dans le sein du Père; et il est aussi glorieux pour le Tout-Puissant de ne pouvoir subir de changement, qu'il lui est glorieux de ne pouvoir mourir. Le Fils pourrait faire ce qu'il n'eût point vu être fait par le Père, s'il pouvait faire ce que le Père  ne fait point par lui : c'est-à-dire s'il pouvait pécher et contredire sa nature immuablement bonne, engendrée par le Père. Mais s'il ne le peut pas, ce n'est point par imperfection c'est à cause de sa puissance même.

Car les œuvres du Père ne sont pas distinctes des œuvres du Fils ; non pas que le Fils soit une seule et même personne avec le Père, mais parce que toutes les œuvres que le Fils accomplit, le Père les accomplit aussi par lui; et réciproquement, le Père ne fait rien, sinon par son Fils qui le fait en même temps que lui. « Car tout ce que le Père fait, le Fils le fait d'une manière semblable ». Ces paroles aussi sont de l'Evangile, et conséquemment elles sont sorties de la bouche même du Fils. Les œuvres du Fils et les œuvres du Père ne sont donc pas différentes, mais tout à fait identiques : Haec eadem ; elles sont faites par le Fils, non pas d'une manière différente, mais « d'une manière semblable ». Si donc les œuvres du Fils sont tout à fait identiques avec celles du Père, et non pas seulement semblables, quoique réellement distinctes; en quel sens le Fils fait-il ces oeuvres « d'une manière semblable », si ce n'est avec une facilité, avec une puissance absolument semblable? Car, si ces œuvres identiques sont, à la vérité, faites par tous deux, mais avec plus de facilité et de puissance par l'un que par l'autre, le Fils alors ne les fait plus « d'une manière semblable ». Or, puisqu'elles sont à la fois identiques et faites d'une manière semblable, manifestement les œuvres du Fils ne sont pas autres que les œuvres du Père, et il n'y a aucune différence entre la puissance de l'un et la puissance de l'autre dans leurs opérations. Et certes, ils n'agissent pas sans le Saint-Esprit; car celui-ci étant l'Esprit du Père et du Fils, il ne saurait en aucune manière être exclu des opérations que tous deux accomplissent. Ainsi, les (552) oeuvres des trois personnes en général, aussi bien que les oeuvres de chacune, sont faites par toutes trois d'une manière identique, et aussi admirable qu'elle est incontestablement divine. Les oeuvres des trois personnes sont le ciel, la terre et toutes les créatures. Car il est dit du Fils, que « tout a été fait par lui » ; et qui oserait exclure le Saint-Esprit de la formation de quelque créature que ce soit, quand on voit qu'il est l'auteur des dons accordés aux saints, et dont il est écrit: « Tous ces dons, c'est un seul et même Esprit qui les opère, les distribuant diversement à chacun comme il veut (1) » . Enfin, si le Christ est le Seigneur de toutes choses (2), s'il est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous les siècles (3) ; quel est, parmi tous les êtres, celui dont on puisse nier qu'il soit aussi l'oeuvre du Saint-Esprit, lequel a formé le Christ lui-même dans le sein d'une Vierge ? Car, après avoir dit à l'ange qui lui annonçait qu'elle deviendrait mère : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d'homme? » cette Vierge reçut cette réponse : « Le Saint-Esprit surviendra en vous (4) ». On appelle oeuvres de l'un ou l'autre en particulier, celles qui sont révélées comme appartenant à une seule des trois personnes. Ainsi, le Fils seul est né d'une Vierge (5); cette voix qui sortit de la nuée : « Vous êtes mon Fils bien-aimé », appartient à la personne du Père seul; enfin, le Saint-Esprit seul apparut sous une forme corporelle, comme une colombe (6). Cependant, et cette chair du Fils seul, et cette voix du Père seul, et cette forme du Saint-Esprit seul, sont des oeuvres de la Trinité tout entière; non point que chacune des trois personnes soit, sans les autres, impuissante à accomplir ce qu'elle fait; mais les opérations sont indivisibles là où il y a non-seulement égalité, mais encore confusion de nature, de telle sorte que, bien qu'ils soient trois, et que chacun des trois en particulier soit Dieu, ils ne sont pas cependant trois dieux. Car le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu, et le Fils n'est pas le même que le Père, le Saint-Esprit n'est pas le même que le Père ou le Fils; mais le Père est toujours Père, le Fils est toujours Fils, et l'Esprit de tous deux, sans être jamais le Père ou le Fils ni du premier, ni du

 

1. I Cor. XII, 11. — 2. Id. VIII, 6. — 3. Rom. IX, 5. — 4. Luc, I, 34, 35. — 5. Matt. I, 20-25. — 6. Id. III, 16, 17.

 

second, est toujours l'Esprit de l'un et de l'autre. Et cependant, la Trinité tout entière n'est qu'un seul Dieu. Ainsi, quand nous disons que ce n'est point le Père ni le Saint-Esprit, mais le Fils qui a marché sur les eaux, personne ne peut le nier. Car au Fils seul appartiennent cette chair et ces pieds qui furent placés sur les eaux et qui marchèrent sur les flots. Mais, à Dieu ne plaise que nous croyions que le Fils ait agi en cela sans le Père, puisqu'il dit de toutes ses oeuvres en général : « Le Père, demeurant en moi, fait ces oeuvres (1) » ; ou sans le Saint-Esprit; car c'était pareillement une oeuvre du Fils, de chasser les démons; la langue qui commandait aux démons de s'enfuir, était une partie de cette chair qui appartenait au Fils seul, et néanmoins il disait : « Je chasse les démons par l'Esprit-Saint (2) ». De même, quel autre que le Fils seul est ressuscité ? Car celui-là seul pouvait mourir, qui avait un corps; et cependant, le Père ne demeura point étranger à cette oeuvre même de la résurrection du Fils seul, puisqu'il est écrit du Père « qu'il a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts (3)». Peut-être le Fils ne s'est-il pas ressuscité lui-même ? Mais alors, que signifient ces paroles qui sont de lui : « Détruisez ce temple, et je le relèverai en trois jours (4)? » Pourquoi dit-il ailleurs qu'il a le pouvoir de déposer et de reprendre ensuite son âme (5)? Enfin, qui serait assez insensé pour croire que le Saint Esprit n'a point coopéré à la résurrection de l'humanité de Jésus-Christ, après qu'il a opéré lui-même la formation de cette humanité ?

Il y a dans l'homme quelque chose de semblable, quoiqu'on ne puisse établir ici aucune comparaison avec cette Trinité divine dont les perfections sont infinies : car, d'un côté, c'est Dieu même, et de l'autre, c'est une créature. Cependant, cette créature même a quelque chose où l'on peut reconnaître jusqu'à un certain point ce que nous disons de la nature ineffable de Dieu. En effet, ce n'est pas sans motif qu'il a été dit, non pas. Faisons l'homme à votre image, comme si le Père eût parlé au Fils; ni : A mon image; mais : « Faisons l'homme à notre image (6) »; ce qui s'entend avec raison des personnes de la Trinité même. Considérons donc dans l'âme

 

1. Jean,  XIV, 10. — 2. Matt. XII, 28. — 3. Galat. I, 1. — 4. Jean, II, 19. — 5. Id. X, 18. — 6.  Gen. I, 26.

 

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humaine ces trois choses : la mémoire, l'intelligence et la volonté: toutes trois agissent dans tout ce que nous faisons. Et lorsque chacune d'elles est réglée conformément au bien et à la vérité, toutes nos actions sont bonnes et justes; c'est-à-dire, lorsque notre mémoire n'est pas trompée par un oubli, notre intelligence par une erreur, ou notre volonté par une chose injuste. C'est ainsi, en effet, que nous sommes réformés à l'image de Dieu. Toutes nos actions donc sont faites par ces trois facultés; nous n'agissons jamais sans que toutes trois agissent à la fois. De plus, lorsque c'est l'une de ces facultés en particulier qui nous fait parler, elles s'unissent toutes pour faire cette action, qui appartient à l'une d'elles en particulier. Car, lorsque la mémoire seule nous dicte un discours que nous prononçons, la mémoire n'agit pas seule; mais l'intelligence et la volonté y apportent leur concours, quoiqu'il appartienne à la mémoire seule. Il est aisé de comprendre qu'il en est de même des deux autres. Car, lorsque l'intelligence parle d'elle-même, elle ne le fait jamais sans la mémoire et sans la volonté; et toutes les fois que la volonté dit ou écrit quelque chose d'elle-même, la mémoire et l'intelligence agissent aussi avec elle. Quant au degré de ressemblance et en même temps de non-ressemblance entre ces trois facultés et l'immuable Trinité divine, il faudrait de longs discours pour éclaircir parfaitement ce sujet. J'ai cru devoir rappeler seulement ce qui précède, afin de prendre mes arguments jusque dans les créatures. Qu'ils comprennent donc, s'ils en sont capables, la distance qui existe entre une absurdité et ce que nous disons du Père, du Fils et du Saint-Esprit, savoir: que tous trois concourent inséparablement à accomplir non-seulement les oeuvres qui appartiennent à tous en général, mais même celles qui appartiennent à chacun en particulier.

Le Fils donc juge comme il entend, soit parce qu'il est Fils de l'homme, soit parce qu'il ne reçoit point l'être de lui-même, étant le Verbe du Père. Car il reçoit du Père sa nature même de Verbe, comme nous-mêmes nous recevons d'une personne quelconque les paroles que nous entendons. Et l'on peut dire que le Père a donné au Fils le Verbe, c'est-à-dire qu'il lui a donné d'être le Verbe, comme on dit qu'il a donné au Fils la vie, c'est-à-dire qu'il lui a donné d'être la vie, suivant ces paroles du Fils même : « Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d'avoir en lui-même la vie (1) », de telle sorte cependant que le Fils soit non pas différent de la vie qui est en lui, mais absolument et identiquement le même que cette vie : de même que entre le Père et la vie qui est en lui, il n'y a absolument aucune différence; seulement le Fils n'a point donné cette vie au Père, parce qu'il n'a point engendré le Père; tandis qu'elle a été donnée au Fils par le Père, lorsque celui-ci a engendré le Fils qui est la vie, comme le Père lui-même est aussi la vie. Cependant le Père a engendré le Verbe sans être Verbe lui-même. Car, quand nous parlons de la vie, elle peut n'avoir d'autre principe qu'elle-même : telle est, par exemple, la vie du Père, ou, pour parler plus énergiquement, telle est la vie qui est le Père même et qui ne reçoit l'existence d'aucun autre ; mais lorsqu'il s'agit du Verbe, il est absolument impossible de ne pas entendre le Verbe de quelqu'un, et précisément de celui-là même qui en est l'auteur. Conséquemment si le Fils est Dieu de Dieu, la lumière de la lumière, la vie de la vie, on ne peut pas dire de même qu'il est le Verbe du Verbe, parce que lui seul est Verbe; et comme c'est le propre du Père d'engendrer le Verbe, c'est aussi le propre du Fils d'être précisément ce Verbe. Ainsi donc il juge comme il entend, parce que le Verbe ayant été engendré précisément pour être lui-même la vérité, il ne peut juger que conformément à la vérité.

« Et certes son jugement est juste; car il ne cherche point sa volonté, mais la volonté de Celui qui l'a envoyé (2) ». Il voulait par ces paroles appeler notre attention sur cet homme qui, en cherchant sa propre volonté et non pas la volonté de celui par qui il avait été fait, ne se jugea point lui-même avec justice, mais au contraire subit un juste jugement. Car en faisant sa propre volonté, non pas la volonté de Dieu, il ne crut pas qu'il mourrait pour cela; mais ce jugement de sa part ne fut pas juste et son action fut suivie de la mort, parce que Dieu est juste. Cependant si le Fils de Dieu juge sans chercher sa propre volonté (car il est aussi Fils de l'homme), ce n'est pas qu'en qualité de juge il ne possède aucune volonté (le plus insensé des hommes oserait-il

 

1. Jean, V, 26. — 2. Id. 30.

 

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le dire?); mais sa volonté ne lui est pas tellement propre à lui-même, qu'elle soit distincte de la volonté du Père. Si nos adversaires y réfléchissaient bien, ils n'établiraient pas dans la Trinité, par une pensée toute charnelle, des degrés inégaux pour chacune de ses puissances et pour chacun de ses principes d'opérations; ils ne la représenteraient point comme semblable à trois hommes de trois dignités inégales et différentes, le Père comme souverain, le Fils comme juge, et le Saint-Esprit comme avocat. Ils prétendent que les lois pour ainsi dire souveraines suivant lesquelles le Fils juge, appartiennent au Père; et suivant eux c'est à ces mêmes lois que le Fils, lorsqu'il juge, emprunte sa gloire et son autorité. Quant à l'intercession bienveillante et aux consolations du Saint-Esprit, elles appartiennent, ajoutent-ils, à la dignité du juge, c'est-à-dire du Fils unique de Dieu: comme si la dignité du juge consistait autant dans cette intercession, que la dignité du souverain consiste à envoyer un juge dont les jugements seront conformes à ses lois suprêmes. Et cependant, malgré cette manière de penser toute charnelle, ils ne peuvent pas encore démontrer dans les trois personnes divines cette diversité de natures, qui est le grand sujet de discussion entre eux et nous. Car lorsqu'ils empruntent cette comparaison aux moeurs des hommes, sans sortir de l'ordre des faits humains qui sont parfaitement à la portée de leurs esprits (car l'homme animal ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit- de Dieu (1) ), nous apprennent-ils autre chose sinon que le souverain, le juge et l'avocat sont tous des hommes? D'où il suit que le juge, quoique inférieur au souverain en- puissance, est aussi véritablement homme que celui-ci. De même l'avocat n'est pas moins homme que- le juge, quoique par son ministère le premier semble être soumis au second. Conséquemment, alors même qu'ils regardent la puissance du Père, celle du Fils et celle du Saint-Esprit, comme inégales entre elles, ils doivent reconnaître du moins l'égalité de nature dans les trois personnes. Pourquoi donc supposent- ils la condition de celles-ci pire même que celle des hommes? Car dans l'ordre des choses humaines il peut arriver que celui qui a été juge devienne souverain; mais quand il s'agit de la Trinité, nos adversaires ne daignent

 

1. I Cor. II, 14.

 

pas même accorder ce privilège au Fils uni. que du Souverain. De plus, si par suite peut-être de quelque formule du droit ou des coutumes humaines, ils craignent au suprême degré d'être accusés du crime de lèse-majesté contre le Fils lui-même, il me semble qu'ils devraient assurément accorder à celui qui est avocat, de parvenir un jour au pouvoir judiciaire. Mais ils n'y consentent pas même. Et ainsi la condition des membres de cette trinité est (ce qu'à Dieu ne plaise), plus triste encore que celle des membres du genre bu. main, sujets à la mort.

Or, la sainte Ecriture, qui ne mesure point ces divines opérations par des degrés différents de puissances, mais par les degrés d'ineffabilité qui se trouvent dans les oeuvres, l'Ecriture, dis-je, reconnaît aussi le juge lui-même comme notre avocat. L'apôtre saint Jean dit en effet : « Si quelqu'un pèche, nous avons pour avocat auprès du Père, Jésus-Christ le juste (1) ». C'est aussi le sens de ces paroles du Sauveur lui-même : « Je prierai le Père, et il vous donnera un autre avocat (2) » ; car le Saint-Esprit ne serait pas un autre avocat, si le Fils n'avait pas déjà cette qualité. Mais pour montrer que les oeuvres de son Père et les siennes propres sont inséparables, il dit : « Lorsque je m'en serai allé, je vous l'enverrai (3) » ; quoique ailleurs il dise: « Celui que mon Père enverra en mon nom »; preuve manifeste que le Saint-Esprit fut envoyé à la fois par le Père et par le Fils. Isaïe montre pareillement que le Père et l'Esprit Saint ont envoyé le Fils. N'est-ce pas le Fils en effet qui, annonçant à l'avance son propre avènement, s'exprime ainsi parla bouche de ce Prophète : « Écoutez-moi, Jacob, et vous, Israël, que j'appellerai à moi: Je suis le premier, et je suis pour l'éternité; c'est ma main qui a donné à la terre ses fondements, c'est ma droite qui a donné aux cieux leur appui; je les appellerai et ils paraîtront tous ensemble ; tous s'assembleront et ils entendront : qui leur a prédit ces choses? Par amour pour vous j'ai exécuté votre volonté sur Babylone, afin de détruire la race des Chaldéens. J'ai parlé; je l'ai appelé; je l'ai amené et j'ai rendu ses voies prospères. Approchez-vous de moi, et écoutez ceci; car dès le commencement je n'ai point parlée, secret: j'étais présent lorsque ces choses ont

 

1. I Jean, II, 1. — 2. Jean, XIV, 16. — 3. Id. XVI, 7.

 

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été accomplies, et maintenant j'ai été envoyé par le Seigneur et par son Esprit (1) ? » Quoi de plus clair ? Celui qui a donné à la terre ses fondements et aux cieux leur appui, voici que lui-même il se dit envoyé par le Saint-Esprit. On reconnaît dans ces paroles le Fils unique par qui toutes choses ont été faites. D'autre part, tandis que nos adversaires attribuent l'office de consolateur au Saint-Esprit, comme à une personne placée au dernier rang dans la Trinité, l'Apôtre donne au consolateur le nom de Dieu même. Nous lisons en effet dans l'épître de saint Paul aux Corinthiens: « Celui qui console les humbles, Dieu nous a consolé par la présence de Tite (2) ». Donc celui qui console les saints est Dieu. Car les humbles, ce sont précisément les saints, suivant ces paroles des trois hommes dans la fournaise « Saints et humbles de coeur, bénissez le Seigneur (3)». Ainsi le Saint-Esprit qui console les humbles est Dieu. Et par là même ou bien nos adversaires doivent avouer que le Saint-Esprit est Dieu, ce qu'ils ne veulent pas avouer; ou bien s'ils prétendent que ces paroles de l'Apôtre s'appliquent au Père ou au Fils, ils doivent cesser de séparer de l'un et de l'autre la personne du Saint-Esprit pour lui attribuer l'office particulier de consolateur.

Mais en s'efforçant de prouver que le Saint-Esprit est inférieur au Fils, par la raison qu'il est avocat auprès du Fils considéré comme juge, ils le placent nécessairement et par un aveuglement incompréhensible, dans un rang inférieur même aux hommes saints à qui le Seigneur adressait ces paroles : « Vous serez assis sur douze sièges, jugeant les douze tribus d'Israël (4) ». Qu'ils nous disent donc quel sera alors l'office du Saint-Esprit : sera-t-il juge avec le Fils, ou seulement avocat près de ces juges humains eux-mêmes ? Loin d'un coeur fidèle cette pensée abominable, que le Saint-Esprit soit un avocat inférieur à ces juges, puisque ceux-ci, pour être juges, doivent être remplis de ce même Esprit suivant lequel il faut qu'ils vivent pour devenir spirituels. Car, dit l'Apôtre, « l'homme spirituel juge toutes choses (5) ». Comment donc celui qui les fait juges est-il inférieur au juge suprême, puisque c'est lui qui les fait à la fois membres de ce juge et son propre temple? Car après avoir dit: « Vos corps sont les membres

 

1. Isa. XLVIII, 12-16. — 2. II Cor. VII, 6. — 3. Dan. III, 87. — 4. Matt. XIX, 28. — 5. I Cor. II, 15.

 

du Christ », l'Apôtre ajoute pareillement « Vos corps sont le temple du Saint-Esprit qui est en vous (1) ». De plus si, dans une des pages les plus claires de la sainte Ecriture, ils lisaient que le roi Salomon, par l'ordre de Dieu, éleva au Saint-Esprit un temple de bois et de pierres, ils ne pourraient plus douter qu'il soit Dieu. Car en lui bâtissant ce temple, le peuple de Dieu lui rendait légitimement et dans sa plus haute expression le culte religieux appelé culte de latrie ; et cependant le Seigneur a dit « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu ne sera viras que lui seul », latreuseis. Et ils osent nier qu'il soit Dieu, celui dont le temple est formé non pas de pierres et de bois, mais des membres mêmes du Christ ! Car ils soumettent le Saint-Esprit à la puissance du Christ, quoique les membres de ce même Christ soient son temple, comme ils soumettent le Fils lui-même aux lois souveraines de Dieu, quoiqu'il soit la parole de Dieu et que la parole d'un souverain ne soit en aucune manière soumise aux lois, étant elle-même l'origine des lois (2).

X. Au reste, ceux dont les doctrines sont venues jusqu'à moi et auxquels je réponds, n'osent pas dire que celui qui a été engendré, a été aussi fait: mais établissant une distinction entre ces deux choses, ils disent que le Fils a été engendré par le Père, et que le Saint-Esprit au contraire a été fait par le Fils. Cependant ils ne lisent cela nulle part dans les saintes Ecritures, puisque le Fils dit lui-même que le Saint-Esprit procède du Père.

XI. « Le Fils, disent-ils, prêche le Père; le Saint-Esprit annonce le Fils ». Comme si le Fils n'avait pas annoncé la venue du Saint-Esprit; ou bien que le Père n'eût pas aussi prêché le Fils en ces termes : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toutes mes complaisances : écoutez-le (3) ».

XII. Par là même non-seulement le Fils « révèle la gloire du Père», mais le Père aussi « révèle » la gloire du Fils; non-seulement « le Saint-Esprit manifeste la dignité du Fils », mais le Fils aussi « manifeste la dignité » du Saint-Esprit.

XIII. Et conséquemment, comme « le Fils rend témoignage au Père, et le Saint-Esprit au Fils », de même aussi le Père « rend témoignage » au Fils, et le Fils au Saint-Esprit.

 

1. I Cor. VI, 15, 19. — 2. Voir la Conférence avec Maximin, II. 14. — 3. Matt. XVII, 5.

 

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XIV. « Le Saint-Esprit a été envoyé » par le Père et « par le Fils » ; et « le Fils a été envoyé par le Père » et par le Saint-Esprit.

XV. « Le Fils, disent-ils, est le ministre du Père; le Saint-Esprit est le ministre du Fils ». Ils ne remarquent pas que de cette manière ils mettent les Apôtres au-dessus du Saint-Esprit. Car puisque ceux-ci se disent ministres de Dieu, nos adversaires assurément ne nieront pas qu'ils ne soient ministres de Dieu le Père lui-même. Car ils sont ministres de celui au nom, de qui ils ont donné le baptême, c'est-à-dire du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Conséquemment, suivant le langage inepte de nos adversaires, les ministres de la Trinité seront au-dessus du Saint-Esprit, celui-ci étant inférieur au Fils précisément parce qu'il est le ministre du Fils seul.

XVI. « Le Fils, disent-ils, reçoit les ordres du Père; le Saint-Esprit reçoit les ordres du Fils ». Ils ne lisent cela dans aucune page des livres saints : il est écrit, à la vérité, que le Fils est obéissant, suivant sa nature d'esclave par laquelle il est inférieur au Père; mais non pas suivant sa nature divine par laquelle il est une seule et même chose avec le Père.

XVII. Ainsi on lit dans les saintes Ecritures que « le Fils est soumis au Père ». Mais il s'agit alors de sa nature d'esclave, par laquelle il était soumis même à ses parents humains, suivant ces paroles de I'Evangile : « Et il descendit avec eux et il vint à Nazareth ; et il leur était soumis (1) ». Mais le texte sacré ne porte nulle part que le Saint-Esprit soit soumis au Fils.

XVIII. C'est pourquoi ce que le Père commande, le Fils l'exécute à raison de sa nature d'esclave ; et ce que le Père accomplit, le Fils l'accomplit aussi à raison de sa nature divine. Aussi Jésus-Christ ne dit pas : Tout ce que le Père commande, le Fils le fait; mais il dit

« Tout ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement ». Or, s'ils prétendent que le Saint-Esprit dit ce que le Fils lui commande de dire, précisément parce qu'il est écrit : « Il recevra de ce qui est à moi, et il vous l'annoncera (2) » ; pourquoi le Fils ne dit-il pas de même ce que le Saint-Esprit lui commande de dire, puisque l'Apôtre dit aussi : « Ce qui est en Dieu, personne ne le connaît, sinon

 

1. Luc, II, 51. — 2. Id. XVI, 14.

 

l'Esprit de Dieu (1) » ; et que Jésus-Christ déclare que ces paroles de l'Ecriture ont eu en lui-même leur accomplissement : « L'Esprit du Seigneur est sur moi ; c'est pourquoi il m'a consacré par son onction pour évangéliser les pauvres (2)? » En effet, s'il a été ton. sacré pour évangéliser les pauvres, parce que l'Esprit du Seigneur était sur lui, qu'est-ce donc qu'il annonçait aux pauvres, sinon ce que l'Esprit du Seigneur, dont il était rempli, lui inspirait? Car il est écrit aussi. de lui, qu'il est rempli du Saint-Esprit (3).

XIX. « Le Fils, disent-ils, adore et honore le Père; le Saint-Esprit adore et honore le Fils ». Il n'est pas nécessaire de vouloir ici rechercher scrupuleusement la différence qu'il y a entre honorer et adorer: l'un et l'autre se disent du Fils par rapport à sa nature d'esclave. Mais qu'ils nous apprennent donc, s'ils le peuvent, en quel endroit ils ont lu que le Fils est adoré par le Saint-Esprit. Car les textes qu'ils mettent en avant pour s'efforcer de le prouver, savoir : « Mon Père, je vous ai honoré sur la terre, j'ai accompli l'oeuvre que vous m'avez donnée » ; et cet autre qui regarde le Saint-Esprit : « Il m'honorera parce qu'il recevra de ce qui est à moi et vous l'annoncera », ces textes ne se rapportent pas au sujet dont il s'agit. En effet, l'action d'adorer renferme nécessairement celle d'honorer; mais celle-ci ne renferme pas toujours la première. Suivant l'Apôtre, les frères se préviennent et se rendent honneur les uns aux autres (4), et cependant ils ne s'adorent pas mutuellement. Autrement, c'est-à-dire si l'action d'honorer et celle d'adorer sont identiques, que nos adversaires veuillent bien dire aussi que le Père adore le Fils et qu'en l'adorant à obéit à cet ordre du Fils même : « Honorez-moi (5) ». Quant à ces paroles relatives au Saint-Esprit: « Il recevra du mien », Jésus. Christ lui-même a tranché la difficulté. Afin qu'on ne crût pas que le Saint-Esprit est du Fils comme le Fils lui-même est du Père et qu'il y a entre eux différents degrés, tandis que l'un et l'autre sont du Père, le premier par voie de génération, le second par voie de procession (deux choses extrêmement difficiles à distinguer avec précision dans une nature si sublime); afin, dis-je, qu'on ne crût pas cela, il ajoute aussitôt : « Tout ce que possède moi

 

1. I Cor. II, 11. — 2. Luc, IV, 18, 21. — 3. Id. Rom. III, 10. — 4. Jean, XVII, 4, 5.

 

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Père est à moi; c'est pourquoi j'ai dit qu'il recevra de ce qui est à moi (1) ». Sans aucun doute il voulait faire entendre par là que le Saint-Esprit reçoit aussi du Père et qu'il reçoit du Fils, précisément parce que tout ce qui est au Père, appartient au Fils. Or, il n'établit en cela aucune diversité de natures, mais bien l'unité de principes.

XX. Si donc le Saint-Esprit ne parle point de lui-même, c'est parce qu'il ne reçoit pas l'être de lui-même, mais du Père dont il procède : de même que le Fils ne peut rien faire de lui-même, parce qu'il n'a pas non plus en lui le principe de son être, ainsi que nous l'avons déjà démontré plus haut ; non pas toutefois que le Fils attende en toutes choses le signe de la volonté du Père ; car il ne dit pas qu'il ne fait rien de lui-même, si ce n'est ce qu'il voit lui être commandé par le Père; mais si ce n'est ce qu'il voit que le Père fait aussi, conformément à ce que nous avons déjà démontré. Quant à ces paroles : « Que le Saint-Esprit attend en toutes choses le précepte du Christ », nos adversaires qui les ont prononcées, ne peuvent les lire nulle part. Car après avoir dit : « Il ne parlera point de lui-même », Jésus-Christ n'a pas ajouté : Il dira ce qu'il aura entendu de moi ; mais bien : « Il dira les choses qu'il aura entendues (2) » : expressions dont le sens a été clairement exposé dans cette définition donnée par le Seigneur et que j'ai rappelée tout à l'heure : « Tout ce que possède le Père est à moi ; c'est pourquoi j'ai dit qu'il recevra du mien ». Or, sans aucun doute, celui de qui il reçoit, est aussi le principe des paroles qu'il prononce; celui dont il procède, est aussi celui de qui il entend. Car il connaît le Verbe de Dieu parce qu'il procède du même principe d'où naît le Verbe, et ainsi il est également l'Esprit du Père et l'Esprit du Verbe.

Et qu'on ne dise pas que cette expression : « Il recevra », désigne un temps futur, comme s'il n'avait pas encore. En effet, on se sert indifféremment des trois sortes de temps, quoique l'on sache très-bien que l'éternité exclut toute succession de temps. Car il a reçu, puisqu'il a procédé du Père ; il reçoit, puisqu'il procède du Père ; il recevra, puisqu'il ne cessera jamais de procéder du Père; c'est ainsi que Dieu est, a été et sera, quoiqu'il n'ait pas

 

1. Jean, XVI, 14, 15. — 2. Id. XVI, 13.

 

eu, quoiqu'il ne doive jamais avoir de commencement ni de fin temporelle.

XXI. « Le Fils, disent-ils, invoque pour nous le Père ; le Saint-Esprit demande pour nous au Fils ». Ils lisent à la vérité que le Fils demande au Père, ainsi que nous l'avons rappelé nous-même dans les raisonnements précédents : mais qu'ils trouvent de même un seul mot qui les autorise à dire que le Saint-Esprit demande au Fils. Il est vrai que l'Apôtre dit: « Nous ne  savons ce que nous devons demander dans la prière ; mais l'Esprit lui-même demande avec des gémissements inénarrables. Et celui qui scrute les coeurs sait ce que désire l'Esprit ; car c'est selon Dieu qu'il demande pour les saints (1)» ; mais de quelque manière qu'ils entendent ces paroles (et il est pour eux de la plus grande importance de les entendre comme elles doivent être entendues), il n'est pas dit : Le Saint-Esprit demande au Christ, ou bien, il demande au Fils; mais il est dit que le « Saint-Esprit demande », parce qu'il nous porte à demander. C'est ainsi que Dieu dit ailleurs : « Je sais maintenant (2) », comme s'il avait ignoré jusque-là, et cependant cette expression ne signifie pas autre chose que ceci : J'ai fait en sorte que vous connaissiez. L'Apôtre dit aussi dans le même sens : « Mais maintenant connaissant Dieu, ou plutôt étant connus de Dieu (3) » ; de peur qu'ils ne s'attribuassent à eux-mêmes le mérite de la connaissance qu'ils avaient de Dieu. Il parle donc ainsi : « Etant connus de Dieu », pour leur faire entendre que Dieu leur adonné par sa grâce la connaissance qu'ils ont de lui-même. C'est encore suivant cette manière de parler qu'il a été dit : « Et ne contristez point le Saint-Esprit de Dieu (4)»: c'est-à-dire, ne nous contristez point, nous qui sommes par un mouvement du Saint-Esprit, contristés à votre sujet. Car ils étaient contristés par l'effet de la charité que le Saint-Esprit répandait dans leurs coeurs (5), et ainsi il les rendait lui-même tristes au sujet des maux de leurs frères. Enfin le même Apôtre dit : « Vous avez reçu l'Esprit  d'adoption des fils, dans lequel nous crions : « Abba, (Père) (6) » ; et ailleurs, exprimant la même pensée : « Dieu, dit-il, a envoyé dans vos coeurs l'Esprit de son Fils, criant: Abba, Père (7) ! » Comment dit-il en un endroit : « L'Esprit dans lequel nous crions », et en un

 

1. Rom. VIII, 26, 27. — 2. Gen. XXII, 12. — 2. Gal. IV, 9 4. Eph. IV, 30. — 5. Rom. V, 5. — 4 Id. VIII, 15. — 5. Gal. IV, 6.

 

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autre endroit : « L'Esprit qui crie », sinon parce que cette dernière expression signifie l'Esprit qui nous fait crier ? Cependant si nous voulons entendre comme eux cette expression, non pas en ce sens qu'il nous fait crier, mais en ce sens qu'il crie lui-même, dès lors qu'il dit : « Abba, Père », il n'adresse donc pas sa demande au Fils, mais au Père. Car ils n'oseront pas dire que le Saint-Esprit est le Fils du Christ, puisque pour ne pas prononcer ce mot ils ont mieux aimé dire qu'il n'a pas été engendré, mais qu'il a été fait par le Fils. Ainsi donc, par nous-mêmes nous ne savons pas ce que nous devons demander, mais l'Esprit lui-même demande, c'est-à-dire nous fait demander les choses qui sont selon Dieu : et tant qu'il ne le fait point, nos prières ne sont inspirées que par des pensées mondaines, par le désir de satisfaire la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux et la soif des honneurs temporels : trois choses qui ne viennent pas du Père, mais du monde (1). Plusieurs cependant pensent que ces paroles : « L'Esprit lui-même demande avec des gémissements », doivent être entendues de l'esprit de l'homme.

XXII. Ils disent que le Fils est l'image vivante et véritable, personnelle et tout à fait digne, de toute la bonté, de toute la sagesse et de toute la puissance du Père. Cependant l'apôtre saint Paul ne dit pas qu'il est l'image de la puissance et de la sagesse de Dieu ; mais il dit qu'il est Dieu même, « la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu ». Donc par là même que le Fils est l'image du Père, il est aussi la puissance et la sagesse du Père. Or, cette image pleine et parfaite, qui n'a pas été faite de rien par lui, mais qui est engendrée de lui, cette image n'est en rien inférieure à celui qu'elle représente : car le Fils seul engendré est l'image souveraine du Père, c’est-à-dire tellement semblable qu'il n'y a en elle aucun trait non ressemblant. Et néanmoins ils n'ont pas osé dire que le Saint-Esprit est l'image du Fils, mais ils ont employé le mot de manifestation. Pour le même motif, ils ont dit qu'il a été, non pas engendré, mais fait par lui ; ce qu'ils ne peuvent lire dans aucune page des saintes Ecritures.

XXIII. Qui donc, parmi les catholiques, dit que le Fils est une partie du Père, ou que le Saint-Esprit est une partie du Fils ?

 

1. Jean, II, 18.

 

Nos adversaires ont cru devoir nier cette proposition, comme si elle était l'objet d'une discussion: quelconque entre eux et nous. Cependant nous disons qu'il y a dans la Trinité une seule; et même nature ; nous ne disons pas que aucune des trois personnes soit une partie d'une autre personne. Mais après avoir nié que le Fils soit une partie du Père, ils ajoutent que cependant il est proprement, et pleinement et parfaitement Fils unique et bien-aimé. C'est pourquoi il faut leur demander si les enfants que Dieu adopte par sa libre volonté et qu'il engendre par la parole de vérité, sont, eux aussi, proprement, pleinement et parfaitement les enfants bien-aimés de Dieu, quand ils sont parvenus à une perfection telle qu'il ne leur soit plus possible d'être plus parfaits? S'ils répondent affirmativement, le Fils, dès lors, ne sera plus seul engendré, puisqu'il aura un grand nombre d'égaux; il ne sera plus que le premier engendré. S'ils répondent négativement, comment faut-il entendre alors cette plénitude et cette perfection, si ce n'est en ce sens que le Fils soit tout à fait égal à celui qui l'engendre, sans aucun trait de non-ressemblance ; et pour m'exprimer plus brièvement et avec plus de clarté, en a sens que l'un soit Fils par nature, et les autres, fils par grâce, le premier possédant la plénitude de la divinité, tandis que les autres ne possèdent qu'une participation de cette même divinité, quoique le Verbe en s'unissant à notre humanité et « en se faisant chair (1) » sans perdre sa nature de Verbe égal au Père, ait obéi en cela non pas à une exigence de sa nature, mais à une volonté libre? Ensuite, puisqu'ils prétendent que le Saint-Esprit est, non pas engendré, mais la première et la principale oeuvre du Fils en comparaison de nous les autres êtres, qu'ils nous disent donc, si ces fils que « le Père engendre de sa libre volonté par la parole de vérité », ne doivent pas être supérieurs au Saint-Esprit ! Comment, en effet, pourraient-ils ne pas l'avouer, puisque sans aucun doute il vaut, mieux être l'enfant de Dieu que d'être l'oeuvre du Fils? Qu'ils réfléchissent à cela, et pour mettre fin à leurs blasphèmes insensés et impies, qu'ils reconnaissent qu'il n'y a dans la sainte Trinité aucune personne qui ait été créée d'une manière quelconque ou faite par Dieu, si ce n'est le Fils en tant qu'il s'est fait

 

1. Jean, I, 14.

 

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homme sans cesser d'être Dieu; mais que chacune des trois personnes est Dieu véritable, suprême et immuable.

XXIV. A Dieu ne plaise en effet que, conformément à leur opinion, le Père soit plus grand que le Fils, en tant que celui-ci est son Verbe, seul engendré par lui; il l'est seulement en tant qu'il est le Verbe fait chair 1 Mais qu'y a-t-il en cela d'étonnant, puisque dans cette même chair il est devenu inférieur aux anges eux-mêmes? Aussi à Dieu ne plaise que, suivant leurs blasphèmes, le Fils soit incomparablement plus grand et plus parfait que le Saint-Esprit; et, ce qu'on ne peut croire sans une extrême folie, que les membres du plus grand soient le temple du plus petit !

XXV. Le Père est, à la vérité, « Dieu et Seigneur à l'égard de son Fils » : parce qu'il y a dans celui-ci la nature d'esclave que le Prophète avait annoncée en ces termes: « Le Seigneur m'a dit : Tu es mon Fils (1) ». Et dans ce même livre prophétique, le même Fils dit aussi à son Père: « Vous êtes mon Dieu dès le sein de ma mère (2) ». Et en effet, dès le sein de sa mère où il a pris la nature humaine, le Père est son Dieu; de même qu'il est son Père parce qu'il l'a engendré non-seulement avant qu'il fût dans le sein de sa mère, mais avant tous les siècles et de toute éternité. Mais où donc ont-ils entendu, même en rêve, que le Fils fût, dans la sainte Ecriture, appelé Dieu et Seigneur de l'Esprit-Saint?

XXVI. « Le Père, disent-ils, a engendré le Fils, par sa volonté immuable et impassible  le Fils, sans travail ni fatigue et par sa seule puissance, a fait l'Esprit ». O éloge vraiment sublime du Fils et du Saint-Esprit ! Comme si le Père avait agi malgré lui, et qu'il fût sorti de son état d'immobilité et d'impassibilité, quand il nous a engendrés volontairement par la parole de vérité : ou bien comme si le Fils n'avait pas créé le ciel et la terre sans travail et sans fatigue? Il faut donc, suivant eux, placer ces dernières oeuvres au même rang que le Fils ou le Saint-Esprit; ou bien s'il n'est en aucune manière possible d'établir cette égalité , pourquoi avoir parlé d'une chose que personne ne met en question, savoir que le Père, lorsqu'il engendre, et le Fils dans ce qu'il fait, agissent l'un et l'autre sans douleur aucune et sans fatigue? De plus, qu'ils considèrent bien dans quel sens ils

 

1. Ps. II, 7. — 2. Ps. XXI, 11.

 

disent que le Fils a fait le Saint-Esprit par sa propre puissance seule. D'après le sens même des paroles, ils sont forcés de reconnaître que le Fils a fait quelque chose qu'il n'a point vu être fait par le Père. Si, au contraire, il leur plaît de dire que le Père aussi a fait le Saint-Esprit, dès lors le Fils ne l'a donc point fait par sa propre puissance seule. Si enfin le Père avait auparavant fait un autre Esprit-Saint, afin que le Fils pût faire celui qu'il a fait ( le Fils ne pouvant rien faire sinon ce qu'il a vu être fait par le Père), en quel sens donc le Fils fait-il pareillement , non pas d'autres oeuvres semblables, mais identiquement toutes les mêmes oeuvres que fait le Père? Qu'ils prennent la peine d'y réfléchir, et sans aucun doute ils reconnaîtront la confusion qui règne dans tous ces systèmes appuyés sur leurs raisonnements charnels.

XXVII.Il est incontestable que le Père adonné l'être à tout ce qui existe, sans l'avoir reçu lui-même de qui que ce soit; mais il n'a donné à personne de lui être égal à lui-même, si ce n'est au Fils qui est né de lui, et au Saint-Esprit qui procède de lui. Si donc il en est ainsi, la différence qu'ils prétendent introduire dans la Trinité n'existe pas; il n'y a dans la Trinité qu'une seule et même nature, qu'une seule et même puissance : « Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père », suivant les expressions de Jésus-Christ lui-même (1). Et ceux qui veulent vivre dans la piété , doivent adorer le Seigneur leur Dieu et ne servir que lui seul, comme il a été commandé autrefois à nos pères par une loi de Dieu. Mais pour qu'il nous soit possible de rendre exclusivement à notre Seigneur et Dieu le culte qui est dû à la divinité (car il s'agit ici du culte même appelé en grec latreia, et cette expression se trouve précisément dans le texte « Vous ne servirez que lui seul (2) »), il faut de toute nécessité, que le Seigneur notre Dieu soit lui-même la Trinité tout entière. Autrement, suivant que ces paroles : « Vous ne servirez que lui seul », s'appliqueraient au Père et au Fils, nous ne pourrions plus rendre au Fils ou au Père le culte appelé culte de latrie et que les esclaves ne doivent pas à ceux qui sont leurs maîtres selon la chair, mais que tous les hommes doivent exclusivement à leur Seigneur et Dieu. De plus, si avec des éléments matériels nous bâtissions un temple au

 

1. Jean, V, 19, 23. — 2. Deut. VI, 13.

 

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Saint-Esprit, qui hésiterait à croire que nous lui rendons un culte de latrie, c'est-à-dire le culte dont je parle en ce moment ? Comment donc pouvons-nous ne pas lui rendre un culte de latrie, puisque sans lui bâtir un temple, nous sommes nous-mêmes son temple? Ou bien comment lui-même peut-il ne pas être notre Dieu, puisque l'Apôtre dit de lui : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? » et un peu après: « Glorifiez donc Dieu dans votre corps (1) ? » Ainsi, suivant l'Apôtre, nos corps sont en nous le temple du Saint-Esprit. Conséquemment si d'une part nous rendons à la fois au Père, au Fils et au Saint-Esprit le culte appelé culte de latrie; si d'autre part nous lisons dans la loi de Dieu le précepte de ne rendre ce culte à nul autre absolument qu'à notre Seigneur et Dieu, il est donc hors de doute que la Trinité est elle-même notre seul et unique Seigneur et Dieu, à qui la piété nous fait un devoir de rendre ce culte, en même temps qu'elle nous défend de le rendre à tout autre.

XXVIII. « Comme personne, disent-ils, ne peut aller au Père sans l'intermédiaire du Fils; de même aussi personne ne peut, sans le secours du Saint-Esprit, adorer le Fils en vérité » : comme si du reste quelqu'un pouvait venir au Fils sans le Père, tandis que Jésus-Christ dit lui-même : « Personne ne vient à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire (2) » ; ou bien comme s'il nous était possible de parvenir au Saint-Esprit sans le Père et le Fils qui nous le donnent par leur grâce. En effet, venir à eux, qu'est-ce autre chose que les voir habiter en nous? Ils ne viennent pas eux-mêmes à nous d'une autre manière, puisque Dieu étant partout, il ne saurait être contenu dans aucun espace matériellement limité. Le Sauveur dit de son Père et de lui-même : « Nous viendrons à lui et nous établirons en lui notre demeure » ; il dit pareillement du Saint-Esprit: « Si je ne m'en vais, l'avocat ne viendra pas à vous (3) ». Que signifient donc ces paroles : « Comme personne ne peut aller au Père sans l'intermédiaire du Fils ; de même aussi personne ne peut, sans le Saint-Esprit, adorer le Fils en vérité? » et celles-ci qu'ils ajoutent ensuite: « Donc c'est dans le Saint-Esprit que le Fils est adoré? » Est-ce que ces paroles révèlent

 

1. I Cor. VI, 19, 20. — 2. Jean, VI, 44. — 3. Id. XIV, 23; XVI, 7.

 

cette différence de natures dont il est question entre eux et nous? Si personne ne peut, sans le Saint-Esprit, adorer le Fils en vérité; si d'autre part c'est dans le Saint-Esprit qu'on adore le Fils, il est donc incontestable que le Saint-Esprit, lui aussi, est la vérité; puisque, suivant leurs propres expressions, le Fils est adoré en vérité lorsqu'il est adoré dans le Saint-Esprit. Cependant le Fils dit lui-même : « Je suis la vérité (1) ». Donc il est aussi adoré, en lui-même, lorsqu'il est adoré en vérité. Et conséquemment le Fils est adoré à la fois en lui-même et dans le Saint-Esprit. D'autre part, qui serait assez impie pour refuser au Père ce même privilège ? Comment pourrions-nous ne pas adorer aussi en lui, puisque c'est en lui que nous avons l'être, le mouvement et la vie? Ainsi nous disons nous-mêmes que le Fils est adoré dans le Saint-Esprit ; mais en quel endroit pourraient-ils lire que le Fils est adoré par le Saint-Esprit?

XXIX. « Le Père est glorifié par le Fils », personne ne prétend le nier. Mais qui oserait dire que le Fils n'est pas lui-même glorifié par le Père ? N'est-ce pas au Père que le Fils adresse ces paroles: « Glorifiez-moi», aussi bien que celles-ci : « Je vous ai glorifié (2) ? » Du reste, glorifier, honorer, louer sont trois mots différents, mais ils désignent une seule et même chose exprimée en Grec par doxadzein la diversité des expressions latines est née de la diversité des traducteurs.

XXX. « L'oeuvre et l'application constantes du Saint-Esprit, disent-ils, est de rendre saints et de garder ceux qui le sont déjà; de sanctifier non-seulement les créatures raisonnables, comme quelques-uns le pensent, mais aussi plusieurs êtres privés de raison; de rappeler à leur ancien état ceux qui sont tombés par leur propre négligence ; d'instruire les ignorants, d'avertir ceux qui sont oublieux, de reprendre ceux qui commettent le péché ; d'exhorter ceux qui sont paresseux à penser à leur salut et à y travailler avec soin; de ramener dans la voie de la vérité ceux qui s'en écartent; de guérir ceux qui sont malades; de remédier aux faiblesses de la chair par l'ardente vivacité de l'esprit; d'affermir dans l'amour de la piété et de la chasteté, et de répandre la lumière dans toutes les âmes; mais surtout de donner à chacun la foi et la charité, à proportion de

 

1. Jean, XIV, 8. — 2. Id. XII, 28; XVII, 5, 4.

 

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son zèle personnel et de ses soins diligents, suivant la sincérité et la simplicité de son esprit, suivant la mesure de sa foi et le mérite de sa conduite; de distribuer la grâce conformément au besoin que nous en avons, et de placer chacun dans le genre l'occupations pour lequel sont ses goûts et ses aptitudes ». Le Saint-Esprit accomplit à la vérité toutes ces oeuvres; mais à Dieu ne plaise qu'il les accomplisse sans le Fils ! Et qui donc s'écarterait de la voie de la vérité, jusqu'à nier que les saints soient gardés par Jésus-Christ, que par lui ceux qui sont tombés soient replacés dans leur ancien état, les ignorants instruits, ceux qui sont oublieux avertis, les pécheurs réprimandés, les paresseux excités au travail, ceux qui s'égarent ramenés dans la voie de la vérité, les malades guéris, les aveugles éclairés? Et il en est de même de toutes les oeuvres que nos adversaires ont cru devoir attribuer au Saint-Esprit comme si elles étaient accomplies par lui seul. Car, pour ne pas faire ici une trop longue énumération, comment nieront-ils que les saints soient instruits par Jésus-Christ, puisqu'il leur dit lui-même : « Ne souffrez point qu'on vous appelle maîtres; car vous n'avez qu'un seul maître, Jésus-Christ (1) ? » Comment nieront-ils que les aveugles soient éclairés par Jésus-Christ, quand ils lisent dans l'Ecriture, que Jésus-Christ « était la lumière véritable qui éclaire tout homme (2) ? » Le Saint-Esprit donc ne sanctifie personne sans Jésus-Christ, de même que sans lui il n'instruit ou n'éclaire personne. Quant à ces paroles que Dieu a dites par la bouche d'un prophète : « Afin qu'ils sachent que c'est moi-même qui les sanctifie (3) », à laquelle des trois personnes divines prétendent-ils les attribuer? S'ils prétendent qu'elles ont été dites par le Père, pourquoi donc nient-ils toute communauté d'opérations entre le Père et le Saint-Esprit, puisque d'autre part ils croient qui la sanctification des justes appartient au Saint-Esprit comme son oeuvre propre et inséparable? S'ils attribuent ces paroles au Fils, ils ne doivent pas du moins séparer des oeuvres de ce même Fils, les oeuvres de l'Esprit sanctificateur. Enfin, s'ils aiment mieux les attribuer au Saint-Esprit, pourquoi donc refusent-ils de reconnaître sa divinité, puisqu'il dit lui-même par la bouche du Prophète: «Afin qu'ils

 

1. Matt. XXIII, 8. — 2. Jean, I, 9. — 3. Exod. XXXI, 13.

 

sachent que c'est moi-même qui les sanctifie ». Mais si les meilleurs interprètes enseignent que la Trinité elle-même a prononcé cette parole par la bouche du Prophète, on ne peut plus douter que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne soient un seul Dieu : c'est de lui, par lui et en lui que sont toutes choses ; à lui soit la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il (1) !

XXXI. Cependant, quoique nous reconnaissions que les oeuvres attribuées par eux au Saint-Esprit, lui appartiennent réellement, la conclusion qu'ils tirent de là n'en est pas moins fausse : « Le Saint-Esprit », disent-ils, « est différent du Fils par sa nature et sa position, par son rang et ses inclinations, par sa dignité et sa puissance, par ses facultés et par ses oeuvres ». Car il n'y a aucune différence entre les diverses natures humaines, et cependant leurs oeuvres peuvent être séparées entre elles, ce qui n'est pas possible à l'égard des oeuvres de la sainte Trinité. Quant à cette position, ce rang et ces inclinations que l'on rencontre dans les créatures par suite de leur inégalité et de leur faiblesse, ils n'existent pas dans cette Trinité dont les trois personnes sont à la fois coéternelles, égales et impassibles. Mais comment la dignité, la puissance et la force ne seraient-elles pas égales dans chacune de ces trois personnes, puisqu'elles accomplissent les mêmes oeuvres et de la même manière? Nos adversaires, il est vrai, disent que les opérations des trois personnes sont différentes entre elles ; mais nous avons prouvé que cette assertion est tout à fait fausse.

XXXII. Ils ajoutent dans le même discours : « Impossible qu'il y ait unité et identité entre le Père et le Fils, entre celui qui engendre et celui qui naît; entre celui à qui on rend témoignage et celui qui rend ce témoignage; entre celui qui est plus grand et celui qui reconnaît cette supériorité ; entre celui qui est assis à la droite ou qui se tient debout, et celui qui cède l'honneur de la préséance ; entré celui qui est envoyé et celui qui a envoyé ; on ne peut pas être à la fois disciple et docteur, comme Notre-Seigneur l'a déclaré lui-même en ces termes : Je parle comme mon Père m'a enseigné (2) ; impossible d'être à la fois celui qui ressemble et qui imite et celui à qui on ressemble et a que l'on imite ; celui qui prie et celui qui

 

1. Rom. XI, 36. — 2. Jean, VIII, 28.

 

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exauce; celui qui rend grâces et celui qui bénit ; celui qui reçoit le commandement et celui qui donne le commandement; celui qui exécute et celui qui ordonne; celui qui supplie et celui qui protège; on ne peut pas être l'inférieur et le supérieur; le fils unique et celui qui n'est pas engendré; on ne peut pas être prêtre et Dieu ». Ces paroles, entendues dans un certain sens, sont très-vraies; mais que nos adversaires, en parlant ainsi, s'attaquent aux Sabelliens et non pas aux Catholiques. Car les Sabelliens disent qu'il y a unité et identité entre le Fils et le Père ; nous, au contraire, nous disons que le Père qui engendre et le Fils qui est engendré sont deux personnes, mais non pas deux natures distinctes et différentes. Le Père et le Fils ne sont donc pas une seule et même personne, mais un seul et même être. Il est vrai que le Père est plus grand; mais ici il ne s'agit pas de la nature de celui qui engendre comparée à la nature de celui qui est engendré; il s'agit de la nature humaine comparée à la nature divine : en tant qu'il a revêtu la nature humaine, le Fils est assis ou il se tient debout à la droite du Père, il prie, il rend grâces, il est prêtre, il est ministre, il est suppliant, il est sujet; mais en tant qu'il possède la nature divine, par laquelle il est égal au Père, le Fils est seul engendré et coéternel à celui qui l'engendre. Et quoiqu' « il soit le premier-né de toute créature, puisque toutes choses ont été créées en lui », quoiqu'il ait été engendré avant la création de tout le reste, il est cependant éternel comme le Père et il n'a pas commencé dans le temps. Car nous disons avec raison que le Père est antérieur à toutes les choses qu'il a créées, bien qu'il n'ait pas été engendré. La priorité en effet n'est jamais si rigoureuse que dans celui avant qui il n'y a absolument rien. Or, de même que rien n'existe avant le Père, de même aussi rien n'existe non plus avant le Fils, seul engendré et conséquemment coéternel au Père. Car, quoique le Père ait engendré et que le Fils ait été engendré; le Père ne possède pas pour cela une antériorité temporelle. S'il y a entre le Père qui engendre et le Fils qui est engendré, une différence quelconque de temps, dès lors il y a eu un temps avant le Fils, et conséquemment ce même Fils n'est plus « le premier-né de toute créature puisque le temps est lui-même une créature; toutes choses n'ont donc pas été faites par lui », si le temps a existé avant lui. Mais « tout a été créé par lui (1) », et par là même aucun temps n'a existé avant lui. Conséquemment, comme le feu et l'éclat qui est par le feu engendré et répandu de toutes parts, commencent à exister simultanément, sans que celui qui engendre précède celui qui est engendré; de même aussi le Père qui est Dieu, et le Fils qui est Dieu de Dieu, commencent à exister simultanément, parce qu'ils sont également exempts de tout commencement temporel, et que celui qui engendre ne pré. cède point celui qui est engendré. Comme le feu qui engendre et l'éclat qui est engendré datent du même instant; de même aussi Dieu le Père qui engendre, et Dieu le Fils qui est engendré, sont coéternels. Mais parce que celui-ci reçoit l'être du premier, et non pas réciproquement, le Fils, par là même, reçoit le commandement du Père, puisqu'il est lui. même ce commandement du Père; et le Père enseigne le Fils, puisque celui -ci est lui-même la doctrine du Père. Car le Fils reçoit la vie du Père, parce qu'il est lui-même la vie aussi bien que le Père; et il est tellement semblable au Père, qu'il ne diffère absolument en rien de lui. De plus, puisque le Père et le Fils se rendent l'un à l'autre un témoignage mutuel, je ne vois pas comment nos adversaires peuvent représenter l'un des deux comme rendant témoignage et l'autre comme celui à qui ce témoignage est rendu. Le Père ne dit-il pas. « Celui-ci est mon Fils bien-aimé (2)? » Le Fils ne dit-il pas aussi : « Mon Père, qui m'a envoyé, rend témoignage de moi (3)?» Pourquoi donc établir entre eux une distinction telle qu'on donne le nom de Père à celui à qui ce témoignage est rendu, et le nom de Fils -à celui qui rend ce témoignage ? Pourquoi porter l'ineptie jusqu'à ce point? Pourquoi se boucher les oreilles et fermer les yeux avec une telle opiniâtreté? Quant à la mission donnée par le Père et reçue par le Fils, nous en avons suffisamment et surabondamment traité dans les chapitres précédents de cette controverse.

XXXIII. Certes, jamais « le Père n'a su, dans sa prescience, qu'il deviendrait le Père de Dieu, son Fils unique », comme nos adversaires le prétendent dans leur impiété portée jusqu'au délire. Il n'a jamais commencé à être Père, par la raison que son Fils lui-même

 

1. Coloss. I, 15, 16. — 2. Matt. III, 17. — 3. Jean, VIII, 18.

 

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lui est coéternel, et qu'il a engendré avant tous les temps celui par qui il a créé les temps eux-mêmes. Et comme il n'a pas su à l'avance que lui-même il deviendrait Dieu, il n'a pas su non plus à l'avance qu'il deviendrait Père, parce qu'il a toujours été avec le Fils. « La grandeur et la bonté du Père ne surpassent point la grandeur et la bonté du Fils » ; car ce n'est pas au Père seulement, mais à la Trinité tout entière qu'il a été dit « Vous êtes Dieu seul grand (1) ». C'est aussi avec raison que l'on applique, non pas au Père seulement, mais à la Trinité tout entière cette parole du même Fils: « Nul n'est bon que Dieu seul (2) », lorsqu'il fut appelé bon maître par quelqu'un qui ne connaissait- pas encore sa divinité comme s'il eût dit : Si vous m'appelez bon, vous devez comprendre que je suis Dieu ; reconnaissez ma divinité; car nul n'est bon que Dieu seul. La Trinité donc est ce Dieu unique, seul grand et seul bon, auquel, uniquement et à l'exclusion de tout autre, conformément aux préceptes de sa loi, nous rendons le culte appelé culte de latrie.

XXXIV. A Dieu ne plaise que nous disions que c'est par humilité, et non pas en toute vérité, que le Fils prononce quelquefois des paroles par lesquelles il se soumet au Père, et proclame celui-ci plus grand que lui. Nous savons, en effet, que dans le Fils, la nature d'esclave n'est pas feinte et simulée, mais véritable: or, c'est précisément à raison de cette qualité d'homme, et en même temps parce qu'il reçoit du Père sa nature divine, sans que le Père reçoive de lui la sienne, c'est, dis-je, pour cette double raison qu'il dit toutes ces choses, dont nos adversaires s'autorisent pour croire et pour enseigner que la nature du Père et la nature du Fils sont différentes l'une de l'autre. Et, au même moment qu'ils se précipitent dans cet abîme d'impiété, ils nous appellent (homousiani) partisans de la consubstantialité, comme pour nous infliger la honte d'un nom nouveau. Telle est, en effet, l'antiquité de la vérité catholique, que tous les hérétiques lui imposent des noms différents, précisément quand ils reçoivent eux-mêmes des noms particuliers, qui entrent dans le langage commun. Ainsi, parmi les hérétiques, les Ariens et les Eunomiens seuls nous donnent le nom de partisans de la consubstantialité, et cela, parce que nous nous servons du mot grec

 

1. Ps. LXXXV, 10. — 2. Marc, X, 18.

 

omoousios, pour défendre contre leur erreur le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et établir que ces trois personnes ont une seule et même substance, ou, pour parler plus énergiquement, une seule et même essence, appelée en grec ousia : ce qui est encore plus clairement exprimé dans ces mots, une seule et même nature. Et cependant, si quelqu'un de ceux qui nous appellent partisans de la consubstantialité, disait que son propre fils n'est pas de la même nature que lui-même, mais qu'il est d'une nature différente, ce fils aimerait mieux être déshérité par lui que de voir cette opinion admise. Quelle est donc l’impiété qui les aveugle à ce point ? Ils reconnaissent que le Fils de Dieu est réellement son Fils unique, engendré par lui, et ils ne veulent pas reconnaître qu'il est de la même nature que le Père ! Ils lui attribuent, au contraire, une nature différente; inégale, non ressemblante en plusieurs choses et de plusieurs manières, comme s'il n'était pas né de Dieu, mais qu'il eût été par lui créé de rien, et que par là même il fût une créature véritable, Fils par grâce et non point par nature! Ainsi, ceux qui nous appellent partisans de la consubstantialité, comme pour nous couvrir de la flétrissure d'un nom nouveau, ne voient pas qu'ils sont eux-mêmes insensés, lorsqu'ils suivent de tels sentiments.

Mais quand ils reconnaissent que le Fils est né avant tous les siècles, ne sont-ils pas en contradiction avec eux-mêmes, puisque d'une part ils disent qu'il est né avant tous les siècles, et que d'autre part, ils mettent un certain temps avant sa naissance, comme si un temps, quel qu'il soit, n'était pas nécessairement un siècle ou une partie de siècle?

Saint Paul dit à la vérité que le Fils sera soumis au Père même dans le siècle futur «Alors, dit-il, il sera lui-même soumis à celui qui lui a soumis toutes choses (1) ». Mais qu'y a-t-il en cela d'étonnant, puisque le Fils doit conserver cette nature humaine, qui est à tout jamais inférieure au Père? Plusieurs, cependant, ont cru devoir entendre cette soumission future du Fils, d'un changement de la nature humaine elle-même, en la substance divine, comme si une chose était soumise à une autre, par cela seul qu'elle est changée et transformée en cette autre. Mais, pour exprimer notre manière de voir à ce

 

1. I Cor. XV, 28.

 

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sujet, nous pensons que l'Apôtre a dit que le Fils serait même alors soumis au Père, précisément afin que personne ne crût que l'esprit et le corps humains devaient être détruits en Jésus-Christ par une transformation quelconque : « Afin que Dieu soit tout », non-seulement dans la nature humaine de Jésus-Christ, mais « en tous », c'est-à-dire afin que la nature divine suffise à nous donner la vie et à combler de biens l'immensité de nos désirs. Car Dieu sera tout en tous, lorsque nous commencerons à ne vouloir posséder absolument rien autre chose que lui. Il sera tout en nous, quand nous serons tellement remplis de lui que rien ne nous manquera plus.

Je ne vois pas ce qui porte nos adversaires à croire que « le Fils ait obéi aux ordres qui lui étaient donnés, avant qu'il se fût incarné ». A-t-il reçu l'ordre de prendre une chair, et, par là même qu'il accomplissait en cela une mission, doit-il être regardé comme ayant en même temps exécuté un ordre ? Qu'ils lisent donc de nouveau ce qui a été discuté plus haut; qu'ils cherchent, qu'ils trouvent, s'ils le peuvent, par quelle autre parole le Père a commandé à sa Parole unique, et comment la dignité du Verbe éternel a pu permettre à celui-ci de se soumettre à cette parole et à ce commandement temporel. Qu'ils comprennent donc enfin que ce n'est point .par le commandement du Père, comme s'il eût relevé d'une autre puissance que la sienne, mais que c'est « lui-même, qui s'est anéanti, prenant la nature d'esclave ». Il est vrai « qu'il s'est humilié lui-même, en se rendant obéissant jusqu'à la mort (1) » ; mais assurément, il avait alors accompli son incarnation.

Je crois avoir répondu à tout ce que renferme le discours des Ariens, qui nous a été envoyé par quelques frères, afin que nous y répondions. Nous avons cru devoir le transcrire en tête de notre présente controverse, afin que ceux qui nous lisent et qui désirent se rendre compte de la complète exactitude de notre réponse, puissent en prendre connaissance par eux-mêmes. On doit donc lire d'abord ce discours, et ensuite notre réponse. Nous n'avons pas toujours interposé le texte même de. ce discours, afin de ne pas donner trop d'étendue, dans notre réfutation, à notre oeuvre, que nous terminons enfin ici.

 

1. Philipp. II, 7, 8.

 

Traduction de M. l'abbé BARDOT.

 

 

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