LE DISCIPLE INTERCESSEUR


La parabole du juge inique nous fait comprendre qu'il faut de la persévérance dans la prière; ce qu'on n'a pas obtenu en une semaine, on l'obtiendra peut-être au bout d'une année; si notre voix n'a pas été entendue au bout d'un an elle le sera peut-être au bout de trente. Les vieux rishis indous, pour prendre la place d'un simple dieu, faisaient pénitence durant des dizaines de siècles; nous, qui sommes certains que le Maître des dieux Lui-même S'incline à notre voix, nous pouvons bien, après une distraction ou une tiédeur, recommencer notre demande, dussions-nous nous priver de sommeil cette nuit-là.

Une autre condition de la prière est cette humilité que nous savons déjà si nécessaire. Dès qu'on l'a fait par ou avec orgueil, l'acte le plus beau, le plus héroïque, le plus sublime devient un recul, au lieu d'être un progrès. Le Ciel abandonne l'orgueilleux complètement à lui-même; l'homme qui s'enfle, qui croit agir et vaincre -- en quoi que ce soit -- par son propre mérite, s'aveugle, ferme son horizon, s'imagine bientôt n'avoir plus rien à faire, et finit par tomber dans les plus piteuses chutes. Il y a plusieurs sortes d'orgueils, puisque chacune de nos qualités peut nous rendre vaniteux. Le moins dangereux est celui de l'homme qui aime là gloire, car la roche tarpéienne est près du Capitole; le plus dangereux est celui de la fausse humilité. Il y a encore d'autres formes; mais il n'est pas très utile de décrire ces choses

En somme, ne regardons pas, comme le pharisien, le bien que nous avons fait; regardons, comme le publicain. celui que nous n'avons pas fait, et le mal que nous avons commis; c'est là un bon exercice pour apprendre à se connaître.


C'est ce que Jésus enseigne aux accusateurs de la femme adultère, en écrivant leurs péchés sur le sable, et en pardonnant la pécheresse. La publicité de sa faute l'en déchargeait, à cause du mépris de ses concitoyens; c'est là un mécanisme fort curieux, qui explique la confession auriculaire, et dont l'ancienne coutume de la confession publique était une excellente application. Comme certains monstres habitants des cavernes et des lacs souterrains qui, traînés au grand soleil, ne sont plus que des masses aveugles et impuissantes, le mal perd son venin lorsqu'il est connu; il ne se développe et ne se propage que dans l'ombre. C'est pour cela que nous devrions toujours le commettre publiquement; nous en aurions d'abord un peu plus de honte; et les spectateurs. qui nous jugeraient, diminueraient ainsi notre opprobre.

Le défaut de simplicité alourdit toujours l'existence; et le Christ donne une grande leçon quand Il nous propose en exemple l'ignorance des lis et l'innocence des petits enfants.

Dans le langage ésotérique de l'ancienne synagogue, on appelait " petits enfants " les initiés. Les Egyptiens, les Jaunes, les Hindous et les Grecs assimilaient aussi l'initiation à une nouvelle naissance. En effet, il n'y a pas initiation sans mise en rapport avec un second plan de conscience; le mot sanscrit dwidja, traduit d'ordinaire par " deux fois né ". signifie, parait-il, pour les adeptes, " vivant sur deux plans ". Toute religion est le produit d'une hiérarchie, d'un monde invisible spécial. Le commun de ses fidèles n'est conscient que de son aspect visible, rationnel, physique et ne reçoit de son invisible que des lueurs intermittentes; les initiés perçoivent en outre une partie plus ou moins grande de son collectif invisible; mais il a fallu que, soit par eux-mêmes, soit avec l'aide d'un supérieur, soit avec l'aide de leur dieu, soit, la plupart du temps, par la coopération de ces trois facteurs, le germe d'une certaine lumière (la connaissance ésotérique, la dévotion, par exemple), déposé dans leur esprit, y grandisse et, parvenu à son terme, sorte de sa matrice fluidique pour aller vivre consciemment dans l'atmosphère seconde de l'égrégore religieux dont cet initié fait partie. Ceci est une véritable parturition.

Remarquez, en passant, qu'aucun système religieux n'embrasse dans son enceinte spirituelle la totalité de la Nature invisible; toutefois, le catholicisme est celui qui est le plus rapproché du Centre et qui, par suite, contient la plus grande part de vérités.

Tous les entraînements de l'initiation servaient à nourrir ce


germe spirituel; les existences innombrables de la monade humaine servent de même à nourrir ce qui, à l'heure du salut final, sera notre corps de gloire. De même que le néophyte ne peut franchir sans aide le fossé qui sépare le visible de sa religion de son invisible, de même le disciple du Verbe divin ne peut franchir sans l'aide du Maître l'abîme qui sépare le Créé de l'Incréé.

Le Royaume de Dieu est donc bien accessible à ceux-là seuls qui sont nus, comme le petit qui vient de naître. Il faudrait, après avoir tout étudié, tout expérimenté, tout souffert, renoncer à tout, mieux encore, oublier tout. Comme la racine de la mémoire est dans le corps, on ne peut pas oublier; quelque chose d'extérieur à nous doit enlever le souvenir; ce quelque chose est l'eau du baptême de l'Esprit.

Ainsi, pour recevoir avec fruit l'enseignement de l'Évangile, et la force vive qu'il émane, il faut être dépouillé de toutes autres théories, de tous autres désirs, de tout jugement préalable, de toute préoccupation divergente. Il ne suffit pas d'avoir fait table rase dans le mental, on devrait avoir aussi nettoyé son coeur et ses sens. C'est à cause de la difficulté de cette préparation que, bien souvent, l'homme ne vient à Jésus qu'après de nombreuses expériences matérielles, sentimentales, philosophiques ou religieuses, après toutes sortes d'échecs et de désillusions, qui débarrassent son interne des oripeaux et des idoles. Comme nous n'aurions jamais le courage de rejeter de sang-froid toutes ces choses que nous avons passionnément recherchées, c'est le Ciel qui nous en détache et nous en montre peu à peu le vide.

De toute façon, pour comprendre la doctrine du Christ, pour recevoir le Royaume de Dieu, il faut s'y donner corps et âme. L'étude intellectuelle, le dilettantisme, l'attitude expectante du philosophe éclectique ne procurent pas cette connaissance; une simplicité candide, une ardeur totale, une spontanéité d'admiration, voilà ce qu'il faut pour ressentir la fraîcheur convaincante de la parole divine.

Mais laissez-moi insister encore sur la différence essentielle qui distingue les initiations humaines de l'initiation divine. Les premières ne peuvent donner accès que dans des plans plus ou moins sublimes de la Nature; la seconde seule nous ouvre le Royaume de Dieu.

Sans parler ici du Yoga hindou, que l'on voudrait nous faire croire très ancien, mais qui ne remonte sans doute pas plus haut que Krichna, et qui procure, non la liberté, mais l'évasion, les méthodes de l'antique brahmanisme. de l'osirisme,


des mystères mithriaques et orphiques n'agissent que sur les facultés naturelles. Aucun être avant le Christ n'avait pu, dans ses investigations, dépasser notre zodiaque; aucun Maître n'avait donc pu enseigner plus qu'il n'en savait. C'est ce que les amateurs d'occultisme ne veulent pas comprendre; il faudra bien qu'ils se rendent à l'évidence le jour où leurs sens astraux et mentaux seront arrêtés dans leurs recherches.