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Tableau naturel des rapports qui existent
entre Dieu, l'Homme et l'Univers.

L.C. de St Martin

par Louis-Claude de Saint-Martin

III

Lorsqu'un homme produit une œuvre quelconque, il ne fait que peindre et rendre visible le plan, la pensée ou le dessein qu'il a formé. Il s'attache à donner à cette copie autant de conformité qu'il lui est possible avec l'original, afin que sa pensée soit mieux entendue.

Si les hommes dont l'homme veut se faire entendre, pouvaient lire dans sa pensée, il n'aurait aucun besoin des signes sensibles pour en être compris : tout ce qu'il concevrait serait saisi par eux, aussi promptement et avec autant d'étendue que par lui-même.

Mais étant liés comme lui par des entraves physiques, qui bornent les yeux de leur intelligence, il est forcé de leur transmettre physiquement sa pensée : sans quoi elle serait nulle pour eux en ce qu'elle ne pourrait leur parvenir .

Il n'emploie donc tous ces moyens physiques, il ne produit toutes ces œuvres matérielles que pour annoncer sa pensée à ses semblables, à des Etres distincts de lui, séparés de lui ; que pour tacher de les rapprocher de lui, de les assimiler à une image de lui-même, et en s'efforçant de les envelopper dans son unité, dont ils sont séparés.

C'est ainsi qu'un Ecrivain, qu'un Orateur, manifeste sensiblement sa pensée, pour engager ceux qui le lisent, ou qui l'écoutent, à ne faire qu'un avec lui, en se rendant a son opinion.

C'est ainsi qu'un Souverain rassemble des armées, élève des remparts et des forteresses, pour imprimer aux Peuples la persuasion de sa puissance, et pour leur en inspirer en même temps la terreur; afin que, convaincus comme lui, de cette puissance, ils en aient absolument la même idée, et que, demeurant attachés à son parti, soit par admiration, sait par crainte, ils ne forment qu'un tout avec lui. A défaut de ces signes visibles, l'opinion de l'Orateur et la puissance du Souverain demeureraient concentrés dans eux-mêmes, sans que personne en eût connaissance.

I1 en est ainsi des faits de tous les autres hommes, ils n'ont et n'auront jamais pour but que de faire acquérir a leurs pensées, le privilège de la domination, de l'universalité, de l'unité.

C'est cette même loi universelle de réunion qui produit l'activité générale, et cette voracité que nous avons remarquée précédemment da Nature physique : car on voit une attraction réciproque entre tous les corps, par laquelle, en se rapprochant, ils se substantent et se nourrissent les uns les autres ; c'est par le besoin de cette communication, que tous les individus s'efforcent de lier a eux, les Etres qui les environnent de les confondre en eux et de les absorber dans leur propre unité, afin que les subdivisions venant a disparaître, ce qui est séparé se réunisse ; ce qui est a la circonférence revienne a la lumière, et que par-là l'harmonie et l'ordre surmontent la confusion qui tient tous les Etres en travail.

Pourquoi, si toutes les Lois sont uniformes, n'appliquerions-nous pas à la création de l'Univers, le même jugement que nous avons porté sur nos œuvres ? Pourquoi ne les regarderions-nous pas comme l'expression de la pensée de Dieu, puisque la pensée de l'homme s'exprime dans ses ouvrages matériels et grossiers ? Enfin, pourquoi ne croirions-nous pas que l'œuvre universelle de Dieu a pour objet l'extension et la domination de cette unité, que nous nous proposons nous-mêmes dans toutes nos actions ?

Rien ne s'oppose a ce que nous nous attachions à cette analogie entre Dieu et l'homme, puisque nous en avons reconnu entre les ouvrages de l'un et l'autre : en effet, si toute les œuvres soit de Dieu, soit de l'homme sont nécessairement précédées par des actes intérieurs et par des facultés visibles dont on ne peut contester l'existence, nous sommes fondés à croire que, suivant la même loi dans leurs productions ils ont aussi le même but et le même objet.

Sans nous arrêter à de nouvelles recherches, nous admettrons que tous les Etres visibles de l'Univers sont l'expression et le signe des facultés et des desseins de Dieu, de même que nous avons regardé toutes nos productions comme l'expression sensible de notre pensée et de nos facultés intérieures.

Lorsque Dieu a eu recours a des signes visibles, tels que l'Univers, pour communiquer sa pensée, il n'a pu les employer qu'en faveur d'Etres séparés de lui. Car, si tous les Etres fussent restés dans son unité, ils n'auraient pas eu besoin de ces moyens pour y lire. Des lors nous reconnaîtrons que ces Etres corrompus séparés volontairement de la cause première, et soumis aux lois de sa justice dans l'enceinte visible de l'Univers, sont toujours l'objet de son amour, puisqu'il agit sans cesse pour faire disparaître cette séparation si contraire a leur bonheur.

C'était donc, en effet, par amour pour ces Etres séparés de lui, que Dieu avait manifesté dans tous ses ouvrages visibles, ses facultés et ses Vertus, afin de rétablir entre eux et lui une correspondance salutaire, qui les aida, qui les guérit, qui les régénéra par une nouvelle création ; c'était pour répandre sur eux cette effusion de vie qui pouvait seule les retirer de l'état de mort ou ils languissaient depuis qu'ils étaient isolés de lui ; enfin, c'était pour former leur réunion à la source divine, et pour leur imprimer ce caractère d'unité ; auquel nous tenons nous-mêmes avec tant d'activité dans toutes nos œuvres.

Si l'Univers démontre l'existence de la corruption, puisqu'il la resserre et l'enveloppe, nous devons comprendre quelle pouvait être la destination de la Nature physique, relativement aux Etres séparés de l'unité : « Et ce n'est pas sans but et sans motif, que la masse terrestre, que tous les corps sont comme autant d'éponges imbibées d'eau, et qu'ils la rendent violemment par la pression des Agents supérieurs

La loi de tendance a l'unité s'appliquant à toutes les classes et à tous les Etres, il résulte que le moindre des individus a le même but dans son espace : c'est-à-dire, que les principes universels, généraux et particuliers se manifestent chacun dans les productions qui leur sont propres, afin de rendre par la leurs vertus visibles aux Etres distincts d'eux, qui étant destinés a recevoir la communication et les secours de ces vertus, ne le pourraient sans ce moyen.

Ainsi, toutes les productions, tous les individus de la Création générale et particulière, ne sont, chacun dans leur espace, que l'expression visible, le tableau représentatif des propriétés du principe sait général, soit particulier qui agit en eux. Ils doivent tous porter sur eux les marques évidentes de ce principe qui les constitue. Ils doivent en annoncer clairement le genre et les vertus, par les actions et les faits qu'ils opèrent. En un mot, ils doivent en être le signe caractéristique, et, pour ainsi dire, l'image sensible et vivante.

Tous les Agents et tous les faits de la Nature portent avec eux la démonstration de cette vérité. Le soleil est le caractère du feu principe, la lune celui de l'eau principe, et notre planète celui de la terre principe : tout ce que la terre produit et renferme en son sein, manifeste également cette Loi générale. Le raisin indique la vigne; la datte, un palmier ; la soie, un ver ; le miel, une abeille. Chaque minéral annonce quelle est l'espace de terre et de sel qui lui sert de base et de lien ; chaque végétal, quel est le germe qui l'a engendré ; sans parler ici d'une multitude d'autres signes et caractères naturels, fondamentaux, relatifs, fixes, progressifs, simples, mixtes, actifs et passifs dont l'ensemble de l'Univers est composé, et qui offrent par-là le moyen d'expliquer toutes ses parties les unes par les autres.

Nous en pouvons dire autant des productions de nos Arts et de toutes les inventions de l'homme. Toutes ses œuvres annoncent les idées, le goût, l'intelligence, la profession particulière de celui qui en est l'agent ou le producteur ; une statue offre l'idée d'un Sculpteur; un tableau, celle d'un Peintre ; un palais, celle d'un Architecte ; parce que toutes ces productions ne sont que l'exécution sensible des facultés propres au génie, ou a l'Artiste qui les a opérées ; comme les productions de la Nature ne sont que l'expression de leur principe, et n'existent que pour en être le vrai caractère.

Nous devons combattre ici un faux système, renouvelé dans ces derniers temps, sur la nature des choses, dans lequel on suppose pour elles une perfectibilité progressive, qui peut successivement porter les classes et les espèces les plus inférieures aux premiers rangs d'élévation dans la chaîne des Etres : de façon que, suivant cette doctrine, on ne sait plus si une pierre ne pourrait pas devenir un arbre ; si l'arbre ne deviendrait pas un cheval ; le cheval, un homme ; et insensiblement : Etre d'une nature encore plus parfaite. Cette conjecture dictée par l'erreur, et par l'ignorance des vrais principes, ne subsiste plus dès qu'on la considère avec attention.

Tout est réglé, tout est déterminé dans les espèces, et même dans les individus. Il y a, pour tout ce qui existe, une loi fixe, un nombre immuable, un caractère, indélébile, comme celui de l'Etre principe en qui résident toutes les lois, tous les nombres, tous les caractères. Chaque classe, chaque famille a sa barrière, que nulle force ne pourra jamais franchir.

Les différentes mutations que les insectes subissent dans leur forme, ne détruisent point cette vérité ; puisqu'on observe d'ailleurs une loi constante dans les diverses espèces d'animaux parfaits, qui, chacun dans leur classe, naissent, vivent et périssent sous la même forme ; puisque les insectes même, malgré leurs mutations, ne changent jamais de règne: en effet, dans leur plus grand abaissement, ils sont toujours au-dessus des plantes et des minéraux; et dans leur maniera d'être la plus distinguée, ils ne montrent jamais ni le caractère, ni les lois par lesquelles sont dirigés les animaux plus parfaits. Tout ce qu'on peut se permettre a leur égard, c'est d'en former un type, un règne, un cercle a part et très significatif, mais duquel ils ne sortiront jamais, et dont ils suivront nécessairement toutes les lois, comme font tous les autres Etres, chacun selon leur classe.

Si l'existence de toutes les productions de la Nature n'avait pas un caractère fixe, comment pourrait-on en reconnaître l'objet et les propriétés ? Comment s'accompliraient les desseins du grand Principe qui, en déployant cette Nature aux yeux des êtres séparés de lui, a voulu leur présenter des indices stables et réguliers, par lesquels ils pussent rétablir avec lui leur correspondance et leurs rapports ? Si ces indices matériels étaient variables ; si leur loi, leur marche, leur forme même n'étaient pas déterminées, l'œuvre de ce Peintre ne serait qu'un tableau successif d'objets confus, sur lesquels l'intelligence ne trouverait point a se reposer, et qui ne pourrait jamais montrer le but du grand Etre.

Enfin ce grand Etre lui-même n'annoncerait que l'impuissance et la faiblesse, en ce qu'il se serait proposé un plan qu'il n'aurait pas su remplir.

S'il est vrai que chaque production de la Nature et de l'Art ait son caractère déterminé ; si c'est par la seulement qu'elle peut être l'expression évidente de son principe; et qu'a la seule vue, un œil exercé doive pouvoir décider de quel agent telle production manifeste les facultés, l'homme ne peut donc exister aussi que par cette loi générale

L'homme provenant, comme tous les Etres, d'un principe qui lui est propre, doit être, comme eux, la représentation visible de ce principe. Il doit, comme eux, le manifester visiblement; en sorte qu'on ne puisse pas s'y méprendre et qu'à l'aspect de l'image, on reconnaisse quel est le modèle. Cherchons donc, en observant sa nature, de quel principe il doit être le signe et l'expression visible.

Toutefois je ne parle ici que de son Etre intellectuel, attendu que son Etre corporel n'est, comme tous les autres corps, que l'expression d'un principe immatériel non pensant; qu'il est composé des mêmes essences que ces corps, et sujet a toute la fragilité des assemblages.

Il faut donc, pour connaître l'homme, chercher en lui les signes d'un Principe d'un autre ordre.

Indépendamment de la pensée et des autres facultés intellectuelles que nous avons reconnues en lui, il offre des faits si étrangers à la matière, qu'on est forcé de les attribuer a un principe différent du principe de la matière. Des prévoyances, des combinaisons de toute espace, des Sciences hardies par lesquelles il nombre, mesure et pèse en quelque sorte l'Univers ; ces sublimes observations astronomiques, par lesquelles placé entre les temps qui ne sont pas encore, il peut rapprocher de lui leurs extrémités les plus éloignées, vérifier les phénomènes des premiers âges, et prédire avec certitude ceux des âges à venir ; le privilège qu'il a seul dans la Nature d'apprivoiser et d'asservir les animaux, de semer et de moissonner, d'extraire le feu des corps, d'assujettir toutes les substances élémentaires, a ses manipulations et a son usage, enfin, cette activité avec laquelle il cherche sans cesse a inventer et a produire de nouveaux Etres ; de manière que son action est une sorte de création continuelle. Voilà des faits qui annoncent en lui un Principe actif, bien différent du principe passif de la matière.

Si l'on examine attentivement les œuvres de l'homme on apercevra que non seulement elles sont l'expression de ses pensées ; mais encore, qu'il cherche, autant qu'il le peut à se peindre lui-même dans ses ouvrages. Il ne cesse de  multiplier sa propre image par la Peinture et la Sculpture, et dans mille productions des Arts les plus frivoles ; enfin, il donne au édifices qu'il éleva, des proportions relatives à celles de son corps. Vérité profonde, qui pourra découvrir un espace immense à des yeux intelligents ; car ce penchant  si actif à   multiplier ainsi son image, et à ne trouver le beau que dans ce qui s'y rapporte, doit à jamais distinguer l'homme de tous les Etres particuliers de cet Univers.

Lorsqu'on s'abuse jusqu'à vouloir attribuer tous ces faits au jeu de nos organes matériels, on ne fait pas attention qu'il faudrait supposer alors que l'espèce humaine est invariable dans ses lois et dans ses actions, comme le sont tous les animaux chacun selon leur classe. Car les différences individuelles, qui se rencontrent entre les animaux de la même espace, n'empêchent pas qu'il n'y ait pour chacune un caractère propre, et une manière de vivre et d'agir uniforme et commune à tous les individus qui la composent, malgré la distance des lieux, et les variétés opérées par la différence des climats sur tous les Etres sensibles et matériels.

Au lieu de cette uniformité, l'homme n'offre presque que des différences et des oppositions ; il n'a, pour ainsi dire, de rapports avec aucun de ses semblables. Il diffère d'eux par les connaissances. Lorsqu'il est abandonné a lui-même, il les combat tous dans l'ambition, dans la cupidité, dans les possessions, dans les talents, dans les dogmes ; chaque homme est semblable à un Souverain dans son Empire ; chaque homme tend même à une domination universelle.

Que dis-je ? non seulement l'homme diffère de ses semblables, mais à tout instant encore il diffère de lui-même. Il veut et ne veut pas ; il hait et il aime ; il prend et rejette presque en même temps le même objet; presque en même temps il en est séduit et dégoûté. Bien plus, il fuit quelquefois ce qui lui plaît ; s'approche de ce qui lui répugne ; va au devant des maux, des douleurs et même de la mort.

Si c'était le jeu de ses organes ; si c'était toujours le même mobile qui dirigea ses actes, l'homme montrerait plus d'uniformité en lui-même et avec les autres ; il marcherait par une loi constante et paisible ; et quand il ne ferait pas de choses égales, il ferait au mains des choses semblables, et dans lesquelles on reconnaîtrait toujours un seul principe. Comment est-on donc parvenu à enseigner que les gens règlent tout, qu'ils enseignent tout ; puisqu'au contraire il est évident que parmi les choses corporelles mêmes, ils ne peuvent rien mesurer avec justesse ? Ainsi l'on peut dire que dans ses ténèbres, comme dans sa lumière, l'homme manifeste un principe tout à fait différent de celui qui opère et qui entretient le jeu de ses organes ; car, nous l'avons déjà vu, l'un peut agir par délibération, et l'autre ne le peut jamais que par impulsion.

Les proportions du corps de l'homme démontrent le rapport de son Etre intellectuel avec un Principe supérieur a la nature corporelle

Si l'on décrit un cercle, dont la hauteur de l'homme soit le diamètre, la ligne de ses deux bras étendus étant égale a sa hauteur, peut être aussi regardée  comme un diamètre de ce même cercle : or demandons s'il est possible de tracer deux diamètres dans  un même cercle, sans les faire passer par le centre de ce cercle.

|Notre corps, il est vrai, n'offre pas ces deux diamètres passant par le centre d'un même cercle, puisque le diamètre de sa hauteur n'est pas coupé sur son corps en parties égales, par le diamètre horizontal que forment ses bras étendus : et par là l'homme est, pour ainsi dire, lié a deux centres ; mais cette vérité ne prouve qu'une transposition dans les vertu constitutives de l'homme, et non une altération dans l'essence même de ces vertus constitutives, ainsi elle ne détruit

point le rapport que nous établissons ; et quoique ces dimensions fondamentales ne soient plus à leur place naturelle, l'homme peut toujours trouver dans les proportions de sa forme corporelle les traces de sa grandeur et de sa noblesse.

Les animaux qui ressemblent le plus a l'homme par leur conformation, en diffèrent absolument en ce point ; car leurs bras étendus donnent une ligne beaucoup plus grande que celle de la hauteur de leur corps.

Ces proportions attribuées exclusivement au corps de l'homme, le rendent comme la base commune et fondamentale de toutes les proportions et de toutes les vertus des autres Etres corporels, desquels on ne devait jamais juger que relativement a la forme humaine.

Mais ces merveilles d'intelligence, et ces rapports corporels, dont nous venons de présenter le tableau, ne sont pas les plus essentiels de ceux qu'on peut apercevoir dans l'homme. Il a encore d'autres facultés et d'autres droits pour se placer au-dessus de tous les êtres de la Nature.

De même qu'il n'est aucune substance élémentaire qui ne renferme en elle des propriétés utiles, suivant son espace ; de même il n'est point d'homme en qui l'on ne poisse faire développer des germes de justice, et même de cette bienfaisance qui fait le caractère primitif de l'Etre nécessaire, souverain Père et Conservateur de toute légitime existence.

Les conséquences contraires que l'on a prétendu tirer des éducations infructueuses, sont nulles et abusives : pour qu'elles eussent quelque valeur, il faudrait que l'instituteur fut parfait, ou au moins qu'il eût les qualités analogues aux besoins de ses Elèves ; Il faudrait qu'il fut exercé dans l'art de saisir leurs caractères et leurs besoins, pour leur présenter, d'une maniera attrayante, l'espèce d'appui ou de vertu qui leur manque ; sans quoi leur insensibilité morale ne fera que s'accroître ; ils s'enfonceront de plus en plus dans les vices et la corruption, et l'on rejettera sur l'imperfection de leur nature ce qui n'est qu'une suite de l'inhabilité et de l'insuffisance du Maître.

Si l'on excepte donc quelques monstres, qui même ne sont devenus inexplicables, que parce que dans le principe l'on a mal cherché le nœud de leur cœur, il n'existera pas un Peuple, pas un homme en qui l'on ne puisse trouver quelques vestiges de vertu. Les associations les plus corrompues ont pour base la justice, et se couvrent au moins de ses apparences ; et pour obtenir le succès de leurs projets désordonnés, les hommes les plus pervers empruntent le nom et les dehors de la sagesse.

La bienfaisance naturelle a l'homme se manifesterait aussi universellement, si l'on en cherchait les signes ailleurs que dans des besoins qui nous sont étrangers, parce qu'il faut qu'elle puisse s'exercer sur des objets réels, pour déterminer et développer les vraies vertus qui appartiennent à notre essence

Mais, indépendamment de ce que les Observateurs établissent sans cesse leurs expériences sur des besoins faux, et sur des bienfaits également imaginaires, ils oublient que l'homme livré a lui-même, se borne ordinairement a quelque vertu, pour laquelle il néglige et perd de vue toutes les autres. On ne l'apprécie  alors que sur celle qu'il a adaptée ; et ainsi ne trouvant pas les mêmes vertus dans tous les individus et chez tous les Peuples, on se hâte de décider que, n'étant point générales, elles ne peuvent être de l'essence de l'homme

C'est une méprise impardonnable de conclure de différents exemples particuliers, à une loi générale pour l'espace humaine. Nous le répétons : l'homme a en lui les germes de toutes les vertus ; elles sont toutes dans sa nature, quoiqu'il ne les manifeste que partiellement, de là vient que souvent lorsqu'il semble méconnaître ses vertus naturelles, il ne fait que de substituer les unes aux autres

Le sauvage, qui viole la fidélité du mariage, en prêtant sa femme à ses hôtes, ne voit que la bienfaisance et le plaisir d'exercer l'hospitalité .

Les veuves Indiennes, qui se précipitent dans le bûcher, sacrifient la voix de la Nature au désir de paraître tendres et sensibles, ou à celui d'entrer en possession des biens que leurs dogmes religieux leur font espérer dans l'autre vie .

Les prêtres même qui ont profané leurs religions par des sacrifices humains, ne se sont abandonnés a ces crimes absurdes, que pour faire éclater leur pitié par la noblesse de la victime, se persuadant que par ce culte terrible, ils étendaient l'idée de la grandeur et de la puissance de l'Agent suprême, ou qu'ils le rendaient favorable a la Terre, lorsqu'ils le croyaient irrité contre elle.

I1 est donc bien certain, malgré les erreurs des hommes, que toutes leurs sectes, que toutes leurs institutions, que tous leurs usages s'appuient sur une vérité, sur une vertu.

Prendrons-nous par exemple, les conventions sociales de l'homme et ses établissements politiques ? Ils tendent tous a réparer quelque désordre moral ou physique, réel ou conventionnel Il a, ou au moins il feint d'avoir pour objet dans toutes ses lois, de remédier à quelques abus, de les prévenir, de procurer à ses concitoyens et a lui-même, quelque avantage qui puisse contribuer à les rendre heureux

Alors, n'est-ce pas avouer que supérieur aux êtres physiques concentrés dans eux-mêmes, il a ici-bas a remplir des fonctions différentes des leurs ? N'est-ce pas faire connaître par ses propres actions qu'il est chargé d'un emploi divin, puisque Dieu étant le Bien par essence, la réparation continuelle du désordre, et la conservation de ses ouvrages, doit être en effet l'œuvre de la Divinité ?

Enfin, nous voyons généralement établies sur la Terre des Institutions sacrées, auxquelles l'homme seul participe parmi tous les Etres sensibles ; nous trouvons dans tous les temps et dans toutes les contrées de l'Univers, des dogmes religieux, qui enseignent a l'homme qu'il peut porter ses vœux et ses hommages jusque dans le Sanctuaire d'une Divinité qu'il ne connaît pas, mais dont il est parfaitement connu, et dont il peut espérer de se faire entendre.

Partout, ces dogmes enseignent que les décrets divins ne sont pas toujours ; impénétrables a l'homme ; qu'il peut, dans ce qui le concerne, participer en quelque sorte à la force et aux vertus suprêmes ; et partout on a vu des hommes véridiques, ou imposteurs, s'annoncer pour en être les Ministres et les organes.

Les traces même de ces droits sublimes s'aperçoivent non seulement dans tous les cultes publics des différentes Nations ; non seulement dans ce qu'elles ont appelé Sciences occultes, où il s'agit de cérémonies mystérieuses, de certaines formules auxquelles on suppose des pouvoirs secrets sur la nature, sur les maladies, sur les génies bons et mauvais, sur les pensées des hommes ; mais encore dans les simples actes civils et juridiques des puissances humaines, qui prenant leurs lois conventionnelles pour arbitres, les regardent et les consultent comme les décrets de la vérité même ; et ne craignent point, en agissant d'après ces lois, de se dire en possession d'une science certaine, et à couvert de toute erreur.

S'il est vrai que l'homme n'ait pas une seule idée a lu i; et que cependant l'idée d'un tel pouvoir et d'une telle lumière sait, pour ainsi dire, universelle, tout peut être dégradé dans la science et la marche ténébreuse des hommes, mais tout n'y est pas faux. Cette idée annonce donc qu'il y a dans eux quelque analogie, quelques rapports avec l'action suprême, et quelques vestiges de ses propres droits ; comme nous  avons déjà trouvé dans l'intelligence humaine, des rapports évidents avec l'Intelligence infinie et avec ses vertus.

A tous ces indices, nous est-il possible encore de méconnaître le Principe de l'homme ? Si tous les Etres qui ont reçu la vie, n'existent que pour manifester les propriétés de l'agent qui la leur a donnée, peut-on douter que l'Agent dont l'homme a reçu la sienne, ne soit la Divinité même ; puisque nous découvrons en lui tant de marques d'une origine supérieure et d'une Action divine ?

Rassemblons donc ici les conséquences de toutes ces preuves que nous venons d'établir ; et dans l'Etre qui a produit l'homme, reconnaissons une source inépuisable de pensées, de science, de vertus, de lumière, de force, de pouvoirs ; enfin, un nombre infini de facultés dont aucun Principe de nature ne peut offrir l'image, facultés que nous ferons toutes entrer dans l'essence de l'Etre nécessaire, quand nous voudrons en contempler l'idée.

Puisqu'aucun de ces droits ne parait nous être étranger, puisqu'au contraire, nous en trouvons des traits multipliés dans les facultés de l'homme, il est évident que nous sommes destinés à les posséder tous, et à les manifester aux yeux de ceux qui les ignorent ou qui veulent les méconnaître. Avouons-le donc hautement : si chacun des Etres de la Nature est l'expression d'une des vertus temporelles de la sagesse, l'homme est le signe ou l'expression visible de la Divinité même ; c'est pour cela qu'il doit avoir en lui tous les traits qui la caractérisent ; autrement la ressemblance n'étant pas parfaite, le modèle pourrait être méconnu. Et ici nous pouvons déjà nous former une idée des rapports naturels qui sont entre Dieu, l'homme et l'Univers.