V

CHACUN AIME LE PROCHAIN D'APRÈS LE BIEN DE LA CHARITÉ EN SOI CONSÉQUEMMENT TEL
CHACUN EST LUI-MÊME LA CHARITÉ, TELLE EST SA CHARITÉ.



  1° L'homme a été créé pour être une forme de l'amour et de la sagesse.
  Il a été créé à l'image de Dieu, selon la ressemblance de Dieu, et Dieu, est l'Amour même, il est la Sagesse même. Il est connu que tel est l'homme par la sagesse, tel il est homme ; mais la vie de la sagesse est l'amour, et l'amour est l'essence de la sagesse, et la sagesse est la forme de l'amour, ainsi qu'il a été montré dans la Sagesse Angélique sur le Divin Amour et sur la Divine Sagesse, par de nombreuses explications, auxquelles il n'est pas besoin d'ajouter ici autre chose.

  2° Aujourd'hui pour que l'homme soit homme, il doit être la charité dans une forme.
  Il est dit aujourd'hui, parce l'homme par la succession du temps depuis la première création est devenu externe ; en effet, il s'est détourné de l'amour envers le Seigneur pour se porter vers la sagesse ; il a mangé de l'arbre de la science et il a mangé de la sagesse, et l'amour interne a été changé en un amour extérieur.

  Le troisième ciel, qui est composé des premiers hommes, est dans l'amour et dans la sagesse ; mais le second ciel consiste en un amour inférieur qui est appelé charité, et en une sagesse qui est appelée intelligence : et enfin comme l'homme est devenu tout-à-fait externe, son amour est appelé charité et sa sagesse foi. Tel est l'état de l'Église chez les hommes aujourd'hui.

  Il y a chez quelques hommes l'amour spirituel, mais non l'amour céleste, et l'amour spirituel est la charité ; mais alors chez ces hommes la foi est la vérité, et la vérité fait l'entendement ou l'intelligence.

  Par la charité dans une forme il est entendu que la vie de l'homme est la charité ; et la forme vient de la vie, mais comment en vient elle, c'est ce qui sera dit dans l'article 4° suivant.

  Dans le ciel l'Ange apparaît dans la forme comme charité; la qualité de la charité est vue d'après la face, et est entendue dans le sont parce que l'homme après la mort devient soli amour, c'est-à-dire, l'affection de son amour : l'esprit et l'Ange ne sont pas autre chose bien plus, la forme de la charité est cet esprit lui-même ou cet Ange lui-même quant à tout le corps. Quelques-uns ont examiné l'Ange, et ont reconnu la forme de la charité dans chacun de ses membres, ce qui est surprenant.
  Dans le monde, l'homme n'est point la charité quant à la forme par la face, le corps, le son, mais son mental peut l'être; et son mental est l'esprit dans une forme humaine après la mort. Mais néanmoins J'homme sincère, qui ne pense rien contre la charité, peut être connu par la face et par le son, et toutefois difficilement, parce qu'il y a des hommes tellement hypocrites, qu'ils peuvent d'une manière frappante simuler et même revêtir la sincérité de la charité; tuais si un Ange regarde la face de l'homme et entend le son de sa voix, il connaît quel il est, parce que lAnge ne voit pas le matériel qui recouvre, et auquel cependant l'homme matériel fait attention.
    Les formes de la charité sont innombrables, il y en a, à l'infini, autant que d'Anges du second ciel ; les variétés en sont aussi nombreuses que les variétés de l'affection du vrai d'après le bien, et cette affection est la charité.

  Celui qui n'est pas une forme de la charité est une forme de la haine, ou celui qui n'est pas une forme de laffection du vrai d'après le bien, est une forme de l'affection du faux d'après le mal ; l'enfer consiste en de telles formes ; là sont toutes les variétés de la haine et de la convoitise.

  De même qu'il y a des genres d'affections et que ces genres se composent d'espèces, de même aussi il y a des genres et des espèces de charités. Il y a donc des charités en grand nombre ; et les degrés en sont d'un double genre ; il a été question de ces degrés dans la Sagesse Angélique sur le Divin Amour et sur la Divine Sagesse, troisième Partie.

  3° L'homme doit être la charité dans une forme, non par lui-même, mais par le Seigneur ; de cette manière il est le réceptacle de la charité.
  La vie de l'homme qui est régénéré est l'affection du vrai d'après le bien, ou la charité; et il n'y a vie que d'après la Vie même, ainsi il n'y a vie que par le Seigneur, parce qu'il est la Vie en soi, comme il l'enseigne Lui Même, en disant « qu'il est le Chemin, la Vérité et la Vie ; que de même que le Père a la Vie en soi, de même il a donné au Fils d'avoir la Vie en Soi, »- (Jean, XIV. 6 ; V. 26;) et ailleurs. Et puisque la Vie est Dieu, le Divin ne peut être approprié à l'homme, qui est fini et créé; mais il peut influer dans un réceptacle et y être adjoint, de même que l'oeil n'est pas la lumière en soi, mais peut recevoir la lumière ; l'oreille non plus n'est pas l'ouïe en soi, mais elle est le réceptacle ; il en est de même des autres sens ; il en est aussi de même du Mental et de ses sens intérieurs.

  L'homme est donc, il est vrai, le sujet de la charité, mais c'est un sujet récipient, parce qu'il a été créé pour être une forme récipiente de la vie, comme l'oeil la été pour être une forme récipiente de la lumière et de ses objets au moyen de la lumière, et comme l'oreille la été pour être une forme recipiente du son au moyen du son qui influe avec son harmonie.

  Celui qui croit que par lui-même il est une forme de la charité, est dans une grande erreur ; ou il croit qu'il est Dieu ou que le Divin a été transfusé en lui, par conséquent il nie Dieu, ou s'il ne pense pas ainsi, il place le mérite dans les oeuvres de la charité, et par conséquent c'est son externe, et non son interne, qui devient la charité ; et alors le Seigneur ne peut pas habiter chez lui ; en effet, le Seigneur habite non dans les choses qui appartiennent au propre de l'homme, mais dans ce qui est à Lui ; il doit habiter dans le Divin ; et il fait ainsi l'homme récipient du Divin procédant, qui appartient à la charité.

  Mais l'homme a été créé de manière qu'il pense et veuille comme par lui-même, et que par suite il parle et agisse comme par lui-même, mais toutefois il lui a été donné de savoir que tout bien de la charité et tout vrai de la foi viennent du Seigneur ; celui qui ne pense pas conformément à ce vrai n'est point dans la lumière de la vie, mais il est dans une lueur chimérique, et cette lueur n'est que ténèbres dans la lumière du ciel ; de là il ne peut pas non plus être illustré dans les autres vrais, si ce n'est seulement quant à la mémoire, mais non quant à la perception, qui est la foi dans son essence.

  D'après cela, il est évident que l'homme est seulement une forme de la charité, et que, la charité appartient au Seigneur chez lui, et qu'il a été donné à l'homme de sentir comme si lui même était la charité, afin qu'il puisse devenir réceptacle et être ainsi dans une conjonction réciproque comme par lui-même, quoique ce soit par le Seigneur.

  L'homme est une telle forme de la charité, selon que le bien de la volonté a été conjoint chez lui au vrai de l'entendement.
  Tout ce qui appartient à la volonté est appelé bien, et tout ce qui appartient à l'entendement est appelé vrai, parce que la volonté est dans la chaleur du ciel, et l'entendement dans la lumière du ciel. Et de même que la volonté sans l'entendement n'a point de qualité, de même elle ne peut pas être dite quelque chose; mais dans l'entendement elle reçoit une qualité et devient quelque chose, et selon ce qui est dans lentendement elle devient telle ou telle, ou devient quelque chose; il en est de même du bien sans le vrai, puis du bien avec le vrai.

  C'est pour cela que les vrais réels doivent être appris ; avec eux se conjoint le bien de la volonté, et ainsi le bien de la volonté devient le bien de la charité.
  Toute variété de la charité vient de là, ou des vrais dans l'entendement ; en effet, le vrai dans son essence est le bien, et le vrai est la forme du bien, absolument de la même manière que le langage est la forme du son, qui est illustré par lui.

  Il y a une double forme du son, l'une appartient au chant, et l'autre au langage ; il y a pareillement une double forme de l'affection du vrai d'après le bien, ou de la charité ; il en sera question.

  Puisqu'il en est ainsi, il est dit en conséquence que la charité est l'affection du vrai d'après le bien, ou l'affection du vrai spirituel ; par suite elle devient l'affection du vrai rationnel ou moral, et l'affection du vrai civil ou naturel.

  De là vient que ceux qui sont dans la charité sont dans la lumière, et que, s'ils n'y sont pas, ils aiment la lumière. La lumière est le vrai, et la chaleur est le bien ; et il est connu que toute végétation et toute fructification viennent du bien par le vrai; de même aussi la végétation et la fructification spirituelle.

  Mais ceux qui ne sont pas dans la charité n'aiment pas le vrai dans la lumière ; cependant ils peuvent aimer le vrai dans l'ombre, et ce vrai est le vrai de la foi d'aujourd'hui ; c'est qu'il faut croire qu'une chose est vraie, quoiqu'elle ne soit pas vue par lentendement ; car ainsi le faux peut être appelé vrai, et d'après sa confirmation être ainsi appelé vrai afin qu'il y ait ce vrai.

  5° Tout ce qui procède d'un tel homme tient de la forme d'être semblable à l'homme, ainsi est la charité.
  Il y a trois choses qui procèdent ; il y a la pensée, il y a le langage, et il y a l'acte, De l'homme, qui est la forme de la charité, procède la pensée d'après l'affection du vrai, affection qui est la charité ; puis le langage d'après le son qui appartient à l'affection et dans lequel est l'affection de la pensée ; et l'acte au moyen du mouvement dans lequel est la charité ; ce mouvement procède de l'effort, et l'affection de la pensée fait l'effort.

  La forme de la charité est principalement dans la perception intérieure de l'homme, laquelle procède de la chaleur et de la lumière spirituelles ; là, l'homme lui-même est homme ; de là est produite la charité dans une conséquence ou dans une semence, et elle se produit et s'effectue, presque de la même manière que d'une semence sort un germe et successivement un arbre ; et elle devient arbre comme un arbre permanent ; et les fruits sont les bonnes oeuvres qui sont faites d'après la volonté du bien au moyen de l'entendement du vrai dans le corps, et ainsi d'abord elle existe arbre.

  Sa forme interne est comme la semence ; que d'une semence il ne puisse naître autre chose que ce qui appartient à sa famille, cela est notoire. Toutes les choses qui en naissent sont semblables, quoique avec beaucoup de variété ; mais toujours est-il qu'il naît et scion et branche dans lesquels est le fruit, ce qui a lieu d'après cet arbre.

  C'est pourquoi tout ce que fait l'homme qui est intérieurement la charité, il le fait d'après la Charité, quoique les actions et les paroles et les pensées soient d'une variété infinie ; toutes les choses qu'il produit sont comme des images de lui-même sous une forme différente, et dans toutes cependant il y a la forme commune comme plan.

  De là vient aussi que pourvu qu'on connaisse l'affection dominante d'un homme, on connaît cet homme ; quand il parle et fait quelque chose, on sait d'après quelle fin et d'après quel amour, comme d'après quelle source. Le Seigneur dit qu'un mauvais arbre fait de mauvais fruits, et un bon arbre (le bons fruits, et qu'un mauvais arbre ne peut pas faire de bons fruits ; (Matth. VII. 179 18.)

  La vie de l'homme est dans toutes les choses qu'il veut et pense, qu'il dit et qu'il fait. Personne ne peut faire une chose d'après une autre vie que la sienne; elles sont toutes des effets de sa vie ; c'est pourquoi il y a similitude entre elles.

  Dans le monde spirituel toutes les affections se présentent d'une manière diverse en effigies, comme jardins, oiseaux, animaux ; l'image de l'homme s'y manifeste lorsqu'on examine à fond ; ce sont ses représentatifs.

  En un mot, l'image de l'homme est dans toutes et dans chacune des choses de l'homme ; c'est la commisération de la charité, c'est la clémence de la charité, c'est l'amitié de la charité, c'est la bienveillance de la charité, c'est la modestie de la charité. En un mot, toutes les vertus sont la charité, mais elles viennent sous un autre nom , ainsi sous une ressemblance différente.

  6° Le prochain peut être aimé sans que ce soit d'après la charité ; et cependant, considéré en soi, cela n'est pas aimer le prochain.
  Soient des exemples pour illustration. Un homme méchant peut aimer un homme bon, et cependant en soi-même il n'aime pas le bien : un homme peut dire d'un Gentil qui déclare exécuter fidèlement son ouvrage «C'est parce que Dieu le veut ainsi ; » alors il peut l'aimer. Quand un homme qui n'aime pas la patrie entend un autre homme en parler, et connaît que cet homme aime la patrie, il peut avoir comme de l'amour pour lui, il défère à son opinion en disant : « C'est un homme de coeur, il parle avec amour, je lui obéirai. » Jai entendu dire que des centaines d'hommes obéissaient à un homme qui avait la réputation d'aimer la patrie, et parmi eux il y en avait à peine dix qui aimaient la patrie. Que quelqu'un entende un prédicateur, et annonce qu'il parle de Dieu avec zèle pour les âmes, et ceux qui n'aiment nullement Dieu, et ne croient à rien, en entendant cela, peuvent néanmoins en être touchés, louer ce prédicateur, avoir pour lui de l'amitié, lui envoyer des présents. Tout homme sincère est aimé par ceux qui ne le sont pas, tout homme véridique est aimé par les menteurs, le fidèle par celui qui ne l'est pas, le chaste qui aime son épouse par les impudiques, et ainsi du reste.

  Toutefois, cela a lieu chez chaque homme, pendant qu'il est dans l'affection commune ; mais dès que périt cette perception, ou dès que périt la lumière commune, alors périt aussi son amour, ce qui arrive lorsqu'il soumet la chose à l'intuition de la pensée inférieure, et qu'il réfléchit si la chose est ou n'est pas ainsi : dans cette pensée influe la lumière qui provient de l'homme ou du monde ; mais dans la commune influe la lumière qui vient du ciel ; cette lumière influe continuellement dans l'intellectuel de l'omme, pourvu qu'il ne s'abaisse pas dans sa propre lumière, car alors il éteint la lumière du ciel, si tel il est. La commune perception du vrai est chez tous, mais l'amour de chacun précipite l'homme de cette perception dans celle qui provient du propre ; celle-ci est la perception matérielle, qui communique avec la vue de l'oeil, c'est la fantaisie ou l'imagination.

  7° Celui qui aime le prochain d'après la charité en soi, celui-là aime le prochain.
  Cet homme se conjoint au bien du prochain et non à la personne ; si donc la personne se retire du bien, il ne l'aime point ; et cette conjonction est la conjonction spirituelle, parce que le prochain, dans l'idée spirituelle, est le bien. C'est pourquoi l'homme, pour qu'il aime le prochain, doit être lui-même la charité dans une forme.