II

LA SECONDE CHOSE DE LA CHARITÉ EST DE FAIRE
LES BIENS, PARCE QU'ILS SONT DES USAGES.



  1° Ne pas vouloir faire de mal au prochain,c'est la charité.
  Tout homme voit que la charité ne fait pas de mal au prochain, parce que la charité est l'amour à l'égard du prochain ; et celui qui aime quelqu'un craint de lui faire du mal, car il y a entre eux conjonction des âmes, d'où il résulte que si l'homme fait du mal à celui auquel il est conjoint par l'amour, il perçoit dans l'âme comme s'il se faisait du mal à lui-même. Qui est celui qui peut faire du mal à ses enfants, à son épouse, à ses amis ? leur faire du mal, c'est contre le bien de l'amour. Qui ne voit que celui qui a de la haine contre un autre, qui agit contre cet autre en adversaire et en ennemi, qui brûle de se venger, qui désire sa mort, n'aime pas le prochain ; que celui qui veut déflorer les vierges et les abandonner, et violer les femmes, n'aime pas le prochain, que celui qui veut piller et sous divers prétextes voler les biens d'autrui, qui blesse la réputation d'un autre par des blasphèmes et ainsi par de faux témoignages, n'aime pas le prochain ; que même celui qui convoite la maison ou l'épouse du prochain, et plusieurs autres choses qui appartiennent au prochain, n'aime pas non plus le prochain ! d'après cela, il est évident que ne pas vouloir faire du mal au prochain, c'est la charité.

  Paul dit en conséquence à ce sujet, dans deux endroits, qu'aimer le prochain c'est remplir la loi :
-1° « Bénissez ceux qui vous persécutent,  bénissez et ne faites point d'imprécations ayant entre vous les mêmes sentiments, n'aspirant point aux choses élevées ; ne rendant à personne mal pour mal, vous attachant aux choses honnêtes devant tous les hommes. Si ton ennemi a faim, donne lui à manger. Si tu fais cela, tu amasseras des charbons de feu sur sa tête. Ne sois pas vaincu par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien. " - Rom. XII. 14 à 21. « Celui qui aime autrui a accompli la loi ; car ceci : Tu ne commettras point adultère ; tu ne tueras point ; tu ne voleras point ; tu ne seras point faux témoin ; tu ne convoiteras point, -et s'il y a quelqu'autre commandement, - se résume dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L'amour du prochain ne fait pas le mal. La plénitude de la loi est donc l'amour.» - Rom. X Ill. 8, 9, 10.

- 2°- «En Christ Jésus, ce n'est ni circoncision ni prépuce qui peuvent quelque chose, mais une foi opérant par la charité. Car toute la loi est accomplie dans une seule parole, dans celle-ci : Tu aimeras ton prochain comme toi même. »- Galat. V. 6, 14 ; - et ailleurs dans la Parole, comme aussi - Rom. XIII. 7, 8, 12 ; XV. 2. 1 Corint. XIII. 1, 2, 3. Et il y est décrit quelle est la charité, 4 à 7 et 13. Éphès. III. 18 ; V. 29 etc. La charité est décrite par diverses choses dans Pierre, III. 8,9, 11.- La charité couvre une  multitude de péchés. » - 1 Pierre, IV 8. Voir aussi 1 Jean. II. 4, 5, 6, 9, 10; - pareillement, - 15, 16. III. 11, 14, 15; - et dans beaucoup d'autres passages des écrits des apôtres, et ailleurs.

  2° Vouloir faire du bien au prochain, c'est la charité.
  Cela est connu, parce que l'on croit que, donner aux pauvres, secourir les indigents, protéger les veuves et les orphelins, faire du bien aux ministres du culte, donner pour les temples et les hôpitaux, et pour divers usages pieux, c'est la charité ; et que, donner à manger à celui qui a faim, à boire à celui qui a soif, recueillir le voyageur, vêtir celui qui est nu, visiter le malade, aller voir ceux qui sont en prison, et plusieurs autres choses, ce sont des biens de la charité ; mais toujours est-il que ce ne sont des biens qu'autant que si l'homme fuit les maux comme péchés. Ces biens l'homme les fait avant de fuir les maux comme péchés, sont des biens externes, et même méritoires, parce qu'ils jaillissent d'une source impure et que les biens qui découlent d'une telle source sont intérieurement des maux, car l'homme est dans les maux, et il s'y précipitera. Que faire des biens Chrétiens, ce soit de la charité, cela est connu ; et plusieurs croient que le bien efface le mal, et qu'ainsi les maux ne sont pas chez l'homme, ou qu'il n'y est pas fait attention ; mais les biens n'effacent point le mal, si l'homme ne porte pas sa pensée sur les maux qui sont en lui, et n'en fait pas pénitence. Il y en a plusieurs qui avaient cru ainsi, et avaient pensé que le mal n'était point chez eux ; examinés (par les Anges), ils ont avoué qu'ils étaient pleins de maux, et qu'à moins qu'ils ne fussent retenus dans les externes, ils ne pouvaient être sauvés.

  3° L'homme peut faire le bien qu'il croit appartenir à la charité, et néanmoins ne pas fuir le mal ; et cependant tout mal est contre la charité.
  Que faire le bien et fuir le mal soient deux choses distinctes, cela est évident ; en effet, il y en a qui font toute espèce de biens de la charité par piété et en pensant à la vie éternelle, et qui néanmoins ne savent pas que, avoir de la haine et se venger, commettre scortation, piller et faire tort, blasphémer, par  conséquent rendre de faux témoignages, et plusieurs autres choses, ce sont là des maux. Il y a des juges qui vivent pieusement, et qui cependant ne considèrent pas comme un péché de juger en ayant égard à l'amitié, à la parenté, et en considération de l'honneur et du profit ; bien plus, s'ils savent que c'est un péché, ils confirment en eux-mêmes que de tels jugements ne sont point des maux ; il en est aussi de même pour d'autres personnes. En un mot, fuir les maux comme péchés, et faire le bien Chrétien, ce sont deux choses distinctes. Celui qui fuit les maux comme péchés fait des biens Chrétiens : ceux qui auparavant font le bien, et ne fuient pas les maux comme péchés, ne font aucun bien Chrétien ; en effet, le mal est contre la charité ; le mal doit donc d'abord être chassé, avant que le bien qu'un fait soit avec la charité ou vienne de la charité. Personne ne peut faire le bien et en même temps vouloir faire le mal, ou vouloir le bien et aussi le mal. Tout bien, qui en soi est le bien, procède de la volonté intérieure ; de cette volonté est éloigné le mal par la pénitence ; car là réside le mal dans lequel l'homme naît c'est pourquoi, à moins qu'on ne fasse pénitence, le mal reste dans la volonté intérieure, et le bien procède de la volonté extérieure, ainsi il est l'état renversé. L'oeuvre intérieure doit qualifier l'oeuvre extérieure, et non pas l'oeuvre extérieure qualifier l'intérieure. Le Seigneur dit : « Nettoie d'abord l'intérieur de la coupe et du plat, etc. "- (Matth. XXIII. 26.) -Il y a dans l'homme une double volonté, l'intérieure et l'extérieure ; la volonté intérieure est purifiée par la pénitence, et alors l'extérieure fait le bien d'après l'intérieure ; mais le bien extérieur n'éloigne pas le mal de la convoitise, ou la racine du mal.

  4° A mesure que l' homme ne veut point faire du mal au prochain, il veut lui faire du bien ; mais non vice versa.
  Il y a le bien civil, le bien moral et le bien spirituel. Le bien, avant que l'homme fuie les maux comme péchés, est le bien civil et moral ; mais à mesure que l'homme fuit les maux comme péchés, il devient le bien tant civil que moral et spirituel, et non auparavant ; la convoitise est cachée intérieurement, et à l'extérieur il y a le plaisir de la convoitise ; lors donc que l'homme pense d'après la convoitise et le plaisir qui en résulte, ou il confirme le mal et croit qu'il est licite, et en conséquence il est dans le mal ; ou il ne pense pas qu'il y ait du mal chez lui, et en conséquence il se croit sain. La vérité est, que l'homme doit s'avouer pécheur, et que de la tête à la plante des pieds il n'est pas sain ; cela est, il peut le dire, et le dire de tête d'après l'esprit ; mais cependant il ne peut pas intérieurement le croire, à moins qu'il ne le sache par un examen ; alors il peut véritablement le dire, et alors pour la première fois il découvre qu'il n'y a rien de sain en lui. Ainsi donc, et non autrement, l'ulcère est ouvert et guéri ; sans cela, il n'y a qu'une guérison palliative. Est-ce que le Seigneur n'a pas prêcher la pénitence ? Les Disciples et Jean - Baptiste ne l'ont-ils pas prêchée aussi ? Ésaïe dit que la première chose est de renoncer aux maux, et qu'alors on apprendra à faire le bien. - (I. 16, 17.) - . Avant cela, on ne sait pas ce que c'est que le bien ni quel est le bien ; le mal ignore ce que c'est que le bien, mais le bien verra le mal.

  5° Il faut d'abord que le mal soit éloigné parce qu'il est contre la charité, ce qui je fait par la pénitence, avant que le bien que l'homme fait soit le bien de la charité.
  Comme le mal doit d'abord être connu, afin qu'il soit éloigné, c'est pour cela que le Décalogue a été la première chose de la Parole, (celle qui a été donnée la première,) et que dans tout le Monde Chrétien il est aussi la première chose de la Doctrine de l'Église. Tous sont initiés dans l'Église en ce qu'on leur apprend à connaître le mal, et à ne pas le faire parce qu'il est contre le Seigneur. Cette première chose de la Parole a donc été si sainte, par cette raison que personne ne peut faire le bien chrétien auparavant. Que le bien vienne ensuite, on le voit clairement par ces exemples : Un juge dit : « Je ne veux pas juger d'après le mal, pour divers motifs ; » de cette manière il est juste et fait le bien. Un laboureur dit : " je ne veux faire mon oeuvre qu'avec justice et fidélité ; " il fait ainsi une oeuvre bonne. De même dans mille autres exemples ; quand l'homme ne fait pas le mal il fait le bien.

  6° Tels sont la connaissance et par suite l'éloignement du mal par la pénitence, tel est le bien qui devient le bien de la charité.
  Selon que l'homme connaît ce que c'est que le mal plus ou moins, de même il connaît les maux de la foi et les maux de la vie ; et comment il y renonce, et il y renonce selon qu'il se tourne vers le Seigneur et croit en Lui. Des exemples peuvent l'enseigner. Car tel est l'homme à l'intérieur, tel il est à l'extérieur ; plus il est pur, plus la source d'où découle le bien est d'une eau meilleure. En un mot, pour chacun le bien est le bien au même degré et en même quantité que pour lui le mal est le mal ; l'un ne peut être séparé de l'autre. Autant quelqu'un dépouille le vieil homme, autant il revêt l'homme nouveau. Autant quelqu'un crucifie la chair, autant il vit par l'esprit. Personne ne peut servir en même temps deux maîtres. (Matth. VI. 24.) La reconnaissance implique qu'on doit savoir ce que c'est que le vrai et ce que c'est que le faux ; l'éloignement appartient à la volonté, l'une et l'autre appartiennent à la vie.

  7°il suit de là que la première chose de la charité est de se tourner vers le Seigneur et de fuir les maux, parce qu'ils sont des péchés, et que la seconde chose de la charité est de faire les biens.
  Le méchant, de même. que le bon, peut faire le bien ; il peut porter secours à un autre, il peut lui faire plusieurs biens par bienveillance, par bénignité, par amitié, par pitié ; mais toujours est-il que chez celui qui les fait ils ne sont pas des biens de la charité, quoiqu'ils le soient chez celui auquel ils sont faits : c'est la charité dans la face externe. Quand quelqu'un fuit de temps en temps le mal comme péché, alors seulement le bien qu'il fait se manifeste à lui et ces deux choses (fuir le mal comme péché et faire le bien) sont ensemble chez lui ; mais toujours est-il qu'une seule y est d'abord, et qu'une seule y est en réalité d'abord et à l'extérieur.