SERMON VI
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SERMON VI. Avez-vous vu celui qu'aime mon âme? (Cant. III, 3.)

 

1. L'épouse, dans ses recherches, souffre du délai,et l'époux lui oppose i une espèce d'ombre de difficulté, en ne se donnant pas de suite à elle. Mais, embrasée de désirs, elle continue ses investigations et redouble ses plaintes : «je ne l'ai pas trouvé. » Mes frères, si l'ardeur est ainsi différée, la paresse quand sera-t-elle exaucée ? Si l'amour ne trouve pas, la tiédeur, la prière rare, la lâcheté, quand trouveront-elles? Mais pourquoi parler parmi vous de prière rare et de lâcheté? Il ne faut pas appliquer de remède à une maladie que vous n'avez pas. Ces vices sont loin d'ici. Quel est celui d'entre vous qui ne prie souvent et avec ferveur? Et si la tiédeur est loin de vous, prenez garde que l'ennui du délai ne vous fatigue et ne brise vos désirs. Il y a faute de chaque côté, si votre âme est lâche en demandant, ou fatiguée en attendant. Vous entendez que les désirs de l'épouse ne sont pas de suite exaucés; et vous, aux premiers accents de votre prière, vous vous plaignez que les délices de l'inspiration divine n'abondent pas dans votre âme. Vous venez de commencer, et votre esprit est déjà fatigué de sa marche? que serait-ce si l'on vous adressait ce reproche de l'Évangile : « C'est ainsi que vous n'avez pu veiller une heure avec moi? » (Math. XXVI, 40.) Veillez donc et priez, car vous ne savez à quelle heure votre bien-aimé viendra. C'est la prière obstinée qui arrive à la fin. Et, si dans le début elle vous paraît sèche et dure comme le rocher, vous verrez couler pourtant l'huile de grâce de ce rocher très-dur, mais seulement si vous persévérez, si un délai plus long ne vous dégoûte pas, si le retard ne refroidit pas vos voeux. Le délai est certainement ennuyeux pour qui aime, mais les désirs différés s'accroissent d'ordinaire par le retard même. Pourquoi vous inculquer ce que vous savez? La répétition fréquente vous donnera l'intelligence de cette vérité; elle vous l'a déjà donnée et même plusieurs fois. Souvent je vous ai trouvés habitués à cet exercice. Je ne puis me glorifier d'avoir produit ces sentiments en vos âmes, je me réjouis néanmoins de voir que vous les éprouvez. Et si je n'ai pas formé ces dispositions en sous, puissé-je les fortifier en vos cœurs! Moi aussi je suis gardien, et c'est pourquoi vous me répétez souvent cette parole de l'épouse : « Avez-vous rencontré celui que mon coeur aime? » O âme bienheureuse qui éprouve de si saints désirs! Désirs de la bien-aimée, qui ne sait que s'enquérir du Christ; et qui aussitôt qu'elle l'a trouvé, fait entendre les mots : « avez-vous vu celui qu'aime mon âme? »

2. Enfin, c'est l'épouse qui rencontrée par les gardes : « les gardiens de la cité m'ont trouvée, » dit-elle. Ceux qui sont trompeurs et masqués ne craignent rien tant que d'être rencontrés par ces gardes, et s'ils sont pris, ils ne sont pas facilement dévoilés. Caïn fut errant- et vagabond sur la terre, il redoutait d'être trouvé. « Quiconque me rencontrera, » dit-il, «me massacrera. » (Gen. IV, 14.) Il ne veut pas que le péché soit détruit, il ne veut pas éprouver dans l'aveu de sa faute une confusion salutaire, il ne veut pas du châtiment médicinal du maître : il ne vent pas être rencontré, parce qu'il ne veut pas être tué. Une affection déréglée se jette sans honte là où elle ne craint pas la mort, mais où plutôt elle attend le secours. L'épouse s'offre d'elle-même ; joyeuse elle va au-devant des compagnons de l'époux. Pourquoi ne serait-elle pas joyeuse? On la trouve, non comme fuyant le châtiment, mais cherchant celui qui l'aime. « Les gardes m'ont trouvée; » ils n'ont pas été trouvés, mais ils ont trouvé. Leur diligence est vantée en ce lieu. Les gardiens paresseux et infidèles n'apportent aucune joie à leur office; ils ne rôdent pas, ils ne cherchent pas, afin de trouver quelqu'un ayant la conscience blessée, quelqu'un montrant par le signe d'un amour chaste et par le zèle qu'elle déploie dans ses recherches, le feu de la charité. Ils ne réunissent pas les sujets, ils regardent comme ennuyeux d'être interpellés par eux. Plusieurs ne font entendre une parole de consolation que lorsqu'on les interroge, et pas même alors. Ils font lire la lettre qui est écrite sur le papier, ils n'y ajoutent rien en fait d'industrie ou de diligence. Bien autre est l'office du garde : il doit prévenir et ne pas se borner à exposer, il doit provoquer plutôt qu'attendre les demandes, et comme du haut d'une colline, veiller sur ses fils, et voir quel est celui qui     est intelligent et craignant Dieu. Je suis votre gardien; Seigneur, donnez-moi une langue

érudite, pour    que je sache soutenir par ma parole celui qui est tombé et le diriger vers le Verbe.

3. Et que désire autre chose l'épouse, quand elle dit : « Avez-vous vu celui que mon coeur aime? » Vous le voyez, les exercices spirituels ne l'ont pas tant fatiguée qu'excitée. Vous avez compris sa persévérance à choisir le bien-aimé : voyez à présent son humble prudence. Elle ne sait pas mépriser les gardiens. Elle ne croit pas sûr de passer sans consulter ceux qu'elle sait participants du secret du Seigneur et ministres de sa volonté. « N'avez-vous pas vu celui que j'aime? » que signifie cette question posée avec un certain louche? Ne vous a-t-elle pas averti par là de ne pas croire à tout esprit, mais d'éprouver s'ils viennent de Dieu? De plus, à tous ceux qui ont reçu ou volé l'office de gardien, il n'appartient pas de donner de sûrs indices de l'époux. Il en est plusieurs dont l'oeil est sur toute la terre, et, selon le proverbe qui se lit en un autre endroit, «sur les fins de la terre. » (Prov. XVII, 24.) Il n'y a pas de lumière en eux, et ils ne peuvent rien indiquer au-delà des limites de la terre, ils ne peuvent pas élever vers le ciel. Ils sont assez fidèles et assez soigneux, mais pour entasser les biens d'ici-bas et les conserver, ils ne, vont pas au-delà. Leur oeil, dit le sage, est sur toute la terre. Une insatiable avidité embrasse toute la terre : c'est pourquoi, appesantie par les soins terrestres, esclaves de la table de celui qui se meurt à lui-même, elle ne sait pas donner le viatique de la doctrine céleste, et apprêter pour ses sujets quelque chose de proportionné à leur position, s'il s'agit des dogmes venus d'en-haut. Ceux qui sont dans ce triste état, si on leur demande d'expliquer les secrets de la vie spirituelle, répondent qu'il suffit de suivre la grand'route de la foi et des mœurs. Ils se consolent ainsi de leur stérilité ou mesurent à leur propre tiédeur, (avidité des autres. Car l'amour lâche et languissant dans une patience coupable, ne désire pas, mais attend plutôt les biens à venir. Celui qui est plus ardent, emporté par un désir plus fervent, cherche à ravir par avance en secret et en partie la plénitude qui lui est réservée. Parce qu'elle connaît plusieurs de ces gardiens, l'épouse émet sa demande sous une certaine forme ambiguë : « N'avez-vous pas vu celui que mon coeur aime ? » Que ce gardien soit prudent, fidèle et vigilant, que, par la diligence de ses soins, il écarte du bercail les attaques des ennemis. Il ne saura cependant pas chanter de suite les cantiques de l'amour, ni, messager de l'époux, indiquer sa présence, ni, soudainement ravi dans les secrets du coeur, faire goûter quelque chose de la douceur intime de ces ineffables mystères. Ce n'est pas là du tout la même chose que de recevoir les caresses furtives et trompeuses de l'adultère, ou les légitimes embrassements de l'époux. Parce que l'expérience du mal est fréquente, facile en est la connaissance. L'usage des biens spirituels est rare et le jugement qu'on en porte est faible, les traces qu'ils laissent sont peu profondes et ils ne peuvent être jugés que par les personnes spirituelles, c'est pourquoi ils ne peuvent être démontrés que par les spirituels comme sont ceux, par exemple, dont il est dit : « qu'ils sont beaux sur les montagnes les pieds de ceux qui annoncent la paix, qui annoncent les biens. » (Is. LII, 7.)

4. «N'avez-vous pas vu celui que mon coeur aime? » Elle n'est ni une, ni simple, ni uniforme la vision de l'époux. Abraham tressaillit pour voir son jour, « il le vit et se réjouit. » (Joan. VIII, b6.) Jacob vit » le Seigneur face à face et son âme fut sauvée. » (Gen. XXXIII, 30.) Moïse le vit, non face à face, mais par derrière. (Ex. XXVIII, 23.) Isaie vit le Seigneur assis sur un trône élevé. (Is. VI, 1.) Ezéchiel le vit. (Ez. I, 1.) Daniel le vit sous l'apparence d'homme, quoiqu'il n'eût pas encore pris la forme humaine. (Dan. VII, 13.) Toutes les visions de ce genre avant l'incarnation se faisaient sous la forme corporelle et non dans la vérité de la chair humaine. Les apôtres virent l'époux dans la chair, ils le palpèrent, et ils le touchèrent. Les uns comme les autres virent cependant par la foi le Dieu qui était au-dedans. Il fut dit à Philippe « qui me voit, voit aussi mon père.» (Joan. XIV, 9.) Que cette vision se rapporte à la foi, la suite le montre : « Ne croyez-vous pas que je suis dans mon père, et que mon père est en moi? autrement croyez-le à cause des oeuvres que j'opère. » Quelle conséquence y aurait-il, pour prouver qu'on voit le Père, de dire qu'on voit le Fils lui-même, à moins que dans l'un et l'autre cas on ne veuille faire entendre qu'il s'agit de la vision s'opérant par la foi. C'est pour cela qu'à propos de la foi on ajoute avec suite : « ne croyez-vous pas que je suis dans mon père et que mon père est en moi. Autrement croyez-le à cause de mes oeuvres. » Si le Christ habite par la foi dans nos cœurs, si nos coeurs sont purifiés par la foi, pourquoi n'est-il pas vu par la foi dans nos cœurs? Des visions indiquées plus haut, les unes ont eu lieu en image, les autres en réalité, toutes pleines d'utilité ou d'agréments, mais lorsqu'on sauve l'intégrité de la troisième, c'est-à-dire de celle qui a lieu par la foi.

5. Car, pour parler de l'apparition du Verbe qui se faisait dans la chair, outre les paroles de vie qui sortaient de sa bouche, quel grand éclat de vertu ne brillait-il pas dans tout son extérieur? Avec quelle évidence son regard, sa voix, son visage trahissaient sa divinité cachée? Toutes ses démarches respiraient une grâce divine. Vision agréable, mais pour l'homme qui le croyait Dieu. Celle qui fut montrée aux pères et aux prophètes, avant. l'incarnation, faisait sentir quelque chose de divin sous l'image intérieure, et, autant que je le pense, elle produisait dans l'esprit et le sens de celui qui en était le témoin une délectation inexprimable : elle n'apparaissait qu'aux regards de ceux qui avaient le coeur pur. Car après sa résurrection, le Christ, ainsi que nous le lisons , n'apparut dans la vérité            de sa chair, qu'aux témoins prédisposés de Dieu. (Act. X, 41.) Heureux ces gardiens, si cependant ils jouissent fréquemment et familièrement d'une telle vision, de celle surtout qui montre l'aspect de la chair glorifiée, comme Pierre et Jean le virent transfiguré sur la montagne mais néanmoins la première de ces visions n'était pas vraie, la seconde n'était pas pleine. Retenu agréablement quoique non satisfait de la première, Moïse disait : « montrez-vous vous-même à moi. » (Ex. XXXIII, 13.) Le Seigneur dit de la seconde : « Il vous est expédient que je m'en aille; si je ne m'en vais, le Paraclet ne viendra pas. » (Joan. XVI, 7.) Elle est bonne, cette vision que le Paraclet amène avec lui; elle est spirituelle, car elle est produite au-dedans par l'esprit. Enfin, « le Seigneur Christ est un esprit devant notre visage. » (Thren. IV.) Cette vision est comprise par la vérité révélée spirituellement, ou infuse dans l'âme par la grâce avec suavité. Cette manière de l'expérimenter est semblable à une vue. « Goûtez, » dit l'écriture, « et voyez que le Seigneur est doux. (Ps. XXXIII, 9.) Cette vision est certainement fort douce, et quoiqu'elle ne soit pas encore pleine comme le seront les manifestations dernières de la patrie, elle s'en approche, non en égalité, mais eh qualité. Elle n'est pas soumise à l'esprit humain, elle n'est pas proposée à ses efforts; quoique Dieu l'accorde quelquefois gratuitement aux désirs du coeur. Enfin, sa nature n'est pas telle que conçue par les forces de l'intelligence, elle puisse par sa présence continuelle, empêcher un intervalle dans la mémoire de l'esprit. Elle est subite et elle s'appartient, elle va et vient sous l'influence d'un souffle puissant. Elle est subite, elle est momentanée, elle arrive soudain, et s'éloigne promptement . si elle est momentanée, les restes de son souvenir subsistent sereins et embrasés, ils produisent une fête dans l'âme de celui qui les conserve. La pensée de cette vision goûtée et disparue subsiste après coup : ceux qui en ont ressenti la douceur savent la redire, en cet instant surtout. Le coeur, encore sous la brûlante influencé de la grâce, prononce une parole bonne, et dans sa méditation enflammée, il fait entendre des expressions aussi excellentes. Il trouve beaucoup de douceur intime dans ces discours qu'il tient, et s les accents qui jaillissent de l'abondance des grâces comme de leur source.

6. Si vous êtes gardien, sachez que ce sont là les sentiments qu'il faut préparer en vous pour aller au-devant de l'épouse. Pourquoi aller à sa rencontre, si vous ne venez annoncer rien de doux, rien de nouveau? Si vous ne pouvez pas exprimer des choses nouvelles, exprimez-en d'anciennes. Répétez des choses connues, si vous n'en avez pas de récentes. Cependant on n'inculque pas ce. qui est exigé. L'épouse ne demande pas quelle personne vous voyez, mais si vous voyez. Il suffit d'annoncer celui qu'elle voit elle-même. Elle vous apporte un surcroît de grâces si vous apportez des choses nouvelles. Enfin, ce qui n'est pas inconnu, ce qui a été plusieurs fois médité, devient doux à l’épouse par une sorte de nouvelle grâce qui s'y attache. L'oreille n'est pas fatiguée quand l'avidité est à son comble; parlez seulement de l’époux et vous avez fait résonner des choses nouvelles aux oreilles de l'épouse. Il ne vous appartient pas de toujours répondre de jouir de cet excellent et suréminent mode de vision. Cette vision est sublime et subtile, et sa coutume est de s'emparer soudain de l'esprit qu'elle trouve pûr et reposé. Elle s'en saisit subitement, mais elle ne l'occupe pas longtemps. Ces vues subtiles ne se présentent pas selon le désir; ce qu'elles procurent ce sont les douceurs. Chaque chapitre de la foi simple, par un doux tempérament de discussion, produit dans l'esprit des auditeurs les affections et les transports les plus agréables. L'épouse est délicate; elle désire les choses douces plutôt que les fortes, mais elle peut tout en l'époux qui la fortifie. Que les autres racontent des fables et méditent des controverses. Que votre bouche médite la sagesse, que votre langue dise des choses pleines de délices, ô vous qui parlez à l’épouse. Car c'est ainsi qu'elle veut qu'on lui parle du bien-aimé et qu'on lui en donne des nouvelles. Les lèvres des prêtres doivent garder la science (Mal. II, 7) : c'est pour cela qu'elle veut recueillir de leur bouche la loi, la loi qui fait voir et trouver le bien-aimé. « N'avez-vous pas vu celui que mon cœur aime ? » Elle présume qu'elle se servira de leur propre vision pour voir elle même : voilà pourquoi elle s'enquiert avec soin de la vision des gardes, espérant que leur conversation la fera rentrer dans des secrets plus cachés, ou lui fera éprouver des sentiments plus doux. C'est voir celui qu'elle aime, que de concevoir dans un esprit pur et avec effusion de tendresse celui qui est la sagesse et la force de Dieu. Celui-là le voit bien, qui le conçoit de cette double manière, le voyant purement et le goûtant pieusement. Je trouve doux ce murmure que j'entends entre l'épouse et les gardiens; ce colloque me semble agréable, si cependant c'est un colloque. Car ici on ne rapporte aucune réponse des gardiens. Elle est secrète, si toutefois elle existe, cette réponse qu'elle pense devoir couvrir d'un profond silence. Le secret est pour elle ; son secret est à elle. Nous n'osons pas nous livrer à des conjectures sur ce que l'épouse a pris soin de taire. Avec le silence qui couvre ces réponses, terminons à présent notre discours, réservant pour demain le passage où l'épouse dit qu'elle a un peu dépassé les gardiens et trouvé celui que son cœur aime.

 

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