XXV

 

PEINES ÉTERNELLES DE L'ENFER ET DOULEUR PASSAGÈRE DE LA MORT

 

 

Mais à quoi bon cette comparaison entre la mort naturelle et la mort violente ? Cela ne nous aide pas à y voir plus clair dans notre sujet. Sans doute, celui qui renie la foi du Christ, tant il craint une mort violente, risque de trouver sa mort naturelle infiniment plus violente et plus épouvantable car cette mort dite naturelle est inextricablement mêlée à la douleur sans fin qui la suivra ; il n'y aura pas un instant entre l'une et l'autre, la fin de l'une sera le commencement de l'autre, qui ne finira jamais.

Ce n'est pas sans raison que le Christ nous donna l'avertissement que saint Luc rapporte dans son chapitre douzième : « Je vous le dis à vous qui êtes mes amis, ne soyez pas effrayés par ceux qui tuent le corps et ne peuvent pas faire plus, mais je vais vous dire qui vous devez craindre : craignez celui qui après avoir tué a le pouvoir de jeter dans le feu éternel. Aussi je vous le dis, celui-là, craignez-le » (Lc., 12, 4-5). Jésus ne veut pas dire ici que nous ne devons avoir aucune peur des hommes qui ne peuvent que tuer notre corps, mais il veut nous faire comprendre que nous ne devons pas craindre un homme à tel point que nous en arrivions à déplaire à celui qui peut tuer notre corps et aussi notre âme et nous plonger dans la mort éternelle. C'est pour cela qu'il répète à la fin de son propos : « Je vous le dis, c'est lui que vous devez craindre ».

Oh ! mon Dieu, mon neveu, je ne doute pas que si nous voulions peser ces paroles, nous en bien pénétrer, les méditer souvent, nous mépriserions les menaces des Turcs, et nous ne nous en soucierions guère. Nous préférerions endurer toutes les peines que le monde pourrait nous faire supporter pendant le court temps que nous passons sur terre plutôt que, par crainte de ces peines (qui ne sont ni si atroces, ni surtout éternelles), nous jeter dans les tourments de l'enfer mille fois plus intolérables et qui ne finiront jamais. C'est une mort terrible que celle qui dure éternellement, car l'Écriture dit : « Ils appelleront la mort et la mort les fuira » (Ap., 9, 6).

 

Ô Seigneur, si l'un de ceux-là pouvait maintenant choisir entre l'une et l'autre mort, il souffrirait plutôt pendant toute une année le trépas le plus horrible que tous les Turcs de Turquie pourraient imaginer, plutôt que d'endurer pendant une minute la mort qu'ils subissent à présent. Ceux qui tombent dans cette folie sont des gens sans foi, ou des gens dont la foi est faible. Pour s'épargner une douleur qui ne peut être aussi violente, ni d'aussi longue durée, ils se vont jeter dans des tourments horribles qu'ils savent ne devoir jamais finir.

On ne pense pas assez à cela, mon neveu, on n'y attache pas assez d'importance. Il me semble, sur ma foi, que si nous avions la grâce d'y croire, d'y penser souvent, la crainte de la persécution des Turcs avec tout ce que le démon de midi serait capable d'inventer pour que nous renoncions à notre foi ne serait pas capable de nous faire changer d'avis.

 

VINCENT : Par ma foi, mon oncle, je crois que vous avez raison. Si nous pensions souvent aux peines de l'enfer (mais nous répugnons tant à le faire, préférant nous réfugier dans des passe-temps puérils pour écarter ces sombres pensées) cela suffirait, semble-t-il, à faire de plusieurs d'entre nous des martyrs.