III

LE PROCHAIN QUI DOIT ÊTRE AIMÉ C'EST, DANS
L' IDÉE SPIRITUELLE, LE BIEN ET LE VRAI.



  Il est dit dans l'idée spirituelle, parce que cette Idée est celle dans laquelle est l'homme spirituel intérieurement, idée dans laquelle aussi sont les Anges ; cette idée est abstraite de la matière, de l'espace et du temps, et surtout abstraite de la personne.

  1° L'homme est homme, non par la forme, mais par le bien et le vrai chez lui, ce qui est la même chose, par la volonté et l'entendement.
  Il est notoire que ce qui constitue l'homme même c'est la volonté et l'entendement, et non la forme, quoique par la face et le corps elle semble être l'homme. Il y en a qui sont stupides et insensés, et ils ont toujours l'apparence d'hommes ; il y en a de tellement naturels, qu'ils sont comme des animaux, excepté qu'ils peuvent parler ; les autres sont rationnels et spirituels ; la forme humaine de ceux ci peut paraître moins belle, mais toujours est-il qu'ils sont plus hommes que ceux-là : ôte-leur le bien et le vrai, il reste une forme humaine dans laquelle n'est point l'homme ; ils sont comme des peintures et des sculptures ; ils sont aussi comme des singes. Il est dit le bien et le vrai ; c'est comme si l'on disait la volonté et l'entendement, parce que le bien appartient à la volonté, et le vrai à l'entendement. En effet, la volonté est le réceptacle du bien, et l'entendement est le réceptacle du vrai. Mais le bien et le vrai ne peuvent jamais être que dans leur sujet ; rien ne peut être séparé de son sujet ; c'est pour cela que l'homme est le prochain, mais que, dans l'idée spirituelle, le prochain est le bien et le vrai d'après lesquels l'homme est homme.

  2° Par conséquent le bien et le vrai chez l'homme, c'est le prochain qui doit être aimé.
  Suppose devant tes yeux trois ou dix personnes que tu choisisses pour quelqu'affaire domestique, les choisis-tu autrement que selon le bien et le vrai qui sont chez elles ? Par là l'homme est homme. Si pour ton service tu désires entre deux personnes en choisir une, ne t'informes-tu pas de leur volonté et de leur entendement ? C'est d'après la volonté et l'entendement qu'il faut choisir le prochain qu'on doit aimer : l'homme-diable peut pareillement alors se présenter comme l'homme-ange ; est-ce que ce n'est pas l'homme-ange qui doit être aimé , et non l'homme-diable ? Faire du bien à l'homme-ange à cause du bien et du vrai chez lui, et non à l'homme-diable, c'est la charité ; car la charité est que celui-ci soit puni s'il fait le mal, et que l'homme-ange soit récompensé. Si pour choisir une épouse, tu jettes tes regards sur dix jeunes filles, parmi lesquelles cinq sont prostituées, et cinq sont chastes, ne choisiras-tu pas l'une des chastes, selon que le bien chez elle s'accorde avec le bien Chez toi ?

  3° La qualité du prochain est selon la qualité du bien chez l'homme, ou tel est l'homme, tel est le prochain.
  Que tout homme ne soit pas le prochain au même degré qu'un autre, c'est ce qu'enseigne la parabole du Seigneur sur l'homme blessé par des voleurs, où il est dit, " que celui-là qui lui a porté secours est le prochain, " (Luc, X. 37.) celui qui ne distingue pas le prochain selon la qualité du bien et du vrai chez lui peut être trompé des milliers de fois ; la charité devient confuse et enfin nulle. L'homme-diable peut s'écrier : « Je suis le prochain, fais moi du bien; " et si tu lui fais du bien, il peut te tuer, toi ou un autre ; tu lui mets un couteau ou une épée à la main : ainsi font les impies ; ils disent que tout homme est également le prochain, et qu'ainsi il n'est pas tant besoin de rechercher quel il est ; toutefois, porter secours à un prochain méchant, cela est considéré par Dieu ; mais néanmoins cela n'est point aimer le prochain : celui qui aime le prochain d'une charité réelle s'informe quel est l'homme, et cherche en même temps avec plus de discernement quel bien il lui fera. Ceux qui sont ainsi simples sont, dans l'autre vie, séparés et mis à part ; car s'ils viennent parmi les esprits diaboliques, ceux-ci les engagent par des caresses à leur faire du bien, et à faire du mal aux bons ; ils leur crient : « Délivre moi, secours-moi. » C'est là la plus grande force que s'acquièrent les mauvais esprits ; sans le secours et la quasi- conjonction des simples, ils n'ont absolument aucune forces mais avec ceux qu'ils ont trompés sous le nom de prochain ils ont de la force. La vraie charité même est prudente et sage ; l'autre charité est bâtarde, parce qu'elle appartient seulement à la volonté ou au bien, et non en même temps à l'entendement ou au vrai.

  4° Le degré du prochain est selon le degré du bien et du vrai chez l'homme, par conséquent il n'est pas un seul homme qui soit le prochain au même degré qu'un autre.
  Le bien est distingué selon les degrés en bien civil, bien moral et bien spirituel. Le prochain que l'homme doit aimer d'après la charité doit être le bien spirituel sans ce bien il n'y a pas la charité ; car le bien de la charité est le bien spirituel, puisque chacun dans le Ciel est conjoint selon ce bien. Le bien moral, qui est le bien humain même, doit être le bien rationnel, selon lequel l'homme vit avec l'homme comme frère ou compagnon ; ce bien est le prochain en tant qu'il vient du Bien spirituel ; car le bien moral sans le bien spirituel est un bien externe et appartient à la volonté externe, et n'est point un bien interne ; ce bien peut être le mal quon ne doit pas aimer. Le bien civil est le bien de la vie selon les lois civiles, et son premier fondement est de ne point agir contre ces lois, à cause des peines qu'elles infligent ; si dans ce bien il n'y a pas le bien moral, et dans celui-ci le bien spirituel, ce n'est pas un autre bien que le bien animal, dans lequel sont les bêtes,- quand elles sont tenues renfermées ou enchaînées, -envers ceux qui leur donnent la nourriture, ou qui les punissent, ou qui les caressent. L'homme apprend ces biens dès la première enfance dans le Décalogue. Les lois du Décalogue deviennent d'abord des lois civiles, puis des lois morales, et enfin des lois spirituelles, et alors les biens deviennent pour la première fois des biens de la charité selon les degrés. La charité elle même regarde en premier lieu le bien de l'âme de l'homme et elle l'aime, parce que par ce bien se fait la conjonction ; ensuite elle regarde son bien moral, et elle l'aime selon que l'homme moral vit suivant la perfection de la raison ; et en dernier lieu elle regarde le bien civil selon lequel l'homme est avec elle dans le monde. Par le bien civil l'homme est homme du monde ; selon le bien moral l'homme est supra-mondain et infra-céleste ; mais selon le bien spirituel l'homme est homme du Ciel ou Ange. La consociation de l'homme avec l'homme, se fait par ce bien, et alors selon les degrés par les biens des degrés inférieurs. Donner des exemples : Il y a l'homme spirituel qui veut bien mais ne comprend pas bien, et celui qui ne comprend pas bien ne fait pas bien, ainsi il n'est pas moral-rationnel ; mais celui qui comprend bien et veut bien, celui-là pour lors est, selon l'entendement, le prochain ; toutefois, celui qui ne veut pas bien, quoiqu'il comprenne bien, n'est pas le prochain. En un mot, ce qui fait le prochain, c'est la volonté, et l'entendement en tant qu'il appartient à la volonté.

  5° Le prochain qu'il faut aimer, c'est le bien de la volonté interne, et non le bien de la volonté externe, à moins que celui-ci ne fasse un avec celui-là.
  Il y a une volonté interne et une volonté externe, il en est de même de l'entendement. La volonté interne a conjonction avec le ciel, et la Volonté externe avec le monde. Tout bien appartient à la volonté, et le bien même de la charité appartient à la volonté interne : elles ont coutume d'être séparées chez l'homme, et elles sont surtout séparées chez les hypocrites, chez les fourbes et chez ceux qui flattent pour en tirer profit ; mais quand ces volontés font un, alors les biens de l'une et de l'autre font un seul bien, qui est le prochain. Illustrer ce sujet par des exemples et des comparaisons.

  6° Le vrai est le prochain, en tant qu'il fait un avec le bien, et le vrai et le bien font un comme la forme et l'essence.
  Toute forme tire sa qualité de l'essence ; c'est pourquoi telle est l'essence, telle en est la forme. Cela peut être illustré en ce que l'entendement considéré en lui-même est tel qu'est la volonté. Cela peut aussi être illustré par le son et le langage, et par plusieurs autres comparaisons. Que le vrai soit le bien dans une forme, on le voit dans l' Apoc.Expliquée. D'après tout ce qui a été dit, il est évident que le bien est, dans l'idée spirituelle le prochain qu'il faut aimer, ou que l'homme doit être aimé selon le bien qui est chez lui.