OZIAS IV

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QUATRIÈME HOMÉLIE. SUR CE TEXTE DU PROPHÈTE ISAIE : « IL ARRIVA DANS L'ANNÉE OU MOURUT LE ROI OZIAS, QUE JE  VIS LE SEIGNEUR ASSIS SUR UN TRONE ÉLEVÉ ET SUBLIME (IS. VI, 1) ; » ÉLOGE DE LA VILLE D'ANTIOCHE; ET RÉFUTATION INSPIRÉE DE CEUX QUI PROSCRIVENT LE MARIAGE.

 

ANALYSE.

 

1. Eloge de la ville et de ses habitants. — La parole, nourriture spirituelle.

2. Inébranlable solidité de l'Ég lise . — Que le mariage n'est point un obstacle au salut.

3. Suite du même sujet : exemple à l'appui. — Exhortation à la patience, à propos de la chaleur qui incommode l'auditoire.

4. Que le juste est particulièrement exposé à l'orgueil. — Usurpation d'Ozias. — Que le sacerdoce et la royauté sont des choses distinctes, la première supérieure à la seconde.

5. Suite du même sujet. Louable résistance du prêtre : ses limites. Ozias atteint de la lèpre : moralité de ce châtiment.

6. Exemples analogues. Interruption des prophéties. Douceur des châtiments divins.

 

1. Le théâtre est superbe aujourd'hui , l'assemblée magnifique. Quelle en est la raison? Les semailles d'hier fructifient dans la moisson de ce jour. Hier nous avons jeté la graine, aujourd'hui nous récoltons. Car ce n'est point ici une terre insensible et lente à produire, des âmes raisonnables, voilà le soi que nous cultivons. Nous n'avons point affaire à la nature toujours paresseuse, mais à la grâce, cette active ouvrière. L'ordre règne dans notre cité, notre peuple est obéissant. Hier il fut appelé, il est couronné dans ce jour. L'exhortation d'hier a pour fruit la docilité d'aujourd'hui. C'est pour cela que nous-même nous répandons avec bonheur la divine semence, la voyant tomber, non pas au milieu des épines qui l'étouffent, non pas sur le chemin où elle est foulée aux pieds, mais dans une terre féconde, où le grain n'est pas plus tôt jeté qu'il donne l'épi. Voilà ce que je dis toujours et ne cesserai de redire; la gloire de notre ville, ce n'est pas d'avoir un sénat, des consuls, de nombreuses statues, un grand commerce, un site admirable, mais un peuple qui aime à écouter la parole, qui remplit les temples de Dieu et accroît de jour en jour les joies de l'Ég lise , par son avidité insatiable pour une parole qu'on ne cesse pas de lui prodiguer. Car ce qui fait la gloire d'une ville, ce ne sont point ses édifices, mais ses habitants. Ne me dites pas que la ville des (420) Romains est plus grande; montrez-moi que sa population est aussi avide d'instruction que la nôtre. Sodome avait des tours et Abraham habitait une simple tente; néanmoins les anges voyageurs passèrent à côté de Sodome et vinrent loger sous la tente. Ce qu'ils cherchaient, en effet, ce n'était point un séjour magnifique, c'était une âme vertueuse et belle. En vain Jean habitait un désert et Hérode une ville : il ne résulta de là qu'une chose; c'est que le désert devint plus illustre que la ville. Pourquoi cela? Parce que ce n'était point dans la ville que retentissait la prophétie.

Si j'insiste là-dessus, c'est pour que nous ne vantions jamais une ville à cause d'avantages passagers. Que vient-on me parler d'édifices et de colonnes? Tout cela s'écroule avec la vie. Entrez dans le temple de Jésus-Christ et vous verrez la vraie splendeur de la cité; vous verrez les pauvres rester là, depuis le milieu de la nuit jusqu'à l'aurore, sans que le tyrannique besoin du sommeil, ni les nécessités de l'indigence déterminent personne à sortir; vous y verrez les veillées sacrées joindre le jour et la nuit. C'est par là que notre ville est grande et vraiment la métropole de l'univers? Combien d'évêques et de docteurs arrivent ici qui, devenus tout à coup vos disciples, s'en retournent chez eux avec le désir d'y transplanter ce qu'ils vous ont vu pratiquer ! Venir me parler d'honneurs, de richesses, c'est louer dans un arbre ses feuilles et non ses fruits. Si je parle ainsi; ce n'est pas pour flatter vos charités, mais pour rendre hommage à vos vertus. Je suis heureux à cause de vous, vous l'êtes à cause de vous-mêmes. « Bienheureux celui qui parle à des oreilles qui l'entendent ! » (Ecclés. XXV, 12.) C'est l'origine de mon bonheur, à moi. a Bienheureux ceux qui ont faim et soif a de la justice ! » (Matth. V, 6.) Vous voyez bien que vous ne devez le vôtre qu'à vous-mêmes. Bienheureux, en effet, l'homme épris des discours spirituels ! Voilà ce qui nous distingue des brutes. Ce n'est pas la forme du corps, la nourriture, la boisson, l'habitation, le genre (le vie: toutes ces choses nous sont communes avec les animaux. En quoi donc l'homme diffère-t-il des bêtes ? Par la raison et la parole. Voilà pourquoi l'on définit l'homme un animal raisonnable et doué de parole. L'âme, aussi bien que le corps, a besoin d'une nourriture. Pour le corps, la nourriture est le pain; pour l'âme, c'est la parole. Si vous voyiez un homme manger une pierre, lui donneriez-vous encore le nom d'homme? De même, quand vous voyez un homme se nourrir, non de parole mais de brutalité, dites : Celui-là aussi a perdu la dignité d'homme, car c'est parles aliments dont il se nourrit que l'homme manifeste sa dignité.

Aujourd'hui donc que l'assistance est en nombre, que la mer se retrouve paisible après tant d'orages, que la tempête qui soulevait les flots est calmée, mettons notre barque en mer: la langue nous servira de voile; la grâce de l'Esprit, si elle se rend à notre prière, sera pour nous le zéphyr; la croix sera la barre et le gouvernail. La mer a des ondes salées, ici c'est une eau vive. Là sont des animaux muets et sans raison, ici des âmes raisonnables; là-bas les navigateurs se reposent à terre des fatigues de l'Océan; ici c'est la terre qu'on traverse et le port est au ciel. Là sont des esquifs, ici des discours spirituels; là des planches réunies pour former le navire, ici une charpente de paroles. Là-bas la voile, ici la langue; le souffle du zéphyr là-bas, ici la visite de l'Esprit; là un homme est pilote, ici c'est le Christ. Aussi le navire peut bien être harcelé par la tempête, mais il ne saurait périr. Il pourrait aussi naviguer dans le calme, si le pilote le voulait; mais il ne le permet pas, afin que vous soyez témoins de la patience des navigateurs, et que vous vous rendiez un juste compte de l'intelligence du pilote.

2. Païens et Juifs, écoutez le récit de nos victoires et jugez de la prééminence de I'Eg lise . d'ennemis ont attaqué l'Eg lise sans en triompher ? Combien de tyrans? Combien de généreux? Combien d'empereurs? Auguste, Tibère, Caligula, Claude, Néron, en dépit de leurs titres et de leur puissance, lui ont fait la plus cruelle guerre, quand elle ne faisait que de naître, et n'ont pu néanmoins la déraciner; ils sont tombés dans le silence et dans l'oubli, tandis que l'Eg lise persécutée élève son front au-dessus des nues. Ne considérez pas, en effet, que l'Eg lise réside sur la terre: en réalité, sa vie est au ciel. Qu'est-ce qui le prouve? Les faits eux-mêmes. — Les onze disciples eurent à soutenir les attaques de l'univers entier: ils en triomphèrent, et leurs ennemis furent exterminés: les agneaux furent vainqueurs des loups. Voyez-vous ce berger qui envoie ses brebis au milieu des loups, de telle sorte que la fuite même ne puisse les sauver? Mais quel est le berger qui agit ainsi? (421) Le Christ, afin de vous prouver que nos victoires ne sont pas une conséquence de l'ordre des choses, ruais qu'elles sont, au contraire, en contradiction avec cet ordre et avec la nature. L'Ég lise est plus solide que le firmament.

Mais peut-être le gentil m'accuse-t-il d'orgueil : qu'il attende ma démonstration, et il se convaincra alors de la force de la vérité: il saura qu'il est plus aisé d'éteindre le soleil que d'anéantir l'Ég lise . Qu'est-ce qui proclame cela? dira-t-on. Celui qui l'a fondée : « Le ciel et la terre passeront : mais mes paroles ne passeront point. » (Matth. XXIV, 35.)  — Il ne s'est pas borné à faire cette prédiction ; il l'a réalisée. Pourquoi a-t-il établi l'Ég lise plus solidement que le ciel? Parce que l'Ég lise est plus auguste que le ciel. Pourquoi le ciel a-t-il été fait ? Pour l'Ég lise , et non pas l'Ég lise pour le ciel. Le ciel existe pour l'homme, et non l'homme pour le ciel. C'est ce qui résulte des actes du Christ lui-même, qui ne s'est pas revêtu d'un corps céleste. Mais de peur de laisser, aujourd'hui encore, une dette à payer, si nous prolongions trop ce discours, hâtons-nous d'acquitter celle que nous avons contractée hier. C'est en considération des absents que j'ai différé jusqu'à ce jour. Mais puisqu'ils se sont rendus aujourd'hui où les appelait leur devoir, et que leur présence nous permet de ne rien épargner pour notre festin, il est temps de servir le repas: pour être d'hier, il n'en sera pas plus mauvais. En effet, il ne s'agit pas ici de viandes sujettes à se gâter, mais de pensées dont la fraîcheur est éternelle. Les viandes se corrompent, comme tout ce qui tient au corps : mais le temps ne fait que donner plus de saveur aux pensées.

Qu'est-ce donc que nous disions hier? Car nous nous sommes hier déjà, assis à la table mais les absents n'y perdront rien. «Et il arriva dans l'année où mourut le roi Ozias, que je vis le Seigneur assis sur un trône élevé et sublime. » Qu'est-ce qui dit cela? Isaïe, le contemplateur des séraphins: il était marié; ce qui n'éloigna pas de lui la grâce. Vous avez écouté, vous avez entendu ce que nous dit aujourd'hui ce Prophète : « Sors, toi, et Jasub ton fils. » — Ne passons pas légèrement là-dessus. Sors avec ton fils : Le Prophète avait donc un fils? mais s'il avait un fils, il avait donc une femme? Apprenez par là que le mariage n'est pas un mal: le mal, c'est la fornication. Cependant, venons-nous à dire à certaines personnes : pourquoi ne pas vivre comme il faut? pourquoi ne plus mener une existence régulière ? On nous répond : le puis-je, à moins de renoncer à ma femme, à mes enfants, à mes affaires? Que dites-vous? Est-ce donc un obstacle que le mariage? Votre femme vous a été donnée comme une auxiliaire, et non comme une ennemie. Le Prophète n'était-il pas marié? Mais son mariage n'empêcha point l'Esprit de le visiter: il habitait avec une femme, et néanmoins il était prophète. Et Moïse, n'avait-il pas une femme? Cependant il brisait des rochers, il commandait aux airs, il s'entretenait avec Dieu, il apaisait la colère divine. Et Abraham, n'était-il point marié ? Néanmoins des nations lui durent leur origine, ainsi que l'Ég lise : il avait un fils, Isaac, et ce fils devint pour lui une occasion de bonnes oeuvres. N'offrit-il pas ce jeune enfant, fruit de son mariage ? Ne fut-il pas à la fois et père et homme religieux? Ne fit-il pas taire son coeur paternel pour devenir sacrificateur? La piété chez lui ne triompha-t-elle pas de la nature? N'étouffa-t-il pas le cri de ses entrailles pour faire éclater sa religion ? Ne vit-on pas la paternité vaincue et la piété couronnée ? N'est-il pas vrai qu'il aimait à la fois de tout son coeur et son enfant et Dieu ? Et son mariage fut-il un empêchement?

Et la mère des Macchabées ? n'était-elle pas mariée? n'a-t-elle pas donné sept enfants au choeur des saints ? ne les a-t-elle pas vus martyrs, sans être ébranlée, pareille à un roc n'était-elle pas là, souffrant le martyre dans chacun d'eux, mère de martyrs, martyre elle-même sept fois ? On les torturait: mais les coups allaient jusqu'à elle. Car ne croyez pas qu'elle demeurât insensible; elle était mère, et la nature révoltée lui faisait sentir sa force néanmoins elle ne cédait pas. Elle était sur une mer orageuse : mais le courroux des flots s'apaise, et de même la crainte de Dieu réprimait dans son coeur l'instinct de la nature. De quelle huile avait-elle frotté leurs corps ? quelle éducation leur avait-elle donnée? comment avait-elle réussi à en faire sept temples consacrés à Dieu, sept statues d'or, ou plutôt quelque chose de bien plus précieux que l'or?

3. Non, l'or n'est pas comparable à une âme de martyr: voyez plutôt. Le tyran était là: il se retire, vaincu par une femme. Il l'attaquait avec des armes: elle le vainquit avec sa ferveur. Il avait allumé une fournaise; elle eut (422) recours à la vertu de l'esprit. Il mettait une armée en mouvement: elle se réfugia dans le sein des anges. — Ici-bas elle voyait le tyran elle songeait au monarque de là-haut. Ici-bas elle voyait des tortures: elle comptait les palmes qui l'attendaient là-haut. Elle voyait le supplice: elle se représentait l'immortalité future : d'où ces mots de Paul : « Attendu que nous ne considérons point les choses visibles, mais les invisibles. » (II Cor. IV, 18.) Eh bien ! le mariage fut-il un obstacle pour cette femme?

Et Pierre, le fondement de l'Eg lise , l'amant passionné du Christ, cet ignorant qui confondait les orateurs, cet homme sans éducation qui fermait la bouche aux philosophes, qui mettait la sagesse grecque en pièces comme une toile d'araignée, cet infatigable voyageur, ce pêcheur qui jeta ses filets dans tous les endroits de la mer et du monde, n'était-il pas marié, lui aussi? Il l'était: c'est l'évangéliste qui nous l'apprend, en disant. « Jésus entra près de la belle-mère de Pierre qui avait la fièvre. » (Marc, I, 30.) S'il avait une belle-mère, il avait donc une femme, il était marié. Et Philippe? n'avait-il pas quatre filles? S'il avait quatre filles, il avait une femme, il était marié. Arrivons au Christ: il était fils d'une vierge: mais il assista à un mariage, il fit son cadeau de noces. « Ils n'ont pas de vin, » lui dit sa mère, et il changea l'eau en vin : il avait honoré le mariage de sa présence virginale son offrande montra combien il le respectait n'ayez donc point d'horreur pour le mariage, mais haïssez la fornication. A mes risques et périls je me porte garant de votre salut, quand bien même vous seriez mariés.

Veillez à vos intérêts. Si votre femme est vertueuse, c'est une alliée pour vous. Et si elle ne l'est pas? Rendez-la telle. — Il y a eu de bonnes femmes, il y en a eu dé méchantes, ce qui vous ôte tout prétexte. — Que pensez-vous de celle de Job? Mais Sara était vertueuse. — Je veux mettre sous vos yeux l'exemple d'une femme vicieuse et méchante. La femme de Job ne fit aucun mal à son mari. Elle était méchante, vicieuse, elle lui conseilla de blasphémer. Mais quoi? Réussit-elle à ébranler cette tour, à renverser ce bronzé, à triompher de ce roc, à repousser ce soldat, à percer ce navire, à déraciner cet arbre? Rien de pareil. Elle heurta la tour, et la tour n'en fut que plus solide. Elle souleva les flots, et l'esquif, loin de couler à fond, continua de naviguer par un bon vent. Le fruit de l'arbre fut cueilli, mais l'arbre demeura immobile: les feuilles tombèrent, mais la racine resta inébranlable. Que l'on ne s'avise donc point de s'en prendre aux défauts de sa femme. Elle ne vaut rien? Corrigez-la. Mais, direz-vous, elle m'a chassé du paradis. Oui, mais elle vous a ouvert les cieux. La nature est toujours la même, mais le caractère varie. La femme de Job était méchante? Mais Suzanne était vertueuse. La femme de Putiphar était impudique? Mais Sara était modeste. Vous connaissez l'une : jetez maintenant les yeux sur l'autre. C'est de même chez les hommes: il en est de bons, il en est de mauvais. Joseph était vertueux, les vieillards étaient libertins. Partout vous retrouvez le vice et la vertu : ce n'est pas la nature, c'est la volonté qui fait la distinction. Trève donc aux prétextes: mais frottons-nous d'acquitter notre dette.

« Et il arriva dans l'année où mourut le roi Ozias. » Je vais vous dire pourquoi le Prophète marque l'époque. Nous recherchions hier pourquoi, lorsque tous les prophètes, et Isaïe lui-même datent leurs prédictions par l'année du règne actuel, il est fait ici infraction à cet usage: le Prophète ne dit pas: dans les jours d'Ozias, mais à la mort d'Ozias. C'est ce que je veux aujourd'hui vous expliquer. La chaleur est forte : mais la rosée du discours est capable d'en triompher : le corps peut céder à la fatigue, et l'âme conserver la force de se réjouir. Ne me parlez point de chaleur, de sueur: qu'importe que votre corps soit en sueur, si vous essuyez votre âme. Les trois enfants étaient dans la fournaise, et n'enduraient aucun mal : la fournaise, pour eux, s'était faite rosée. — Quand vous songerez à la sueur qui vous incommode, représentez-vous le salaire et la récompense. Un plongeur se précipite sans hésiter dans l'abîme des eaux, pour en retirer quelques perles, qui deviennent ensuite un vrai sujet de guerre: je ne dis pas cela pour les déprécier, je blâme seulement la fureur avec laquelle on se les arrache. Et vous, quand il s'agit de mettre la main sur un inaltérable trésor, de planter une vigne dans votre âme, vous ne pouvez supporter la sueur ni le chaud ? Regardez ceux qui sont assis dans les théâtres : voyez comme ils suent, et reçoivent patiemment sur leurs têtes nues les rayons du soleil: tout cela pour tomber dans l'esclavage de la mort, dans les fers d'une prostituée. Ils (423) souffrent pour leur perte, et vous ne savez rien endurer pour votre salut? Vous êtes un athlète, un soldat. Mais qu'est-ce enfin que cet Ozias, et pourquoi le Prophète parle-t-il ici de sa mort? Cet Ozias était un roi, un homme juste, tout paré de bonnes oeuvres : mais il finit par tomber dans la présomption, cette mère des maux, dans l'orgueil, cette source de troubles, dans l'arrogance, qui fut la perte du diable. Rien de pire que l'orgueil : voilà pourquoi nous avons consacré à ce sujet tout notre entretien d'hier, abattant l'orgueil, prêchant l'humilité.

4. Vous dirai-je quel bien c'est que l'humilité, quel mal que l'orgueil? Un pécheur eut l'avantage sur un juste (je veux parler du publicain et du pharisien) : de simples paroles l'emportèrent sur des actions. Comment cela? Le publicain disait. « Dieu, soyez-moi propice à moi qui suis un pécheur. » Le Pharisien disait : « Je ne suis pas comme les autres hommes, un larron, un avare. » Et puis? « Je jeûne deux fois la semaine, je paye la dîme de tout ce que je possède. » (Luc, XVIII, 13, 11, 12.) Le pharisien produisit des actes de justice; le publicain proféra des paroles d'humilité, et les paroles passèrent avant les actions : tout ce trésor s'en alla en fumée, toute cette pauvreté fut convertie en richesse. Ils étaient venus comme deux vaisseaux chargés qui entrent au port. Le publicain sut aborder comme il faut; le pharisien fit naufrage, afin que vous sachiez quel mal c'est que l'orgueil. Vous êtes juste? N'humiliez pas votre frère. Vous êtes paré de bonnes oeuvres? Gardez-vous d'injurier le prochain, et de diminuer par là les louanges qui vous sont dues. Plus vous êtes grands, plus vous devez vous rabaisser vous-mêmes. Ecoute bien mes paroles, mon cher auditeur. Le juste doit redouter l'orgueil, plus que le pécheur : je l'ai dit hier, et je le répète aujourd'hui à cause de ceux qui étaient absents l'autre jour : la raison en est que le pécheur est nécessairement humilié dans sa conscience, tandis que le juste est fier de ses bonnes oeuvres. Voyez encore les vaisseaux : les navigateurs dont l'esquif est vide ne craignent point l'attaque des pirates, lesquels se soucient peu de couler un vaisseau sans cargaison. Ceux qui les redoutent sont ceux dont le navire est chargé : car le pirate vient là, où est l'or, où est l'argent, où sont les pierres précieuses. De même le diable ne persécute pas habituellement le pécheur, mais le juste, chez qui il trouve d'abondantes richesses. Puisque l'orgueil est souvent un fruit de la malice du diable, il faut rester maîtres de nous-mêmes. Plus vous êtes grands, plus il faut vous abaisser. Quand vous montez sur une hauteur, vous êtes obligés de prendre des précautions, pour ne pas tomber. Voilà pourquoi Notre-Seigneur a dit : « Quand vous aurez tout fait, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles. » (Luc, XVII, 10.)

D'où te vient ta présomption, homme, parent de la terre, semblable à la cendre et par ta nature, et par tes pensées, et par tes actions ? Aujourd'hui riche, demain pauvre; aujourd'hui bien portant, demain malade; joyeux aujourd'hui, triste demain : aujourd'hui dans la gloire, demain dans l'opprobre: aujourd'hui jeune, vieux demain. Y a-t-il rien de stable dans lés choses humaines ? ne passent-elles point comme le courant d'un fleuve? Elles paraissent, et plus vite qu'une ombre, nous abandonnent. D'où te vient ta présomption, homme qui n'es que fumée, vanité? « L'homme a été fait à l'image de la vanité. » (Ps, CXLIII, 4.) « Ses jours sont comme le foin. » (Ps. CII, 15.) « Le foin s'est desséché, et sa fleur est tombée. » (Isaïe, XL, 8.)

Si je parle ainsi, ce n'est point pour ravaler notre essence, mais pour brider notre orgueil. C'est une grande chose qu'un homme, c'est une chose de prix qu'un homme compatissant. Mais cet Ozias qui était roi et avait le front ceint du diadème, finit par s'enorgueillir de ce qu'il était juste : emporté par une folle présomption, il entra dans le temple. Et que dit-il? « Il entra dans le saint des saints et dit : « Je veux offrir l'encens. » Roi, il usurpe le sacerdoce. Je veux offrir l'encens, dit-il, parce que je suis juste. Reste, je te prie, dans ton domaine : autre est celui de la royauté, autre celui du sacerdoce : et le sacerdoce surpasse la royauté. En effet, cette royauté-là ne se manifeste point par des signes apparents; ce n'est point aux pierres précieuses attachées à son vêtement, ni aux objets d'or qui le parent que se reconnaît celui qui en est investi. Tandis que le roi proprement dit a pour mission de gouverner les choses de la terre, le sacerdoce tient son droit d'en-haut : « Tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel. » (Matth. XVI, 19.) Le roi est chargé des choses d'ici-bas, moi, des fonctions célestes: Quand je dis moi; entendez le prêtre. Gardez-vous donc (424) s'il vous arrive de trouver un prêtre indigne, de décrier pour cela le sacerdoce : ce n'est pas la fonction qu'il faut accuser, c'est celui qui s'acquitte mal d'un devoir glorieux. Judas trahit : mais ce n'est, pas un grief contre D'apostolat, la volonté du coupable est. seule en cause : la faute n'en est pas au sacerdoce, mais à la perversité d'un homme.

5. N'allez donc point accuser le sacerdoce ne vous en prenez qu'au prêtre indigne. On vous prend à partie, on vous dit : Voyez-vous ce chrétien? Répondez : Je ne parle point des personnes, mais des choses. Combien de médecins ont joué le rôle de bourreaux, et donné des poisons au lieu de remèdes ! Je ne m'en prends pas pourtant à leur art, mais au mauvais usage qu'ils en font. Combien de nautonniers ont causé la perte de leur navire ! La faute n'en est pas à la navigation, mais à leur étourderie. De même, si vous rencontrez un chrétien vicieux, au lieu d'incriminer ta religion et le sacerdoce, n'accusez que celui qui use mal de ces belles choses. Le monarque est chargé des corps, le prêtre des âmes; le monarque remet les dettes, le prêtre, les péchés. L'un contraint, l'autre exhorte; l'un use de force, l'autre de persuasion. L'un a des armes matérielles, l'autre des armes spirituelles. Lui, il fait la guerre aux barbares : moi, je la fais aux démons. Ce dernier pouvoir est le plus grand : voilà pourquoi le roi incline son front sous les mains du prêtre : pourquoi l'on voit partout dans l'Ancien Testament les prêtres oindre le roi.

Eh bien ! le roi Ozias franchit les limites qui lui étaient assignées, les bornes prescrites au pouvoir royal : il entreprit d'usurper : il entra. dans le temple de sa pleine autorité, dans l'intention d'offrir l'encens. Et le prêtre, que dit-il? Tu n'as pas le droit, Ozias, d'offrir l'encens. Considérez la liberté, la noble indépendance de ce langage vraiment inspiré et d'une hardiesse indomptable. Ce prêtre avait le corps d'un homme et les pensées d'un ange; ses pieds touchaient la terre, mais il vivait dans le ciel. Il vit le roi, et ne vit pas la pourpre; il vit le roi, et ne vit pas le diadème. Ne me parlez plus de royauté, là où la loi est enfreinte. « Roi, tu n'as pas le droit d'offrir l'encens dans le saint des saints. » Tu outrepasses tes bornes, tu réclames ce qui ne t'appartient pas : pour ta punition tu perdras ce que tu as reçu. Tu n'as pas le droit d'offrir l'encens, c'est l'affaire des prêtres. Ce n'est pas ta fonction, mais la mienne. Est-ce que je t'ai dépouillé de ta pourpre? Ne me dépouille pas de mon sacerdoce. « Tu n'as pas le droit d'offrir l'encens, c'est la tâche des prêtres, fils d'Aaron. »

Il y avait bien du temps qu'Aaron était mort quand ces choses se passèrent. Pourquoi donc au lieu de dire simplement « Des prêtres, » fait-il mention du chef de leur race? C'est qu'il était advenu, à cette époque reculée, un fait à peu près semblable. Dathan, Abiron et Coré s'étaient révoltés contre Aaron : la terre s'entr'ouvrit, et les engloutit dans son sein. Le feu du ciel tomba sur eux, et les dévora. C'est afin de rappeler cette antique histoire, comment autrefois déjà le sacerdoce avait été persécuté sans être vaincu, comment le peuple, ayant pris parti contre lui à son tour, avait été châtié par Dieu, que le prêtre répond : « Tu n'as pas le droit d'offrir l'encens, c'est la « tâche des prêtres, fils d'Aaron. » Il ne dit pas : Songe au supplice infligé à ceux qui tentèrent la même chose. Il ne dit pas : Songe que les rebelles furent brûlés. Il se contente de nommer Aaron qui fut ainsi vengé, et par là il rappelle au roi toute l'histoire. C'est à peu près comme s'il disait : N'imite point la témérité de Dathan, de peur de subir le châtiment infligé aux ennemis d'Aaron. Mais le roi Ozias n'y tint pas : tout gonflé de son orgueil, il entra dans le temple, et ouvrit le saint des saints, afin de sacrifier. Que fit Dieu? Le prêtre avait été indignement bravé, la dignité du sacerdoce foulée aux pieds, le prêtre réduit à l'impuissance. Le prêtre, en effet, ne peut que faire des représentations et parler avec liberté ; il ne peut ni prendre les armes ni se couvrir du bouclier, ni brandir la lance, ni tendre l'arc, ni lancer la flèche. Les représentations du prêtre avaient donc échoué contre l'obstination du roi qui, lui, avait recours à la force et usait de son pouvoir. Alors le prêtre dit : J'ai fait ce que je pouvais faire, je suis impuissant désormais venez au secours du sacerdoce avili : les lois sont violées, les préceptes renversés. Que fait alors le bon Dieu? Il punit le téméraire. « Et aussitôt une lèpre se montra sur son front. » Ce siège de l'effronterie devint le siège du châtiment.

Voyez-vous la douceur du châtiment divin? Dieu ne lança point la foudre, n'ébranla point (425) la terre, ne bouleversa point le ciel. Seulement mie lèpre se montra, justement sur le front, et non ailleurs, afin que le visage portât la marque du châtiment, afin que le décret divin y restât gravé comme sur une colonne. En effet, ce n'est pas en vue d'Ozias que cet événement arriva, mais en vue de la postérité. Dieu pouvait lui infliger un supplice proportionné à son crime : il ne le voulut pas : il aima mieux graver, pour ainsi dire, à la vue de tous la loi suivante : N'agissez pas comme lui, si vous ne voulez pas être châtiés comme lui, Ozias sortit de là comme une loi vivante : et son front parlait plus haut que le son d'une trompette. — Ce front portait gravés des caractères ineffaçables , non point tracés avec l'encre (on aurait pu les faire disparaître) : la nature même avait scellé sur ce front l'impureté destinée à la purification des autres hommes. — Et comme les condamnés qu'on emmène ont une corde passée dans la bouche ainsi Ozias , en guise de corde, avait, en s'en allant, une lèpre sur le front, châtiment de son attentat contre le sacerdoce. Ce que j'en dis n'est point dirigé contre les rois, ruais seulement contre ceux qu'enivrent l'orgueil et la fureur: je veux vous montrer seulement que le sacerdoce est supérieur à la royauté.

6. Quand l'âme a péché, Dieu punit toujours le corps. C'est ce qu'il fit à l'égard de Caïn. — L'âme de celui-ci s'était rendue coupable d'un meurtre: ce fut son corps qui fut frappé ; et cela se conçoit: « Tu seras sur la terre, » est-il écrit, « gémissant et tremblant. » Et Caïn allait ça et là, parlant à tous, éloquent, instructif dans son silence. Sa langue restait muette mais ses membres criaient et révélaient à tous le motif pour lequel il gémissait, il tremblait J'ai tué mon frère, j'ai commis un meurtre. Moïse, plus tard, parlait par l'Ecriture : lui, il allait parlant à tous par ses actions, et répétant: « Tu ne tueras point. » Voyez-vous cette bouche qui se tait, et ce fait qui parle ? voyez-vous marcher cette loi vivante ? voyez-vous cette table de loi qui circule ? voyez-vous ce châtiment qui en prévient d'autres? ce supplice qui devient une occasion d'enseignement? voyez-vous le péché dans cette âme, et la punition infligée à ce corps? Il ne faut pas s'en étonner. Ainsi il advint de Zacharie : son âme pécha, et sa langue fut liée. Pour avoir mal usé de cet organe , Zacharie qui avait proféré la parole coupable fut puni : et une lèpre envahit le visage d'Ozias qui avait péché, afin de le corriger. Il sortait donc du temple, ce roi, comme un exemple pour tous, et le temple fut purifié : il fut chassé, sans que personne lui fît violence : il voulait usurper le sacerdoce, et il perdit ce qui lui appartenait. Il sortait donc du temple. C'était dans l'ancien temps, une loi, que tout lépreux fût chassé de la ville : il n'en est plus de même aujourd'hui. Pourquoi? c'est qu'à l'époque où Dieu n'avait affaire, pour ainsi dire, qu'à de petits enfants, la lèpre était celle du corps: aujourd'hui c'est la lèpre de l'âme dont il est question.

Il s'en allait, ce roi lépreux : et personne n'osait le chasser de la ville, par considération pour son diadème et pour son pouvoir : il resta sur son trône et recommença à enfreindre la loi. Que fit Dieu ? Dans son courroux contre les Juifs, il interrompit les prophéties. Dans tout ce qui précède j'ai eu en vue la parole du Prophète , afin d'acquitter ma dette. Mais revenons à notre sujet. — Le roi lépreux sortit du temple. On aurait dû le bannir de la ville comme impur, suivant la coutume. Mais le peuple souffrit qu'il restât dans son palais et sur son trône, et n'osa proférer la moindre parole qui attestât son indépendance. Alors Dieu se détourna d'eux, et suspendit le bienfait des prophéties. Rien de plus juste : ils avaient enfreint sa loi, ils avaient craint de bannir un homme impur : alors Dieu interrompit les prophéties. « Et la parole était précieuse alors, et il n'y avait point de prophétie. » En d'autres termes, Dieu ne leur parlait plus par la bouche des prophètes : car l'Esprit-Saint, qui dictait aux prophètes leurs paroles, avait cessé de les inspirer, du jour où les Juifs avaient souffert au milieu d'eux un homme impur : la grâce de l'Esprit n'agissait plus sur un peuple souillé.

                Voilà pourquoi il ne visitait pas les prophètes, ne leur apparaissait point, restait muet et caché. Pour éclaircir ce que je dis, je me servirai d'un exemple. Supposez un homme qui, mortellement offensé par une personne qu'il aime, lui dit: Tu ne me verras plus, je ne te parlerai plus. Ainsi fit Dieu dans cette occurrence. Les Juifs l'avaient irrité en ne bannissant point Ozias : Je ne parlerai plus à vos prophètes, leur dit-il, je cesse de vous envoyer la grâce de l'Esprit. Que de clémence dans ce châtiment ! il ne lance point la foudre, il n'ébranle pas la ville jusque dans ses fondements : Vous (426) ne voulez pas me venger, dit-il, je ne vous fréquente plus. Est-ce que je ne pouvais pas le chasser? Mais j'ai voulu vous laisser le soin d'exécuter ce qui restait à faire. Vous refusez? Je ne vous fréquente plus , je n'ébranle plus l'âme de vos prophètes. La grâce de l'Esprit n'opérait plus; le silence régnait, il y avait haine entre Dieu et les hommes. La mort d'Ozias mit fin aux occasions de souillure. Comme il y avait longtemps que le, Prophète n'avait prophétisé, et que ce silence avait désarmé la colère divine, les prophéties recommencèrent. Nécessairement, alors, le Prophète indique le temps où il parle, en disant : « Et il arriva dans l'année où mourut le roi Ozias, que je vis le Seigneur assis sur un trône élevé et sublime. » Lorsqu'il fut mort, alors je vis le Seigneur, que je ne voyais pas auparavant, attendu qu'il était irrité contre nous. La mort de l'impur est survenue, et le courroux a cessé.

Voilà pourquoi, lui qui désigne partout le roi vivant, il date ici de la mort d'Ozias : « Il arriva dans l'année où mourut le roi Ozias, que «je vis le Seigneur assis sur un trône élevé et sublime. »

Mais il faut remarquer, ici encore, la bonté de Dieu. — L'impur succombe, et voilà que Dieu se réconcilie avec les hommes. — Pourquoi n'y eut-il pas besoin pour cela de bonnes oeuvres, et suffit-il de la mort d'Ozias? Parce que Dieu est bon et ne se montre point en pareil cas juge rigoureux. — Ce Dieu bon, ce Dieu charitable, ne voulait qu'une chose, la disparition de l'impur. — Instruits par cet exemple, chassons loin de nous l'orgueil , ouvrons nos coeurs à l'humilité , offrons l'hommage de gloire accoutumé au Père, au Fils et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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