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Tableau naturel des rapports qui existent
entre Dieu, l'Homme et l'Univers.

L.C. de St Martin

par Louis-Claude de Saint-Martin

VI

Ce serait ici le lieu de jeter du jour sur le premier crime de l'homme : nous pourrions même remarquer à ce sujet, que l'homme n'apporte au monde que des regrets et non pas des remords ; encore ces regrets sont-ils ignorés du plus grand nombre, parce qu'on ne peut avoir de la douleur que pour les maux qu'on connaît, parce qu'on ne peut connaître et sentir les maux premiers qu'avec beaucoup de travaux, et que la plupart des hommes n'en font aucun. Voilà ce qui rend la vérité de ce crime si incertaine à leurs yeux, tandis que ses effets sont si manifestes.

Je pourrais ajouter que dans l'ordre social, quand un homme a manqué à l'honneur, on le renvoie dans la classe de ceux qui n'ont point d'honneur ; qu'ainsi, en observant ici-bas quel est le principal attribut qui manqua aux Etres avec lesquels nous sommes confondus, il doit être facile d'apercevoir quelle est la nature du premier crime.

Mais, sans discuter les différentes opinions qui ont régné sur cet objet, nous pouvons croire que le crime de l'homme fut d'avoir abusé de la connaissance qu'il avait de l'union du principe de l'Univers avec l'Univers. Nous ne pouvons douter même, que la privation de cette connaissance ne soit la vraie peine de son crime ; puisque nous subissons tous cette irrévocable punition, par l'ignorance où nous sommes sur les liens qui attachent notre Etre intellectuel à la matière.

La preuve manifeste que cette connaissance ne peut nous être parfaitement rendue, pendant notre séjour sur la Terre, c'est que n'étant dans ce bas Monde, que pour subir la privation de la lumière que nous avons laissée échapper, si nous pouvions recouvrer pleinement cette lumière, nous serions plus en privation et par conséquent nous ne serions plus dans ce bas Monde.

En effet les observations les plus simples sur la lumière élémentaire, nous montrent à quel degré il faudrait nous élever pour atteindre à la lumière intellectuelle ; car les lois de ces deux sortes de lumière sont semblables. Outre la nécessité d'un Principe primordial et générateur, il faut à l'une et à l'autre une base, une réaction et une classe d'Etres susceptibles d'en être les témoins et de participer à ses effets : ce qui annonce que la lumière sensible, et la lumière intellectuelle n'agissent, ne procèdent et ne se manifestent que par un quaternaire. Et ce n'est pas sans raison que la lumière élémentaire est au rang des plus admirables phénomènes de la nature matérielle, puisqu'elle ne peut être complète dans son action et dans ses effets, sans exercer et mettre en jeu les quatre points cardinaux de la création universelle.

En ne la considérant que dans ces effets relatifs aux trois règnes terrestres, nous remarquerons que les minéraux étant enfouis dans la terre sont totalement privés de cette lumière ; que les végétaux n'en sont point privés, mais qu'ils la reçoivent sans la voir et sans en jouir ; que les animaux la voient et en jouissent, mais qu'ils ne peuvent ni la contempler ni pénétrer dans la connaissance de ses lois ; enfin que ce dernier privilège est réservé à l'homme seul ou à tout Etre doué comme lui des facultés de l'intelligence.

C'est là où nous apprendrons à reconnaître tout ce qui nous manque pour posséder la lumière intellectuelle ; il y a des Etres intelligents qui sont totalement séparés de cette lumière, il y en a qui n'en sont point séparés, mais qui ne participent à ses effets qu'extérieurement ; il y en a qui en reçoivent intérieurement les rayons, mais qui sont dans une ignorance absolue des voies par lesquelles elle se propage ; il n'y a donc que ceux qui sont admis à son conseil, ou à la science même de celui d'où tout descend, qui puissent recouvrer cette connaissance primitive, parce que ce n'est que là où ils peuvent à la fois recevoir la lumière, la voir, en jouir et la comprendre enfin c'est là où se déploient avec une efficacité supérieure tous les pouvoirs du grand quaternaire parce que dans cette classe suprême résident tous les types des quatre points cardinaux du monde élémentaire.

L'homme n'a point su conserver cette sublime jouissance qui fut jadis son apanage, il a voulu transposer l'ordre de ces quatre points fondamentaux de toute lumière et de toute vérité ; or les transposer, c'est les confondre, et les confondre, c'est les perdre et s'en priver.

C'est pour cela que l'homme est aujourd'hui ravalé dans les classes inférieures, où non seulement il ne connaît plus cette lumière intellectuelle qui malgré tous nos crimes conserve éternellement sa splendeur, mais encore où il a peine à l'apercevoir quelquefois, et où il devient souvent pour elle ce que sont les minéraux par rapport à la lumière élémentaire.

C'est cependant au milieu de cette privation que les hommes imprudents se laissent aller à concevoir des idées, si hasardées sur leur nature, à bâtir des systèmes aveugles sur les liens qui nous retiennent en esclavage ; à nous persuader même que par le suicide nous pouvons parvenir à les briser.

Si Dieu seul connaît les chaînes qui lient notre Etre intellectuel avec la région temporelle, lui seul sans doute a la puissance d'en opérer la rupture : mais ne craignons point de dire qu'il n'en a pas la volonté ; attendu qu'il agirait alors contre sa justice.

L'homme, au contraire, peut bien avoir la volonté de se délivrer de ces entraves étrangères à sa propre nature, mais il n'en a pas la puissance ; car les malheureux qui se donnent la mort croient en vain échapper aux maux et aux châtiments : ils ne peuvent détruire ni éviter une loi qui condamne l'homme injuste à souffrir.

Et en effet, les hommes impurs peuvent être séparés de leurs corps, sans être pour cela séparés de leur âme sensible ; puisque, selon les principes précédents, si leur corps, quoique réel pour les autres corps, n'est qu'apparent pour leur Etre intellectuel, ils doivent être après qu'ils se sont délivrés de ce corps, ce qu'ils étaient pendant qu'ils y étaient enfermés.

Si c'était donc la faiblesse à supporter les douleurs ; si c'était le poison des vices et les vapeurs du crime, qui leur rendaient la vie corporelle insupportable, la mort du corps n'a rien changé à leur situation intellectuelle ; ils sont encore rongés par les mêmes poisons ; ils ont encore les mêmes vapeurs à respirer, les mêmes langueurs à subir ;
"en un mot ils sont comme ces fruits peu mûrs et déjà gâtés, dont la qualité malsaine en change pas, quoiqu'on leur ôte leur enveloppe, et qui recevant par-là plus immédiatement l'action de l'air, ne font que se corrompre d'avantage."

En outre, l'homme pouvant se souiller de plusieurs crimes pendant sa vie, et s'identifier avec une multitude d'objets contraires à son être, il doit, après la mort, éprouver successivement toutes les impressions relatives à ces objets ; il doit se nourrir encore des aflections et des goûts qui lui ont paru les plus innocents pendant sa vie, mais qui n'ayant point à lui offrir un but solide et vrai, laissent son Etre dans l'inaction et le néant.

Ce sont toutes ces substances étrangères qui font alors le tourment du Suicide, comme de tout autre coupable privé de la vie : "et peut-être trouverions-nous ici quelque explication du système de la Métempsycose, dans lequel les hommes, après leur mort, sont encore liés à différents objets élémentaires, et même sont transformés en plantes et en vils animaux ; expressions qui ne sont que la peinture des goûts, des vices, des objets dont l'homme a fait ses idoles sur la Terre." car qui sont ceux dont l'Etre, après la mort, sera assailli par les tourments et les illusions de leur âme sensible ? Enfin, qui seront ceux dont l'Etre vivra sensiblement, quoique séparé de leur corps ? ce seront ceux qui ici-bas auront vécu séparés de leur Etre ?

D'après ce que nous venons de voir, l'imprudent qui par le suicide se précipite dans une nouvelle région avant le temps marqué, n'eut-il commis que ce seul crime, s'expose sans doute à des châtiments plus effrayants, que s'il y fût arrivé avec les forces acquises dans la région visible par sa constance à cultiver les facultés avec lesquelles il devait y combattre. Il est semblable à un prisonnier, qui, pour se remettre en liberté, démolirait sa prison par les fondements, et la ferait s'écrouler sur lui. Ainsi tout acte de notre part, qui n'a pas l'aveu de la nature et de l'ordre, augmente encore les maux et les souffrances attachés à la condition de notre malheureuse postérité.

D'après ces Principes, nous pouvons déjà reconnaître la sagesse et la bonté de l'Etre divin, dont tous les décrets portent le caractère de l'amour. Il ne commande aux hommes que ce qui peut les rapprocher de lui, il ne leur défend que ce qui les en éloigne : et si toutes les lois de la Nature et de la raison proscrivent le suicide, c'est qu'il trompe l'homme, au lieu de le rendre plus heureux.

Je pourrai faire voir que cette sagesse et cette bonté se manifestent également par la naissance de l'homme à la vie terrestre ; puisque c'est le mettre à portée de soulager, par ses combats et ses efforts, une partie des maux que le premier crime a occasionnés sur la terre ; puisque c'est lui confier le secret et l'œuvre de la Divinité même, que de l'admettre à pouvoir concourir, dans sa sphère particulière, à la réparation des désordres de l'espèce humaine. Enfin quelques rigoureux que soient les maux qui nous attendent ici-bas, il suffirait de penser qu'il est possible à l'homme de n'en être point abattu ; que c'est à ses erreurs, et à ses faiblesses qu'il en doit attribuer la plus grande partie ; que dès lors il se pourrait qu'ils fussent nuls et apparents pour lui ; et qu'ainsi c'est peut-être l'homme qui leur donne toute leur valeur. Mais, pour concevoir de semblables vérités, il faudrait s'élever à une sublimité très étrangère à la plupart des hommes, qui ont peine à se former des idées vraies et constantes, sur les résultats mêmes les plus simples d'une justice matérielle ; ainsi je ne m'étendrai point sur cet objet.

L'homme, en s'unissant par une suite de la corruption de sa volonté aux choses mixtes de la région apparente et relative, s'est assujetti à l'action des différents principes qui la constituent, et à celle des différents agents préposés pour les soutenir, et pour présider à la défense de leur loi : et ces choses mixtes ne produisant par leur assemblage que des phénomènes temporels, lents et successifs, il en résulte que le temps est le principal instrument des souffrances de l'homme, et le puissant obstacle qui le tient éloigné de son Principe : "le temps est le venin qui le ronge, tandis que c'était lui qui devait purifier et dissoudre le temps : le temps enfin, ou la région qui sert de prison à l'homme, est semblable à l'eau dont le pouvoir est de tout dissoudre, d'altérer plus ou moins vite la forme de tous les corps, et dans laquelle on ne peut plonger l'or sans qu'il n'y soit privé du dix-neuvième de son poids ; phénomène qui selon des calculs intègres représente au naturel notre véritable dégradation."

En effet le temps n'est que l'intervalle entre deux actions : ce n'est qu'une contraction, qu'une suspension dans l'action des facultés d'un Etre. Aussi, chaque année, chaque mois, chaque semaine, chaque jour, chaque heure, chaque moment, le principe supérieur ôte et rend les puissances aux Etres, c'est cette alternative qui forme le temps. Je puis ajouter, en passant, que l'étendue éprouve également cette alternative, qu'elle est soumise aux mêmes progressions que le temps : ce qui fait que le temps et l'espace sont proportionnels.

Enfin, considérons le temps comme l'espace contenu entre deux lignes formant un angle. Plus les Etres sont éloignés du sommet de l'angle, plus ils sont obligés de subdiviser leur action, pour la compléter ou pour parcourir l'espace d'une ligne à l'autre ; au contraire, plus ils sont rapprochés de ce sommet, plus leur action se simplifie : jugeons par là quelle doit être la simplicité d'action dans l'Etre Principe qui est lui-même le sommet de l'angle. Cet Etre n'ayant pas à parcourir que l'unité de sa propre essence, pour atteindre la plénitude de tous ses actes et de toutes ses puissances, le temps est absolument nul pour lui.

Au contraire, tout le poids du temps se fait sentir à celui qui, étant né pour l'unité d'action, est placé à l'extrémité des deux lignes. Voilà pourquoi de tous les Etres sensibles, l'homme est celui qui s'ennuie le plus ; car étant celui dont l'action naturelle est aujourd'hui la plus distante de celle de son Principe ; étant le seul Etre dont l'action soit étrangère à cette région terrestre, cette action est perpétuellement suspendue et divisée en lui.

On ne peut douter que la véritable action de l'homme n'était pas faite pour être assujettie à la région sensible ; puisque la lumière fait des progrès pour se communiquer à lui, à mesure que l'action sensible l'abandonne et qu'il s'en dépouille ; et puisque loin qu'il doive attendre tout de ses sens, il n'a rien que quand ils sont calmes et dans une espèce de néant pour son intelligence.

Car ce serait une erreur de le juger subordonné au sensible, parce que son esprit suit communément la croissance et la dégradation du corps. Cela peut être vrai dans l'enfance, où chaque homme devant subir les premiers effets de sa dégradation, présente l'exemple d'un asservissement total à l'action des Etres temporels.

Cela peut être vrai aussi, dans un âge plus avancé, si l'homme n'a pas employé sa volonté et son jugement à évaluer les effets des actions sensibles. Mais, de ce que le sensible peut nuire à l'intellectuel et en suspendre l'activité, il ne faudrait pas en conclure que les facultés intellectuelles de l'homme soient le fruit de ses sens, et la production des principes matériels qui agissent en lui : car ne pas tuer, ou donner la vie, sont deux choses différentes. Et l'on ne dira jamais qu'un voile épais est le principe de ma vue, parce que je ne puis rien distinguer quand il couvre mes yeux.

D'ailleurs n'avons-nous pas reconnu qu'au lieu d'apprendre, nous ne faisons que nous rappeler, pour ainsi dire, ce que nous savions déjà, et qu'apercevoir ce qui n'avait jamais cessé d'être devant nous ; qu'ainsi les objets sensibles ne nous donnant rien, mais pouvant au contraire nous enlever tout, notre tâche, en séjournant parmi eux est bien moins d'acquérir que de ne rien perdre ?

En effet, si les lois des êtres sont qu'ils manifestent toutes leurs facultés, sans se confondre avec aucune substance hétérogène ; si tous les Etres physiques suivent exactement ces lois, chacun selon leur classe, quand ils ne sont point gênés dans leurs actes, pourquoi l'homme serait-il seul privé de ce pouvoir ?

En apercevant tant de beautés dans les productions des Etres physiques, dont la loi n'a point été dérangée, nous pouvons donc nous former une idée des merveilles que l'homme ferait éclore en lui, s'il suivait la loi de sa vraie nature, et qu'à l'image de la main qui l'a formé, il tâchât, dans toutes les circonstances de sa vie, d'être plus grand que ce qu'il fait.

Son Etre intellectuel arriverait au dernier terme de sa carrière temporelle, avec la même pureté qu'il avait en en commençant le cours. On le verrait dans la vieillesse unir les fruits de l'expérience avec l'innocence de son premier âge. Tous les pas de sa vie auraient fait découvrir, en lui la lumière, la science, la simplicité, la candeur, parce que toutes ces choses sont dans son essence. Enfin, le germe qui l'anime se serait étendu, sans s'altérer ; et il rentrerait, avec le calme de la vertu, dans la main qui le forma, parce qu'en lui représentant sans aucune altération, le même caractère et le même sceau qu'il en avait reçu, elle y reconnaîtrait encore son empreinte et y verrait toujours son image.

On peut dire que si la plupart des hommes sont tant éloignés d'un pareil calme au moment de cette importante séparation, c'est qu'ils n'ont pas été pendant leur vie assez ingénieux ni assez fiers pour apercevoir leur grandeur et pour la conserver, en sorte que s'étant confondus avec les choses mixtes et temporelles, ils croient qu'ils vont cesser d'être quand celles-ci viennent à les abandonner.

Le nombre des temps que l'homme doit subir pour accomplir son œuvre, est proportionné au nombre des degrés, au-dessous desquels il est descendu ; car, plus le point d'où une force tombe est élevé, plus il lui faut de temps et d'efforts pour y remonter.

Mais pour que l'homme pût acquérir des lumières sur cet objet, il faudrait qu'il nombrât les forces, les facultés et les droits qui lui manquent. C'est sur ce nombre que pose la mesure de son échelle de régénération, ainsi que le poids ou le résultat qui en doit provenir. Or l'homme peut voir d'un coup d'œil quel l'abîme où il est descendu, puisqu'il lui manque autant de vertus qu'il y a d'astres au-dessus de sa tête.

En outre, l'action du temps sur l'homme est proportionnée à la grandeur des vertus inhérentes aux degrés qu'il doit parcourir, parce que plus elles sont puissantes et nécessaires à l'homme, plus la privation doit être longue, pénible et douloureuse pour lui. C'est là ce qui rend son état si cruel et si affligeant ; car si ces degrés sont l'expression et la force des vertus divines, s'ils sont animés des rayons de la vie même, s'ils portent en eux un feu primitif et si nécessaire à l'existence de tous les Etres, il suit que l'homme en étant séparé, sa privation est entière et absolue.

Quand l'homme serait assez heureux pour se former, pendant son séjour sur la terre, un ensemble de lumières et de connaissances, qui embrassât une sorte d'unité, il ne pourrait encore se flatter d'avoir le complément des véritables jouissances, puisqu'elles sont supérieures à l'ordre terrestre : il n'aurait que l'esquisse et la représentation de ces vraies lumières puisqu'ici tout étant relatif, il n'y peut, pour ainsi dire, posséder rien de réel et de vraiment fixe.

"Que l'homme intelligent médite ici sur les lois de l'Astre lunaire, qui nous représentent, sous mille faces, notre privation ; qu'il examine pourquoi cet Astre ne nous est visible que pendant ses jours de matière ; et pourquoi nous le perdons de vue le vingt-huitième jour de son cours, quoiqu'il se lève également sur notre horizon."

Tout se réunit pour prouver à l'homme qu'après avoir parcouru laborieusement cette surface, il faut qu'il atteigne à des degrés plus fixes et plus positifs, qui aient plus d'analogie avec les vérités simples et fondamentales dont le germe est dans sa nature. Enfin il faut  à la mort, qu'il réalise la connaissance des objets, dont il n'a pu apercevoir ici que l'apparence.

"Je peux convenir que ces connaissances supérieures consistent dans l'intelligence et l'usage de deux langues au-dessus des langues communes et vulgaires, puisqu'elles tiennent aux jouissances primitives de l'homme. La première a pour objet les choses Divines et n'a que quatre Lettres pour tout alphabet ; la seconde en a vingt-deux et s'applique aux productions, soit intellectuelles, soit temporelles du grand Principe : le même crime a privé l'homme de ces deux langues. S'il y avait une nouvelle prévarication, il se formerait pour lui une troisième langue qui aurait quatre-vingt-huit Lettres, et qui le reculerait encore plus de son terme."

"J'ajouterai qu'il y a des langues fausses et opposées aux trois dont je viens de parler. Celle qui correspond à la langue Divine, à un alphabet de deux lettres ; celle qui correspond à la seconde en a cinq ; enfin, s'il y avait une nouvelle prévarication, la langue fausse qui l'accompagnerait, aurait cent dix lettres dans son alphabet."

"La connaissance des deux langues pures que l'homme acquiert à sa séparation d'avec les objets terrestres, doivent produire sur lui des effets plus satisfaisants que tout ce que nous pouvons éprouver ici-bas : elles doivent étendre ses jouissances, comme ayant une action plus vivante que les objets de la Nature visible. Mais aussi, s'il doit encore éprouver des suspensions dans sa marche, ces obstacles deviennent plus douloureux pour lui, parce qu'à mesure qu'une force approche de son centre, sa tendance augmente, et le choc des résistances devient plus violent."

Cependant il est inévitable pour l'homme qu'il subisse des suspensions, en parcourant les nouveaux degrés de sa réhabilitation puisqu'ils ne sont que la continuation de cette barrière terrible qui le sépare de la grande lumière, et que la terre n'est que le premier de tous les degrés. Or, s'il y a un espace entre la prison de l'homme et son lieu natal, il est indispensable qu'il le parcourt et qu'il en éprouve successivement toutes les actions.

Si un voyageur agile et curieux arrivait au pied d'un groupe de montagnes entassées les unes sur les autres, et qu'il voulût porter ses pas jusqu'au sommet de la dernière, cachée dans les nues ; il faudrait, qu'après avoir gravi sur la première de ces montagnes, il cessât de monter, et allât horizontalement gagner le pied de la seconde, pour la franchir à son tour, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il fût arrivé au terme de ses désirs. Image sensible de la régénération de l'homme où l'on voit de plus la Sagesse bienfaisante accompagner ses pas, pendant qu'il subit les lois de la justice ; car, lors même que par les différentes suspensions, elle paraît retarder nos jouissances, elle ne se propose que de ménager nos forces, et de nous donner le temps de les renouveler et de les accroître.

L'homme ne peut parcourir les régions fixes et réelles de purification, sans acquérir une existence plus active, plus étendue, plus libre ; c'est-à-dire sans respirer un air plus pur et découvrir un horizon plus vaste, à mesure qu'il approche du sommet désiré : comme nous voyons que plus les principes des corps se simplifient, plus ils acquièrent de vertus : et comme l'air grossier, qui dégagé des substances matérielles, remplit un espace si prodigieux relativement à celui qu'il occupait dans les corps, que l'imagination en est presque effrayée.

Au reste comme les vérités fixes et réelles que l'homme peut atteindre à la mort, tiennent à l'ordre intellectuel, qui est le seul vrai : il n'est pas étonnant que, tant que nous sommes ensevelis dans notre matière, qui est relative et apparente, nous ne nous apercevions pas toujours de ces travaux des autres hommes, déjà séparés de leurs corps, quoique la seule lumière de l'intelligence nous en démontre évidemment la nécessité ; et le même exemple du voyageur peut encore nous servir d'indice sur cet objet, car ceux qui demeurent au pied de la montagne, le perdent de vue, lorsqu'il est parvenu à une certaine hauteur, et ne peuvent cependant former aucun doute sur son élévation et sur son existence, quoique leurs yeux corporels ne le puissent plus suivre dans sa marche.

C'est là ce qui rend nous jugements si incertains sur le sort des hommes, après la séparation de leur Etre intellectuel d'avec leur corps ; puisque nous ne pourrions justifier de pareils jugements, qu'en les appuyant sur une base fixe et déterminée, et que nous n'en possédons que d'apparentes et relatives : "car il en est de cette classe intellectuelle et invisible comme du simple physique élémentaire ; toute la Nature est volatile, et ne tend qu'à s'évaporer ; elle le ferait même en un instant, si le fixe qui la contient lui appartenait ; mais ce fixe n'est point à elle, il est hors d'elle, quoiqu'agissant violemment sur elle ; et elle ne forme jamais d'alliance avec lui, qu'elle ne commence par une dissolution, il y a aussi plusieurs degrés d'alliances et d'amalgames."

Tout ce que nous pouvons donc nous permettre, sur des objets de cette importance, c'est de tirer quelques inductions, d'après de fidèles observations sur la loi des corps.

Ainsi, semblables à ces globules d'air et de feu qui s'échappent des substances corporelles en dissolution, et qui s'élèvent avec plus ou moins de vitesse ; selon le degré de leur pureté et l'étendue de leur action ; nous ne pouvons douter qu'à leur mort, les hommes qui n'auront point laissé amalgamer leur propre essence avec leur habitation terrestre, ne s'approchent rapidement de leur région natale, pour y briller, comme les Astres, d'une splendeur éclatante ; que ceux qui auront fait quelque mélange d'eux-mêmes avec les illusions de cette ténébreuse demeure, ne traversent avec plus de lenteur l'espace qui les sépare de la région de la vie ; et que ceux qui se seront identifiés avec les souillures dont nous sommes environnés, n'y demeurent ensevelis dans les ténèbres et dans l'obscurité, jusqu'à ce que les moindres de ces substances corrompues soient dissoutes, et qu'elles fassent disparaître avec elles une corruption qui ne peut cesser qu'autant qu'elles finiront elles-mêmes.

Et pour donner plus de poids à ces vérités, je dirai qu'à la mort, les Criminels restent sous leur propre justice, les Sages sont sous la justice de Dieu, et que les Réconciliés sont sous sa miséricorde.

Mais ce qui ne nous permet pas de prononcer sur la mesure selon laquelle s'opèrent ces différents actes ou ces différents nombres de temps, c'est que la justice n'agit pas seule, et qu'il y a d'autres vertus, qui se combinant avec elle, ne cessent d'en diriger l'action vers le plus grand bien des Etres, qui est leur retour à la lumière.