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Tableau naturel des rapports qui existent
entre Dieu, l'Homme et l'Univers.

L.C. de St Martin

par Louis-Claude de Saint-Martin

VII

Sans nous occuper davantage de ces travaux futures, auxquels l'homme a livré sa postérité, considérons ceux auxquels il est condamné sur la terre par une suite de son incorporisation matérielle.

L'homme n'avait reçu l'être que pour exercer son action sur l'universalité des choses temporelles, et il n'a voulu l'exercer que sur une partie ; il devait agir pour l'intellectuel contre le sensible, et il a voulu agir pour le sensible contre l'intellectuel : enfin, il devait régner sur l'Univers ; mais, au lieu de veiller à la conservation de son Empire, il l'a dégradé lui-même, et l'Univers s'est écroulé sur l'Etre puissant qui devait l'administrer et le soutenir.

Par une suite de cette chute, toutes les vertus sensibles de l'Univers, qui devaient agir d'une manière subordonnée à l'homme dans la circonférence temporelle ont agi en confusion sur lui, et l'ont comprimé avec toute leur force et toute leur puissance. Au contraire, toutes les vertus intellectuelles, avec lesquelles il devait agir de concert, et qui devaient lui présenter une unité d'action, se sont trouvées partagées pour lui, séparées de lui, et se sont enfermées chacune dans leur sphère et dans leur région ; de façon que ce qui était simple et un pour lui, est devenu multiple et subdivisé ; ce qui était subdivisé et multiple, s'est congloméré et l'a écrasé de son poids ; c'est-à-dire, que pour lui le sensible a pris la place de l'intellectuel, et l'intellectuel celle du sensible.

Il est des rapports non équivoques, qui nous indiquent en effet que toutes les forces physiques de la Nature servirent d'entraves à ce malheureux homme au moment de sa chute ; et de même que le corps que nous portons et qui nous asservit, est un extrait de tous les fluides, feux, liqueurs et autres substances de l'individu corporel qui l'a engendré, de même les chaînes du premier homme coupable furent composées de l'extrait de toutes les parties du grand Monde : ce qui fait que secondairement à lui, nous pouvons regarder notre corps comme étant aussi une image de cet univers matériel.

En s'asservissant au sensible, non seulement l'homme a été séparé des vertus intellectuelles et supérieures, avec lesquelles il concourait par sa puissance mais il a même laissé mélanger et amalgamer ses propres vertus avec toutes les parties de sa prison, et nous avons des indices de ce mélange et de l'origine matérielle du premier homme, dans la loi de génération particulière par laquelle l'homme actuel parvient à la vie.

Le corps de l'homme, avant sa formation individuelle, est répandu dans toute la forme du père ; il est uni à toutes les puissances qui sont dans son principe générateur. Quand le moment de la naissance est arrivé, le germe corporel répandu dans la forme universelle du père se concentre, se rassemble en un point. Alors il s'exile et s'ensevelit dans le sein ténébreux de la femme où mélangé avec les fluides impurs et enveloppé de mille barrières, il n'a pas même la jouissance de l'air où ses organes les plus parfaits sont sans fonction et où il ne reçoit la vie et les secours des éléments que par un point passif tandis que la destination de l'homme était de correspondre activement avec toute la Nature.

Telle est l'image du premier état corporel de l'homme coupable qui, banni de sa sphère universelle, fut jeté ignominieusement dans la forme ou la prison matérielle des hommes : qui n'éprouvant là qu'une opposition universelle à sa véritable action, y fut réduit à la privation la plus entière, et n'offrit plus qu'un mélange honteux de ses propres vertus avec toutes les substances hétérogènes qui formaient son obscure demeure.

Dans cet état, quels ont dû être les premiers mouvements de l'homme ? Ça a été de se dégager de ces masses étrangères qui l'accablaient ; ç'a été de séparer péniblement ses propres vertus d'avec toutes les matières impures avec lesquelles elles étaient confondues ; enfin, ç'a été de réunir toutes ses forces pour sortir de dessous les décombres de l'Univers.

Mais des lois positives s'opposant à ce qu'un Etre puisse s'allier avec ce qui lui est contraire sans porter l'empreinte et les traces de son amalgame, il fut impossible au premier homme de sortir de son cloaque avec la même pureté, la même agilité qu'il avait avant de s'y précipiter ; et voilà pourquoi l'homme particulier après avoir séjourné dans le sein de la femme, après y avoir exercé l'action dont il est alors susceptible pour démêler son germe sensible d'avec tous les liens et les entraves qui le resserrent paraît au jour renfermé dans une forme plus opaque que le fluide subtil qui enveloppait son propre germe.

Après que l'homme primitif eût surmonté cet obstacle, il lui resta un pas très considérable à faire ; ce fut de s'unir successivement aux forces des divers éléments qui agissaient dans son atmosphère ; telle est aussi la tâche de l'homme particulier qui, après avoir été admis à la lumière élémentaire, languit encore longtemps avant d'accoutumer ses yeux à son éclat, son corps aux impressions de l'air et ses organes aux différentes lois établies pour les formes corporelles.

Nous ne voyons jusqu'ici pour l'homme qu'un travail corporel et physique : toutes ces choses se passant dans l'ordre élémentaire, et par des causes non libres, on n'y distingue point les signes vrais des travaux de l'homme intellectuel ; mais on y découvre au moins leur loi et leur nécessité ; et de même qu'en recevant la naissance, l'homme est censé avoir rassemblé en lui ses vertus physiques et particulières, avec lesquelles il peut parvenir à participer aux forces universelles de l'atmosphère, qu'il a quittées et qui sont extérieures à lui ; de même l'homme intellectuel, délivré de sa première prison, et admis avec sa forme matérielle sur la terre, doit travailler à recouvrer successivement ses propres forces et ses propres vertus intellectuelles, avec lesquelles il peut tendre à recouvrer celles dont il a été séparé par le crime.

Mais ce que l'homme physique fait d'une manière passive et aveugle dans le corporel, l'homme intellectuel doit le faire par les efforts constants et libres de sa volonté. C'est par-là qu'il peut se délivrer de la mort à laquelle il s'était dévoué en se concentrant dans une action particulière. Car les corps eux-mêmes se détruisent quand leur action se porte en un seul point et abandonne les autres parties de la forme. Or, de même que les corps affectés de maladie ne peuvent échapper à la mort, que quand l'action qui s'est isolée en eux redevient général : de même l'homme intellectuel, qui s'est réduit volontairement à une classe inférieure et bornée, doit généraliser tout son Etre, et en étendre les vertus jusqu'aux extrémités de son enceinte particulière, s'il veut atteindre jusqu'à cette enceinte universelle et sacrée dont il s'est banni.

Enfin, la volonté étant en quelque sorte le sang de l'homme intellectuel et de tout Etre libre ; étant l'agent par lequel seul ils peuvent effacer en eux et autour d'eux les traces de l'erreur et du crime, la revivification de la volonté est la principale tâche de tous les Etres criminels : et vraiment, c'est un si grand œuvre, que toutes les puissances y travaillent depuis l'origine des choses, sans avoir encore pu l'opérer généralement.

Il y aurait ici à présenter de nouveaux rapports très exacts entre l'incorporisation matérielle de l'homme particulier et celle de l'homme en général ; et on pourrait en suivant les lois de la génération dans tout son cours, s'instruire d'une manière positive sur la punition du premier coupable, sur le temps qu'il a séjourné dans sa première prison, sur le moment fixe où il en est sorti. "On pourrait y découvrir l'origine de l'Univers même, et l'action des agents de toutes les classes, en y voyant opérer tous les nombres ; on y apprendrait la différence de la division régulière du cercle d'avec sa division irrégulière, pourquoi la grosseur du placenta est en raison inverse de l'accroissement du fœtus ; pourquoi les mouvements de ce fœtus ne sont jamais sensibles avant le terme de trois mois, ni plus tard que celui de six ; pourquoi il prend d'abord dans le sein de sa mère une forme sphérique ; pourquoi, à un terme plus avancé, il se trouve avoir la tête en haut, la face en avant ; pourquoi, vers la fin du huitième mois, il se prosterne, et se dispose à venir ramper sur la terre ; enfin, pourquoi il a tant de penchant au sommeil après sa naissance."

Mais, pour faire les rapprochements de ces faits à leurs types, il faut être habitué à un genre d'observations peu connu de la plupart des Lecteurs, et dont ils ne sentiraient pas les résultats, dès qu'ils n'en possèdent pas les bases.

Bornons-nous donc à remarquer que le premier travail que l'homme intellectuel ait à faire, après avoir séparé et dégagé péniblement ses propres vertus ensevelies sous les ruines de son trône, c'est de s'unir à celles de l'Etre le plus voisin de lui, ou à celles de la Terre ; et de même que l'homme corporel enfant est obligé pendant un temps de tirer sa substance du lait de la femme, de même l'homme intellectuel est obligé de commencer par la Terre, à recouvrer les lumières qu'il a perdues et qui sont aujourd'hui subdivisées pour lui dans toutes les régions ; car la Terre est la mère et la racine de l'Univers.

Toutes les lois physiques et intellectuelles que nous venons de présenter sur la marche nécessaire de l'homme dégradé lui sont si naturelles, que dans l'ordre humain même, l'homme temporel les met tous les jours en action, et démontre sans cesse cette activité essentielle à notre Etre, quoiqu'il se trompe si souvent sur ce qui devait en être l'objet.

Quand l'homme ambitieux et avide cherche avec tant d'ardeur à se distinguer de ses semblables ; quand les hommes privés et les Souverains reculent les limites de leurs Domaines et de leur Empire et voudraient les porter jusqu'aux extrémités du Monde, ils ne font que suivre, d'une manière fausse, la loi de leur nature, qui répugne à des bornes et à des entraves ; c'est-à-dire qu'ils représentent ce que l'homme vrai devrait faire, en rapportant jusqu'aux confins de son domaine, ces bornes physiques et matérielles qui auraient dû toujours conserver relativement à lui leur distance naturelle. C'est même cette loi ineffaçable, qui opérant avec toute son intégrité sur les enfants, leur donne cette activité tumultueuse, cette impulsion destructive que les hommes peu réfléchis taxent de vice et de méchanceté, tandis qu'elle n'est que l'effet de l'opposition nécessaire qu'un Etre vrai et universel doit éprouver de la part de tous les objets faux et rétrécis avec lesquels il est emprisonné.

Quand, d'un autre côté, l'homme industrieux cherche à rassembler autour de lui les productions précieuses de la Nature ; qu'il ne craint point de se transporter jusqu'aux lieux les plus éloignés, pour en rapporter des raretés de toute espèce, et les réunir sous ses yeux ; quand le savant Naturaliste fait voyager sa pensée dans tous les climats ; qu'il poursuit toutes les découvertes et qu'il impose par là une sorte de tribut universel sur la Nature terrestre ; quand enfin le Chimiste cherche par la destruction des enveloppes des corps, à pénétrer jusqu'aux Principes auxquels ils doivent l'existence, tous ces travaux ne sont que l'image de ce que l'homme doit faire ici-bas ; et lui enseignent qu'il est destiné à rapprocher de lui toutes les parties de son empire.

Il est donc vrai qu'après avoir reçu dans un lieu ténébreux une enveloppe grossière, après avoir rallié en lui les forces intellectuelles qui lui sont propres, l'homme a encore à multiplier ces mêmes forces ; en les réunissant à celles qui sont extérieures à lui, il a, dis-je, à recueillir les vertus de tous les règnes terrestres ; à distinguer toutes les espèces de chaque règne, et même les caractères particuliers de chaque individu ; il a enfin à scruter jusqu'aux entrailles de la Terre, pour y apprendre à connaître les désordres qui font l'horreur et la honte de notre triste demeure, lesquels nous sont indiqués soit par les métaux qui n'ont point d'huile, soit par la fureur des volcans, soit par le grand nombre d'insectes et d'animaux malfaisants et vénéneux, qui sont bannis de dessus de la terre, et se cachent dans ses gouffres, comme si le jour leur était interdit.

Et c'est ici, où les travaux de l'homme dans son séjour terrestre, se peignent avec toute leur âpreté ; car, en rappelant l'exemple temporel de l'homme avide, ambitieux, curieux, industrieux et adonné aux sciences vulgaires, on voit les énormes obstacles, qu'il doit journellement rencontrer avant de pouvoir satisfaire ses désirs.

Des mers à traverser, des précipices à franchir, des Nations entières à réduire, des intempéries de tout genre à éprouver, des régions impures à parcourir, des privations et des lenteurs à subir par les retards et les variétés des saisons ; voilà l'état journalier de l'homme intellectuel dont l'homme temporel est l'image.

Ce qui rend ces travaux si imposants, c'est que l'homme laisse écouler en vain le nombre de temps accordé pour les accomplir il lui faut un second nombre de temps plus considérable, plus pénible que le premier attendu qu'il a alors et la première et la seconde force à acquérir. Si pendant ce second nombre de temps, ce malheureux homme ne remplit pas mieux sa tâche qu'il ne l'a fait dans le premier, il en faut nécessairement un troisième encore plus rigoureux que les deux autres, et ainsi de suite, sans qu'on puisse se fixer d'autres termes à ses maux, que ceux qu'il leur fixera lui-même, en sacrifiant toutes les vertus qui sont en lui.

S'il dérobe une partie de l'holocauste celui qui les reçoit, lui retient aussi une partie de sa récompense, jusqu'à ce qu'il se soumette à payer sans réserve un tribut qu'il ne peut rendre efficace et complet, qu'en y faisant contribuer tout son Etre.

Cependant ce tribut, ce sacrifice, cette œuvre enfin, l'homme n'a que le moment de sa vie corporelle pour le déterminer ; car la vie terrestre est la matrice de l'homme futur ; et de même que les Etres corporels apportent et conservent sur cette terre, la forme, le sexe et les autres signes qu'ils ont puisés dans le sein de leur mère ; de même l'homme portera dans une autre terre, le plan, la structure, la manière s'être qu'il se sera fixée lui-même pendant sont séjour ici-bas.

S'il en parcourt inutilement l'intervalle, loin de se revivifier, il ne fait que se rendre inhabile à connaître jamais la vie, comme ces plantes maigres et viciées, qui non seulement voient passer en vain sur elles les rayons du soleil, mais qui ne font que se dessécher d'autant plus à sa chaleur et perdre le peu de suc qui leur restait pour s'améliorer et devenir fertile.

Tels sont les dangers qui nous menacent depuis la corruption et la chute du Premier coupable ; tel est l'état de l'homme dans son séjour ténébreux, où non seulement il ne connaît pas son propre nom, mais encore, où pressé du poids de toutes les sphères et de toutes les actions auxquelles il s'est assujetti, il peut en être opprimé, s'il n'emploie utilement tous les efforts de sa volonté et le secours favorable qui lui est encore offert, pour soutenir leur violence et pour en diriger les effets à son avantage. Car l'activité de ces Puissances formidables est d'autant plus douloureuse pour lui, tant qu'il est réduit à lui-même, que ne jouissant pas de leur lumière, il ne sait où fuir pour en éviter le choc et la poursuite ; enfin, placé entre des abîmes et des forces imposantes qui le compriment, il est à chaque instant exposé à être froissé, déchiré ou à tomber dans les précipices qui sont toujours ouverts sous ses pas.

Dans cette affligeante dégradation, n'apercevant plus les propriétés fixes et simples de l'unité, il est réduit à errer autour du temple qui les renferme, et dont il s'est lui-même interdit l'accès ; s'il peut seul, par sa persévérance, parvenir quelquefois jusqu'au pied de cet auguste enceinte, et entendre de loin le son des cantiques, que des voix pures y prononcent avec des paroles de feu ; ces voix ne trouvant plus la même pureté dans la sienne, ne peuvent lui permette de s'unir avec elles, ni de se mêler à leurs concerts. Et voilà quelles sont les suites du premier crime de l'homme, par rapport à toute sa postérité.

Ces suites funestes ne se bornent pas à l'homme, elles s'étendent sur tous les Etres sensibles et sur toutes les parties de l'Univers : puisque rien de ce qui compose le temps, ne peut se soustraire aux souffrances, conformément à la définition que nous avons donné du temps.

En effet, l'homme choisi par la Sagesse suprême pour être le signe de sa justice et de sa puissance, devait resserrer le mal dans ses limites, et travailler sans relâche à rendre la paix à l'Univers. Et se sublime destination annonce assez quelles doivent être ses vertus puisque lui seul devait posséder toutes les forces partagées entre tous les Etres rebelles.

Mais, s'il a laissé corrompre sa virtuelle activité ; si au lieu de subjuguer le désordre, il a fait alliance avec lui, ce désordre a dû s'accroître et se fortifier, au lieu de s'anéantir ; et cette enceinte universelle, qui servait de borne au Mal, a dû être d'autant plus exposé à ses attaques et à son action. Ce qui doit faire concevoir comment tous les Etres de la région sensible peuvent être aujourd'hui dans un plus grand pâtiment, ou un plus grand travail, qu'ils ne l'étaient avant le crime de l'homme.

Il faut convenir néanmoins que les pâtiments naturels de ces Etres sensibles ne peuvent se comparer à ceux de l'homme ; parce que l'homme ayant un principe de plus qu'eux, est susceptible de peines et de plaisirs qui leur sont tout à fait inconnus.

Il serait à présumer aussi qu'il existe des différences entre les pâtiments des Etres qui composent la classe matérielle. Si la plante souffrait, ce serait moins que l'animal : si le minéral souffrait, ce serait moins que la plante et l'animal, vu la différence des principes qui constituent ces trois règnes. Mais, pour ne point ralentir notre marche, nous comprendrons sous la dénomination d'Etres sensibles et corporels, tout ce qui est en action dans la Nature, et tout ce qui est corps de matière, laissant à l'intelligence du Lecteur à faire les distinctions particulières que l'immensité des détails peut exiger.

On se demandera comment il se peut que les Etres sensibles et corporels de la Nature, qui ne sont pas libres, soient soumis sans injustice aux suites du désordre ?

Les Etres sensibles et corporels de la Nature ne sont que des êtres d'action : comme tels ils ne sont pas susceptible de bien ni de mal par eux-mêmes, et on ne peut leur appliquer aucune lois de la moralité. Tout ce que les notions naturelles nous font comprendre, c'est que le Principe suprême ne les astreint pas à des actions plus fortes que celles qu'il leur a été accordées. Ainsi, à quelque degré que soit portée cette action, comme elle ne peut excéder leurs pouvoirs, la Sagesse est à couvert de l'injustice. Car toutes les puissances existantes venant d'elle, sont soumises à ses droits et à son usage, quand la loi de son conseil lui demande de les employer.

D'ailleurs, cette Sagesse mesure et dispose toutes les forces et toutes les puissances, sur la règle de sa propre gloire : ainsi elle irait directement contre ses intérêts, si elle pouvait permettre à ces puissances de s'étendre au delà de leurs bornes, puisque ce serait les dissoudre et les détruire.

Le pâtiment des Etres sensibles ne nous paraît donc plus choquer la justice ; puisque ces Etres ne sont que les instruments de la Sagesse, et les moyens temporels qu'elle emploie pour arrêter les progrès du mal. Car leur loi particulière et essentielle, fondée sur la base inébranlable de toutes les lois, répugné absolument à l'action rebelle et désordonnée, qui tend sans cesse à déranger cet ordre en eux : aussi ne sont-ils jamais altérés dans leur principe, quoiqu'ils le soient souvent dans les résultats et les effets de ce principe.

Dans ce sens, lorsque les Etres sensibles sont en pâtiment, le décret temporel de la justice est dans la force de son accomplissement ; parce que leur loi combat plus vigoureusement contre la force opposées, qui cherche à les détruire et à faire parvenir le désordre jusque dans le principe de leur action.

On voit par-là, comment les pâtiments des Etres matériels tournent à l'avantage et au maintien de la loi qui les constitue, et comment ils remplissent les Décrets de la Justice divine sur les puissances ennemies, qui n'éprouvent dans ces combats et dans leurs suites, que contrariétés et tourments inexprimables. Car quel plus grand supplice peut-on concevoir que de persévérer dans des efforts opiniâtres, mais impuissants ; qui plus ils sont soutenus, plus ils tournent à la honte et à la rage de ceux qui s'y abandonnent ?

Si des hommes imprudents, observant les pâtiments des Etres sensibles, ont osé condamner les voies de Dieu et le taxer d'injustice, c'est qu'ils n'ont jamais fait attention que l'homme étant destiné à représenter la Divinité dans ses actions, il la représentait aussi dans les moyens par lesquels ces actions se manifestent ; quoique toutes les classes étant descendues, ces rapports ne se découvrent presque plus aujourd'hui que matériellement, ce qui néanmoins est suffisant pour lever la difficulté.

En effet, qu'un père voit son fils attaqué par des malfaiteurs, ou menacé de quelque danger considérable, ce père tendre volera sans doute à son secours, et ne craindra pas, pour le sauver, de mettre en usage toutes les forces et tous les organes de sa propre forme corporelle et sensible. Cependant les membres de ce tendre père ne sont pour rien dans les désordres contre lesquels il les emploie ; et quoiqu'ils puissent être maltraités, blessés, nous n'y voyons pour eux aucune injustice, parce qu'ils ne sont que des êtres subordonnés, et que l'amour paternel qui les commande, justifie toutes les actions qu'il en exige.

Posons pour un moment, que les Etres sensibles universels sont par rapport à la Divinité, ce que sont les organes matériels dans l'exemple cité, et nous ne serons plus étonnés qu'elle les emploie pour venir au secours de l'homme ; quoique ces êtres ou ces organes sensibles n'aient point coopéré aux crimes qui ont exposé l'homme à la mort.

Mais comme l'emploi des êtres sensibles dans le grand œuvre de la sagesse Divine, tient à des lois et à des connaissances supérieures, ce sujet est trop au-dessus de la portée du grand nombre, pour espérer qu'en portant plus loin nos réflexions, elles fussent entendues généralement.

D'ailleurs, indépendamment des souffrances attachées par les lois de la Nature, à tous les êtres sensibles, ils en éprouvent de très considérables qui semblent naître d'une cause étrangère à ces lois ; telles sont les souffrances qui résultent de l'empire de l'homme sur les animaux, et de l'emploi qu'il en fait, soit dans les sacrifices religieux, soit pour ses besoins alimentaires, soit pour différents services et usages, soit enfin pour ses amusements.

Si, pour justifier ce nouveau genre de pâtiments que les religions, les besoins, la cruauté, et la dépravation des sociétés peuvent ajouter aux souffrances naturelles des animaux, je retraçais encore les droits de l'homme, si je rappelais l'étendue de son autorité, l'abus qu'il en fait envers les Etres sensibles, n'en paraîtrait pas sans doute plus excusable, ni les animaux moins innocents.

Telle est néanmoins l'immensité de ses pouvoirs qu'il asservit à son action tout ce qui est destiné à en être l'objet, et de même qu'il ne tiendrait qu'à lui de légitimer jusqu'aux moindres actes de sa puissance, de même il peut les rendre nuls, criminels et pernicieux.

Mais pour calmer toutes les difficultés sur cette vérité profonde, nous ajouterons ici que les vertus supérieures qui n'ont pas participé au crime de l'homme, participent aux suites laborieuses que ce crime entraîne après lui : et si l'homme a pu porter les influences pénibles de ses désordres jusque sur des Anges libres, sur les Ministres de la sagesse Divine, il n'est pas étonnant qu'il puisse les étendre aussi sur des simples objets passifs, sur des objets de dépendance et de servitude.

Or ce que nous avons dit des différents pâtiments des êtres corporels, en raison des différentes principes qui les constituent, nous pourrions le dire également des êtres qui sont au-dessus de l'ordre élémentaire, et au-dessus de l'homme. Nous pourrions montrer quelle est leur souffrance, ou plutôt la vivacité de leur zèle et de leur ardeur pour le rétablissement de l'ordre, puisqu'ils communiquent à tous les Principes et à toutes les Puissances. Nous dirions que plus un Etre est voisin de la Vérité, plus il souffre de ceux qui la nient et qui la combattent.

Et en effet, il la voit : première cause de pâtiments et d'affliction, quand il aperçoit que des êtres qui tiennent d'elle toute leur force et jusqu'à leur moindre mouvement, sont assez insensés pour prétendre en détruire les pouvoirs et l'existence.

En second lieu, il la sent ; il en connaît, par une jouissance continue, toute la douceur : nouvelle cause de pâtiment et d'affliction ; quand il voit des Etres divins par leur origine, s'éloigner de la source de leur vie, et vouloir, pour ainsi dire, le forcer à se séparer d'elle et à s'en arracher avec eux.

On pourrait juger de là quelles doivent être les douleurs que produisent l'intérêt et l'amour dans les Etres qui touchent à la Vérité même : qui sont comme unis et confondus avec elle ; et qui étant destinés à en contempler en paix, l'ordre et l'harmonie, sont forcés de détourner leurs regards de ce spectacle ravissant, pour les porter sur le désordre et la confusion.

Quel crime peut donc égaler celui de l'homme, s'il n'est rien dans la Nature matérielle et immatérielle qui ne s'en ressente, et si toute la chaîne des êtres en est ébranlée ?