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Tableau naturel des rapports qui existent
entre Dieu, l'Homme et l'Univers.

L.C. de St Martin

par Louis-Claude de Saint-Martin

X

La sublime origine de l'homme, sa chute, l'horreur de sa privation actuelle, la nécessité indispensable que des Agents visibles aient apporté des secours supérieurs sur la Terre, et qu'ils aient employé des moyens sensibles pour en rendre les vertus efficaces, voilà autant de vérités tellement gravées dans l'homme, que tous les peuples de l'Univers les ont célébrées, et nous ont laissé des traditions qui les confirment.

Tous les récits historiques, allégoriques et fabuleux, renfermés dans ces traditions, parlent du premier état de l'homme dans sa pureté, des crimes et de la punition de l'homme coupable et dégradé ; ils exposent avec une égale évidence les bienfaits des Divinités envers lui pour adoucir ses maux et le délivrer de ses ténèbres.

Ce n'est point assez qu'on y ait déifié les hommes vertueux qui ont donné à leurs semblables des exemples de justice et de bienfaisance et qui ont retracé par leurs actions quelques vestiges de notre première loi ; on n'a pas craint d'y faire descendre sur la Terre les Divinités mêmes pour apporter à l'homme les secours supérieurs que des Héros mortels ne pouvaient faire connaître et pour l'engager à devenir semblables à elles, comme l'unique moyen de se rendre heureux.

En même temps, ceux qui ont eu soin de nous transmettre de tels récits, s'accordent à nous représenter ces Divinités bienfaisantes sous des formes sensibles, et analogues à la région que nous habitons ; parce que sans cela leurs secours auraient été en quelque sorte perdus pour des êtres aussi grossièrement corporisés que nous le sommes.

Enfin, chez toutes les Nations, les secours de ces Divinités bienfaisantes ont été célébrés par des cultes. Qui oserait assurer même que toutes les lois, tous les usages, toutes les conventions sociales, civiles, politiques, militaires, religieuses que l'on voit établies sur la Terre, ne soient pas des traces parlantes de ces institutions primitives ; qu'elles ne soient pas des à émanations, altérations ou dégradations de ces premiers présents faits à l'homme après sa chute, pour le ramener à son Principe ? Car il ne faut pas oublier que les hommes peuvent tout altérer, qu'ils peuvent tout corrompre, mais qu'ils ne peuvent rien inventer.

Nous aurions donc sous les yeux un moyen de plus pour lire et pour reconnaître dans toutes les œuvres de l'homme, la loi qui le concerne et à laquelle il devait s'attacher : attendu que malgré les différences infinies que nous offre la forme de ces institutions humaines dans tous les lieux de la Terre, elles ont toutes le même but, le même objet, et que ce but perce partout ses enveloppes.

Il faut convenir néanmoins que les traditions allégoriques et fabuleuses, à force de vouloir assimiler les Dieux à l'homme, leur ont donné souvent ses passions et ses vices : qu'elles les ont fait agir comme les êtres les plus corrompus : et que les avilissant ainsi A nos yeux elles ont en quelque sorte perdu tous leurs droits à notre croyance.

Mais ne doit-on pas sentir que si la Mythologie s'annonce sous des apparences ridicules, telles que ces fureurs, cette jalousie, cette ardeur des sens qui paraît y être presque le seul mobile des Dieux et des Héros c'est qu'étant un tableau universel, elle doit offrir les maux et les biens, l'ordre et le désordre, les vices et les vertus qui circulent dans la sphère de l'homme. D'ailleurs l'abus des mots et l'ignorance de leur véritable signification ont donné à ces récits emblématiques, une multitude de sens louches et forcés qu'ils n'avaient pas dans l'origine, où ils peignaient des objets aussi réguliers, aussi élevés, aussi respectables que ces emblèmes paraissent aujourd'hui imparfaits, ridicules et dignes de mépris.

C'est par là qu'on peut expliquer en partie les contradictions que présente la Mythologie. L'ignorance du vrai sens des noms, a porté à attribuer au même Etre, à un Héros, à une Divinité, des faits et des actions qui appartenaient à des êtres différents ; on ne doit donc pas être surpris d'y voir le même personnage montrer dans ses actions, tantôt l'orgueil et l'ambition des êtres les plus coupables, tantôt l'excès de la débauche la plus honteuse, tantôt les vertus des Héros et des Dieux : il ne faut point s'étonner d'y voir Jupiter maître du Ciel, Chef des Dieux terrestres, ses frères, et Jupiter livré aux passions les plus vicieuses ; d'y voir Saturne être à la fois le Père des Dieux, et manger ses enfants ; enfin, d'y voir Vénus Uranie et Vénus Déesse de prostitution ; ainsi, quoiqu'on trouve rassemblés dans la Mythologie tous les faits et tous les types : quoiqu'elle présente plusieurs tableaux opposés sous les mêmes noms, l'intelligence doit en discerner les couleurs et les véritables sujets.

Au reste, j'indiquerai tout à l'heure un point de vue lumineux sur cet objet important, par lequel on découvrira des solutions plus satisfaisantes, parce que l'on verra sortir de l'homme même la vraie source de toutes les Mythologies ; car il ne faut pas chercher ailleurs que dans lui, l'origine naturelle de tous les faits soumis à ses spéculations.

Si l'on réfléchit sur l'universalité des opinions des Peuples relativement aux manifestations visibles des Puissances divines, sur les preuves que nous avons données de la nécessité de ces manifestations pour l'accomplissement des Décrets suprêmes, et sur les traces qui nous en restent dans toutes les institutions quelconques établies sur la Terre, nous serons très disposés à croire que ces manifestations ont eu lieu en effet parmi les hommes.

L'on se confirmera dans cette idée, si l'on considère que de pareilles traditions se sont trouvées chez les Peuples séparés de notre continent par des distances considérables et par des mers immenses ; chez des Nations qui ont respiré le même air que nous, qui ont joui du même soleil pendant nombre de siècles, sans nous connaître et sans nous être connus.

Les différents Peuples de l'Amérique avaient des idées uniformes sur la création de l'Univers ; et sur le nombre qui en a dirigé l'origine ; ils admettaient, comme les Anciens peuples, une multitude de Dieux bienfaisants et malfaisants dont il était rempli, et auxquels ils offraient de nombreuses victimes en sacrifice ; ils étaient d'accord avec tous les Peuples, sur la perfection d'un état antérieur pour l'homme, sur sa dégradation, sur la destinée future des bons et des méchants ; ils avaient des Temples, des Prêtres, des Autels, un feu sacré entretenu par des Vestales, soumises à des lois sévères, comme elles l'étaient chez les Romains. Les Péruviens eurent des Chefs visibles, lesquels, comme Orphée, se dirent enfants du Soleil et obtinrent les hommages de leurs contrées ; ils avaient une idole dont le nom, selon les Interprètes, signifie trois en un : les Mexicains en avaient une qu'ils regardaient tous comme un Dieu qui s'était corporifié en faveur de leur Nation. Enfin, il suffirait peut-être de changer les noms, pour trouver chez ces Peuples la même théogonie et les mêmes traditions qui sont de toute antiquité dans l'ancien Monde.

Si la persuasion des manifestations visibles des puissances divines et de leur nécessité, n'était pas dans l'homme un sentiment essentiel et analogue à sa propre nature, ces opinions ne se seraient communiquées que par tradition, de proche en proche. Elles n'auraient point existé chez ces Peuples, s'ils n'ont jamais tenu à nous par aucun lien : ou elles se seraient effacées de leurs souvenirs par la longueur des temps depuis notre séparation, si primitivement nous les avions partagées avec eux.

Nous ne prétendons point, pas cette alternative, fortifier les incertitudes et les soupçons qui ont pu régner sur la diversité d'origine de tous ces Peuples.

On ne doute plus aujourd'hui que le Nord de l'Asie ne communique de très près au Nord de l'Amérique ; que le détroit qui sépare ces continents ne soit rempli d'Iles, qui en rendent la communication plus facile ; enfin, que leurs habitants ne commercent ensemble et que même dans le Nord de l'Asie, il n'y ait des Peuplades Américaines.

Indépendamment de cette voie de communication entre les deux continents, il faut croire que dans l'intervalle qui s'est écoulé depuis les premiers siècles, plusieurs Navigateurs, soit de l'Orient, soit de l'Occident, ont été jetés sur ces plages inconnues, où produisant en divers lieux différentes peuplades, ils leur auront transmis les vices et les vertus, l'ignorance et les lumières qu'ils avaient apportés avec eux.

Car si l'on considère la diversité des Nations qui habitaient l'Amérique, la variété extrême de leurs mœurs, de leurs usages, de leurs langues, et même de leurs facultés physiques ; si l'on considère que la plupart de ses Nations ou familles étaient inconnues les unes aux autres, et ne montraient aucun indice qu'il n'y eût jamais eu de relation entre elles, on se démontrera sans peine qu'elles doivent leur existence à divers naufrages, ou à des émigrations de l'ancien continent et que leurs pères ont été jetés sur ces rivages à des époques différentes et dans des siècles éloignés.

Sans nous arrêter plus longtemps à cette question, et quelle que soit la manière dont cette population , a eu lieu, on ne peut se dispenser de reconnaître une unité d'origine primitive, à des Peuples dont les diverses espèces engendrent avec nous, et dont les fruits provenant de ces alliances, engendrent à leur tour ; à des Peuples chez qui l'on découvre les traces des vérités que nous avons annoncées sur la nécessité de la manifestation des facultés et puissances de l'Etre divin dans cet Univers et devant les hommes ; enfin à des Peuples qui sont absolument semblables à nous par leur nature, par leurs idées fondamentales et par leurs traditions.

Disons plus ; quand même leur origine primitive ne serait pas commune avec la nôtre, dès qu'ils nous ressemblent ils doivent participer aux mêmes avantages. Enfin, s'ils sont hommes, s'ils sont comme nous dans la privation et le besoin de l'Etre supérieur et universel qui les a formés, cet Etre tient à eux, comme à toutes ses autres productions. Ainsi, quand ils n'auraient jamais eu de communication avec notre continent, cet Etre aurait toujours pu leur faire parvenir des preuves et des manifestations de son amour et de sa sagesse.

Quant à l'antiquité des temps où les manifestations de ces Vertus supérieures ont commencé à s'opérer parmi les hommes, les traditions de la plupart des anciens Peuples nous offrent encore les indices les plus sûrs.

L'origine de ces Peuples est presque toujours enveloppée d'un voile merveilleux et sacré. Ils se disent presque tous protégés, et même descendants de quelque Divinité qui a présidé à leur naissance, qui a fondé leur établissement et qui les soutient par un pouvoir invisible.

N'est-ce pas nous annoncer depuis quel temps l'œil de la Sagesse veille sur l'homme malgré son crime ? N'est-ce pas nous dire que, dès l'instant que l'homme est devenu coupable et malheureux, la lumière s'est empressée de venir au devant de lui en se partageant pour ainsi dire afin de se mettre à sa portée, et n'a cessé depuis de répandre les mêmes bienfaits sur toute sa postérité ?

Il ne serait pas aussi facile de déterminer d'après les traditions le nombre des actes solennels de manifestation que les Puissances divines ont faites parmi les hommes depuis cette première époque.

Les doctrines anciennes, ne s'accordant point à cet égard font naître des doutes sur la plupart des Agents qu'elles nous présentent : en sorte qu'on est réduit à penser qu'il peut y en avoir dont la tradition ne nous a pas transmis la mémoire, et que plusieurs de ceux qu'elles nous annoncent comme de vrais Agents de ces facultés suprêmes n'ont jamais existé, on n'étaient peut-être que des imposteurs.

Des observations bien attentives, et fondées sur la connaissance des véritables lois des Etres pourraient sans doute nous guider pour nombrer ces manifestations et pour en calculer les époques : car, selon les notions les plus naturelles, elles doivent être égales et relatives au nombre des facultés et des vertus que l'homme avait abandonnées ; c'est-à-dire, analogues à la véritable nature de l'homme dont par leur nombre elles doivent opérer le complément et la justesse. Mais la génération présente n'en est pas encore là ; les fausses idées qu'elle a prises de l'homme et de sa destination, lui ferment encore les routes qui mènent au Sanctuaire de la Vérité.

Par les mêmes raisons on ne doit point être surpris, si le sens sublime que nous faisons entrevoir dans les traditions mythologiques des anciens Peuples, paraît imaginaire à la plupart des hommes. Ils ont tellement perdu de vue la science de leur Etre et celle de leur Principe, qu'ils ne connaissent plus aucun des rapports qui les lieront éternellement l'un à l'autre.

En effet, le vulgaire ne voit dans les récits mythologiques que le jeu de l'imagination des Ecrivains, ou la corruption des traditions historiques, ou peut-être les effets de l'idolâtrie, de la crainte, ou du penchant des Peuples pour les faits merveilleux. Ainsi, en exceptant quelques allégories ingénieuses tout dans la fable lui paraît bizarre, ridicule, extravagant.

Des hommes estimables, et placés dans la classe des Savants, ont employé la plus vaste érudition, à établir à cet égard des systèmes plus sensés que l'opinion commune : mais, comme ils n'ont point assez approfondi la nature des choses, leur doctrine, tout imposante qu'elle puisse être, reste au-dessous des traditions qu'ils ont essayé d'interpréter.

En effet, l'on ne peut porter un autre jugement de ceux qui ont borné exclusivement à un objet inférieur et isolé, le sens des traditions mythologiques, qui se sont efforcés d'y faire voir partout le système particulier qu'ils avaient embrassé, et qui n'ont point aperçu que ces traditions, n'ayant pas toutes le même caractère, ne pouvaient supporter la même explication : que les unes, tenant à la haute antiquité, renfermaient les emblèmes des vérités les plus profondes ; que d'autres, beaucoup plus modernes, ne devaient leur existence qu'à la superstition et à l'ignorance des Peuples, qui n'ayant pu comprendre les traditions primitives, les ont altérées et confondues avec les traditions postérieures et particulières à chaque Nation : que le mélange de ces traditions, les préjugés des. Historiens, et les fruits de l'imagination des Poètes, avaient augmenté l'obscurité. En sorte que loin de vouloir concentrer la Mythologie dans un objet particulier, on devrait plutôt convenir qu'elle présente des faits qui n'ont aucune analogie.

Enfin, s'il est permis à tous les Observateurs d'y chercher des rapports avec la classe des choses qui leur sont connues, la raison défend d'être assez aveugle pour n'y voir rien au delà et pour réduire à un objet inférieur et borné, des emblèmes qui peuvent avoir un but plus vaste et plus élevé : elle s'oppose, bien plus encore, à ce qu'on donne à ces traditions et à ces emblèmes, un sens et des allusions qui n'ont jamais pu leur convenir.

Ce sont ces applications fausses et rétrécies que nous nous proposons de détruire, afin d'élever la pensée de l'homme à des interprétations plus justes, plus réelles et plus fécondes.

Cependant, pour ne point nous écarter de notre marche, à laquelle ces remarques ne sont qu'accessoires, nous nous bornerons à examiner les deux principaux systèmes mythologiques ; ce qui suffira pour fixer l'opinion que l'on doit avoir de tous les autres.

Le premier de ces systèmes présente dans toutes les Fables de l'Antiquité, les emblèmes des travaux champêtres, les indices des temps et des saisons propres à l'Agriculture, et toutes les lois, que la Nature terrestre et céleste est forcée de suivre, pour l'accroissement, l'entretien et la vie des productions végétatives.

Ce système une fois conçu par les Observateurs, ils ont fait des effort étonnants pour le justifier, et pour y trouver des rapports avec tous les détails de la Mythologie ; mais pour en apercevoir le défaut, la plus légère attention sera suffisante.

En aucun temps, chez aucun Peuple, on n'a vu faire usage de figures plus belles et plus nobles que les choses figurées. Ne serait-ce pas renverser toutes les notions que nous avons de la marche de l'esprit de l'homme, que de prétendre qu'il a employé le supérieur pour emblème de l'inférieur, et qu'il a imaginé des symboles et des hiéroglyphes plus élevés et plus spirituels que l'objet qu'il voulait désigner.

N'est-il pas certain, au contraire, que le vrai but de l'emblème est de voiler aux yeux du vulgaire quelque vérité, dont l'abus ou la profanation seraient à craindre, si elle était révélée : de faire en sorte qu'il soit difficile à celui qui n'est pas digne de cette vérité, de la découvrir ou d'y remonter par l'emblème, tandis que ceux qui sont heureusement disposés, apercevront d'un coup d'œil tous les rapports qu'il renferme.

N'est-il pas certain aussi que les symboles et les hiéroglyphes sont des tableaux ou des signes destinés à rendre sensibles, au plus grand nombre les vérités et les Sciences utiles, et à les faire comprendre à ceux dont l'esprit borné ne pourrait les apercevoir, ni en conserver le souvenir, sans le secours de ces signes grossiers ?

Ces définitions simples démontrent assez que les emblèmes, les figures, les symboles ne peuvent être ni supérieurs, ni même égaux à leurs types : parce qu'alors la copie s'élèverait au-dessus de son modèle, on pourrait se confondre avec lui : ce qui la rendrait inutile.

Il suffit donc de comparer la plupart des emblème mythologiques avec les types que les Interprètes ont voulu leur donner, pour décider d'après l'infériorité de ces types, si leur application peut présenter quel que justesse.

Qu'on examine, en effet, ce qui paraîtra plus noble plus ingénieux, ou des détails grossiers et mécanique du Labourage, ou de ces Peintures vives dans lesquelles on fait jouer toutes les passions, et où l'on personnifie tous les vices et toutes les vertus.

Qu'on examine en outre, si l'on petit regarder comme le type de la Mythologie, les constellations célestes et leurs influences sur les corps terrestres, relativement à la végétation. Cette opinion présentant la même infériorité du type à la figure, les mêmes motifs la rendent inadmissible.

Quant aux signes astronomiques vulgaires, sur lesquels on voudrait fixer exclusivement notre pensée, disons que par ignorance, l'homme les a presque tous établis sur des divisions idéales, sur des noms arbitraires d'animaux, de personnages et d'autres objets sensibles, dont les rapports qu'on nous présente, étant imaginaires et conventionnels eux-mêmes, n'offrent point l'idée d'un vrai type, et ne sont que des figures vagues, étrangères aux Véritables signes astronomiques, et aux Vertus qui leur servent de mobiles.

Ceci doit suffire pour ouvrir les yeux à ceux qui n'apercevant qu'un objet isolé dans les traditions fabuleuses croient que toute la Mythologie des anciens ne doit son origine qu'à l'Agriculture et à l'Astronomie. L'erreur vient de ce que postérieurement on a confondu quelques symboles de ces deux Sciences avec les traditions symboliques primitives. Par là les hommes se sont trouvés encore plus éloignés des vérités simples et importantes, qui faisaient l'objet de ces traditions.

Ainsi, sans prétendre nier les symboles en petit nombre, que l'Agriculture et l'Astronomie ont fourni à la Mythologie, nous pouvons rendre service à nos semblables, en les avertissant que ces traditions, telles que nous les avons reçues des Anciens renferment une infinité d'autres emblèmes, pour lesquels il est de toute impossibilité d'admettre le même sens et les mêmes rapports ; parce que leur type ne se trouve ni dans la terre, ni dans les astres, ni dans aucun Etre corporel.

Ceux qui ont donné ces interprétations de la Mythologie, en ont fait descendre également l'Art de l'Ecriture et de la Peinture, comme devant servir à transmettre les signes visibles des lois et des faits, donc les Nations voulaient perpétuer la mémoire et l'intelligence. Ils ont expliqué par ce même principe tous les emblèmes de l'idolâtrie, prétendant que les figure hiéroglyphiques qu'elle employait, n'étaient que la représentation symbolique des objets matériels de son culte.

Ils ont cru en trouver des preuves dans les traditions des Hébreux, où un Prophète parle des Peintures sacrilèges qu'il aperçut sur les murs du Temple de Jérusalem, et devant lesquelles les Anciens d'Israël et le Grand Prêtre même, tenant l'encensoir à la main, semblaient offrir des sacrifices criminels. Tout ce que nous nous permettrons de dire sur cette interprétation, c'est qu'il serait à souhaiter qu'elle fût aussi vraie qu'elle est ingénieuse.

Des observateurs ont réfuté avant moi le système que je viens de combattre relativement à l'agriculture ; mais après l'avoir détruit, ils ne l'ont pas remplacé. Car, dire aux hommes que la Mythologie n'a voulu peindre que le feu vivant de la Nature, et que leur unique objet doit être d'en disposer pour la réparation de leurs forces, et pour la conservation de leur forme corporelle ; c'est leur donner, il est vrai, une grande idée, mais ce n'est pas leur donner le complément de la vérité ; puisque les hommes ont encore une destination plus élevée. Ainsi, c'est tomber dans le cas des Philosophes hermétiques, dont nous allons observer les dogmes et la doctrine.

La règle qui exige que les types soient supérieurs aux figures, aux symboles et aux hiéroglyphes, s'applique également à l'opinion de ceux qui ne voient dans les traditions anciennes, que les procédés de l'Art hermétique ; qui n'aperçoivent dans les Divinités de la Mythologie, que les emblèmes des matières ou des substances premières, sur lesquelles ils prétendent opérer.

Le but de l'Art hermétique, le plus généralement connu, ne s'élève jamais au-dessus de la matière : il se borne pour l'ordinaire à deux objets ; l'acquisition des richesses, la préservation et la guérison des maladies : ce qui, au gré de ses Sectateurs, ne laisse plus de bornes aux désirs et au pouvoir de l'homme, et lui permet d'espérer des jours heureux et d'une durée infinie.

En vain quelques partisans de cette Science séduisante, prétendent-ils obtenir par elle une Science plus noble encore, qui les élèverait autant au-dessus du adeptes matériels que ceux-ci le seraient au-dessus du vulgaire. Ces hommes, très louables dans leurs désirs cessent de l'être, dès que l'on considère par quelle voie ils cherchent à les remplir. 

Car une substance quelconque ne peut produire que des fruits de sa nature : et très certainement les fruits après lesquels ils semblent soupirer, sont d'une nature bien différente des substances qu'ils soumettent à leurs manipulations.

Si l'Art hermétique matériel n'atteint pas au delà des objets matériels, cet Art n'est pas dans une classe plus élevée que l'agriculture ; il est donc évident que les emblèmes et les symboles de la Mythologie lui sont également étrangers, puisqu'ils présentent le langage de l'intelligence, et qu'ils donnent une vie et une action à des facultés qui sont inconnues à la matière.

Ceux qui ont cru voir tant de rapports entre des choses aussi différentes, ne les ont confondus qu'en se laissant séduire par l'uniformité des lois qui leur sont communes. II faut observer des temps, des degrés, des mesures, des poids, des quantités, pour la direction des procédés hermétiques ; il faut de même un poids, un nombre, une mesure pour nous diriger conformément aux lois de notre Nature intelligente.

II faut une précision, une justesse extrême dans toutes les opérations hermétiques ; il faut, avec bien plus de nécessité encore, suivre un ordre fixe et régulier dans la marche intellectuelle

Ce sont ces conformités qui ont abusé les Observateurs. Ils ont attribué à des opérations absolument matérielles, une foule de principes qui ne pouvaient convenir qu'à des objets supérieurs par leur action et par toutes les propriétés qui leur sont inhérentes. Par là il est certain qu'ils ont ravalé les anciens symboles, au lieu de nous les expliquer.

Le mépris des Sectateurs de la Science hermétique vient donc de ce qu'ils ont sans cesse confondu et dans leur doctrine et dans leur œuvre, deux Sciences parfaitement distinctes.

L'amour du Principe suprême n'avait présenté aux hommes les lois de la Nature matérielle, que pour les aider à y reconnaître des traces du modèle vivant qu'ils avaient perdu de vue. Au contraire, les Philosophes hermétiques se sont servi de cette similitude entre le modèle et l'image pour les confondre et n'en composer qu'un seul Etre.

Trompés par cette idée précipitée, les Philosophes hermétiques n'ont pas vu que la simple Physique matérielle, à laquelle ils ont appliqué tous leurs efforts, ne méritait point ces mystères, ni ce langage énigmatique et enveloppé que présentent les anciens emblèmes ; ils n'ont pas vu que, s'il existait une Science digne de l'étude et des hommages de l'homme, c'était celle qui mettait sa grandeur en évidence, en l'éclairant sur son origine, et sur l'étendue de ses facultés naturelles et intellectuelles.

On peut donc dire que si leur objet n'est pas chimérique dans tous les sens possibles, la voie qu'ils suivent est au moins très étrangère au véritable emploi de l'homme et tout à fait opposée à celle de la vérité, qu'ils semblent tous honorer.

Premièrement, ils attaquent cette vérité, en prétendant l'égaler dans leur pauvre, et en cherchant à faire les mêmes choses qu'elle, sans son ordre ; quoiqu'ils se défendent de cette inculpation, en disant avec raison qu'ils ne créent point.

Secondement, ils attaquent cette vérité, de la manière la plus insensée, en cherchant à faire son œuvre par une voie opposée à celle qu'elle a suivie dans toutes ses productions. Ainsi, n'agissant pas par voie virtuelle, ils ont beau se procurer l'esquisse de toutes les Natures, ils ne retirent jamais que des fruits muets, silencieux, sans vie, sans intelligence, devant lesquels ils se prosternent, il est vrai ; comme s'ils les avaient reçus de la Vérité même : mais ils cesseraient de les exalter, s'ils en connaissaient la source et l'origine : et, tout en jouissant de ces fruits, ils gémiraient sur les procédés qui les leur procurent, et sur la médiocrité des avantages qu'ils en peuvent espérer.

En effet, les procédés de l'Art hermétique ne peuvent ébranler le siège du Principe sans ébranler le principe lui-même, puisque c'est là qu'il règne et qu'il agit. Or n'est-ce pas tenir une marche absolument contraire à la nature des Etres matériels que de vouloir en gouverner le Principe, par une autre action que celle qui est analogue à sa propre essence ? Ne Viole-t-on pas par là l'ordre établi, tant pour la Nature temporelle matérielle, que pour la Nature temporelle immatérielle ?

D'ailleurs ce Principe étant actionné par une autre loi que celle qui lui est propre, et ne recevant ainsi qu'un ébranlement faible et passager ne rend de même qu'une action faible et passagère.

Voilà pourquoi ces résultats ne parlent qu'à la vue ; pourquoi l'on ne peut les apercevoir qu'à la faveur de la lumière élémentaire naturelle, ou artificielle ; pourquoi ils n'ont qu'un temps ; et pourquoi, ce temps étant passé, ils ne se manifestent plus ; enfin, pourquoi ils n'ont aucune des conditions indispensables pour être vrais, pour fournir des preuves qu'ils ont été extraits par la bonne voie, et pour montrer qu'ils ont effectivement en eux le germe de leur feu et de leur vie.

Ceci, je sais, ne sera compris que par les Phylosophes hermétiques et par des hommes instruits dans des Sciences plus profondes et plus essentielles que la leur. Cependant ceux qui ignorent les procédés de l'Art hermétique, et qui ne connaissent aucun des fruits qui peuvent en provenir, m'entendront assez pour apprendre à discerner ces fruits, s'ils avaient un jour occasion d'en apercevoir, et pour se tenir en garde contre l'abus des expressions employées par les Partisans de cette Science ; car parmi ceux-ci, il en est qui sembleraient assez habiles, et assez persuadés, pour être dangereux : mais leur est-il possible d'être de bonne foi, en suivant le culte des substances corruptibles : et en se dissimulant qu'ils ne recherchent avec tant d'ardeur un esprit qui soit matière, que pour pouvoir se passer de celui qui ne l'est pas ?

Cet abus d'expressions, cette confiance, ou plutôt ces illusions se montrent à découvert dans les prétentions de la plupart des Philosophes hermétiques, qui se flattent de pouvoir opérer sur la matière première.

Tous les procédés sensibles et matériels, loin de tomber sur la matière première ne peuvent jamais avoir lieu que sur la matière seconde et mixte : attendu que la matière première ne peut être sensible ni à nos mains, ni à nos yeux, ni à aucun de nos organes, qui ne sont eux-mêmes que matière seconde et composée.

D'ailleurs, quelle disproportion n'y a-t-il pas entre le feu grossier et déjà déterminé qu'ils emploient, et le feu fécond et libre, qui sert d'agent à la Nature ? Et que peuvent-ils attendre de leurs vains efforts s'ils comparent l'objet de leurs désirs, avec ce qu'ils recevraient par la jouissance et l'emploi d'un feu plus pur et moins destructeur ?

Nous ne rappellerons point ce qui a été dit dans l'Ouvrage déjà cité, sur la différence de la matière première et de la matière seconde, ou, si l'on veut, sur la différence des corps et de leur Principe. Il suffit de dire que cette matière première, ou ce Principe des corps, est constitué par une loi simple, et qu'il participe à l'unité, ce qui les rend indestructible, au lieu que la matière seconde, où les corps sont constitués par une loi composée, qui ne se montre jamais dans les mêmes proportions et qui par là rend incertains et variables tous les procédés matériels de l'homme.

A défaut d'avoir fait ces distinctions importantes, les Philosophes hermétiques sont à tout instant dupes de leur première méprise ; et leur doctrine, ainsi que leur marche, conduit à l'erreur tous ceux qui se laissent séduire par le merveilleux des faits qu'ils nous
présentent.

L'usage où ils sont d'employer la prière pour le succès de leur œuvre, et leur persuasion de ne pouvoir jamais l'obtenir sans cette voie, ne doit point en imposer. Car c'est ici où leur erreur se manifeste avec plus d'évidence ; puisque leur travail se bornant à des substances matérielles, ne s'élève point au-dessus des causes secondes.

Or ces causes secondes étant par leur nature au-dessous de l'homme, ce n'est pas le tromper que de lui dire qu'il est fait pour en avoir la disposition. Si les Philosophes hermétiques ont assez d'expérience et de connaissances pour préparer convenablement les ,substances fondamentales de leur œuvre, et que cet œuvre soit possible, ils doivent donc y parvenir avec certitude, sans qu'il soit besoin pour cela d'interposer d'autre Puissance que celle qui est inhérente à toute la matière, et qui constitue sa manière d'Etre.

D'ailleurs, il est un danger presque inévitable, auquel le Philosophe hermétique est exposé : c'est qu'en priant pour son œuvre, il n'arrive que trop souvent qu'il prie sa matière même. Plus les fruits qu'il obtient, paraissent parfaits et dégagés des substances grossières, plus il est tenté de croire qu'ils approchent de la Nature divine : parce que ses sens voyant quelque chose de supérieur à ce qu'il aperçoit ordinairement, il est séduit par ces apparences, et croit avoir des motifs très légitimes pour se justifier son erreur. Par cette voie les Philosophes hermétiques, s'enfonçant dans de nouvelles ténèbres, perpétuent les tristes suites de leur enthousiasme et de leurs préventions.

Je m'arrête peu au motif qui les empêche de révéler leurs prétendus secrets, à cette crainte qu'ils affectent, que si leur science devenait universelle, elle n'anéantît les Sociétés civiles et les Empires, et ne détruisît l'harmonie qui paraît être sur la Terre. Comment leur science pourrait-elle devenir universelle, si comme ils l'enseignent, elle ne peut être le partage que du petit nombre des Elus de Dieu ? Et d'ailleurs qu'est-ce que les Sociétés civiles et les Empires auraient à regretter, si en changeant de forme, ils ne renfermaient plus dans leur sein que des hommes vertueux, et assez instruits pour savoir éloigner les maladies de leurs corps, les vices de leur cœur, et l'ignorance de leur esprit ?

Réunissant à toutes ces observations, la grande loi de l'infériorité que doivent avoir les emblèmes envers leur type, on reconnaîtra que la Philosophie hermétique n'a pu être le premier but ni le type réel des allégories de la Fable. Il serait contre la vraisemblance, que la nature de l'homme éclairé l'eût porté à imaginer l'intervention des Divinités, pour voiler une Science qui se contredit et qui les injurie : une Science qui nourrit cet homme de l'espoir de l'immortalité, et qui le dispense de la tenir de leur main ; qui leur promet, sans leur secours, les droits les plus puissants sur la nature ; qui, si elle est possible dans toute son étendue, doit se trouver dans les simples lois des substances élémentaires et dès lors inférieures à la science vraiment propre à l'homme qui, si elle a une source plus élevée, n'est plus à notre disposition : qui enfin renferme en elle seule, plus d'illusions et de danger que toutes les autres Sciences matérielles ensemble, parce qu'étant fausse comme elles dans sa base et dans son objet, elle a néanmoins par ses procédés, par sa doctrine et par ses résultats, plus de ressemblance avec la vérité.

Si dans les différentes classes de philosophes hermétiques il en est qui semblent prendre un vol plus élevé et qui prétendent parvenir à l'œuvre, sans employer aucune substance matérielle, nous ne pouvons nier que leur marche soit fort distinguée : mais nous ne trouverons pas leur objet plus digne d'eux, ni leur but plus légitime.

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Chapitre XI