COMMENT REDEVENIR ENFANT



Tout ceci, et bien d'autres choses encore, nous viennent par Jésus. L'homme fuit Dieu; Jésus va tout de même vers lui, et le suit en secret, dans tous les égarements de sa marche incertaine. Pourquoi ne veut-Il donc pas qu'on L'appelle bon ? Pour nous donner une leçon d'humilité et d'union. Le Fils Se considère toujours comme un néant vis-à-vis de Son Père; Il ne fait rien que par Son ordre, ou d'après Sa permission; Il rapporte à Lui tous Ses triomphes et toutes Ses souffrances. Il veut être comme s'Il n'existait pas; Il veut rester simple intermédiaire entre nous et Son Père, et l'effacement si absolu du Seigneur de la Création doit nous dire combien notre propre humilité est indispensable et à quelles profondeurs il ne faut pas craindre de descendre en nous-mêmes.

La conquête d'un paradis est humainement faisable; l'observance des cinq préceptes y suffit : pas d'adultère, ni de meurtre, ni de vol, ni de faux témoignage, et enfin la piété filiale. La conquête du Ciel demande deux autres conditions : être pauvre et suivre Jésus.

Cela est tellement difficile que le Christ répond à Pierre à ce sujet : " Ce qui est impossible à l'homme est possible à Dieu ". Car la richesse n'est que l'expression de notre égoïsme. Est riche non seulement le titulaire d'une grande fortune, mais celui qui a beaucoup d'honneurs, que beaucoup d'amis chérissent, qui possèdent une vaste intelligence, qui sent en lui des passions vigoureuses et âpres, qui est pourvu de facultés extraordinaires, ou enfin dont la volonté est toujours maîtresse des autres; à condition bien entendu que le bénéficiaire de ces différentes richesses y soit attaché de coeur, les considère comme son inaliénable acquis, et croie en elles.


Tout cela occupe, dans son interne, des facultés, des organes, des chambres et, dans son externe, des cellules physiques; les lumières du Royaume ne trouvent pas de place disponible et ne peuvent être assimilées. C'est pourquoi le disciple doit se faire nu comme un pauvre et simple comme un petit enfant.

Ensuite il faut qu'il purge sa peine, qu'il répare le mal commis autrefois, par la résignation dans l'épreuve; enfin qu'il remette de la Lumière là où ses mauvaises actions avaient mis des ténèbres. Ainsi on porte sa croix et on suit le Verbe.

Quand on peut prendre ce chemin, ou plutôt quand le Ciel nous juge assez résistants pour nous y mener, il y a des récompenses. Celui qui a quitté maison ou parents ou enfants pour le Royaume de Dieu " reçoit, en ce monde déjà, le centuple ". En effet, rappelons-nous que ce n'est pas le fait de posséder un mètre cube de titres qui nous immobilise dans le spirituel, c'est de croire à ce paquet de papier, d'y avoir mis notre coeur et le plus profond de nous-mêmes. Or, le travail du disciple nécessite la collaboration constante d'une armée d'auxiliaires invisibles; il ne pense pas, il n'agit pas en vertu d'un système préétabli; mais il faut qu'à chaque pas il connaisse le vrai du moment, actuel, opportun, qu'il puisse agir l'acte du moment, le meilleur, le plus fécond. Il a donc besoin -- puisque lui-même se tient pour un zéro -- de messagers, d'aides, de serviteurs, de courriers, de chasseurs qui le renseignent et qui travaillent selon sa prière. Il lui faut des parents invisibles, c'est-à-dire la présence secrète de ses ancêtres; il lui faut une épouse invisible, c'est-à-dire une étincelle de la Sagesse incréée; il lui faut des enfants invisibles, c'est-à-dire des oeuvres qui soient le rayonnement de la Force dont il est le siège; il lui faut des trésors invisibles, c'est-à-dire des mérites pour payer les dettes des autres, pour secourir tel malheureux, pour changer des chemins; il lui faut une maison invisible pour se reposer de temps à autre; il lui faut des champs invisibles, c'est-à-dire de quoi nourrir son corps spirituel surmené; il lui faut des frères et des soeurs invisibles, c'est-à-dire rencontrer quelquefois un tâcheron du grand Fermier, un soldat du grand Roi.

Après cette dure existence, son Seigneur lui donne la vie éternelle.

Une dernière remarque pour finir. L'homme de bien qui est dans la voie magique, volontaire, personnelle, dans la Nature en un mot, voit ses bonnes actions automatiquement


récompensées par ce jeu du choc en retour, dont Eliphas Lévi nous a démonté le mécanisme. Mais si cet homme est dans la voie divine, il ne se considère pas comme ayant droit à une récompense; et, lorsque le Père lui offre une faveur, par pure grâce et par amour, l'humilité de ce soldat lui donne la force d'abandonner sa part de butin au bénéfice de la collectivité pour laquelle il a déjà subi tant de fatigues. Cet ultime sacrifice lui vaut alors un privilège extraordinaire, dont il nous est, pour le moment, impossible de comprendre la nature et le mode.