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Tableau naturel des rapports qui existent
entre Dieu, l'Homme et l'Univers.

L.C. de St Martin

par Louis-Claude de Saint-Martin

XII

Quoique l'origine et le but des récits Mythologiques soient presque universellement inconnus ; quoiqu'ils, aient été si souvent altérés, ou par l'ignorance des Traducteurs et des Emules, ou par celle des Ecrivains et des poètes, nous en avons indiqué plusieurs qui montrent des rapports évidents avec les vérités exposées dans ce Ouvrage. Présentons-en quelques exemples, et prenons-les dans les Fables Egyptiennes et Grecques.

Qui ne reconnaîtra dans Alcyonée, dans ce Géant fameux qui secourut les Dieux contre Jupiter, qui fut jeté par Minerve hors du Globe de la Lune où il s'était posté, et qui avait la vertu de se ressusciter ; qui n'y reconnaîtra, dis-je, l'ancien Prévaricateur, exclus de la présence du Principe suprême, réduit à l'horreur du désordre et enchaîné dans une enceinte ténébreuse, où des forces supérieures ne cessent de le contraindre et de molester sa volonté toujours renaissante ?

On verra avec la même clarté l'histoire de l'homme criminel dans Prométhée ; et celle des différents crimes de sa postérité, dans tous les malheureux dont la Mythologie nous présente les noms et les supplices.

Tel est Epiméthée ouvrant la boîte de Pandore. Nous remarquerons ici que Prométhée signifie voyant avant ou premier voyant, et Epiméthée voyant après ou second voyant : expression dont nous tirerons dans la suite d'autres rapports.

Tel est Ixion qui projette un commerce incestueux avec la femme de Jupiter, son père, et qui, n'embrassant qu'une nuée, produisit les Centaures, ou les monstres moitié hommes et moitié chevaux ; par où notre nature mixte est évidemment représentée. Son supplice est une image fidèle de celui de l'homme précipité aux extrémités de la circonférence autour de laquelle il circule et où il ne rencontre que des ennemis furieux et implacables.

Tel est Sysiphe révélant les secrets du Roi son maître et condamné à remonter toujours un rocher énorme sur une montagne d'où il redescend toujours c'est-à-dire à persévérer dans ses entreprises audacieuses pour être continuellement molesté en les voyant continuellement renversées.

Telle est enfin l'allégorie des Danaïdes qui tuent leurs maris et qui sans la vertueuse conduite d'Hypermnestre auraient à jamais dégradé le nombre parfait centenaire dont cette famille était composée. Aussi étant réduites à puiser de l'eau sans relâche dans des vaisseaux sans fonds elles nous font comprendre ce que peuvent les êtres qui ont éloigné d'eux leurs Guides et leur soutien lequel est figuré par le chef ou le mari de ces filles criminelles.

Les yeux exercés entrevoient sans doute à tous ces emblèmes, des rapports plus directs et plus sensibles ; tels, que le tableau de la marche des êtres coupables qui, étant chacun condamnés à un seul acte, l'opèrent toujours de la même manière ; qui, par cette monotone uniformité, se décèlent eux-mêmes, et mettent l'homme bien intentionné à couvert de leurs attaques comme nous l'éprouvons par les différentes passions qui nous obsèdent, lesquelles se présentent toujours avec la même couleur, que chacune avait en commençant à nous poursuivre. Mais ces notions n'étant pas à là portée du vulgaire, contentons-nous de remarquer, dans le tableau de Tantale, les peines auxquelles nous sommes assujettis : de voir dans le Chien à trois têtes, dans les trois Fleuves des Enfers, dans les trois Parques, dans les trois Juges les trois différents genres de combats, de pâtiments et de suspensions que nous avons à subir en raison des trois Actions supérieures dont nous sommes séparés, et les trois degrés d'expiation que tout homme doit monter avant de parvenir au terme de sa réhabilitation. Les Traditions mythologiques Grecques et Egyptiennes ne se bornent point à nous présenter les effets de la Justice des Cieux sur l'homme ; elles nous peignent également les traits de leur amour, en nous offrant, quoique sous des voiles, les rayons de leur propre lumière.

Il est vrai que par une suite de notre malheureuse situation, cette lumière ne peut déployer toute sa splendeur, parce que, répandant aussi sa clarté sur des dangers et sur les maux dont l'homme est entouré, il n'éprouverait que l'horreur et l'effroi, s'il apercevait à la fois tous les ennemis qui l'environnent et tous les obstacles qu'il doit combattre et surmonter.

Aussi entre-t-il dans l'ordre de la Sagesse qu'il ne soit exposé que peu à peu aux Adversaires formidables qui le poursuivent : elle ne lui laisse ouvrir les yeux qu'avec précaution et successivement ; elle veille sur lui comme sur l'enfant qui frémirait de crainte et de terreur, si dans sa faiblesse il pouvait connaître la rigueur et la violence des éléments, ou des agents  actifs qui se disputent sa chétive enveloppe.

Et si l'on voit tant d'hommes être encore enfants sur ces grands objets, c'est qu'il en est de ces faits comme de ceux de la classe élémentaire, où des milliers d'hommes recevant, pendant toute leur vie matérielle, les actions et les contr'actions des agents de la Nature, sont néanmoins disposés à ne leur point reconnaître de lois ni de causes régulières, à défaut d'avoir observé leur marche : enfin, c'est que, par la faiblesse de leur intelligence, ils laissent passer devant eux tous ces phénomènes sans les comprendre et sans en retirer d'instruction.

Mais si la doctrine qui a été établie ci-devant sur ; nos rapports avec notre Principe, est incontestable, nous ne pouvons plus méconnaître les signes de l'amour vigilant de la Sagesse pour l'homme, dans l'emblème de Minerve, fille de Jupiter, couvrant ses favoris d'une Egide impénétrable ; dans cette espérance qui fut laissée à Epiméthée, après qu'il eut ouvert la boîte fatale ; dans les conseils que les Dieux donnèrent à Pyrrha, sa fille, et à son époux Deucalion, pour repeupler la Terre, après que la race humaine eût été détruite.

C'est par une suite de ce même amour, que la piété du Roi Athamas lui fit obtenir des Dieux la toison d'or ; que le courage et la vertu de Thésée lui méritèrent le fil d'Ariane ; qu'Orphée fixa la roue d'Ixion ; que Jupiter fit présent aux Naïades de la corne d'abondance, en échange de celle qui avait été arrachée à leur père ; enfin, que les Dieux avaient placé sur la Terre un caducée, pour y faire régner l'ordre et la paix ; un trépied, pour y rendre leurs oracles, et des hommes choisis pour les prononcer : tous ces symboles annoncent clairement l'intérêt que la Divinité prend à l'homme, et l'idée indestructible qu'en ont eu ceux qui nous ont tracé ces emblèmes.

On sait d'avance ce que l'on doit penser de ce fameux Hercule, dont les Interprètes de tous les genres ont fait un type de leurs systèmes ; ses nombreux travaux, opérés tous à l'avantage de l'espèce humaine, annoncent assez de quel modèle il est la figure emblématique : et sans détailler tous ses travaux, on doit sentir ce qu'ils nous enseigne, en tuant le vautour dont le malheureux Prométhée croyait devoir être éternellement dévoré ; en étouffant le Géant Anthée, qui avait fait voeu de bâtir à Neptune un temple avec des crânes d'hommes ; et en se chargeant du poids de la terre pour soulager Atlas, qui dans son vrai sens étymologique signifie un Etre qui porte, un Etre obéré : or à qui ce sens-là convient-il mieux qu'à l'homme accablé du poids de sa région terrestre et ténébreuse ? Enfin il faut se souvenir que pour récompenser Hercule de ses glorieux travaux, les Dieux, après sa mort corporelle, lui firent épouser Hébé ou l'Eternelle Jeunesse.

Les vérités physiques percent également au travers des emblèmes mythologiques. Argus est un type actif de ce Principe vivant de la Nature, qui ne ralentit jamais son action sur elle, qui la pénètre et l'anime dans tous ses points, qui en entretient l'harmonie; et; qui veille partout pour empêcher le désordre d'en approcher.

La Divinité, qui présidait à la fois aux Cieux, la Terre et aux Enfers, annonçait le triple et quadruple lien qui unit toutes les parties de l'Univers ; lien dont la Lune est pour nous le signe réel, parce qu'elle reçoit l'action quaternaire du Soleil, parce que non seulement se trouvent rassemblées en elle, les vertus de tous les autres astres, mais encore parce qu'habitant les cieux comme eux, elle porte en outre son action directe sur la terre et sur les eaux, qui sont l'emblème sensible des abîmes.

C'est sans doute en raison de cette grande vertu que les Néoménies ou nouvelles Lunes furent si célébrées par les Anciens. Comme la Lune était le char et l'organe des actions supérieures à elle, il n'était pas étonnant qu'on honorât son retour par des réjouissances. Et si les Anciens n'avaient considéré ce retour que par rapport à la lumière élémentaire, ils pas institué des Fêtes pour le célébrer.

Au reste cet usage était d'autant plus naturel, qui dans une Langue primitive dont nous ne tarderons pas à nous occuper, les mots planète et influence sont synonymes.

Enfin le fameux Caducée, séparant deux serpents qui se battent, est une image expressive et naturelle de l'objet de l'existence de l'Univers : ce qui se répète dans les moindres productions de la Nature, où Mercure maintient l'équilibre entre l'eau et le feu pour le soutien des corps, et afin que les lois des Etres étant à découvert aux yeux des hommes, ils puissent les lire sur tous les objets qui les environnent. L'emblème du Caducée que la Mythologie nous a transmis, est clone un champ inépuisable de connaissances et d'instruction ; parce que les vérités les plus physiques peignent à l'homme les lois de son Etre intellectuel et le terme auquel il doit tendre pour recouvrer son équilibre.

Ceci nous mène aux symboles et aux hiéroglyphes qui par leurs rapports appartiennent comme tous les autres emblèmes, aux signes des pensées diverses dont nous avons reconnu que l'homme est susceptible ; et qui, dans les faits sensibles, doivent montrer à l'homme le vrai tableau de l'état de son Etre intellectuel.

Si l'homme a pu avoir ici-bas des preuves sensibles de l'existence des Puissances suprêmes ; si à plus forte raison il a pu en avoir de celle des Puissances inférieures qui composent toute la Nature, et sont comprises dans son Domaine, il y a donc, non seulement pour toutes les classes intellectuelles, mais encore pour tous les Etres physiques de la Nature générale et particulière, des signes analogues et fixes, qui dirigent l'homme dans la carrière de son instruction ; autrement sa science serait dénuée de base et d'appui.

Par conséquent les signes et les hiéroglyphes relatifs à la Nature physique, n'ont pu dépendre de la convention arbitraire de l'homme, comme le prétendent les personnes qui ne marchent point par des sentiers solides, et qui se rendent aveuglément aux premières opinions qu'on leur présente.

Et la preuve que ces signes sont indépendants de nos conventions ; c'est qu'avec des signes arbitraires, l'homme ne pourrait former que des hiéroglyphes morts et sans vertu, et que dès lors ils seraient nuls et impuissants pour représenter la Nature, où tout est vivant.

Il faut donc que les objets naturels eux-mêmes soient accompagnés de signe analogues, qui servent d'indice à leur essence comme à leurs propriétés ; et ne doutons pas que les Sages n'aient été guidés par ce principe, lorsqu'ils ont appliqué des caractères distinctifs à toutes les substances, aux planètes, aux métaux, au feu, à l'eau, à tous les éléments. Les hommes qui leur ont succédé, ont voulu sans doute imiter leur exemple, lorsqu'ils ont fait rapporter différents signes et différents caractères à plusieurs productions naturelles, telle que celles dont la connaissance et l'étude sont l'objet de la Chimie.
 

Mais il est constant, qu'en supposant vrais les caractères que ces hommes imitateurs ont employés, ils ont marché en aveugles dans l'application qu'ils en ont faite ; comme il est évident lorsqu'ils ont donné aux métaux, les noms vulgaires et les signes composites de Planètes.

D'après cela on ne peut se dispenser de croire que tout ce qu'on nous a transmis en ce genre, dans les Sciences, dans les Arts, dans les alphabets des Langues, pèche non seulement dans l'application, mais même est altéré dans la figure et dans la forme des caractères. Or de ces signes et caractères ainsi défigurés, doivent résulter dans les sciences naturelles, les mêmes erreurs qui ont été faites sur les signes des Puissances suprêmes, et dont l'abus, engendré par l'ignorance, a donné naissance à l'Idolâtrie surmatérielle. Cette vérité nous servira dans un moment de flambeau, pour nous faire connaître avec quelle défiance on doit marcher dans les sciences et dans les systèmes des hommes ; mais il faut éclaircir ici une question sur les hiéroglyphes et l'écriture ; savoir si les signes hiéroglyphiques sont antérieurs aux signes de la parole et du langage.

Des hommes célèbres ont approché du but en disant que toute écriture, tout signe était hiéroglyphique, c'est-à-dire, qu'il devait porter avec lui-même les indices de l'objet que l'on se proposait de présenter à l'intelligence, et en effet la parole même ne devient intelligible pour l'homme qu'en lui devenant hiéroglyphique, et il ne comprend les mots des Langues qu'après que leur sens lui est devenu familier, par le secours des choses sensibles auxquelles ces mots correspondent.

Cependant cette décision, adoptée trop légèrement, entraînerait la nécessité de regarder comme une seule chose, les signes hiéroglyphiques et les Langues. Or l'on peut douter que ces deux choses ne soient très différentes, quoique intimement liées et s'il est permis d'employer une comparaison, elles forment ensemble un fruit dont l'une est le suc, et l'autre l'écorce.

Enfin, l'on ne peut douter que si tous les signes des langues sont hiéroglyphiques, comme tenant aux propriétés essentielles du principe qu'ils expriment ; de même tous les objets quelconques, indépendamment de ce qu'ils sont hiéroglyphiques par eux-mêmes, doivent encore être dépositaires d'un nom qui puisse passer dans le langage de l'homme, et servir de sujet et de guide à son intelligence, quand l'objet n'est plus sous ses yeux.

Cette vérité est confirmée par l'expérience générale des peuples, qui tous ont deux manières de se communiquer leurs pensées : savoir, les objets mêmes, puis les mots qui y correspondent dans leurs Langues. Et si l'on disait que les objets intellectuels n'étant pas présents, les hommes ne devraient pas avoir de mots pour les exprimer, je renverrais à ce que j'ai dit ci-dessus sur la nécessité de la présence sensible des Vertus suprêmes parmi les hommes : et même l'objection tournerait à l'avantage du Principe que je défends ; puisque, dans l'état actuel de l'homme, les mots étant comme enveloppés dans les objets sensibles, si les hommes ont dans leurs Langues des mots pour exprimer les objets intellectuels, c'est une preuve évidente que les objets intellectuels ont été sensibles pour eux, ou pour ceux qui leur en ont transmis les idées.

On peut donc résoudre ici la question proposée, en disant que dans l'ordre naturel et parfait, les signes hiéroglyphiques précèdent universellement les Langues ; que si l'on a reconnu avec raison que les hommes, dans leur état de dégradation, ont eu des Langues avant d'avoir une écriture, cela confirme d'autant notre principe ; car il ne faut pas regarder les caractères de l'écriture, actuelle et vulgaire, comme les hiéroglyphes primitifs ni comme la source de la parole de l'homme, mais comme des signes hiéroglyphiques secondaires destinés à réactionner l'intelligence et la parole dans ceux à qui les hiéroglyphes mêmes seraient communiqués ; et l'on ne saurait douter que ces signes hiéroglyphiques inférieurs n'aient cet emploi, si l'on observe que les muets se font comprendre par leurs signes : et que plusieurs hommes écrivent des Langues qu'ils ne peuvent ni parler, ni entendre.

Enfin, si l'on veut se convaincre que les signes et hiéroglyphes primitifs sont antérieurs aux langues, il suffit de voir que toutes nos paroles sont précédées intellectuellement en nous, par le tableau sensible de ce que nous voulons exprimer : il suffit, à bien plus forte raison, d'observer que l'homme passe la première partie de sa vie corporelle dans les entraves de l'enfance, et dans les liens des organes matériels, avant de parvenir à la jouissance de la parole.

Mais revenons aux signes naturels des Puissances inférieures qui agissent dans cet Univers, et reconnaissons de nouveau l'existence nécessaire de ces signes pour toutes les classes d'êtres, pour tous les Règnes, pour toutes les Régions, parce que tout est gouverné par cette loi irrévocable.

Comme chaque Peuple, chaque homme est libre de s'appliquer à tel ou tel objet, chacun aussi doit être pourvu plus abondamment des signes relatifs à l'objet dont il s'occupe : c'est même un indice assuré pour reconnaître quelles sont les Sciences qu'un Peuple cultive, et il ne faut pas considérer longtemps les hiéroglyphes des Egyptiens, pour voir qu'ils étaient moins adonnés aux vraies Sciences qu'on ne le croit vulgairement. Cette multitude de reptiles, d'oiseaux, d'animaux aquatiques qui y dominent, annonce assez qu'ils s'exerçaient particulièrement sur les objets élémentaires, et même sur des objets encore plus inférieurs ; parce que l'eau d'où tous ces animaux sont sortis, est par son nombre le vrai type d'une origine confuse et désordonnée. Car si l'on prétendait qu'ils n'eussent tiré ces hiéroglyphes que des objets les plus communs dans leur pays aquatique, il suffirait de se rappeler ce que nous avons déjà dit sur l'origine de l'Idolâtrie, qui n'est qu'une altération du culte vrai, et qui a été nécessairement précédée par les signes primitifs et hiéroglyphiques.

De même, il y a des témoignages certains pour s'assurer de l'ignorance d'une Nation ; c'est lorsqu'elle n'a pas d'écriture naturelle hiéroglyphique, et que ces monuments sont ornés de figures arbitraires, nulles, et auxquelles elles ne prête qu'un sens conventionnel et idéal on peut être sûr alors que les Savants les plus célèbres de cette Nation n'ont pas même la première idée du titre dont on les honore, et que s'ils tiennent un rang distingué dans l'opinion vulgaire, ils en occupent un très inférieur dans l'ordre vrai des connaissances.

Il est à propos de présenter ici quelques exemples de ces signes naturels, qui doivent avoir des rapports avec les objets temporels, et indiquer les propriétés des Etres.

Si toutes les Nations de la Terre ont employé le triangle dans leurs monuments hiéroglyphiques, peu on ont connu ou dévoilé les véritables relations et le vrai sens. Celles qui l'ont donné pour symbole du Ternaire sacré, auraient dû montrer un symbole intermédiaire entre ce Type suprême et le ternaire corruptible ; parce que sans cela, de l'Etre invisible et invariable, à une figure morte, telle qu'un triangle, la distance est trop grande, pour qu'on puisse s'élever de l'une à l'autre : or le symbole intermédiaire est l'homme, comme on le verra dans la suite.

Il faut donc considérer simplement le triangle corruptible dans ses rapports temporels, et dès lors il devient l'emblème parfait des Principes de la Nature élémentaire, qui sont au nombre de trois, il devient par conséquent l'emblème de tous les corps individuels, puisqu'ils sont constitués par le même nombre et les mêmes lois que la Nature universelle : enfin, il est l'expression sensible de la base fondamentale des choses, et s'il est la première figure et la plus simple que l'homme puisse produire ou concevoir, car la circonférence est moins une figure que l'ensemble et le tableau général de toutes les actions et de toutes les figures, il est sans doute l'image parlante de la loi particulière que la Sagesse a suivie pour la production de ses ouvrages matériels. 

Avec des rapports aussi vastes, il n'est pas étonnant que cette figure tienne un rang si distingué parmi les hiéroglyphes des Nations.

Les Chimistes qui, dans leurs recherches, s'attachent à des parties séparées plutôt qu'à l'ensemble ont employé ce signe dans leur Science : mais, au lieu de le considérer sous son vrai rapport, ils ne l'ont établi que comme le signe du feu, ou du phlogistique ; et quoique même, sous ce point de vue isolé, il y eût eu encore une certaine justesse dans l'application, si les Chimistes avaient su nous dévoiler ce qui est contenu dans le feu, il est clair que ne le sachant pas, ce signe est comme mort entre leurs mains et que sa signification devient arbitraire.

Quelques Chimistes ont cru voir le feu exprimé par les faces triangulaires de la pyramide ; et se sont fondés sur ce que la première syllabe pyr en grec signifie feu, et sur ce qu'il y avait nombre de ces pyramides chez les Egyptiens, qui célébraient, le culte du Soleil ou du feu, et de qui les Grecs tenaient la plupart de leurs connaissances. Mais si la pyramide avait des rapports avec le feu, ce ne serait pas précisément par ses faces triangulaires, mais par sa direction verticale, et par sa forme qui va toujours en diminuant jusqu'à ce qu'elle arrive à un point insensible. Ce serait là où l'on trouverait les lois du feu ; parce qu'il monte toujours verticalement, quand des causes étrangères ne gênent pas son action naturelle ; parce qu'il diminue pour nous, à mesure qu'il s'élève, et qu'il finit comme la pyramide, en devenant imperceptible à nos sens.

Les Chimistes ont fait les mêmes erreurs sur la figure cruciale, qu'ils ont adoptée pour représenter l'acide universel. Ce signe correspondant au centre même de la circonférence, puisqu'il est formé par deux diamètres, est l'indice visible de l'unité. 

On sait que le feu est un partout, qu'il occupe le centre de tous les corps, et qu'il tend sans cesse à se séparer des substances grossières avec lesquelles il est combiné. La figure cruciale serait donc avec raison le véritable emblème du feu, et non pas de l'acide, car quoique l'acide soit un feu, comme il n'est jamais sans eau, il n'est pas un feu pur ; ainsi le signe de la simplicité et de la pureté ne lui peut convenir.

Aussi les Anciens étaient si persuadés que cette figure cruciale était l'emblème du feu, que les Prêtres du Soleil chez les Egyptiens la portaient sur leurs habits.

Enfin les Chimistes, en unissant le triangle et le signe crucial, ont pris cet assemblage pour l'emblème du soufre parce qu'en effet le soufre étant composé d'acide vitriolique et de phlogistique, les signes admis pour représenter séparément l'acide et le feu, peuvent être choisis pour représenter leur ensemble.

Mais sans dire autre chose de ces conventions, sinon qu'elles nous instruisent peu, nous croyons pouvoir découvrir dans ces deux signes, des rapports plus élevés et plus intéressants ; et ce sera toujours l'homme qui en sera le type.

Le triangle, étant le symbole universel des lois particulières qui ont produit les corps ; doit s'appliquer au corps de l'homme, quant à ses principes constitutifs, comme à tous les autres corps.

La figure cruciale étant l'emblème du feu du centre, du Principe, convient à l'Etre intellectuel de l'homme, puisqu'il tient directement au centre du Principe supérieur et universel de toutes les Puissances.

En réunissant ces deux signes dans l'ordre même où les Chimistes les emploient, c'est-à-dire, en plaçant le triangle au-dessus de la figure cruciale (figure 1), on a d'une manière évidente et sensible, le tableau des deux substances opposées qui nous composent, et en même temps celui de l'imperfection de notre état actuel où l'Etre pensant se trouve surmonté et comme enseveli sous le poids de la forme corporelle ; tandis qu'étant destiné par sa nature à régner et à dominer sur elle, cette forme devrait lui être absolument subordonnée: et voilà comment toutes les lois des Etres pourraient tourner à notre instruction. On peut même trouver là une nouvelle preuve de la nécessité des manifestations supérieures, pour aider l'homme à se rétablir dans son ordre naturel, et afin que notre essence intellectuelle, étant remise dans son rang primitif et supérieur à la matière, l'édifice qui avait été renversé suivant cette figure se trouvât relevé ainsi, (voir figure 2).
 

On peut remarquer enfin que dans la décomposition des corps, leur feu principe, leur phlogistique échappe à tous les moyens corporels employés pour le contenir. C'est nous retracer visiblement la distance qui se trouve entre la matière et son Principe, et par analogie combien le Principe intellectuel de l'homme est étranger à son enveloppe.

Si des signes naturels nous passons aux signes symboliques, nous y découvrirons les mêmes lumières.

Les Mythologistes nous peignent l'Amour armé de flèches, et Minerve sortant du cerveau de Jupiter. C'est nous rappeler d'un côté que toutes les affections sensibles qui nous viennent par les objets extérieurs, sont destructives, et de l'autre, que la sagesse, la prudence et toutes les vertus ayant leur siège dans le germe intérieur de l'homme peuvent naître de lui, à l'imitation de l'Etre dont il est l'image et qui produit tout : c'est-à-dire, que si l'homme intellectuel remplissait sa destination primitive, et qu'il ne laissât altérer aucune portion de sa substance immatérielle, il vivrait moins de ce qu'il en ferait entrer dans lui-même, que de ce qu'il en laisserait émaner par les efforts de son désir et de sa volonté. Principe juste, vrai, fécond, instructif, dans lequel sont renfermés tous les secrets de la science et du bonheur. Mais ce qui rend aujourd'hui si difficile pour l'homme, l'usage de ce principe, c'est que l'application qu'il en doit faire, est devenue double et divisée, en ce qu'elle doit se rapporter non seulement aux objets d'intelligence et de raisonnement, dont toutes les opérations se passent dans la tête, mais encore à toutes les affections vertueuses de désir et d'amour pour la vérité, qui ont leur siège dans le cœur de l'homme. Ainsi étant lié à deux centres éloignés l'un de l'autre, son action est infiniment plus pénible et plus incertaine que lorsqu'ils étaient réunis ; d'autant que vu la distance immense qui les sépare, leur communication peut souvent être interceptée : et cependant s'ils n'agissent pas de concert, ils ne produisent que des œuvres imparfaites.

Les Mythologistes nous peignent un Sphynx à la porte des Temples des Egyptiens, afin de nous rappeler combien la lumière est aujourd'hui enveloppée pour nous d'énigmes et d'obscurités. Mais ils nous apprennent que cette lumière n'est point inaccessible, en nous transmettant l'emblème que le Sphinx représenta, lorsqu'il fut envoyé à Thèbes par la jalousie de Junon : car on sait qu'Œdipe, en expliquant l'énigme que la Déesse faisait proposer par son Envoyé, le réduisit à la nécessité de se donner la mort. Convenons toutefois que c'est assez mal à propos que dans l'emblème le Sphinx en vient à cette extrémité, puisque Œdipe ne donnait alors que l'explication de l'homme animal et sensible, et qu'il y a en nous un Etre infiniment supérieur, qui est le seul mot par le quel on puisse véritablement expliquer toutes les énigmes.

Ces mêmes Mythologistes nous montrent à quel prix nous pouvons espérer d'atteindre à cette lumière, lorsqu'ils nous parlent de cette pièce d'or que les Ombres donnaient à Caron pour passer le fleuve. L'homme  pourra jamais trouver accès dans les demeures de paix, qu'il n'ait acquis, pendant son séjour ici-bas, assez de richesses intellectuelles pour gagner et soumettre ceux qui défendent les enceintes de la lumière ; et même il ne peut pendant son existence sensible et matérielle, faire un seul pas vers la vérité qu'il ne paie d'avance par ses désirs et son dévouement le Guide fidèle qui doit le diriger dans la carrière.

Enfin les Mythologistes nous rappellent visiblement, et en nature, la présence de ce Guide auprès de l'homme, en nous peignant ce Palladium ou cette statue de Minerve qui descendit du Ciel avec le secours d'Abaris lorsqu'on bâtissait à Troie le Temple de cette Déesse. Ils nous montrent en même temps, quelle confiance nous devons avoir en ce don suprême, puisque à l'exemple de Troie, et d'après l'Oracle qui avait annoncé d'où dépendait la conservation de cette Ville,: nous serons à jamais en sûreté, tant que nous ne laisserons pas les Ennemis pénétrer par des souterrains dans le Temple, parvenir jusqu'à l'Autel et nous enlever notre Palladium.

Toutes les allégories qu'on vient de voir, suffisent  pour nous convaincre qu'à commencer à la première origine des choses temporelles, les Traditions mythologiques présentent à l'homme une foule d'images fidèles de tous les faits passés, présents et futurs qui doivent l'intéresser : qu'il peut y voir l'histoire de l'Univers matériel et immatériel, la sienne propre, c'est-à-dire, le tableau de sa splendeur originelle, celui de sa dégradation, et celui des moyens qui ont été employés pour le réhabiliter dans ses droits.

Quant à ceux qui veulent borner à des faits historiques, les traditions de la Mythologie, et qui ne voient dans les anciennes Divinités, que des Héros ou des personnages célèbres, nous croyons qu'ils peuvent avoir raison sur quelques points ; mais il faut qu'ils avouent aussi que la plupart de ces applications particulières, n'ont été faites que postérieurement, et d'après des traditions mythologiques déjà existantes en sorte qu'on ne peut s'empêcher de reconnaître que la Mythologie primitive fut hiéroglyphique et symbolique ; c'est-à-dire qu'elle a renfermé les vérités les plus importantes pour l'homme ; et tellement nécessaires, qu'elles n'en existeraient pas moins, quand ni les Fables, ni aucune espèce de Tradition ne nous les aurait retracées.

Nous terminerons ici sur ces Traditions, pour ne point ralentir notre marche, et pour ne pas hasarder des interprétations, qui trop profondes pour être entendues généralement, paraîtraient n'avoir pas toutes la même justesse, en ce qu'elles n'auraient pas toutes la même évidence ; et qui par là pourraient répandre des doutes et de la défiance sur celles qui seraient les plus claires.

Mais les observations qu'on vient de voir, ne se bornent point aux seules Traditions mythologiques Grecques et Egyptiennes : la Théogonie, la Cosmogonie et les Doctrines religieuses des anciens Peuples, ayant eu un Principe et un but commun à toute l'espèce humaine, doivent nous présenter les mêmes tableaux et les mêmes vérités. En effet, ouvrons le Shastah des Gentous, le Zend-à-Vesta des Parsis, l'Edda des Islandais, le Chon-King et l'Y-King des Chinois ; en un mot, consultons les Traditions sacrées de tous les Peuples de la Terre, nous ne craignons pas d'assurer qu'on y reconnaîtra aisément l'homme ancien, présent et futur, ainsi que l'expression naturelle de ses besoins et de ses idées ; parce que l'homme étant un Etre de tous les temps et de tous les lieux, ne peut avoir partout que les mêmes besoins et les mêmes idées.

Parmi ces Traditions, prenons celles des Chinois pour exemple ; car indépendamment de ce que leur antiquité prévient en leur faveur, elles présentent les rapports les plus frappants avec les vérités fondamentales qui concernent l'ordre des choses visibles et invisibles.

Elles parlent de la chute des premiers criminels, de la formation de l'Univers par les Vertus du grand Principe, par une Vie qui n'a point reçu la vie. On y voit l'origine du genre humain, l'état de l'homme dans l'innocence, jouissant des douceurs d'une habitation délicieuse, laquelle était arrosée par une fontaine d'immortalité, divisée en quatre sources merveilleuses, que l'on nommait le chemin du Ciel, et d'où la vie est sortie : tout était pour lui dans une parfaite harmonie : toutes les saisons étaient réglées : rien ne pouvait être funeste, ni donner la mort : cet état se nommait la grande unité.

Elles enseignent que le désir immodéré, de la science perdit le genre humain : qu'après la dégradation de l'homme, les animaux, les oiseaux, les insectes et les serpents commencèrent à l'envie à lui faire la guerre et toutes les créatures furent ses ennemies. On y trouve que l'innocence ayant été perdue, la miséricorde parut.

On y reconnaît même des images sensibles des voies de cette Sagesse, dans ce fameux Fou-hi ou Pho-hi, dont la naissance fabuleuse est figurée d'une manière extraordinaire et qui passe pour avoir institué le Culte dont il reste encore des traces à la Chine. Il passe aussi pour avoir inventé les Koua, qui sont les signes hiéroglyphiques et les caractères de la première écriture des Chinois, et qui représentent par leur sens des rapports avec la Langue des Hébreux, où le mot Koua signifie également, il a annoncé, il a indiqué, et ces rapports sont d'autant plus fondés que la Langue hébraïque peut à plus d'un titre passer pour être le type des autres Langues.

Remarquons que ces Koua Chinois n'étaient établis que sur les arrangements et les divisions de trois lignes fondamentales, dont les différentes dispositions indiquaient tout ce que le Maître voulait enseigner à ses Disciples, c'est-à-dire, sans exception, tout ce qu'il est permis à l'homme de connaître : comme les trois éléments constitutifs de l'Univers suffirent au Créateur pour multiplier à l'infini les images de ses pensées aux yeux qui savent les lire. Pho-hi fit connaître aussi à ce peuple le ki, mot que l'on rend sensiblement par le souffle du Tout-Puissant mais dont on retrouve encore des traces plus expressives dans l'hébreu, par ce ki ou kai, qui veut dire le Vivant, ou la force et l'action virtuelle du Principe universel qui donne l'existence à tous les Etres.

D'après les connaissances que Pho-hi est censé avoir transmises aux Chinois, on ne doit point être surpris de lui voir tenir dans leurs Traditions un rang si élevé, qu'elles ne craignent point de lui attribuer la création du Ciel et de la Terre.

Si l'on demandait pour quelle raison je donne la Langue hébraïque comme le type des autres Langues je répondrais que c'est parce que la langue primitive dont elle dérive, n'est plus parlée généralement dans ce bas Monde : que l'on ne peut regarder comme primitive une Langue sensible, fondée sur la forme, les lois, les sons et les actions de tous les objets naturels, attendu que la langue de la pensée leur est étrangère je répondrais que c'est parce que, dans quelque dialecte que l'on considère la langue hébraïque, soit le Syriaque, soit l'Arabe, soit le Samaritain, soit le Chaldéen, elle offre des traces de tous les principes que nous avons exposés; parce que ses racines sont presque généralement composées de trois lettres, pour nous rappeler les trois racines universelles de toutes choses ; parce que toutes ses racines sont des verbes, et ne paraissent être des noms qu'à ceux qui n'ont pas observé l'ordre et la progression du langage sous son jour le plus lumineux ; parce qu'elle exprime toutes ses racines par la troisième personne, pour nous faire connaître d'abord celle des trois facultés suprêmes qui est le plus près de nous ; parce qu'elle n'emploie que les temps passés et futurs, comme n'étant affectée qu'aux choses temporelles et apparentes ou nulles, et non pas aux choses présentes et réelles : parce qu'enfin le langage n'a commencé à être conventionnel et à se corrompre, que quand il a employé ce temps présent, qui ne peut convenir aux choses incertaines et passagères, et qui n'appartient qu'à l'Etre vrai et fixe, dont l'action est toujours présente, toujours ce qu'elle a été, toujours ce qu'elle sera.

En rapprochant le nom de Pho-hi de la Langue hébraïque, avec laquelle toutes les Langues de la Terre ont des rapports primitifs, nous pourrions étendre nos idées relativement à ce célèbre Législateur, sur lequel les savants Chinois eux-mêmes sont si partagés, qu'ils n'ont point encore décidé si son existence est réelle, ou si elle n'est qu'allégorique.

Le mot Pho n'est pas éloigné du mot hébreu Phé, qui veut dire la bouche : le mot hi est encore plus prés de l'affixe hébreu i, qui lié à son nominatif, veut dire de moi. Le mot Pho-hi étant rapproché de l'Hébreu, pourrait donc avoir quelques rapports avec cette expression la bouche de moi, ou ma bouche. Je dis simplement quelques rapports : parce que ceux que nous faisons entrevoir, ne sont pas directs et entiers et parce que l'Hébreu lui-même ne rend pas ces mots, ma bouche, par Phéï qui semblerait devoir être l'expression naturelle, mais par l'abréviation Phi.

Soit donc que Pho-hi ait été l'un des Agents, ou l'une de ces Vertus subdivisées, qui ont dû nécessairement se montrer dans le séjour de l'homme, soit qu'il n'ait été qu'un homme ordinaire : il est certain d'après les Traditions qui lui attribuent la création du Ciel et de la Terre ; d'après les sublimes connaissances dont sa Nation l'a reconnu dépositaire : d'après le sens même qu'une étymologie rapprochée nous fait découvrir dans son nom, il est certain, dis-je, que la Chine a reçu les traits de lumière les plus éclatants.

On ne peut douter quant aux sciences naturelles, que les Chinois n'y aient été très profonds, lorsqu'on voit les traces qui en sont restées, soit dans leurs monuments astronomiques, soit dans leur système de musique. Cette science, la plus simple et la plus puissante de toutes les sciences temporelles : la seule qui embrasse d'une manière active et sensible, toutes les lois des Etres, la seule parmi les choses composées qui soit assujettie à une mesure égale et constante puisque les Astres eux-mêmes, quoique ayant des périodes régulières, ont cependant tous une marche dont les progressions varient sans cesse par la loi commune qui les fait dépendre les uns des autres.

Non seulement les Chinois ont été profonds dans la science de la musique, ils ont encore rendu hommage à sa sublimité, en l'appliquant spécialement aux cultes religieux, et aux cérémonies par lesquelles ils honorent les mânes de leurs ancêtres : ils prétendaient même qu'il fallait que leurs Musiciens eussent des mœurs pures, et fussent pénétrés de l'amour de la sagesse, pour tirer des sons réguliers de leurs instruments.

De leurs antiques et sublimes connaissances, les Chinois ne possèdent plus que les monuments qui les leur ont transmises : aussi est-il arrivé parmi eux ce que nous avons pu voir chez toutes les Nations, c'est que les uns se sont prosternés devant ces monuments, sans les comprendre, et que les autres les ont méprisés : ou pour mieux dire, la Nation Chinoise a dirigé toutes ses vues du côté de la morale, et peut-être d'une sage administration, mais dont les fruits ne s'élèvent pas au-dessus du bonheur politique. Ses Lettrés mêmes, qui chez elle semblent faire la fonction des Dieux tutélaires, ont oublié leur institution primitive, et se sont comme ensevelis dans des recherches laborieuses sur la véracité de leur histoire connue, sur les lois civiles, sur le Gouvernement, et principalement sur la connaissance littérale et typographique de leurs Livres. 

Ces fameux Koua, qui leur sont annoncés comme renfermant toutes les Sciences, n'obtiennent plus d'eux qu'un respect stérile ; et n'en connaissant plus l'usage, ils les ont remplacés par cette multitude effrayante de caractères, qui tiennent sans doute à l'expression sensible des signes et des faits intellectuels opérés sur la terre ; mais qu'ils bornent aujourd'hui à représenter les choses apparentes, ne sachant plus les appliquer à la Nature et aux lois des Etres ; et sous ce point de vue, ce sont autant de prisons qu'ils élèvent à leur esprit. C'est ainsi que l'homme qui détourne un instant les yeux de son Principe, finit par tout corrompre ; et en vient à regarder comme fabuleux, ce dont il n'a plus l'intelligence et la force d'apercevoir la réalité.

C'est pour cette raison que l'on ne peut considérer avec trop de prudence et de discernement, les Traditions allégoriques, mythologiques ou théogoniques, tant des Chinois que des autres Peuples de la Terre, attendu que par ignorance et par précipitation, ils ont tous confondu et mélangé la plupart de leurs Traditions originelles, soit avec leur histoire civile et politique, soit avec leurs lois et leurs usages conventionnels, soit même avec les idées monstrueuses d'une imagination grossière et déréglée, ce qui a totalement défigure plusieurs de ces Traditions.

C'est donc par une profonde observation de soi-même et de toutes les lois des Etres, que l'on pourra trouver dans le plus grand nombre de ces récits, une conformation évidente de ce que nous avons dit ci-devant : qu'il était nécessaire que les Vertus divines se manifestassent, pour que l'homme dégradé pût se régénérer à leur aspect, et qu'il manifestât à son tour la grandeur du modèle qui l'a chargé d'être son signe, et de porter son caractère dans l'Univers. Avec cette précaution active et vigilante, on y reconnaîtra aisément que la Puissance suprême n'a pu d'abord se montrer aux hommes que sous une sorte de subdivision ; que puisqu'ils étaient faits pour l'Unité, cette subdivision doit les tenir dans un pâtiment inévitable, et qu'elle doit leur faire sentir la rigueur des Décrets divins par la sévérité de la loi qui l'accompagne, laquelle est désignée dans les traditions et les allégories de tous les Peuples, par des traits de violence, de fureur, et de la justice la plus rigoureuse.

Mais je peux présenter au Lecteur un fil de plus pour se conduire dans ce labyrinthe ; c'est de le prévenir que la même allégorie renfermant des vérités de plusieurs ordres, il faut suivre ces vérités selon leur progression naturelle ; qu'il faut d'abord chercher dans l'allégorie, le sens le plus voisin de la lettre, comme étant le plus intelligible et le plus à notre portée, et s'élever ensuite au sens qui lui succède immédiatement : par cette marche attentive et prudente, on parviendra à la connaissance du sens le plus sublime qu'une Tradition puisse renfermer. Si l'on n'observe point cet ordre ; si l'on omet quelque terme de la progression, et qu'on veuille trop tôt en expliquer les extrêmes, l'on n'y trouvera que confusion, obscurité, contradictions, parce qu'en négligeant un sens intermédiaire, on se sera privé du seul moyen qui pouvait rendre ces objets intelligibles. Passons aux Traditions des Hébreux.

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Chapitre XIII