LES FAUSSES GUERISONS


Il y a des procédés de lutte contre la souffrance que le Ciel ne veut pas qu'on emploie ? Le Ciel exige donc que l'on souffre ? Je répondrai oui à la première question, et non à la seconde. Le Père, le Christ, la Vierge, tous les habitants du Ciel souffrent de nous voir souffrir, souffrent de voir souffrir la plus petite des créatures. Aussi nous donnent-ils les moyens de ne pas souffrir, des moyens efficaces et sans risques; et, si certains remèdes immatériels nous sont défendus, c'est que ces remèdes nous apporteraient, après un soulagement temporaire, un mal plus grave et plus irréductible.

Vous le savez, les modes de la vie sont fort nombreux dans l'univers. Nous avons conscience de quelques-uns seulement : le physique, le mental, l'affectif, et encore existe-t-il d'autres physiques, d'autres intellectualités, d'autres manières d'aimer que celles que nous connaissons. Or la conscience que l'homme possède d'un de ces modes de la vie générale est le signe qu'il lui est permis d'user de ce mode. C'est un jardin où il entre, à un moment précis de son évolution; il doit le cultiver, et il a le droit de se servir des plantes, des fruits, des fleurs dont il a soigné la croissance. Mais il n'a pas le droit de s'introduire par ruse ou par force dans un autre jardin pour en cueillir les fruits; ceux-ci peuvent lui être nuisibles et les gardiens bâtonnent les voleurs.

Ainsi, employer pour guérir notre corps tout ce que les trois règnes, minéral, végétal et animal, nous offrent, c'est notre droit, c'est notre devoir. Mais prendre l'esprit d'une plante ou d'un animal pour une transplantation à la manière de Paracelse; attacher une maladie à une pierre ou à un arbre, comme font les sorciers; chasser une maladie par le moyen d'esprits élémentaires, comme l'enseignent les magiciens;
commander à une maladie en notre propre nom, comme se le permettent les suggestionneurs, ce sont des pratiques réprouvées par le Ciel : elles accablent d'un certain mal un être innocent de ce mal, elles attentent à la liberté d'une créature, elles dérangent ce que la Providence a organisé, elles font de l'homme un dieu d'orgueil alors qu'il doit être l'humble serviteur de tous; enfin, elles ne guérissent que pour un temps; comme dans la parabole évangélique, le mal chassé revient avec sept autres camarades, et l'état du patient devient pire.

Heureux le guérisseur téméraire qui paie son imprudence tout de suite, dans cette vie et non dans l'autre !
Mais les méthodes permises, la médecine ordinaire, le magnétisme, l'intercession des saints ne guérissent pas absolument; ils font disparaître le mal physique pour une période plus ou moins longue, mais ils n'atteignent pas sa cause spirituelle. On ne moralise pas le voleur ou l'ivrogne en les emprisonnant; aussitôt que le cachot sera ouvert, que la bouteille redeviendra accessible, ils recommenceront l'un et l'autre; la pénalité ne change guère les coeurs. De même, le traitement médical ne touche que le corps; le traitement magnétique ne touche que l'enveloppe magnétique; le saint qu'on invoque ne peut pas changer une âme, car le fidèle ne dit pas : " Grand Saint, demandez à Dieu qu'Il me guérisse ", mais il lui dit : " Grand Saint, guérissez-moi ".

Or la cause la plus fréquente de la plupart des maladies, c'est un péché; le coeur spirituel a été empoisonné, sa corruption gagne de proche en proche les divers corps subtils de l'homme et atteint son corps physique. Pour que la guérison définitive ait lieu, il faut ou bien que le malade subisse l'épreuve jusqu'au bout, sans se plaindre, avec repentir, avec joie, ou bien qu'un envoyé de Dieu découvre la faute originelle et lave l'esprit du malade ainsi que faisait le Christ; ou bien qu'une prière soit faite, par le malade ou par quelqu'un d'autre, assez humble pour atteindre la Miséricorde divine, et alors Dieu guérit Lui-même, en envoyant un ange.

Jetons un coup d'oeil, si vous le voulez bien, sur la dernière hypothèse, celle qui nous intéresse seule pour nos visites aux malades.

Pour guérir, pour transmuer la force morbide en force salutaire, il faut un regard qui perce jusqu'au fond des coeurs, il faut des mains pures, dignes de verser sur les taches de la conscience l'eau des fontaines éternelles.

Seul, l'amour du prochain procure ce privilège; ou plutôt non, il ne nous le conquiert pas, il nous rend seulement capables de le recevoir; et encore faut-il que ce soit un amour libéré de tout égoïsme, que nos charités soient vraiment des charités, c'est-à-dire des grâces gratuites. Voici un malheureux auquel, mû par un sentiment spontané de compassion, je procure toute l'aide utile. Il se peut que mon geste ne soit qu'un paiement d'une dette spirituelle autrefois contractée par moi envers ce pauvre; aux yeux du juste Juge, ma charité alors n'est qu'un acte de justice, un règlement de comptes, et elle ne peut pas opérer sur l'esprit de ce malheureux la rémission de ses péchés. Tandis que, si je suis libre vis-à-vis de cet homme, si mon destin ne doit rien à son destin, ma charité envers lui est gratuite; bien mieux encore, s'il est, lui, mon débiteur; en ce cas, le sacrifice que je fais pour lui donne de la puissance à ma prière, et le Ciel peut m'accorder la guérison réelle de ses souffrances.

Cette gratuité s'observe très rarement et presque toujours dans le cas d'un Soldat du Ciel redescendu ici pour accomplir une mission. Agrandissez cet exemple à l'infini, et vous apercevrez ce Christ qui enseignait avec autorité et qui commandait aux pires démons sans élever la voix.