FOI III

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DE LA FOI ET DES OEUVRES

Ce traité a été traduit par M. CITOLEUX.

 

Oeuvres Complètes de Saint Augustin, Traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Tome Vème, Commentaires sur l'Écriture, Bar-Le-Duc, L. Guérins & Cie éditeurs, 1867. p. 553-576

CHAPITRE PREMIER. DOIT-ON ADMETTRE INDISTINCTEMENT TOUT LE MONDE AU BAPTÊME ET N'ENSEIGNER LA MORALE QU'APRÈS CE SACREMENT ?

CHAPITRE II. SALUT IMPOSSIBLE MEME APRÈS LE BAPTÊME SANS RÉFORME DES MOEURS. — SOUFFRIR LES PÊCHEURS DANS L'ÉGLISE SANS PRÉJUDICE DE LA DISCIPLINE.

CHAPITRE III. DANS QUEL ESPRIT FAUT-IL REPRENDRE LES PÉCHEURS? PRÉCEPTES DU SEIGNEUR SUR LA MANIÈRE DE CORRIGER LES MÉCHANTS.

CHAPITRE IV. ERREURS DE L'EXAGÉRATION ET DE SON CONTRAIRE DANS L'INTERPRÉTATION DES ÉCRITURES.

CHAPITRE V. NE PAS SE SÉPARER DE L'ÉGLISE À CAUSE DES MAUVAIS, ET MAINTENIR CONTRE EUX Là VIGUEUR DE LA DISCIPLINE.

CHAPITRE VI. FAUT-IL ADMETTRE AU BAPTÊME UN ADULTÈRE ET UN PÉCHEUR AVANT DE L'AVOIR CONVERTI? L'ENSEIGNEMENT DE LA MORALE NE DOIT-IL PAS PRÉCÉDER LE BAPTÊME?

CHAPITRE VII. UNE FEMME QUI, SANS LE SAVOIR, À ÉPOUSÉ UN HOMME DÉJA MARIÉ, DOIT-ELLE ÊTRE TÉNUE POUR ADULTÈRE?

CHAPITRE VIII. PIERRE A PRÊCHÉ AVANT LE BAPTÊME LA FOI ET LA PÉNITENCE.

CHAPITRE IX. EXEMPLE DE L'EUNUQUE BAPTISE APRÈS AVOIR PROFESSÉ LA FOI : ABUS QU'ON EN FAIT.

CHAPITRE X. NE SAVOIR QUE JÉSUS-CHRIST. FAUSSE DISTINCTION SUR LES DEUX PRÉCEPTES DE L'AMOUR.

CHAPITRE XI. LES ISRAÉLITES ONT PASSÉ LA MER ROUGE AVANT DE RECEVOIR LA LOI.

CHAPITRE XII. CONSÉQUENCE FACHEUSE A LAQUELLE ABOUTIT LE SYSTEME CONTRAIRE.

CHAPITRE XIII. JEAN-BAPTISTE ET SES PRÉCEPTES DE MORALE. JÉSUS-CHRIST ET SES COMMANDEMENTS.

CHAPITRE XIV. LA FOI SANS LES OEUVRES NE SUFFIT PAS POUR ÊTRE SAUVÉ.

CHAPITRE XV. PASSAGE DIFFICILE ET MAL COMPRIS DE L’APÔTRE. RÉFUTATION DE CEUX QUI CROIENT QUE LA FOI SANS LES OEUVRES SERT, AU SALUT.

CHAPITRE XVI. VRAIE DOCTRINE SUR LA FOI ET LES OEUVRES. —  LE JEUNE HOMME RICHE. — FOI DE LA CHANANÉENNE.

CHAPITRE XVII. LES PARABOLES DE L'IVRAIE ET DU SERVITEUR NÉGLIGENT N'ONT AUCUN RAPPORT AVEC LE SUJET.

CHAPITRE XVIII. CE N'EST PAS UNE NOUVEAUTÉ D'ÉCARTER DU BAPTÊME LES PÉCHEURS ENDURCIS.

CHAPITRE XIX. TROIS ESPÈCES DE PÉCHÉS MORTELS, ENTRAINANT L’EXCOMMUNICATION. —  SILENCE DES CATÉCHISMES SUR LES UNIONS ADULTERES. —  MARIAGES AVEC LES INFIDÈLES.

CHAPITRE XX. COMMENT FAUT-IL PROCÉDER A LA GUÉRISON DE CEUX QUI DOIVENT ÊTRE BAPTISÉS?

CHAPITRE XXI. CONDUITE DES APOTRES. —  LES JUIFS NE SESONT-ILS PERDUS QUE PAR LEUR INCRÉDULITÉ ? — LE ROYAUME DU CIEL, SOUFFRE VIOLENCE.

CHAPITRE XXII. LA VRAIE CONNAISSANCE DE DIEU. — LES PÉCHEURS CONVERTIS DOIVENT SEULS COMPTER SUR L'INDULGENCE : LES IMPÉNITENTS EN SONT INDIGNES.

CHAPITRE XXIII. MAUVAISE INTERPRÉTATION. —  LE MOT JUGEMENT DANS L'ÉCRITURE.

CHAPITRE XXIV. LA LIBERTÉ DE LA FOI CHRÉTIENNE NE DOIT PAS COUVRIR COMME D'UN VOILE LA DÉPRAVATION DES FIDÈLES.

CHAPITRE XXV. LOI SAINTE ; CHÂTIMENT RÉSERVÉ À SES VIOLATEURS. — FAUSSE SÉCURITÉ DE CEUX QUI ONT ÉTÉ BAPTISÉS ET VIVENT DANS LE CRIME.

CHAPITRE XXVI. CONFORMER SES ACTES AUX ENGAGEMENTS DU BAPTÊME. — TROIS ESPÈCES DE PÉCHÉS; TROIS SORTES DE REMÈDES.

CHAPITRE XXVII. CONCLUSION.

 

 

DE LA FOI ET DES OEUVRES

 

Réfutation de trois erreurs auxquelles l'auteur oppose les trois propositions suivantes : 1° On ne doit pas admettre indistinctement toute sorte de personnes au baptême ; la tolérance pour les pécheurs doit se concilier dans l'Église avec le maintien de la discipline ecclésiastique. 2°  Il faut initier les catéchumènes aux mystères de la foi et tout ensemble aux devoirs de la vie chrétienne. 3° Celui qui a reçu le baptême est incapable, s'il ne réforme pas ses moeurs criminelles, d'arriver par la foi seule au salut éternel.

 

CHAPITRE PREMIER. DOIT-ON ADMETTRE INDISTINCTEMENT TOUT LE MONDE AU BAPTÊME ET N'ENSEIGNER LA MORALE QU'APRÈS CE SACREMENT ?

 

1. Selon l'opinion de quelques personnes, on doit admettre indifféremment au bain sacré qui nous régénère en Jésus-Christ tous les hommes, même ceux qui ne consentiraient pas à réformer leur vie souillée des crimes et des infamies les plus notoires, et qui afficheraient la résolution de persévérer dans leurs désordres. Par exemple, un homme vit dans l'adultère. Si l'on en croit ces personnes, on doit lui conférer le baptême sans l'avertir de rompre cette liaison criminelle ; lors      même qu'il y persévérait, . qu'il se flatterait dans son coeur ou se vanterait publiquement d'y persévérer, il n'en faudrait pas moins l'admettre au baptême, et laisser devenir membre de Jésus-Christ l'homme qui veut rester, celui d'une prostituée (1) ; on attendra qu'il soit baptisé  pour lui apprendre l'énormité de son péché et les moyens de réformer ses moeurs. Dans leur opinion, c'est intervertir et confondre l'ordre des choses que d'enseigner à vivre en chrétien avant de baptiser ; il faut d'abord conférer le sacrement, puis inculquer les règles de la morale chrétienne ; si on les observe fidèlement, on agira selon son intérêt ; si on ne le veut pas et qu'en gardant la foi chrétienne, sans laquelle on serait condamné à la mort éternelle, on persévère dans toute sorte de crimes et d'infamies, on se sauvera, en passant comme par le feu; on aura le sort de celui qui a élevé sur le véritable fondement, c'est-à-dire, sur la doctrine de Jésus-Christ, un édifice, non d'or, d'argent et de pierres précieuses, mais de bois, de

 

1 I Cor. VI, 15.

 

foin et de paille (1), en d'autres termes des oeuvres non de justice et de pureté, mais d'injustice et d'impudicité.

2. Ces personnes semblent avoir soulevé cette controverse, parce qu'elles voyaient avec peine qu'on refusait le baptême aux hommes ou aux femmes qui, après avoir divorcé , avaient contracté un nouveau mariage . Une pareille union, en effet, n'est pas un mariage, mais un adultère, comme le déclare formellement Notre-Seigneur Jésus-Christ (2). Ne pouvant donc nier l'adultère, si ouvertement reconnu par la Vérité elle-même dans ces sortes d'unions, et voulant toutefois faire admettre au baptême, par le poids de leurs suffrages, les pécheurs qu'elles voyaient assez aveuglément engagés dans les chaînes pour se résoudre, si on leur refusait le baptême, à vivre, à mourir même sans ce sacrement, plutôt que de s'affranchir des liens de l'adultère ; elles ont été poussées par une compassion toute humaine à se charger de la cause de ces malheureux ; et tel a été leur zèle qu'elles ont pensé qu'on devait admettre au baptême pêle-mêle avec ces pécheurs, les scélérats et les débauchés, sans leur adresser aucun avis, sans les corriger par aucune réprimande, sans les transformer par la pénitence ; elles ont cru qu'ils encourraient la mort éternelle, sans le baptême, tandis que, par la grâce du baptême, ils se sauveraient à travers le feu, malgré leur obstination à vivre dans leurs dérèglements.

 

11 Cor. II, 11-16. — 2 Matt. XIX, 9.

 

CHAPITRE II. SALUT IMPOSSIBLE MEME APRÈS LE BAPTÊME SANS RÉFORME DES MOEURS. — SOUFFRIR LES PÊCHEURS DANS L'ÉGLISE SANS PRÉJUDICE DE LA DISCIPLINE.

 

3. Je réponds à ces personnes et je leur (554) déclare d'abord qu'on ne doit pas interpréter les passages où l'Écriture signale dans le présent ou prédit pour l'avenir un mélange des bons et des mauvais dans l'Église , de manière à relâcher ou même à détruire la discipline dans sa rigueur et dans sa pureté on ne serait plus alors éclairé par les saintes Lettres, mais abusé par son sens propre. Moïse, le serviteur de Dieu, a sans doute toléré avec une patience infinie ce mélange dans le peuple primitif : tuais il n'en a pas moins condamné au glaive un grand nombre de coupables. Le prêtre Phinéès surprit des adultères et les perça immédiatement du fer vengeur (1). La dégradation, l'excommunication sont le symbole de ces châtiments, dans la discipline actuelle de l'Église, qui a fait rentrer dans le fourreau le glaive visible. Le saint Apôtre se résigne sans doute à gé mir au milieu des faux frères (2), il permet à quelques prédicateurs, malgré la jalousie diabolique dont l'aiguillon les harcèle, d'annoncer Jésus-Christ (3); mais il ne garde aucun ménagement pour le chrétien qui s'est marié avec la femme de son père : il ordonne qu'on rassemble l'Église et qu'on le livre à Satan, pour la mort de la chair et afin que son âme soit sauvée au jour du jugement de Notre-Seigneur Jésus-Christ (4) lui-même en livré plusieurs à Satan, afin qu'ils apprennent à ne plus blasphémer (5). Autrement les paroles suivantes n'auraient plus aucun sens : « Je vous ai écrit dans une première lettre de

rompre tout commerce avec les fornicateurs ; je ne voulais pas parler des fornicateurs de ce monde, ni des avares, ni des voleurs, ni des idolâtres ; autrement vous seriez obligés à sortir du monde. J'ai voulu vous dire que, si celui qui compte parmi les frères, est fornicateur, ou idolâtre, ou avare, ou médisant, ou ivrogne, ou voleur, vous ne deviez pas même manger avec lui. A quel titre en effet jugerais-je les infidèles ? N'est-ce pas sur les fidèles que s'étend votre droit de juger? Dieu jugera ceux qui sont hors de l'Église : quant à vous, chassez ce fléau du milieu de vous (6). » Par ces mots, du milieu de vous, quelques-uns entendent l'obligation où nous sommes fous d'arracher de nous-mêmes le péché, en d'autres termes, de devenir bons. Mais soit qu'on entende qu'il faille livrer les méchants à la sévérité de l'Église et leur infliger la peine de l'excommunication, soit qu'on voie dans ce passage le devoir pour tout fidèle

 

1 Nomb. XXV, 5-8. — 2 II Cor. X, 26. — 3 Philip. I,16-18. — 4 Nom. XXV, 5-8. — 5 I Ti. I , 20. — 6 I Cor. V, 9-15.

 

d'extirper le péché de son coeur par la pénitence et le changement de vie, il n'y a pas d'équivoque dans les paroles où l'Apôtre prescrit de n'avoir aucun commerce avec des frères souillés des vice qu'il vient d'énumérer, en d'autres termes, avec les gens décriés et perdus. de réputation.

 

CHAPITRE III. DANS QUEL ESPRIT FAUT-IL REPRENDRE LES PÉCHEURS? PRÉCEPTES DU SEIGNEUR SUR LA MANIÈRE DE CORRIGER LES MÉCHANTS.

 

Quant à l'esprit de charité qui doit tempérer cette sévérité miséricordieuse, il ne se montre pas seulement dans le passage où l'Apôtre dit : « Afin que son âme soit sauvée au jour du jugement du Seigneur ; » il apparaît manifestement dans cet autre passage : « Si quelqu'un n'obéit pas à ce que nous prescrivons dans notre lettre, notez-le et n'ayez aucun commerce avec lui, afin qu'il rougisse ; toutefois ne le regardez pas comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère (1). »

4. Le Seigneur lui-même nous offre un modèle incomparable de patience : il a souffert jusqu'à la passion un diable parmi les douze Apôtres ; il a dit : « Laissez croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson , de peur  qu'en voulant arracher l'ivraie vous ne déraciniez en même temps le bon grain (2) ; » il a prédit que ces filets, symbole de l'Eglise, qui s'étendent jusqu'au rivage, c'est-à-dire, jusqu'à la fin du monde, renfermeraient à la fois les bons et les mauvais poissons; enfin, dans une foule de passages, il a parlé expressément ou en parabole du mélange des bons et des mauvais. Toutefois a-t-il jamais ordonné de ne pas maintenir la discipline de l'Eglise ? Loin de là, il nous avertit d'ensuivre les règles lorsqu'il dit: « Prends

garde; si ton frère a péché contre toi, va, et reprends-le seul entre toi et lui. S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère. Mais s'il ne t'écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes, afin que tout soit avéré par l'autorité de deux ou trois témoins. S'il ne les écoute pas, dis-le à l'Eglise. S'il n'écoute pas l'Eglise, qu'il soit à tes yeux comme un païen et un publicain (3). » Il ajoute ce passage où il donne à la sévérité cette sanction redoutable : « Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel; tout ce que vous « lierez sur la terre sera lié dans le ciel. » Il

 

1. II Thess. III, 14, 16. — 2 Matt. XIII, 39, 30. — 3 Ib. XVIII, l-51.

 

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nous défend encore de donner les choses saintes aux chiens (1). Quand l'Apôtre dit : « Reprends les pécheurs publics en présence de tout le monde, afin d'intimider les autres (2); » il ne contredit.pas la parole du Seigneur : « Reprends-le entre toi et lui. » C'est là en effet un double précepte qu'il faut appliquer en consultant les maladies différentes des pécheurs dont nous voulons la guérison et le salut, non la perte : le remède varie selon les personnes. La règle est donc différente , selon qu'il faut tolérer les mauvais avec indulgence, on les reprendre et les corriger, les repousser et les retrancher de la communion des fidèles.

 

CHAPITRE IV. ERREURS DE L'EXAGÉRATION ET DE SON CONTRAIRE DANS L'INTERPRÉTATION DES ÉCRITURES.

 

5. Tomber dans l'erreur, c'est ne pas garder un juste milieu; quand on ne voit qu'un côté de la vérité et qu'on se laisse aller à cette pente dangereuse, on ne songe plus aux autres témoignages de l'autorité divine, capables d'arrêter cette précipitation et de ramener à ce centre de vérité qui se trouve dans, l'accord de tous les témoignages entre eux : c'est une source d'erreurs, non-seulement dans la question qui nous occupe, mais dans une foule d'autres. Par exemple, quelques-uns, ne considérant que les témoignages des Ecritures qui donnent à entendre qu'on doit adorer un Dieu unique, ont confondu le Père et le Saint-Esprit avec le Fils; d'autres, atteints pour ainsi dire d'une maladie toute contraire, n'ont fait attention qu'aux passages qui révèlent la Trinité, et, ne pouvant comprendre que l'unité en Dieu se conciliât avec la distinction des personnes, ils se sont crus fondés à reconnaître plusieurs substances en Dieu. Autre erreur. Quelques-uns ayant la : « Il vaudrait mieux,  mes frères, s'abstenir de viande et ne pas  boire du vin (3), » et autres passages analogues ont déclaré impurs, dans la création divine, tous les aliments qu'il leur a plu. D'autres venant à lire : « Tout ce que Dieu a créé est bon, et on ne doit rejeter comme mauvais rien de ce qu'on petit prendre avec actions de grâces (4), » ont abouti à un système de sensualité et de débauche, incapables d'éviter un défaut sans tomber dans un autre semblable ou même plus grave.

6. De là l'origine du débat qui nous occupe.

 

1 Matt. VII, 6. — 2 I Tim. V, 20. — 3 Rois, XIV, 21. —  4 I Tim. IV, 4.

 

 

Quelques-uns, ne considérant que les préceptes rigoureux qui nous commandent de réprimer les perturbateurs, de ne pas donner aux chiens les choses saintes, de tenir pour un païen le contempteur de l'Eglise, de retrancher du corps des fidèles le membre qui scandalise, troublent la paix de l'Eglise, et vont si loin, qu'ils s'efforcent d'arracher l'ivraie avant la moisson, aveuglés par leur préjugé , ils ne sentent pas qu'ils se séparent eux-mêmes de l'unité de Jésus-Christ. Voila ce que nous soutenons contre les Donatistes; non pas contre ceux qui savent que Cécilien a été en butte à des accusations aussi fausses que calomnieuses, et qu'un sentiment fatal de respect humain empêche seul de renoncer à leur opinion pernicieuse; mais contre ceux à qui j'adresse ce langage : Lors même que ceux qui ont donné prétexte à votre schisme, eussent été mauvais, vous ne deviez pas moins rester fidèles à l'Eglise en supportant les pécheurs que vous étiez dans l'impuissance de corriger ou d'excommunier. D'autres entra!nés dans une erreur tout opposée, ne sont plus frappés que des passages où le mélange des bons et des mauvais dans l'Eglise est signalé et prédit : ils n'ont appris que les préceptes qui nous recommandent la patience, sans penser que ces préceptes sont destinés à nous donner la foi ce de garder la foi et la charité, malgré l'ivraie que nous voyons dans l'Eglise, et à nous empêcher de la quitter, sous prétexte que nous y remarquons de l'ivraie. Ainsi égarés, ils s'imaginent que l'on doit abolir la discipline de l'Eglise; ils veulent inspirer à ceux qui la gouvernent une fausse sécurité et réduisent leur fonction à prêcher ce qu'il faut l'aire ou ce qu'il faut éviter , en laissant tranquillement chacun suivre ses instincts.

 

CHAPITRE V. NE PAS SE SÉPARER DE L'ÉGLISE À CAUSE DES MAUVAIS, ET MAINTENIR CONTRE EUX Là VIGUEUR DE LA DISCIPLINE.

 

7. Selon nous, la véritable doctrine consiste à régler notre conduite et nos pensées sur le témoignage de l'Ecriture, en les tempérant les uns par les autres; il faut tolérer les chiens dans l’Eglise, pour assurer la paix de l'Eglise même, et refuser les choses saintes aux chiens, quand le repos de l'Eglise n'en est pas troublé. Arrive-t-il par la négligence des supérieurs, par la

 

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force naturelle des choses ou par surprise, qu'il se rencontre dans l'Église des pécheurs auxquels nous ne pouvons appliquer les censures ou les peines de la loi ecclésiastique? Gardons-nous d'ouvrir notre coeur à la pensée impie autant que dangereuse de nous séparer d'eux pour éviter la contagion de leurs péchés, de vouloir entraîner après nous des disciples, comme s'ils étaient des modèles d'innocence et de sainteté, et de les arracher à l'unité, sous prétexte de les dérober à l'influence des vices. Rappelons-nous les paraboles de l'Ecriture, les divins oracles on du moins les exemples infaillibles qui nous montrent et nous prédisent que les mauvais seront mêlés avec les bons dans l’Eglise jusqu'à la fin du monde et jusqu'au jugement dernier, sans que leur participation aux sacrements nuise jamais aux justes qui n'auront pas trempé dans leurs péchés. Les chefs de l'Église, au contraire, ont-ils le pouvoir d'exercer leur autorité contre les méchants et les criminels, sans troubler la paix? Alors, si nous ne voulons pas nous endormir dans l'apathie et la mollesse, nous devons nous réveiller sous l'aiguillon des préceptes relatifs à la sévérité; c'est ainsi que nous dirigerons nos pas dans la Voie du Seigneur en suivant la route que nous tracent les différents passages de l'Ecriture, sans cacher notre tiédeur sous le voile de la tolérance ni déguiser notre rigueur sous les apparences du zèle.

 

CHAPITRE VI. FAUT-IL ADMETTRE AU BAPTÊME UN ADULTÈRE ET UN PÉCHEUR AVANT DE L'AVOIR CONVERTI? L'ENSEIGNEMENT DE LA MORALE NE DOIT-IL PAS PRÉCÉDER LE BAPTÊME?

 

8. Examinons donc, en observant le juste tempérament que recoin mande la saine doctrine, la question de savoir s'il faut admettre au baptême, sans prendre la moindre précaution pour ne pas donner aux chiens les choses saintes, et s'il faut pousser la tolérance au point de juger dignes de recevoir un sacrement aussi auguste ceux qui vivent ouvertement  dans l'adultère et affichent la résolution d'y persévérer. Il est hors de doute qu'on ne les admettrait pas, si, dans, les jours qu'ils doivent recevoir cette grâce et que, s'étant fait inscrire, ils se purifient dans l'abstinence, le jeûne et les exorcismes, on les voyait continuer de partager la couche même d'une épouse légitime et qu'ils refusassent d'observer,

en- cet instant solennel, la continence à laquelle ils ne sont pas soumis je reste du temps. A quel titre donc pourrait-on admettre à ce sacrement l'adultère qui refuse de se corriger, quand on écarte l'époux qui ne consent pas à un célibat temporaire ?

9. Qu'on le baptise d'abord, répliquent-ils, et qu'on lui enseigne ensuite les règles de la morale. Sans doute, quand une personne tombe tout-à-coup en danger de mort, on lui fait faire un acte de foi à certaines formules qui renferment tous les dogmes en abrégé, et on lui confère le baptême, afin que, si elle vient à mourir, elle ne soit plus sous le coup de l'accusation qu'entraînaient ses fautes passées. Mais si on demande ce sacrement en pleine santé et en ayant le temps de s'instruire, peut-il y avoir, pour apprendre à devenir et à rester chrétien, un moment plus favorable que celui où l'on sollicite avec l'attention et dans l'attente provoquée par la religion elle-même, le sacrement destiné à fortifier la foi? Aurions-nous donc perdu la mémoire au point de ne plus nous rappeler l'attention et l'émotion qu'excitait en nous l'enseignement des catéchistes, lorsque nous demandions le baptême et que nous avions le titre de postulants? Ne voyons-nous pas aussi, chaque année,dans quel esprit ceux qui viennent se régénérer dans l'eau sainte, se sou mettent aux instructions, aux exorcismes, aux examens de conscience? Quel recueillement, quelle ferveur de zèle, quelle inquiétude mêlée d'espérance! Si ce n'est pas le moment d'apprendre le secret de mettre sa conduite en harmonie avec la grandeur du sacrement qu'on désire recevoir, quand se présentera-t-il? Sera-ce quand on l'aura reçu, et, qu'obstiné dans les fautes les plus graves même après le baptême, on sera moins un homme nouveau qu'un vieux coupable ? Certes il y aurait une étrange contradiction à commencer par dire : « Revêtez l'homme nouveau »; pour ajouter ensuite : « Dépouillez le vieil homme; » quand l’Apôtre, suivant l'ordre naturel des choses, dit : « Dépouillez le vieil homme et revêtez l'homme nouveau (1), » et que le Seigneur lui-même s'écrie:  Personne ne coud une pièce neuve à un vieux  vêtement; personne ne met du vin nouveau  dans de vieilles outres (2). » A quoi sert tout ce temps où l'on a le titre et le rang de catéchumène, sinon à apprendre en quoi consiste la foi et la conduite d'un chrétien, afin que, s'étant

 

1 Col. III, 9, 10. —  2 Matt. IX, 16, 17.

 

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éprouvé soi-même, on se présente pour manger à la table du Seigneur et pour boire à sa coupe? « Car celui qui mange et qui boit indignement, mange et boit son propre jugement (1). » Si l'on suit ces maximes tout le temps fixé sagement dans l'Eglise pour tenir au rang de catéchumènes ceux qui veulent prendre le nom du Christ, on redouble encore de vigilance et de zèle dans ces jours où l'on porte le titre de postulants, après s'être fait inscrire pour être baptisés

 

CHAPITRE VII. UNE FEMME QUI, SANS LE SAVOIR, À ÉPOUSÉ UN HOMME DÉJA MARIÉ, DOIT-ELLE ÊTRE TÉNUE POUR ADULTÈRE?

 

10. Mais, objectent-ils, si une femme épouse à son insu un homme marié ? — Eh bien! ou elle ignorera toujours cette bigamie, et dès lors elle ne sera jamais adultère ; ou elle en sera instruite, et elle deviendra adultère, dès l'instant quelle entretiendra sciemment un commerce illégitime. C'est ainsi que, d'après le code rural, on est réputé à juste titre possesseur de bonne foi tait qu'on est à son insu le détenteur du bien d'autrui; mais du moment qu'on retient sciemment la propriété d'autrui, on est réputé possesseur de mauvaise foi et on mérite la qualification d'injuste. Loin de nous, je ne dis pas la compassion toute humaine, mais l'illusion qui nous ferait déplorer la censure des infamies comme une atteinte portée au mariage ; surtout quand nous sommes dans la cité de Dieu, sur sa montagne sainte (2), en d'autres termes, dans cette Eglise, où le mariage n'est pas seulement une union, mais encore un sacrement si auguste qu'un mari n'a pas le droit de céder sa femme à un autre, comme autrefois Caton, dans la cité romaine, en donna un exemple qui provoqua, non le scandale, mais les applaudissements publics, au dire des historiens (3). Il serait inutile de continuer cette discussion, puisque nos adversaires n'osent soutenir qu'il n'y a pas de péché en cette matière, encore moins nier qu'il y ait adultère, afin de ne pas se mettre en flagrante contradiction avec le Seigneur lui-même et le saint Evangile. En avançant qu'il faut admettre ces pécheurs au baptême et à la table, du Sauveur, malgré leur résolution hautement avouée de repousser toute censure, que dis-je ?

 

1 I Cor. XI, 28, 29. —  2 Ps. XLVII, 2, 3. — 3 Plutarque,               Biogr. de Caton d'Utique.

 

qu'il faut éviter de leur adresser aucun reproche à ce sujet et ajourner leur instruction, afin de les considérer comme de bon grain, s'ils se soumettent à l'observation des règles en se corrigeant de leurs fautes, et de les tolérer au même titre que l'ivraie, s'ils sont rebelles; en avançant, dis-je, cette opinion, on montre assez qu'on n'est pas disposé à défendre de pareils égarements ou à les taxer de légèretés et de peccadilles. Et quel est le chrétien, animé d'une sincère espérance, qui consentirait à ne pas flétrir l'adultère ou à, l'atténuer?

11. On croit cependant avoir déduit des saintes Ecritures la règle qui apprend soit à corriger soit à tolérer ces fautes dans le prochain, quand on a cité l'exemple des Apôtres; on produit quelques passages de leurs lettres où l'on remarque en effet qu'ils ont initié aux mystères de la foi avant d'enseigner les règles de la morale. On veut en conclure qu'il faut se borner à transmettre aux catéchumènes le principe de la foi et ne donner qu'après le baptême les instructions capables de réformer les moeurs. Eh quoi! ont-ils lu quelques lettres des Apôtres adressées, les unes à ceux qui se disposaient à recevoir le baptême, exclusivement consacrées à la question de foi; les autres, à ceux qui étaient  baptisés, sans autre objet que des préceptes pour éviter les péchés et pour régler les moeurs ? Or, s'il est avéré que leurs lettres sont adressées à des chrétiens déjà baptisés, pourquoi contiennent-elles tout ensemble une exposition du dogme et de la morale ? Irait-on jusqu'à dire qu'il faut scinder cet enseignement avant le baptême et le communiquer ensuite dans son ensemble? Si cette conséquence est absurde, il faut bien reconnaître que les Apôtres, dans leurs lettres, ont imprimé ce double caractère à leur enseignement: si d'ordinaire ils ont initié à la foi, avant d’exposer les règles de la morale, c'est que la foi précède nécessairement dans l'homme la vie honnête. Car toute bonne action accomplie par l'homme ne mérite au fond cette qualification qu'autant qu’elle s'attache à la piété qui a Dieu pour objet. Si, quelques personnes poussaient la simplicité et l'ignorance jusqu'à croire que.les Apôtres ont adressé ces lettres aux catéchumènes, elle seraient forcées de reconnaître qu'il faut simultanément exposer à, ceux qui se préparent au baptême le dogme et les règles morales qui en découlent: autrement leur argumentation aurait pour, conséquence rigoureuse (558) de nous condamner à lire aux catéchumènes le commencement des lettres où les Apôtres exposent le dogme, aux fidèles, la fin, où ils retracent les devoirs de la vie chrétienne. Rien ne serait plus déraisonnable qu'une telle prétention.

Ainsi on ne peut tirer des lettres des Apôtres aucune preuve à l'appui de l'opinion selon laquelle le baptême devrait être conféré sans autre titre que la foi, et les instructions morales, remises après le baptême, sous prétexte qu'au début de leurs lettres les Apôtres ont insisté sur le dogme et ont fini naturellement par exhorter les fidèles à bien vivre. Car, bien que ce double enseignement soit, l'un au début, l'autre à la fin, il faut souvent le transmettre dans son ensemble aux catéchumènes comme aux fidèles, à ceux qui se disposent an baptême comme à ceux qui l'ont reçu, pour les instruire on pour ranimer leur souvenir, pour leur apprendre à confesser la foi ou les y confirmer: ainsi l'exige la saine et exacte doctrine. Qu'on ajoute donc à la lettre de Pierre, à celle de Jean, dont on cite quelques témoignages, les lettres de Paul et des autres Apôtres: il n'y faudra voir que leur méthode d’exposer le dogme et d'y subordonner la morale; méthode que j'ai fort clairement exposée si je ne me trompe.

 

CHAPITRE VIII. PIERRE A PRÊCHÉ AVANT LE BAPTÊME LA FOI ET LA PÉNITENCE.

 

12. Mais dans les Actes des Apôtres, ajoute-t-on, Pierre, en s'adressant à ceux qui, après avoir reçu sa parole, furent baptisés au nombre de trois mille en un seul jour, ne leur prêche que la foi en Jésus-Christ. Lorsqu'ils eurent dit. « Que  ferons nous ? » Pierre leur répondit: « Faites  pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au  nom du Seigneur Jésus pour la rémission de vos  péchés et vous recevrez le don du Saint-Esprit. » Pourquoi donc ne pas remarquer ce mot: « Faites pénitence? » Car la pénitence consiste à se dépouiller de la vie ancienne pour revêtir dans le baptême une vie nouvelle. Or, que gagnera-t-on à faire pénitence des oeuvres de mort, si on ne renonce pas à l'adultère et à toutes les voluptés criminelles où se renferme l'amour du monde?

13. Il n'a voulu, ajoute-t-on encore, que les aire renoncer par la pénitence à l'incrédulité. C'est un étrange préjugé, pour ne pas employer d'expression plus sévère, que de vouloir appliquer seulement à l'incrédulité les paroles - Faites pénitence. Car il faut changer sa vie passée en une vie nouvelle, d'après la doctrine de l'Evangile, à laquelle vient se joindre le passage de l'Apôtre, conçu dans le même sens : «Que le voleur ne dérobe plus (1), » et une foule de textes où l'on. enseigne en détail à dépouiller le vieil homme pour revêtir l'homme nouveau. Les expressions même de saint Pierre auraient été suffisantes pour convaincre, si on avait voulu les peser avec attention. Après avoir cité ces paroles: « Faites pénitence et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus-Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez le don du Saint-Esprit; car la promesse en a été faite à nous et à nos enfants ainsi qu'à tous ceux qui sont éloignés, et à tous les hommes que le Seigneur notre Dieu a appelés; » l'écrivain sacré ajoute immédiatement : « il les exhortait encore par plusieurs autres discours et s'écriait: Sauvez-vous de cette génération perverse. » Ils accueillirent ces paroles avec ardeur, crurent et furent baptisés; et il y eut en ce jour-là environ trois mille personne qui se joignirent aux Apôtres (2). Comment ne pas voir ici que Pierre faisait un long discours, abrégé par le narrateur, pour les tirer de cette génération perverse? Car le principe qu'il s'attachait par de longs discours à faire entrer dans les esprits, n'est indiqué qu'en raccourci. L'idée essentielle est formulée en ces fermes: « Sauvez-vous de cette génération perverse;» et pour les faire adopter Pierre se livrait à une longue exhortation. Là il condamnait les oeuvres de mort, auxquelles s'abandonnent les pécheurs attachés au présent, et faisait sentir la perfection de la vie pure, à laquelle s'attachent fidèlement ceux qui se sont séparés de cette génération impie. Qu'on essaie maintenant de prouver qu'il suffit de la foi en Jésus-Christ pour se sauver de ce monde pervers, lors-même qu'on resterait plongé dans toutes sortes de turpitudes et qu'on afficherait même l'adultère! Et comme unetelle opinion est impie, il faut reconnaître que les catéchumènes sont obligés d'apprendre non-seulement ce qu'il faut croire, mais encore ce qu'il faut pratiquer pour se sauver des erreurs du monde ; car, pour y réussir, ils doivent apprendre à conformer leur, conduite à leur croyance.

 

1 Eph. IV, 28. — 2 Act, II, 38-41.

 

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CHAPITRE IX. EXEMPLE DE L'EUNUQUE BAPTISE APRÈS AVOIR PROFESSÉ LA FOI : ABUS QU'ON EN FAIT.

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14. L'Eunuque que baptisa Philippe, dit-on en tore, ne prononça que ces paroles : « Je crois que « Jésus-Christ est le Fls de Dieu. » Sur cette déclaration, il reçut immédiatement le baptême. Faut-il donc conclure de là qu'il suffit de faire la même réponse pour être baptisé sur le champ? Faut-il que le catéchiste reste muet et n'exige aucune profession de foi sur le Saint-Esprit, la sainte Eglise, la rémission des péchés, la résurrection des morts; qu'il se borne à dire que Notre-Seigneur Jésus-Christ est le Fils de Dieu, sans parler de son incarnation dans le sein d'une vierge, de sa passion, de sa mort sur la croix, de son ascension au ciel, où il est assis à la droite du Père? Si la réponse de l'Eunuque : « Je crois « que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, n a été, aux yeux de Philippe, une raison suffisante pour l'admettre immédiatement au baptême; pourquoi ne pas imiter son exemple ? pourquoi ne pas supprimer aussi, nous, les conditions que nous regardons comme indispensables pour baptiser même en cas de nécessité, je veux dire ces questions sur les mystères auxquelles le catéchumène doit répondre, n'eût-il pas le temps de les graver dans sa mémoire? Mais si l'Ecriture a passé sous silence et nous a laissé le soin de suppléer l'entretien de Philippe avec l'Eunuque pour le préparer au baptême, elle nous a fait clairement entendre par ces mots : « Philippe le baptisa (1), » que toutes les conditions furent remplies, conditions qui, pour n'être pas exprimées dans l'Ecriture où il fallait abréger, n'en sont pas moins obligatoires, comme nous le savons par une tradition constante? Il faut interpréter de la même manière le passage où il est dit que Philippe annonça à l'Eunuque le Seigneur Jésus nul ne doute qu'il ne lui révéla tous les principes du catéchisme qui ont trait à la conduite et aux moeurs de tout croyant en Jésus-Christ. Qu'est-ce qu'annoncer Jésus-Christ? Ce n'est pas seulement dire ce qu'il faut croire, mais ce qu'il faut pratiquer, quand on veut devenir un de ses membres ; que dis-je ? C'est enseigner tous les dogmes relatifs à Jésus-Christ, non-seulement sa filiation divine, sa naissance selon la chair, les douleurs et les causes de sa passion, les effets de sa résurrection, la promesse et le don qu'il a faits de l'Esprit-Saint aux fidèles, mais encore les vertus qu'il veut trouver dans les

 

1 Act. VIII, 35-38.

 

membres dont il est le chef, pour les chercher, les former, les aimer, les affranchir et les conduire à la gloire de la vie éternelle. Révèle-t-on ces vérités, soit avec précision et en abrégé, soit avec abondance et en détail? on annonce Jésus-Christ : on n'omet rien en effet de ce qui concerne la foi et tout ensemble la conduite des fidèles.

 

CHAPITRE X. NE SAVOIR QUE JÉSUS-CHRIST. FAUSSE DISTINCTION SUR LES DEUX PRÉCEPTES DE L'AMOUR.

 

15. On peut faire le même raisonnement sur le passage suivant de Saint Paul, cité également dans cette controverse : «J'ai estimé ne savoir parmi vous que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié (1). » A entendre nos frères, ce texte n'implique qu'une chose, baptiser d'abord et enseigner ensuite les règles de la vie chrétienne. Voilà, ajoutent-ils, ce qui suffisait amplement à cet Apôtre qui pourtant leur disait que : lors même qu'ils auraient dix mille maîtres en Jésus-Christ, ils n'ont pas néanmoins plusieurs pères en Jésus-Christ, puisque c'est lui seul qui les a engendrés en Jésus-Christ par l'Evangile (2). Prétendent-ils que celui qui les a engendrés en Jésus-Christ, quoiqu'il rende grâces à Dieu de ce qu'il n'a baptisé aucun d'eux si ce n'est Crispe, Caïus et Stéphanus (3), ne leur ait enseigné que le crucifiement de Jésus ? Pourquoi ne pas ajouter qu'en les engendrant par l'Evangile, il ne leur a pas même appris que Jésus-Christ était ressuscité ? Mais s'il ne leur a prêché que Jésus crucifié, d'où vient qu'il leur a dit : « Je vous ai enseigné avant tout que Jésus-Christ est mort selon les  Ecritures (4), » et que selon les Écritures encore « il a été enseveli et qu'il est ressuscité le troisième jour? » S'ils n'entendent pas ainsi le texte et qu'ils prétendent que ces dogmes ne font qu'un avec celui de Jésus crucifié, à la bonne heure; mais qu'ils sachent alors que le mystère de Jésus crucifié renferme une foule d'enseignements, celui-ci surtout : « Notre vieil homme a été crucifié avec Jésus-Christ, afin que le corps de péché soit anéanti et que nous ne soyons plus les esclaves du péché (5). » De là vient encore qu'en parlant de lui-même l'Apôtre dit: « Quant à moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu'en la croix de Jésus-Christ, par qui le monde  est crucifié pour, moi comme je suis crucifié pour le monde (6). » Qu'ils réfléchissent et qu'ils

 

1 I Cor. II, 2. — 2 Ib. IV, 15. — 3 Ib. I, 14-16. — 4 Ib. XV, 3, 4. — 5 Rom. VI, 6. – Gal. VI, 14.

 

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comprennent comment s'enseigne et s'apprend le mystère de Jésus crucifié ; qu'ils voient bien que, membres de son corps nous sommes nous-mêmes crucifiés au monde sur sa croix ; en d'autres termes, que nous mettons un frein aux désordres de la concupiscence; par conséquent qu'on ne peut souffrir l'adultère ouvertement avoué chez ceux qui sont formés par la croix du Sauveur. L'Apôtre Pierre développe aussi ce mystère de la croix, c'est-à-dire, de la Passion de Jésus-Christ et recommande à ceux qui ont été consacrés par elle de ne plus pécher. Il s'exprime ainsi: « Puisque Jésus-Christ a souffert la mort selon la chair, armez-vous de cette  pensée, que quiconque est mort selon la chair,  a cessé de pécher, en sorte que durant tout le  temps qui lui reste à vivre dans la chair, il ne vit  plus selon les passions des hommes, mais d'après la volonté de Dieu (1), » et ta suite, où il montre, d'après ce principe, que pour appartenir à Jésus crucifié, c'est-à-dire, ayant souffert dans sa chair, il faut crucifier dans son corps les désirs de la chair et conformer sa conduite à l'Evangile.

16. Dois-je ajouter qu'ils voient une preuve à l'appui de leur opinion dans les deux préceptes qui contiennent, selon le Seigneur, la Loi et les Prophètes ? Comme il est dit : « Voici le premier. commandement : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit. Et voici le second qui est tout semblable au premier: Tu aimeras ton prochain comme toi-même (2), » ils croient que le premier, où l'on prescrit d'aimer Dieu, s'applique aux catéchumènes, tandis que le second, qui semble avoir trait aux rapports de la société humaine, comment à ceux qui ont reçu le baptême. Ils ne songent plus qu'il a été écrit : « Si tu n'aimes pas ton frère que tu vois, comment peux-tu aimer Dieu  que tu ne vois pas (2)? » et dans la même Epître de Jean : « Si quelqu'un aime le monde, l’amour du Père n'est pas en lui (3). » Or toutes les turpitudes d'une conduite infâme ne se rattachent-elles pas à. l'amour du monde? Par conséquent le premier commandement, qui ne concerne selon eux que les catéchumènes, ne peut s'observer indépendamment des bonnes moeurs. Je ne veux pas insister davantage; à les bien examiner, ces deux préceptes sont unis par un lien si étroit, que l'amour de Dieu ne peut se rencontrer chez celui qui n'aime pas son prochain, ni l'amour du prochain, chez celui qui n'aime pas Dieu. Mais

 

1 I Pierre, IV, 1, 2. — 2 Matt. XXIII, 37-40. – 3 I Jean, IV, 20. — 4 Ib. II, 15.

 

ce serait sortir de la question que d'insister plus longtemps sur ces deux commandements.

CHAPITRE XI. LES ISRAÉLITES ONT PASSÉ LA MER ROUGE AVANT DE RECEVOIR LA LOI.

 

18. Mais, objectent-ils, le peuple d'Israël a d'abord traversé la mer Rouge, qui est la figure du Baptême : ce n'est que plus tard qu'il a reçu la loi destinée à lui tracer ses devoirs. Pourquoi donc enseignons-nous le symbole aux catéchumènes et exigeons-nous qu'ils le récitent? Car on n'a rien demandé de pareil à ceux que Dieu a tirés des mains des Egyptiens à travers les flots de lamer Rouge. Mais s'ils ont assez de bon sens pour voir que la préparation au baptême était représentée par les mystères qui précédèrent le passage de la mer Rouge, le sang de l'agneau empreint sur les portes, les azymes de vérité et de sincérité (1) ; pourquoi ne voient-ils pas du même coup que la sortie de l'Égypte figurait ce renoncement au péché, auquel s'engagent les catéchumènes? Voilà ce que Pierre a en vue dans le passage déjà cité : « Faites pénitence et que chacun de vous soit baptisé au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ; » car il semble dire : Quittez l'Égypte et traversez la mer Rouge. Aussi l'Apôtre dans l'Épître aux Hébreux cite-t-il, parmi les principes élémentaires que doit suivre un catéchumène, la pénitence pour les oeuvres de mort. Car il s'exprime ainsi : « Laissant donc de côté les premiers éléments de la doctrine chrétienne, élevons-nous aux principes qui la couronnent sans nous arrêter à jeter de nouveau les fondements de la pénitence pour les oeuvres de mort, de la foi en Dieu, de la doctrine du baptême, de l'imposition des mains, de la résurrection des morts et du jugement éternel (2). » Tous ces principes élémentaires rentrent donc, d'après le témoignage clair et précis de l'Écriture, dans l'initiation des catéchumènes. Or, qu'est-ce que faire pénitence pour les oeuvres de mort, sinon mourir à tous les péchés pour vivre ? Et que faudra-t-il compter parmi les oeuvres de mort, si l'on en retranche l'adultère et la fornication? Il ne suffit pas de s'engager à renoncer à tous ces désordres : il faut que tous les péchés passés, qui semblent s'attacher à nos pas, soient effacés dans le bain de la régénération, de même qu'il eût été inutile            aux Israëlites de, sortir de

 

6 Ex. XII-XIV. - 2 Héb.VI, I, 2.

 

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l'Egypte, si la multitude d'ennemis attachés à les poursuivre n'eût trouvé la mort dans les flots même qui s'ouvrirent devant te peuple de Dieu et assurèrent sa liberté. En déclarant qu'on ne veut pas renoncer à l'adultère, peut-on entrer dans la mer Rouge, puisqu'on se refuse à quitter l'Egypte? D'ailleurs ils ne remarquent point par quel commandement s'ouvre la loi qui fut donnée aux Hébreux après le passage de la mer Rouge: «Tu n'auras point d'autre Dieu que moi : Tu ne te feras d'idoles ni d'images d'aucun des êtres qui sont dans l'air, sur la terre, dans l'eau et sous la terre ; tu ne les adoreras ni ne les serviras (1), » et ta suite, où ce commandement est développé. Que nos adversaires aillent donc contre leur propre assertion et reconnaissent qu'il faut enseigner tout ensemble l'adoration d'un seul Dieu et te mépris de l'idolâtrie, non aux catéchumènes, mais seulement aux chrétiens déjà baptisés qu'ils ne viennent plus soutenir qu'il faut se contenter d'initier à ta foi en Dieu, avant le baptême, et renvoyer après la baptême les instructions sur la morale comme sur le second commandement relatif à l'amour du prochain. La loi que le peuple reçut après le. passage de la mer Rouge, symbole du baptême, comprend ces deux points à la fois; les préceptes n'y sont pas divisés en deux parties dont l'une aurait été .destinée à enseigner au peuple le mépris de l'idolâtrie, avant le passage de la mer Rouge, l'autre, consacrée à lui apprendre plus tard l'obligation d'honorer son père et sa mère, d'éviter l'adultère, le meurtre, enfin tous les principes qui établissent l'honnêteté et ta sécurité dans les rapports des hommes entre eux.

 

CHAPITRE XII. CONSÉQUENCE FACHEUSE A LAQUELLE ABOUTIT LE SYSTEME CONTRAIRE.

 

18. Je suppose qu'un homme demande le baptême, en déclarant qu'il ne renoncera au culte des idoles qu'autant qu'il le jugera à propos dans la suite, et que dans ces dispositions, il réclame la faveur immédiate du baptême et aspire à devenir le temple du Dieu vivant, malgré son idolâtrie et sa résolution à persévérer dans cet abominable sacrilège. Je demande à mes adversaires s'ils consentiraient à reconnaître même pour un catéchumène un pareil. homme. Ils vont s'écrier, je n'en doute pas, qu'il est impossible de

 

1 Ex. XX, 4, 5.

 

l'admettre; leur coeur ne peut leur inspirer d'autre pensée. Qu'ils expliquent donc, d'après des témoignages de l'Ecriture capables d'autoriser leur opinion, à quel titre ils osent combattre et repousser la demande d'un homme qui proteste contre eux en s'écriant: je connais et j'adore Jésus crucifié, je crois que Jésus-Christ est le Fils de Dieu; ne me faites pas attendre davantage, ne me demandez rien de plus. L'Apôtre n'imposait qu'une condition à ceux qu'il engendrait par l'Evangile : c'était de reconnaître Jésus crucifié. L'Eunuque sur la simple réponse qu'il croyait que Jésus-Christ était le Fils de Dieu, reçut sans délai le baptême des mains de Philippe. Pourquoi donc m'interdire le culte des idoles; au lieu de me marquer du signe de Jésus-Christ, avant que je ne quitte ce monde ? Quant au paganisme, je l'ai. sucé avec le lait, j'y suis retenu par la force de l'habitude. Je vous obéirai quand je le pourrai, à mon heure; et quand même je ne le ferais pas,: je pourrai du moins finir mes jours, marqué du signe de Jésus-Christ, et Dieu n'aura pas à vous demander compte de mon âme. Que répondre à ce langage ? Consentiront-ils à admettre ce païen ? A Dieu ne plaise ! je ne saurais, croire qu'ils en viennent à cette . extrémité. Que pourraient-ils donc lui répondre, surtout s'il ajoute qu'on aurait dû ne pas l'avertir de. renoncer à l'idolâtrie, au même titre qu'on n'enseigna rien au peuple primitif avant le passage de la mer Rouge, parce que toutes ces vérités étaient renfermées dans la loi, qu'il reçut hors de l'Egypte, après sa délivrance. Sans doute ils vont répondre à cet homme: Tu deviendras le temple de Dieu, après,avoir reçu le baptême : Or l'Apôtre dit : « Quel rapport y a-t-il entre le temple de Dieu et les idoles (1) ? »  — Pourquoi ne songent-ils pas qu'on peut encore dire : Tu deviendras membre de Jésus-Christ après avoir reçu le, baptême or: les membres de Jésus-Christ ne peuvent être ceux d'une prostituée,: c'est encore là le langage de l’Apôtre ; et il dit ailleurs: « N'allez pas vous tromper : — Ni les fornicateurs, ni les idolâtres, « (pour abréger la citation) n'hériteront du royaume de Dieu. » Pourquoi donc refuser le baptême aux idolâtres et croire qu'on peut y admettre les fornicateurs, quand l'Apôtre déclare aux adultères et aux autres pécheurs : « Voilà ce que vous avez été autrefois; mais vous avez été purifiés, vous avez été sanctifiés, vous avez été purifiés au nom de Notre- Seigneur Jésus-Christ et par l'Esprit

 

1 I Cor. VI, 16.

 

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de notre Dieu (1).» Par quel motif, quand on peut repousser l'adultère et l'idolâtre, permettre au premier de se présenter au baptême sans qu'il renonce à son commerce criminel, et le défendre au second, puisqu'on dit à l'un comme à l'autre : « Voici ce que vous avez été, mais vous avez été purifiés? » Ce qui préoccupe nos adversaires, c'est la pensée qu'on se sauvera infailliblement, quoique en passant parle feu, si on a cru en Jésus-Christ, si on a été marqué de son signe, en d'autres termes, si on a été baptisé, eût-on poussé l'indifférence à reformer ses moeurs au point de vivre dans le péché. Mais je vais bientôt examiner, avec l'aide de Dieu, ce qu'il faut penser sur ce point d'après l'Ecriture.

 

CHAPITRE XIII. JEAN-BAPTISTE ET SES PRÉCEPTES DE MORALE. JÉSUS-CHRIST ET SES COMMANDEMENTS.

 

19. Le point que j'examine encore en ce moment, c'est toujours de savoir s'il faut, comme le pensent nos adversaires, enseigner à ceux qui sont baptisés les règles de la vie chrétienne et se contenter d'inculquer la foi aux catéchumènes. S'il en était ainsi, Jean-Baptiste, sans parier des nombreux passages déjà cités, aurait-il tenu ce langage à ceux qui se présentaient à son baptême: « Race de vipères, qui vous a appris à fuir devant la colère qui vous menace! Faites donc de dignes fruits de pénitence (2); » et le reste du passage qui roule non sur la foi mais sur les bonnes oeuvres. Aussi quand les soldats vinrent lui demander: « Que ferons-nous? » il ne leur dit pas : en attendant croyez et faites-vous baptiser; plus tard vous apprendrez ce qu'il faut l'aire. Non: il commence parles avertir, en véritable précurseur, de préparer, la voie au Seigneur qui allait descendre dans leur coeur, et il leur répond : «  N'employez ni la violence ni la fraude contre personne, et contentez-vous de votre paie. » Même réponse aux publicains qui lui demandaient ce qu'ils devaient faire: « N'exigez rien au-delà de ce qui vous a été ordonné (3). » En ne rapportant que ces traits, l'Evangéliste, dont le dessein n'était pas de citer tous les articles du catéchisme, fait clairement entendre que le devoir du catéchiste est de faire des leçons et des exhortations morales à ceux qu'il dispose au baptême. Je suppose même qu'ils eussent répondu à Jean : Nous ne ferons pas de dignes fruits de pénitence, nous voulons persévérer

 

1 I Cor. VI, 15, 9, 10, 11. —  2 Matt. III, 7, 8. —  3 Luc, III, 12-14.

 

Dans nos violences, nos fraudes, notre usure, et qu'une pareille déclaration ne l'eût pas empêché de les baptiser; dans cette hypothèse, on ne saurait encore conclure, au point où la discussion est arrivée, que l'instruction qui doit apprendre au catéchumène à bien vivre, ne doit pas être subordonnée au temps où il doit recevoir le baptême. Jean-Baptiste en effet instruit les publicains et les soldats au moment de les baptiser.

20. D’ailleurs, pour ne pas rappeler d'autres passages, quelle est la réponse du Seigneur à ce riche qui lui demandait quel bien il devait faire pour acquérir la vie éternelle? La voici, qu'ils la repassent dans leur esprit: « Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements. —  Quels commandements? Lui dit-il. » Le Seigneur lui rappela alors les commandements de la Loi: « Tu ne tueras point, tu ne commettras point d'adultère,» et le reste. Le riche ayant répondu qu'il avait gardé ces commandements dès sa jeunesse, le Seigneur ajouta le précepte qui renferme la perfection évangélique, celui de vendre tous ses biens et de les convertir en aumônes aux pauvres, afin d'avoir un trésor dans le ciel et de s'attacher au Seigneur qui lui parlait (1). C'est à nos adversaires de prendre garde que ce personnage n'a pas été invité à croire et à se faire baptiser, seul moyen d'après eux d'acquérir la -vie éternelle, mais qu'il a été instruit des règles de conduite que la foi seule apprend à suivre docilement. Nous ne voulons pas en effet conclure du silence que le Seigneur a gardé sur la nécessité d'inculquer la foi, qu'il faut se borner à instruire des règles de la morale ceux qui aspirent à se sauver. Le dogme et la morale sont liés par un rapport indissoluble, comme je l'ai déjà dit, car l'amour de Dieu ne peut exister chez celui qui n'aime pas le prochain, ni l'amour du prochain chez celui qui n'aime pas Dieu. Aussi l'Ecriture mentionne-t-elle tantôt.un précepte moral, tantôt un dogme, au lieu de formuler la doctrine dans son ensemble, afin de faire comprendre que l'un ne va pas sans l'autre. En effet, croire en Dieu, c'est s'obliger à accomplir les commandements de Dieu, et pour accomplir les commandements de Dieu il faut nécessairement croire en lui.

 

CHAPITRE XIV. LA FOI SANS LES OEUVRES NE SUFFIT PAS POUR ÊTRE SAUVÉ.

 

21. Arrivons donc à cette erreur que doivent

 

1 Matt. XIX, 17-21.

 

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rejeter toutes les âmes chrétiennes, si elles ne veulent perdre, la félicité éternelle en se berçant de la fausse opinion que la foi suffit pour la conquérir, et qu'il ne faut s'inquiéter ni de bien vivre ni de marcher par le sentier des bonnes oeuvres dans la voie du Seigneur. A l'époque même des Apôtres, on se fonda sur quelques passages un peu Meurs et mal interprétés de saint Paul pour lui prêter cette pensée : « faisons le mal afin qu'il en arrive un bien (1), » par ce qu'il avait dit ailleurs : « La loi qui a suivi le péché d'Adam, n'a fait qu'augmenter les transgressions : mais où le péché avait abondé la grâce a encore abondé davantage (2). » Ce texte s'applique à ceux qui, après avoir reçu la Loi avec une confiance orgueilleuse dans leurs forces , n'ont pas imploré avec une foi sincère la grâce divine, pour triompher des désordres de la concupiscence, et se sont chargés , en transgressant la Loi, d'iniquités plus graves et plus multipliées sous le poids de cette lourde responsabilité, ils ont eu recours à la foi pour attirer sur eux  la miséricorde qui pardonne et le secours du Dieu qui a fait le ciel et la terre (3); ils ont voulu ainsi, sous l'inspiration de la charité répandue dans leurs coeurs par le Saint-Esprit, accomplir avec amour tous les préceptes qui combattent la concupiscence du inonde, selon la prédiction du Psalmiste : «Leurs faiblesses se sont multipliées ; ils ont redoublé d'ardeur (4). » Lors donc que l'Apôtre avance qu'un homme peut-être justifié sans les pratiques extérieures de la loi (5), sa pensée n'est pas de condamner les actes de justice accomplis après qu'on a reçu et confessé la foi, mais d'apprendre aux chrétiens qu'on peut être sauvé par la foi, quand même on n'aurait pas auparavant pratiqué la loi. Les oeuvres sont la conséquence de la justification, elles n'en sont pas le principe. Tout développement sur ce point serait inutile dans cet ouvrage, surtout après que j'ai consacré à cette question même un traité assez long qui a pour titre : De la Lettre et de l'Esprit. En voyant naître cette opinion, les Apôtres Pierre, Jean, Jacques et Jade, s'élèvent contre elle dans leurs lettres avec la plus grande énergie et déploient toutes leurs fores pour établir que la foi sans les oeuvres est inutile. Paul lui-même entend par la foi, non une croyance quelconque en Dieu, mais cette croyance solide et vraiment évangélique qui, par la charité, devient une source de bonnes oeuvres .

 

1 Rom. III, 8. —  2 Ib. V, 20. —  3 Ps. CXX, 2. — 4 Ib. XV, 4. — 5 Rom. IV.

 

«La foi, dit-il, opère par la charité (1). » Pour la foi qui, selon quelques-uns, suffit au salut, il affirme qu'elle ne sert de rien, avec tant de force qu'il s'écrie : « Quand j'aurais une foi assez parfaite pour transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien (2). » Pour bien vivre, il faut que la charité d'accord avec la foi opère. « Car toute la loi est renfermée dans la charité (3). »

22. A cette polémique se rattache manifestement un passage de saint Pierre, dans cette seconde Epître où il recommande une pureté irréprochable de moeurs, et prédit que le monde est destiné à périr et qu'il faut attendre de nouveaux cieux et une nouvelle terre qui deviendront le séjour des justes, voulant par là avertir les fidèles ne se rendre dignes de cette demeure parla sainteté de leur vie. Sachant donc que certaines esprits faux profitaient de quelques endroits difficiles des lettres de l'Apôtre, saint Paul pour vivre dans l'indifférence de la morale, comme s'ils étaient assurés de leur salut par la seule vertu de la foi, saint Pierre dit qu'il y avait dans les lettres de son frère certains endroits difficiles à entendre, que des hommes ignorants détournaient de leur acception, aussi bien que les autres Ecritures, pour leur propre ruine : car saint Paul pensait, comme tous les apôtres, que le salit éternel ne pouvait être obtenu qu'à la condition de bien vivre. Voici comment s'exprime saint Pierre : «Puisque toutes ces choses doivent périr, quelle ne doit pas être la sainteté de votre vie et de vos actions, en attendant et même en hâtant par vos désirs l'avènement du jour du Seigneur, du jour où le ciel en feu sera dissous et où les éléments seront tondus par la violence des flammes ? Car nous attendons;selon les promesses de nouveaux cieux et une nouvelle terre où le juste habitera. C'est pourquoi, mes bien-aimés, dans l'attente de ces choses, faites en sorte que le Seigneur vous trouve purs, irréprochables et dans la paix ; et «croyez que la longue patience de Notre-Seigneur est pour votre bien. C'est dans le même sens que Paul notre bien-aimé frère vous a écrit, selon la sagesse qui lui a été donnée, ainsi qu'il le fait dans toutes les lettres où il parle du même sujet. Dans ces lettres il y a quelques endroits difficiles à entendre, et des gens ignorants et superficiels les détournent de leur véritable sens, aussi bien que les autres écritures, pour leur propre ruine. Vous donc, mes bien-aimés, qui êtes

 

1 Gal. V, 6. —  2 I Cor. XIII, 1. —  3 Rom. XIII, 10.

 

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avertis, soyez sur vos gardes, de peur qu'entraînés par l'erreur de ces malheureux vous ne veniez à déchoir de l'état solide et ferme où vous  êtes. Croissez au contraire dans la grâce et dans  la connaissance de Jésus-Christ Notre-Seigneur  et notre Sauveur. A lui soit la gloire, maintenant et jusqu'au jour de l'éternité (1). »

23. Quant à Jacques il. a tant d'aversion pour ceux qui croient que la foi peut sauver sans les oeuvres, qu'il les compare aux démons : « Vous croyez, dit-il, qu'il n' y a qu'un seul Dieu et vous faites bien. Les démons le croient aussi et tremblent. » Pouvait-on dire rien de plus court, de plus juste, de plus énergique ; car nous lisons dans l’Evangile que les démons rendirent à Jésus le. même témoignage et qu'il reprit dans leur bouche ce qu'il approuva dans celle de Pierre (2). « Que servira à quelqu'un, dit saint Jacques, de dire qu'il a la foi, s'il n'a pas les oeuvres? La foi pourra-t-elle le sauver? » Et il ajoute : « La foi sans les oeuvres est morte (3). » Quelle n'est donc pas l'erreur de ceux qui font reposer sur une foi morte l'espérance de la vie éternelle?

 

CHAPITRE XV. PASSAGE DIFFICILE ET MAL COMPRIS DE L’APÔTRE. RÉFUTATION DE CEUX QUI CROIENT QUE LA FOI SANS LES OEUVRES SERT, AU SALUT.

 

24. Il faut peser avec attention le sens qu'on doit attacher à ce passage de l'Apôtre fort difficile à comprendre : « Personne ne peut établir d'autre fondement que celui qui à été déjà posé et qui n'est autre que Jésus-Christ. Si quelqu'un bâtit sur ce fondement de l'or, de l'argent, des pierres précieuses ou du bois, du foin, de la paille, la qualité de son ouvrage sera révélée. Le jour du Seigneur la manifestera, le feu en fera le discernement et montrera ce que vaut l'ouvrage de chacun. Si l'ouvrage qui on aura surajouté au fondement résiste aux flammes, on recevra une récompense : mais si l'ouvrage est consumé, on sera privé de salaire; « on sera néanmoins sauvé, mais comme en passant par le feu (4).» D'après quelques-uns, ceux qui élèvent sur ce fondement un édifice d'or, d'argent, de pierres précieuses, représentent les chrétiens qui ajoutent les bonnes oeuvres à la foi, tandis que ceux qui n'élèvent qu'un édifice de paille, de foin et de bois, désignent les pécheurs qui, tout en ayant la foi, font le mal; ils

 

1 I Pierre, III, 11-18. —  2 Marc, V, 24, 25 ; Matt. XVI, 16, 17. — 3 Jacq. II, 19, 14, 20. — 4 I Cor. III, 11-15.

 

infèrent de là qu'on peut expier ses fautes par les peines du purgatoire et obtenir le salut éternel par la vertu même du principe qui a servi de fondement aux actes.

25. Si cette interprétation est exacte,  nous reconnaissons que nos adversaires sont guidés par une charité sublime, quand ils pressent d'admettre au baptême pêle-mêle les débauchés et les concubines qui, au mépris du commandement de Jésus-Christ, cachent leur commerce sous le voile du mariage, que dis-je? les prostituées, opiniâtrement attachées à leur infâme trafic, et que l'Église la plus relâchée n'a jamais admises dans son sein avant de les avoir tirées de leur honteux métier. Ce principe admis, je ne vois plus à quel titre on pourrait repousser ces créatures, Car, qui ne serait heureux devoir qu'après avoir entassé sur le fondement sacré le bois, le foin et la paille, elles pourraient se purifier par le supplice plus ou moins prolongé du feu, au lieu d'être condamnées à la mort éternelle?

Mais en même temps il faut taxer d'erreur ces principes si clairs et si peu équivoques: « Quand j'aurais une foi assez parfaite pour transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien; » ou bien : «A quoi servira, mes frères, de dire qu'on a la foi si on n'a pas les oeuvres ? La foi peut-elle sauver un tel homme ? » Il faudra encore réputer erroné ce passage: « Ne vous y trompez pas: Ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les voleurs, ni les avares, ni les adultères, ni les efféminés, ni les sodomites, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs du bien d'autrui, ne seront jamais héritiers du royaume de Dieu;» et cet autre : « Les oeuvres de la chair frappent tous les yeux : on appelle ainsi la fornication, l'impureté, l'impudicité, l'adultère, l'idolâtrie, les maléfices, les inimitiés, les jalousies, les animosités, les querelles, les divisions, les hérésies; les envies, les meurtres, les ivrogneries, les débauches et autres crimes semblables, et je vous dis que tous ceux qui les commettent ne posséderont point le royaume de Dieu (2). » Toutes ces maximes deviennent fausses: car il suffira de croire et d'être baptisé, pour être sauvé par le feu, malgré son impénitence. Tous ces crimes n'empêcheront pas celui qui aura reçu le baptême en Jésus-Christ d'être héritier du royaume de Dieu. Ce passage: « Voilà ce que vous avez été, mais avez été purifiés (3), »n'aura plus aucune vérité, puisque ceux qui auront été purifiés

 

1 I Cor. VI, 9, 10. — 2 Gal. V, 19-21. —  3 I Cor. VI, 11.

 

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resteront souillés des mêmes vices. Tout sera creux dans cette parole de Pierre. « C'était une figure, (l'arche de Noé) à laquelle répond maintenant le baptême, lequel consiste non à purifier la chair de ses souillures, mais à garder une conscience pure (1). » Car, ils auront beau avoir une conscience coupable, chargée de tous les crimes et de toutes les infamies dont la pénitence n'aura pas effacé les souillures, le baptême les sauvera : la foi , dont le baptême établit le fondement, assurera leur salut; ils suffira qu'ils traversent le feu. Je ne comprends plus pourquoi le Seigneur a dit: « Si tu veux obtenir la vie, garde les commandements » et a rappelé tous les principes de la morale; s'il est possible d'obtenir la vie, sans observer ces règles, par la seule vertu de la foi, qui pourtant est morte sans les oeuvres (2). Quelle vérité peut-il y avoir désormais dans cette parole qu'il doit adresser un jour aux méchants placés à sa gauche : « Allez au feu éternel, qui a été préparé à Satan et  à ses anges? » Car,il ne leur reproche pas ici leur incrédulité, mais leur existence vide , de bonnes oeuvres. Pour que personne ne se flatte d'obtenir la vie éternelle par la foi qui est morte sans les oeuvres, il a soin de dire qu'il séparera les unes d'avec les autres les nations qui obéissaient aux mêmes pasteurs, preuve évidente que ceux qui lui répondront alors: « Seigneur  quand est-ce que nous vous avons vu en butte à toutes ces souffrances sans vous assister? » seront ces chrétiens qui, tout en croyant en lui, ont négligé les bonnes oeuvres, dans l'idée qu'une foi morte suffisait pour conduire à la vie éternelle.

Quoi? le feu éternel sera le partage de ceux qui n'ont point été miséricordieux, et il ne s'ouvrira pas pour ceux qui ont ravi le bien d'autrui et se sont traités eux-mêmes sans miséricorde en détruisant dans leur coeur le temple du Saint-Esprit! A quoi servent donc les oeuvres de miséricorde, si l'amour n'en est pas le principe? car, dit l'Apôtre, « quand je distribuerais tous mes biens « aux pauvres, si je n'ai pas la charité, tout cela ne me sert de rien (3). »Peut-on aimer son prochain comme soi-même, si on ne s'aime pas soi-même? « Celui qui aime l'iniquité, hait son âme (4). » L'on ne saurait ici prétendre, avec certaines personnes qui sont dupes de leur imagination, que le feu, non le supplice, durera éternellement. Elles flattent leurs adeptes de l'espérance qu'ils se sauveront à travers le feu éternel et qu'il leur

 

1 I Pierre, III, 21 — 2 Matt. XIX, 17-9. — 3 I Cor XIII, 3. — 4 Ps. X, 6.

 

suffira d'avoir eu la foi morte pour échapper à la flamme. Dans leur pensée, le feu sera éternel, mais il ne les dévorera pas éternellement. Mais le Seigneur a prévu cette erreur dans sa sagesse souveraine, en résumant sa doctrine par ces mots: «Et ceux-ci iront dans le supplice éternel, « les justes dans la vie éternelle (1). » Le supplice sera donc éternel comme le feu, et il est réservé, selon le témoignage de la Vérité elle-même, à ceux qui auront eu la foi sans y joindre les oeuvres.

26. Tous ces passages et mille autres, que l'on rencontre dans toute la suite des Ecritures, sans la moindre équivoque, sont-ils faux? Alors on aura raison d'entendre que la combustion du bois, du foin, de la paille signifie le feu destiné à purifier ceux qui ont gardé la foi en Jésus-Christ sans y ajouter les bonnes oeuvres. Au contraire sont-ils aussi vrais que clairs et précis? Il faut alors chercher un nouveau sens dans les paroles de l'Apôtre et ranger ce passage parmi les vérités difficiles à entendre dans ses Epîtres, comme le reconnaît sa! nt Pierre, sans les faire servir à sa propre perte ni inspirer, malgré les témoignages les plus clairs de l'Ecriture, une aveugle sécurité sur leur salut à ces pécheurs qui, s'attachant opiniâtrement à leurs désordres, refusent de se purifier et de se convertir par la vertu de la pénitence.

 

CHAPITRE XVI. VRAIE DOCTRINE SUR LA FOI ET LES OEUVRES. —  LE JEUNE HOMME RICHE. — FOI DE LA CHANANÉENNE.

 

27. On va sans doute m'arrêter ici 'et me demander quel est le sens que j'attache à ce passage de l'apôtre saint Paul, et quelle en est la véritable interprétation. J'aimerais mieux, je l'avoue, que mon rôle se bornât à recueillir, de la bouche de personnes plus éclairées et plus judicieuses une explication capable de concilier, avec ce passage tous les textes d'une vérité incontestable que j'ai cités ou que j'aurais pu citer plus haut,et qui prouvent, par le témoignage irrécusable des Ecritures, que la foi qui sauve est exclusivement celle qui, d'après la définition de l'Apôtre, opère parla charité (2), tandis que, si elle n'est pas accompagnée des oeuvres, la foi est impuissante à sauver avec ou sans le concours du feu. Car, si elle

 

1 Ma.tt. XXV, 32, 33, 41-46. — 2 Gal. V, 6.

 

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opère le salut avec le concours du feu, elle a réellement par elle-même la vertu de sauver ; or il a dit clairement et sans restriction: « A quoi sert-il de dire qu'on a la foi, si on n'a pas les oeuvres ? La foi peut-elle sauver seule ? » Cependant je vais exposer le plus brièvement possible la manière dont j'interprète ce texte si difficile à comprendre ; on n'oubliera pas que j'aimerais mieux, comme je viens d'en faire l'aveu., entendre des théologiens plus éclairés que moi discuter ce passage.

Le fondement de l'édifice élevé par un sage architecte, c'est Jésus-Christ ; ce principe n'a pas besoin de démonstration: car, selon la parole expresse de l'Apôtre, « personne ne peut jeter d'autre fondement que celui qui a été établi et qui n'est autre que Jésus-Christ. » Par Jésus-Christ il faut entendre évidemment la foi en Jésus-Christ, puisqu'il habite dans nos coeurs par la foi, selon les expressions du même Apôtre (1). Or, cette foi nécessaire en Jésus-Christ n'est autre que la foi agissant par la charité, comme la définit encore l'Apôtre. Car il serait insensé de prendre pour fondement cette sorte de foi qui s'impose aux démons eux-mêmes, les fait trembler et leur arrache l'aveu que Jésus est le Fils de Dieu. Voudrait-on prendre pour la foi, non la croyance que féconde la charité, mais l'aveu qu'arrache la crainte ? Donc, c'est la foi en Jésus-Christ, la foi qu'inspire la grâce chrétienne, et que la charité rend féconde en bonnes oeuvres, qui est être que le fondement du salut pour tous les hommes. Que faut-i1 maintenant entendre par l'édifice d'or, d'argent, de pierreries, ou de bois, de paille et de foin élevé sur ce fondement ? J'ai peur de donner, en approfondissant trop le texte, une explication plus obscure que le texte lui-même ; cependant je vais essayer, avec l'aide de Dieu, d'exposer mon sentiment avec toute la précision et toute la clarté dont je suis capable.

N'avez-vous pas sous les yeux celui     qui demanda au Principe même du Bien, le bien qu'il devait accomplir pour posséder la vie éternelle ? Il apprit qu'il devait garder les commandements, s'il voulait conquérir le bonheur éternel ; et, comme il demandait encore quels étaient les commandements, il lui fut répondu : « Tu ne tueras point; Tu ne commettras point d'adultère ni de vol ; Tu ne porteras pas de faux témoignage ; Honore ton père et ta mère ; Tu aimeras ton

 

1 Ephes. III, 17

 

prochain comme toi-même. » En agissant ainsi sous l'inspiration de la foi en Jésus-Christ, il aurait eu manifestement la foi qui opère par la charité. Car comment aimer le prochain comme soi-même, sans avoir reçu le don.de l'amour de Dieu, véritable;principe de l'amour de soi-même? Mais s'il est observé ensuite ce qu'ajoute Notre-Seigneur : « Veux-tu être parfait? Vends tous tes biens, donne-les aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; puis viens et suis-moi (1); » il aurait bâti sur ce fondement un édifice d'or, d'argent, de pierres précieuses; car toutes ses pensées, n'ayant plus pour objet que les choses divines, auraient été consacrées à plaire à Dieu, et ce sont ces hautes pensées que figurent, à mon sens, l'or, l'argent, les pierreries. Mais, comme il était attaché par une affection toute charnelle à ses richesses, il aurait en vain fait de ses biens d'abondantes aumônes, évité la fraude et le larcin pour grossir ses trésors, résisté à toutes les tentations du crime et du déshonneur pour ne pas les voir s'amoindrir ou s'épuiser; eu vain il ne se serait jamais écarté du principe inébranlable qiü lui servait de fondement; dans cette passion toute mondaine qui l'empêchait de renoncer sans regret à sa fortune, il n'aurait élevé sur le fondement solide qu'un édifice de bois, de foin, de paille, surtout, s'il avait eu une épouse qui l'aurait entraîné, pour lui plaire, à ne songer qu'aux choses du monde dans l'intérêt de sa vanité. Ne peut-on se résoudre à perdre sans regret ces biens auxquels on ne s'attache que par un sentiment tout charnel ; les possédât-on en prenant pour fondement la foi qui agit sous l'impulsion de la charité; ne mit-on jamais, par calcul ou par avarice, son or au-desssus de ses croyances si leur perte afflige comme un sacrifice , on n'obtiendra le salut qu'en traversant la peine cuisante du feu. On est d'autant moins exposé à ce supplice et à ces regrets qu'on s'attache moins aux richesses ou qu'on les possède comme ne les possédant pas ; tombe-t-on pour les conserver ou les acquérir dans l'homicide, l'adultère, la fornication, l'idolâtrie, et autres crimes aussi monstrueux ? La solidité du fondement n'assure pas le salut à travers la flamme; on aura perdu cet appui et on sera abandonné aux tourments éternels.

28. C'est donc en vain que, pour prouver l'efficacité de la foi en elle-même, ils allèguent ce passage de l'Apôtre : « Si le mari infidèle se retire,

 

1 Matt, XIX, 16-21.

 

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qu'on le laisse aller : car la partie fidèle n'est plus,  en pareil cas, sous la servitude du mariage ; (1) » ce qui signifie que la foi seule en Jésus-Christ autorise à quitter une épouse légitime si elle refuse de cohabiter avec son mari parce qu'il est chrétien. — Ici nos adversaires ne prennent pas garde qu'il y aurait toute justice à répudier une lemme qui tiendrait à son mari ce langage . Je ne veux plus être ton épouse, si tu ne m'enrichis plus de tes vols, si tu cesses d'exercer, parce que tu es chrétien, le trafic qui changeait ta maison en un lieu de plaisirs; bref, une femme qui retiendrait son mari dans tous les vices, dans toutes les infamies qu'elle connaissait en lui et dont elle profitait avec plaisir, soit pour satisfaire sa lubricité, soit pour vivre dans l'aisance ou même se parer avec plus de pompe. Assurément l'homme à qui sa femme tiendrait ce langage, ne manquerait pas d'éprouver, s'il avait renoncé par la pénitence aux oeuvres de mort, en s'approchant du baptême, et pris pour fondement de sa conduite la foi agissant par les oeuvres, un attrait.plus vif et plus puissant pour la grâce divine que pour la beauté toute physique de sa femme, et il aurait assez d'énergie pour couper le membre qui le scandalise. Or, cet homme éprouve-t-il, en rompant son mariage, une douleur inspirée à son coeur par un attachement tout charnel pour son épouse ? Voilà la paille que la flamme consumera sans compromettre son salut Au contraire, avait-il une femme comme n'en ayant pas, moins par concupiscence que par un sentiment de miséricorde qui lui faisait désirer de la sauver avec lui et remplir plutôt qu'exiger les engagements du mariage ? La chair ne se révoltera pas en lui, quand il verra se rompre une pareille union ; car, elle ne l'empêchait pas de penser uniquement aux choses du Seigneur et ne lui inspirait qu'un désir, celui de plaire à Dieu (2). Donc, comme il n'a surajouté au fondement que l'or, l'argent, les pierres précieuses, en s'entretenant dans ces pensées toutes divines, il ne perdra rien, et son édifice, auquel la paille ne s'est pas mêlée, ne saurait être consumé par la flamme.

29. Que les hommes voient dès ici-bas leurs oeuvres s'épurer ainsi, on qu'un jugement après la mort les condamne à cette peine, le sens que j'attache à ce passage n'a rien qui soit en contradiction avec la véritable doctrine : s'il en comporte un autre, qui ne se présente pas à mon esprit,

 

1 I Cor. VII, 15. —  2 Ib. 29-34.

 

prit, qu'on l'adopte de préférence: Du moins cette interprétation ne nous laisse pas dans la nécessité de dire aux injustes, aux incorrigibles, aux sacrilèges, aux scélérats, aux parricides, aux homicides, aux fornicateurs, aux infâmes, à ceux qui trafiquent des hommes libres, aux menteurs, aux parjures, en un mot à tout ce qui est contraire à la saine doctrine, contenue dans l'Evangile dont Dieu souverainement heureux tire sa gloire (1): croyez seulement en Jésus-Christ et recevez le sacrement de baptême ; lors même que vous ne renonceriez pas à votre vie abominable, vous serez sauvés.

30. L'exemple de la Chananéenne ne saurait non plus nous induire dans cette erreur. Sans doute le Seigneur a exaucé sa prière après lui avoir dit : « Il n'est pas juste de prendre le pain des  enfants pour le jeter aux chiens.» Mais le Dieu qui sonde les coeurs avait vu sa conversion intérieure lorsqu'il loua sa foi, aussi ne lui dit-il pas Chienne, ta foi est grande, mais : « O femme ta  foi est grande (2). » Il change son expression parce qu'il, voit que les sentiments de la Chananéenne sont changés et que ses reproches ont porté leurs fruits. Je ne saurais penser sans étonnement qu'il préconise en cette femme la foi sans les oeuvres, cette foi que la charité ne seconde pas, cette foi morte qui est le privilège non des chrétiens, mais des démons, comme n'hésite pas à le dire l'apôtre saint Jacques. Ne veulent-ils pas comprendre que la Chananéenne ait vu s'opérer un revirement dans ses passions criminelles sous la parole dédaigneuse et sévère de Jésus-Christ Eh bien ! quand ils rencontreront des gens qui ont la foi sans cacher leur conduite déréglée et vont même jusqu'à l'étaler publiquement et refusent de reconvertir, qu'ils guérissent leurs enfants, s'ils mont la puissance, comme Jésus guérit la fille de la Chananéenne, mais qu'ils n'en fassent pas des membres de Jésus-Christ malgré leur obstination à rester ceux d'une prostituée. Ils ont raison, je le sais, de penser qu'on commet envers l'Esprit-Saint un péché irrémissible, en persévérant dans l'incrédulité jusqu'à la fin de ses jours; mais encore faudrait-il comprendre quel est le caractère de la croyance véritable en Jésus-Christ. Ce n'est pas une foi morte, comme on l'ajustement appelée, et qui se trouve dans les démons eux-mêmes, c'est la foi qui agit par la charité.

 

1 Tim. I, 9-11. — 2 Matt. XV, 26-28.

 

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CHAPITRE XVII. LES PARABOLES DE L'IVRAIE ET DU SERVITEUR NÉGLIGENT N'ONT AUCUN RAPPORT AVEC LE SUJET.

 

31. D'après ces principes, notre but, en refusant le baptême à ces sortes de pécheurs, n'est pas d'arracher l'ivraie avant la moisson, mais de ne point la semer, comme le fait Satan; loin de repousser ceux qui veulent venir à Jésus-Christ, nous, leur prouvons par leur propre conduite qu'ils refusent de venir à lui; loin de les empêcher de croire, nous leur démontrons qu'ils sont coupables de leur incrédulité, puisqu'ils ne veulent pas reconnaître un adultère dans l'acte qualifié d'adultère parle Seigneur, et qu'ils s'imaginent pouvoir incorporer à Jésus-Christ ceux qui ne posséderont jamais le royaume de Dieu, comme il ledit encore par la bouche de l'Apôtre, et qui s'opposent à la saine doctrine dont Dieu se glorifie dans sa félicité sans bornes. N'assimilons donc plus ces pécheurs aux convives qui vinrent au festin des noces: ils doivent être rangés parmi ceux qui refusent de venir. Assez audacieux pour se mettre en pleine contradiction avec la doctrine même de Jésus-Christ et se révolter contre le saint Evangile, ils dédaignent de venir, loin d'essuyer un refus. Il en est qui renoncent au monde en paroles sinon en actes; ceux-là du moins se présentent: ils sont semés parmi les bons; ils sont rassemblés dans l'aire; ils sont réunis aux brebis; ils entrent dans le filet; ils sont accueillis parmi les convives. Qu'ils soient hypocrites, ou qu'ils soient sincèrement dociles; on n'a plus de raison pour les repousser, puisqu'on ne saurait pénétrer dans leur conscience, et qu'on ne doit pas préjuger les motifs, qui justifieraient leur excommunication. Loin de nous la pensée que si on rassembla dans la salle des noces ceux qu'on rencontra et bons et mauvais (1), on y amena également ceux qui avaient affiché leur résolution de persévérer dans le mal. A ce titre, en effet, les serviteurs du père de famille auraient eux-mêmes semé l'ivraie et tout serait vain dans ce passage: « L'ennemi qui l'a semée, c'est le démon (2). » Cette hypothèse étant impossible, il faut penser que les serviteurs ont amené les bons et les méchants cachés sous de faux dehors ou reconnus seulement  après avoir été introduits dans la salle du festin. Peut-être encore l'expression de bons et de mauvais a-t-elle la même signification que dans le langage

 

1 Matt. XXII, 2-10. — 2 Ib. XIII, 39.

 

ordinaire où elle n'est qu'un terme de louange ou de mépris on qualifie même les païens. C'est en ce sens que Jésus-Christ parle aux disciples qu'il envoya la première fois prêcher l'Evangile : il leur recommande de s'informer, dans toutes les villes où ils entreront, des personnes qui sont dignes de les recevoir chez eux jusqu'à leur départ (1). Or, à quelle marque reconnaîtra-t-on les gens dignes, sinon à l'estime dont ils jouissent parmi leurs concitoyens, et les gens indignes, sinon à leur mauvaise réputation? Voilà les bons et les méchants qui sont amenés à Jésus-Christ et qui se présentent pour croire en lui. On les accueille s'ils consentent à se dégager par la pénitence des oeuvres de mort. Ne consentent-ils pas? on les repousse, et loin de chercher à entrer, ils se ferment eux-mêmes la porte par une opposition aussi éclatante.

32. Et le serviteur de  l'Evangile qui refusa de faire valoir le talent de son Maître ! Il devrait bannir toute inquiétude et ne pas craindre d'être accusé de négligence. On lui ressemble, on ne veut pas recevoir le talent que le Seigneur confie. Car cette parabole (2) s'adresse à ceux qui ne veulent pas se charger dans l'Eglise de la fonction de distribuer les trésors du Seigneur en déguisant leur indifférence sous le prétexte qu'ils ne veulent pas répondre des péchés d'autrui; ils écoutent sans agir, ils reçoivent sans rien rendre. Or, quand le serviteur exact et fidèle; plein d'ardeur pour faire valoir les trésors de son maître et attentif à ménager ses intérêts, vient dire à un adultère: Si tu veux être baptisé, cesse d'être adultère, crois en Jésus-Christ qui qualifie d'adultère le commerce, que tu entretiens; cesse d'appartenir à une prostituée, si tu veux devenir membre de Jésus-Christ; si cet homme lui répond: je n'obéirai pas, je ne cesserai pas; il est clair qu'il refuse de recevoir te talent de bon aloi du Seigneur, ou plutôt qu'il voudrait mêler à ce trésor sa fausse-monnaie. Supposons au contraire qu'après avoir promis d'obéir il ne tienne pas ses engagements sans qu'on puisse le corriger: on verrait ce qu'il faut faire de lui pour l'empêcher de nuire aux autres après s'être nui à lui-même; méchant poisson, égaré dans le flet divin, on l'empêcherait de prendre à ses pièges les poissons du Seigneur, on ne permettrait pas qu'en menant une vie coupable dans l'Eglise il y fit naître une doctrine pernicieuse. Si ces pécheurs, tout en faisant l'apologie de leurs turpitudes, tout en étalant l'intention expresse d'y persévérer, sont

 

1 Matt. X, 11. — 2 Ib. XXV, 14-30.

 

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admis au baptême, alors il ne reste plus, ce semble, qu'à prêcher que les fornicateurs et les adultères, dussent-ils garder leurs criminelles habitudes jusqu'à la lin de leurs jours, posséderont le royaume de Dieu et, par la vertu de la foi, toute morte qu'elle est sans les oeuvres, obtiendront la vie et le salut éternel. C'est là le plus dangereux des filets, et les pêcheurs doivent surtout s'en défier; je parle ainsi dans la pensée que la parabole de l'Evangile désigne les Evêques ou les directeurs subalternes de l’Eglise, d’après cette parole: « Venez et je vous ferai pêcheurs d'hommes (1). » Le filet prend toute sorte de poissons, bons et mauvais: mais un mauvais filet ne prendra jamais les bons poissons. Or, dans le sein de la véritable doctrine on peut être bon si l'on joint les oeuvres à la foi, mauvais si l'on croit sans pratiquer ; dans l'hérésie on est mauvais, tout en ne se conformant pas à ce que l'on croit la vérité, -plus coupable encore, si on s'y conforme.

 

CHAPITRE XVIII. CE N'EST PAS UNE NOUVEAUTÉ D'ÉCARTER DU BAPTÊME LES PÉCHEURS ENDURCIS.

 

33. Dans l'opinion qui nous sépare de nos frères et que ses conséquences dangereuses obligent à rejeter, qu'elle soit ancienne ou moderne, une chose me parait étrange : c'est le reproche de nouveauté attaché à la' doctrine qui défend d'admettre au baptême les gens assez pervers pour afficher la résolution de persister dans leur égarements. On dirait que leur imagination les emporte je ne sais où; car les courtisanes, les histrions et autres pourvoyeurs' de la corruption publique ne sont admis aux sacrements de l'Eglise qu'à la, condition de briser leur chaîne; or, en suivant les maximes de nos adversaires, on les admettrait tous indifféremment, Mais la sainte Eglise reste fidèle à l'antique et inaltérable tradition qui remonte à ce principe si clairement établi par ces paroles : « Tous ceux qui commettent de pareils crimes ne posséderont point le royaume de Dieu (2). » Si la pénitence n'efface pas ces oeuvres de mort, le baptême est interdit aux pécheurs s'ils l’obtiennent par surprise et qu'ils ne réforment pas leurs moeurs, leur salut est impossible. Les ivrognes, les avares, les médisants et tous les pécheurs dont les habitudes criminelles ne prêtent pas matière à une condamnation motivée sur des actes

 

1 Matt. IV, 19. —  2 Gal. V, 19-21 ; I Cor. VI, 9, 10.

 

notoires, sont l'objet des vigoureuses admonestations du catéchisme, et n'entrent dans le bain sacré qu'après avoir témoigné des dispositions meilleures. Quant aux adultères, condamnés par les lois divines et non par les lois humaines, on les a peut-être admis trop légèrement au baptême dans quelques Eglises; mais ce sont des exceptions qu'il faut condamner au nom de la règle, au lieu de fausser la règle d'après ces précédents; en d'autres.termes, il faut repousser les indignes au lieu d'admettre en principe que les postulants ne doivent recevoir aucune instruction morale, et d'accueillir par une conséquence nécessaire tous les esclaves de la corruption publique, courtisanes, prostitueurs, gladiateurs et autres gens de cette espèce, dussent-ils rester attachés à leur métier. Les crimes dort l'Apôtre fait l'énumération terminée par cette sentence: « Ceux qui les commettent ne posséderont point le royaume de Dieu, » trouvent, dans les personnes qui agissent avec énergie, des censeurs vigoureux. Les confesse-t-on ? elles les blâment avec toute la divinité de leur caractère ; est-on rebelle et affiche-t-on l'intention de persévérer? elles refusent le baptême.

 

CHAPITRE XIX. TROIS ESPÈCES DE PÉCHÉS MORTELS, ENTRAINANT L’EXCOMMUNICATION. —  SILENCE DES CATÉCHISMES SUR LES UNIONS ADULTERES. —  MARIAGES AVEC LES INFIDÈLES.

 

31. Ceux qui pensent que l'aumône peut aisément racheter les péchés, n'hésitent pas à reconnaître qu'il y en a trois qui sont mortels et dignes de l'excommunication, tant qu'ils ne sont pas expiés par les humiliations de la pénitence: l'impudicité, l'idolâtrie, l'homicide. Il serait superflu d'examiner ici cette opinion et de rechercher s'il faut l'admettre avec réserve ou l'approuver: ce serait compliquer notre sujet d'une question étrangère à son but. Cet aveu nous suffit; car, si tous les péchés sont un motif pour exclure du baptême, l'adultère en fait partie

s'il n'y a. exception que pour trois, l'adultère y est encore compris; or, c'est là le péché qui a soulevé cette controverse.

33. Comme les chrétiens, quelle qu'ait été la corruption des moeurs dans les siècles précédents, semblent être restés étrangers à l'union criminelle d'une homme avec une femme ou d'une femme avec, un homme, au mépris d'un mariage (570) antérieurement contracté, c'est probablement pour cette raison qu'on ne s'est pas préoccupé de ce désordre dans certaines Eglises et qu'on a oublié de mêler à l’instruction des postulants la peinture et la condamnation de cette immoralité : cette négligence a fait naître la nécessité de proscrire un tel désordre; toutefois il ne se rencontre guère chez les personnes qui ont reçu le baptême, et s'il y en a des exemples encore trop nombreux, il faut les attribuer à notre apathie. Ce défaut de vigilance qui tient à l'indifférence chez les uns, à l'inexpérience chez les autres, et quelquefois à l'ignorance, a été vraisemblablement désigné par le Seigneur sous le nom de sommeil quand il a dit : « Et pendant qu'ils dormaient, l'ennemi vint et sema l'ivraie parmi le bon grain (1). » Une preuve que ce désordre n'éclatait pas dans les moeurs même des mauvais chrétiens, c'est que le bienheureux Cyprien, dans sa lettre sur les fidèles tombés, parmi tous les crimes qu'il signale en les déplorant et en les stigmatisant, et qui , selon lui, ont été capables de provoquer en Dieu une indignation assez vive pour qu'il abandonnât son Eglise aux horreurs d'une épouvantable persécution, ne cite jamais ce péché; et ce silence est d'autant plus significatif, qu'il n'oublie pas de signaler comme un trait de corruption le mariage avec les infidèles, où il ne voit qu'une prostitution des membres de Jésus-Christ aux païens. Cependant aujourd'hui ce mariage n'est plus regardé comme un péché; le nouveau Testament n'ayant laissé aucun précepte sur ce point, on en a conclu qu'une pareille union était légitime ou du moins sujette à controverse. On ne sait trop non plus si Hérode a épousé la femme de son père avant ou après sa mort, et par conséquent on n'est pas fixé sur la nature même du crime que Jean lui reprochait (2). Doit-on admettre au baptême une concubine, qui s'est engagée à ne jamais connaître d'autre homme et qui même a été renvoyée par son séducteur? Le cas est douteux et à j este titre. Il ne faut pas non plus confondre ensemble le mari outragé qui se sépare d'avec sa femme et en prend une autre, et celui qui, sans avoir surpris sa femme en adultère, divorce et contracte un nouveau mariage. Les textes sacrés sont tellement obscurs sur ce point qu'il est difficile de décider si un mari, tout en pouvant renvoyer sa femme adultère, ne devient pas lui-même adultère en formant une nouvelle union: dans ce cas je crois, autant que j'en puis

 

1 Matt. XIII, 25. — 2 Ib. XIV, 3, 6.

 

juger, l'erreur vénielle. Par conséquent tous les péchés d'impureté, quand ils sont évidents, en-. traînent l'exclusion du baptême, à moins qu'ils ne soient expiés par une conversion sincère et par la pénitence ; sont-ils douteux et mal définis ? il faut empêcher par tous les moyens ces mariages équivoques. Car à quoi bon compromettre un principe dans de pareilles énigmes? Toutefois si le mariage est déjà consommé , j'inclinerais à croire qu'on ne doit pas refuser le baptême.

 

CHAPITRE XX. COMMENT FAUT-IL PROCÉDER A LA GUÉRISON DE CEUX QUI DOIVENT ÊTRE BAPTISÉS?

 

36. Pour garder dans son intégrité la véritable doctrine qui défend d'assurer à tout péché mortel une dangereuse sécurité ou de l'environner d'un prestige funeste, voici l’ordre dans lequel on doit procéder à la guérison des catéchumènes: ils doivent croire en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, selon la formule du Symbole : faire pénitence des oeuvres de mort, et être persuadés qu'ils vont recevoir dans le baptême la rémission de leurs péchés, non pour être autorisés à pécher dans l'avenir, mais pour être exempts des peines attachées à leurs fautes dans le passé : car la rémission du péché n'entraîne pas la liberté de le commettre. Sont-ils dans ces dispositions? alors on peut leur appliquer, dans un sens tout spirituel, ce passage : « Tu es guéri, ne pèche , plus (1). » Si le Seigneur, en effet, a parlé ici de la santé du corps, c'est qu'il savait bien que l'affaiblissement des organes était chez celui qu'il avait guéri une suite de ses péchés. Mais je ne sais pas dans quel sens nos adversaires pourraient dire à celui qui entré adultère dans le bain sacré en sort adultère : « Tu es guéri. » Quelle maladie serait donc mortelle, si l'adultère était la,santé même ?

 

CHAPITRE XXI. CONDUITE DES APOTRES. —  LES JUIFS NE SESONT-ILS PERDUS QUE PAR LEUR INCRÉDULITÉ ? — LE ROYAUME DU CIEL, SOUFFRE VIOLENCE.

 

37. Mais, objecte-t-on encore, parmi les trois mille hommes qui furent baptisés le même jour par les Apôtres, ou dans la multitude des fidèles auxquels Paul a annoncé l'Evangile depuis Jérusalem

 

1 Jean, V, 14.

 

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jusqu'aux confins de l'Illyrie (1); il a dû se rencontrer des hommes et des femmes unis ensemble au mépris (le la foi conjugale : l'Apôtre devait en ce cas établir une règle destinée à guider les Eglises et décider qu'on devait refuser le baptême à tous ceux qui n'auraient pas renoncé à l'adultère. — N'est-il pas aisé de rétorquer cet argument en demandant qu'on cite le nom d'un seul homme admis au baptême, malgré ses liaisons criminelles ? D'autre part n'est-il pas impossible d'énumérer les fautes particulières de chaque individu ? Ce calcul serait interminable et fort inutile, puisque la règle établie par Pierre dans sa longue exhortation à ceux qui devaient être baptisés: « sauvez-vous de cette génération perverse (2), » suffit par son universalité. Car peut-on douter que la corruption du ;monde n'embrasse à la fois l'adultère et ceux qui s'obstinent dans cette iniquité. En suivant ce principe, il faudrait également soutenir qu'il a pu se rencontrer dans cette multitude de fidèles répandus chez toutes les nations, des prostituées, malheureuses qu'aucune Eglise n'a jamais admises avant de les avoir tirées de leur infâme métier, et que l'Apôtre aurait dû fixer les conditions auxquelles on pouvait les admettre ou les exclure. Mais on peut conclure du moins au plus : Les publicains qui se présentèrent au baptême de Jean reçurent ordre de ne pas exiger au delà de ce qui était convenu (3); je serais fort surpris que l'adultère fut autorisé chez ceux qui se présentent au baptême de Jésus-Christ.

38. On cite encore les Israëlites dont la ruine complète vient, non des crimes énormes qu'ils ont commis, non du sang des prophètes qu'ils ont répandu tant de fois, mais de l'incrédulité qui leur a fait méconnaître le Christ. On oublie que le péché des Juifs n'est pas seulement d'avoir renié le Christ, mais de l’avoir immolé : leur crime tient de la barbarie autant que de l'incrédulité c'est une iniquité autant qu'un manque de foi. Or ce double péché ne se rencontre pas chez celui qui a la foi en Jésus-Christ, non la foi morte qui n'est pas étrangère même aux dénions (4), mais la foi de la grâce qui opère par la charité (5).

39. Voilà la foi que désigne ce passage : « Le royaume des cieux est au dedans de vous (6). » Car ceux-là seuls le ravissent qui obtiennent par la vivacité de la foi l'Esprit de charité ; car la charité renferme toute la loi (7), et séparée d'elle, la loi n'est plus qu'une lettre morte qui rend coupable

 

1 Rom. XV, 19. 2 — 2 Act. II, 40, 41. — 3 Luc, III, 13.  — 4 Jacq. II, 20,19. — 5 Gal. V, 6. — 6 Luc, XVII, 21. — 7 Rom. XIII, 10.

 

du crime même de prévarication. On se tromperait donc si on croyait que cette parole : « Le royaume des cieux souffre violence et les violents le ravissent (1), » signifie que les méchants obtiennent parla vivacité de leur foi et malgré l'indignité de leur conduite le royaume des cieux : elle nous enseigne seulement que l'accusation de prévarication sous le coup de laquelle nous laissait la loi,  je veux dire, la lettre sans l'esprit, tombe par la vertu de la foi dont la vivacité nous fait obtenir le Saint-Esprit: par lui, la charité se répand dans nos coeurs (2), et la loi s'accomplit moins par crainte du châtiment que par amour de la justice.

 

CHAPITRE XXII. LA VRAIE CONNAISSANCE DE DIEU. — LES PÉCHEURS CONVERTIS DOIVENT SEULS COMPTER SUR L'INDULGENCE : LES IMPÉNITENTS EN SONT INDIGNES.

 

10. C'est donc en vain qu'un esprit léger s'imagine connaître Dieu, quand il le confesse avec une foi morte, je veux dire, sans les bonnes oeuvres, à la manière des démons, et qu'il se flatte d'arriver à la vie éternelle, en s'appuyant sur ce passage : « La vie éternelle consiste à vous con« naître, vous qui êtes le seul Dieu véritable et Jésus-Christ que vous avez envoyé (3). » On devrait en effet se rappeler cet autre passage: « Nous sommes assurés que nous le connaissons, si nous observons ses commandements. Celui qui dit qu'il le connaît et qui n'observe pas ses commandements, est un menteur et la vérité n'est point en lui (4). » Croirait-on que ces commandements n'ont rapport qu'à la foi ? Bien que personne n'ait osé soutenir cette opinion,  l'expression de commandements empêche l'esprit de songer à une foule d'autres préceptes en lui rappelant les deux commandements qui résument la loi et les prophètes . Bien qu'on puisse dire avec raison que les commandements de Dieu se rattachent à la foi, si l'on entend par là, non la foi morte, mais la foi vivante qui agit par la charité, touefois Jean a lui-même expliqué ailleurs sa pensée en disant: « Voici son commandement, croire au  nom de Jésus-Christ et nous aimer les uns les  autres (6). »

41. Le bienfait que nous vaut la grâce de croire sincèrement en Dieu, d'honorer Dieu, de connaître Dieu, c'est d'obtenir , son assistance pour bien vivre, sa miséricorde, si nous avons

 

1 Matt. XI. 12. — 2 Rom. V, 5. — 3 Jean, XVII, 3. — 4 I Jean, 11, 3 4. — 5 Matt. XXII, 40. — 6 I Jean, III, 23.

 

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péché; et,nous obtenons cette faveur, non en persévérant avec indifférence dans les désordres qu'il condamne, mais en y renonçant. « Seigneur, ai-je dit, ayez pitié de moi ; guérissez mon âme, « parce que j'ai péché contre vous (1). » Or, on ne ,sait à quel être adresser ce langage, si on ne croit pas en Dieu, et on le tient inutilement, si on est éloigné de lui,pour n'avoir aucune part à la grâce da Médiateur. De là cette parole tirée du livre de la Sagesse, et entendue, je ne sais comment, par les gens qui s'endorment dans une.fausse sécurité . « Eussions-nous péché, nous vous appartenons. » Car, si notre Dieu- est assez bon et assez puissant pour avoir le désir et le pouvoir de guérir le péché accompagné du repentir, il ne pousse pas la faiblesse jusqu'à craindre, de pendre ceux qui s'endurcissent dans leur crime. Aussi le Sage après avoir dit : « Nous vous  appartenons, » ajoute-t-il: « Nous qui connais sons votre puissance » puissance infinie dont le pécheur ne peut éviter ni les coups ni les regards. Et il conclut : « Nous ne pécherons plus en nous rappelant que nous vous appartenons (2). » Pourrait-on en effet concevoir dans toute sa beauté le séjour que doivent habiter avec Dieu tous ceux qui y sont prédestinés d'après les conseils éternels, sans s'efforcer de mener une vie digne de cette demeure céleste lorsque  Jean s'exprime ainsi : « Je vous ai écrit ces choses pour que vous  ne péchiez plus cependant si quelqu'un pèche,  nous avons, auprès du Père, Jésus-Christ, le juste par excellence : c'est lui qui intercède pour nos péchés (3), » veut-il que nous péchions sans crainte ? Non; il veut que, renonçant aux péchés que nous avons pu commettre, nous ayons confiance dans l'avocat qui manque aux infidèles, pour ne point désespérer de la miséricorde divine.

 

CHAPITRE XXIII. MAUVAISE INTERPRÉTATION. —  LE MOT JUGEMENT DANS L'ÉCRITURE.

 

42. Si le passage que nous venons de citer ne permet guère à ceux qui veulent croire en Dieu sans interrompre leurs désordres, de compter sur un sort heureux, ils doivent trouver plus menaçant encore celui où l'Apôtre dit : « Ceux qui  ont péché sans la loi seront punis sans la loi :  ceux qui ont péché sous la loi seront jugés d'après la loi (4). » On croirait que ces deux expressions

 

1 Ps. XL, 5. — 2 Sag. XV, 2. — 3 I Jean, II, 12. — 4 Rom. II, 12.

 

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« être punis » et « être jugés » sont différentes : cependant elles sont rigoureusement synonymes. Dans le langage ordinaire de l'Ecriture le mot jugement signifie damnation éternelle : c'est dans ce sens que l'emploie Notre-Seigneur : « Le moment viendra où ceux qui sont dans le tombeau entendront la voix: du Fils de Dieu; et ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la vie éternelle ; ceux qui auront fait le mal ressusciteront pour être jugés (1), » ou condamnés. Et ici on ne parle pas de ceux qui ont eu la foi ou qui ont été incrédules : il n'est question que de ceux qui ont fait le bien et de ceux qui ont fait le mal. Car la vie honnête est inséparable de la foi agissant par la charité, ou plutôt elle y est renfermée tout entière. Il est donc clair que par « résurrection suivie du jugement, » le Seigneur entend la résurrection suivie de la damnation éternelle. Car il range en deux classes tous ceux qui ressusciteront, sans excepter les incrédules qui eux aussi sont dans le tombeau, en déclarant que les uns ressusciteront pour la vie éternelle; les autres pour être jugés.

43. Soutiendra-t-on que ce passage ne désigne pas les incrédules, mais les croyants que leur foi sauvera à travers les flammes, malgré leur vie criminelle, et qu'il faut entendre par le terme de jugement la peine passagère à laquelle ils seront condamnés ? Ce langage serait bien impudent après que le Seigneur a partagé tous ceux qui ressusciteront, sans excepter les incrédules, en deux classes distinguées par les termes de « vie » et de « jugement: » il désignait donc implicitement la vie et le jugement éternels, d'autant plus qu'il ne qualifie pas d'éternelle la vie à laquelle ressusciteront les bons, bien qu'on ne puisse attacher un autre sens à son expression. Mais que répondra-t-on à ce passage : « Celui qui ne croit pas est déjà jugez?» Ici en effet on est dans l'alternative ou de reconnaître que le jugement implique la damnation éternelle, ou d'admettre hardiment que les incrédules eux-mêmes s'échapperont a travers le feu, le mot jugé, dans ce passage, signifiant destiné au jugement: « Celui qui ne croit pas est déjà jugé. » A ce titre, on ne promettrait pas une faveur merveilleuse aux croyants qui vivent dans le mal, puisque les incrédules aussi auraient à subir un jugement plutôt qu'une condamnation. N'est-on pas assez hardi pour tenir ce tangage ? Qu'on n'ait plus alors la hardiesse de flat ter d'une douce espérance ceux dont

 

1 Jean, V, 28, 29. — 2 Rom. III, 18.

 

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il a été dit: « Ils seront jugés au nom de la loi ;» car il est incontestable que le mot jugement est d'ordinaire synonyme de damnation éternelle.

Ajouterai-je que ceux qui pèchent sciemment sont menacés un sort bien plus rigoureux, loin d'avoir à espérer un traitement plus doux Ces pécheurs sont principalement ceux qui ont admis la loi. Car, selon qu'il est écrit, « Où il n'y a point de loi, il n'y a point de transgression (1) ; » et ailleurs : « Je n'aurais point connu la convoitise, si la loi ne m'eût dit : Tu ne convoiteras point. Ainsi l'habitude vicieuse prenant occasion du précepte a fait naître en moi toutes sortes de mauvais désirs (2). » J'omets une foule de passages où l'Apôtre traite ce point de doctrine. Cette accusation est plus grave, mais elle tombe, sous l'influence de la grâce du Saint-Esprit, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ : la grâce, en effet, se répandant par la charité au fond de nos coeurs, nous inspire pour la justice un amour capable d'arrêter les entraînements de la concupiscence. C'est la preuve évidente que « ceux qui seront jugés d'après la loi sous l'empire de laquelle ils ont péché » subiront un châtiment plus sévère et plus rigoureux que ceux qui, ayant péché en dehors de la loi, seront condamnés en dehors de la loi : le mot jugement ne désigne donc pas dans cet endroit un supplice passager, mais la peine même qui sera décernée contre les incrédules.

44. En effet s'appuyant sur ce passage: « Ceux qui ont péché en dehors de la loi, seront jugés en dehors de la loi ; ceux qui ont péché sous l'empire de la loi seront jugés d'après la loi, » pour entretenir dans les fidèles, attachés à une vie déréglée, l'espoir de se sauver à travers les flammes, comme s'il était question ici qu'au lieu de périr, ils seront purifiés par le feu, on n'a oublié qu'un point: c'est que l'Apôtre, parlant à la fois aux Juifs et aux Gentils, avait en vue les pécheurs soumis à la loi ou étrangers à ses prescriptions . Il  voulait prouver aux uns et aux autres que la grâce de Jésus-Christ était la condition indispensable de leur salut, vérité capitale qui fait le fond de la lettre aux Romains. Qu'on n'hésite donc pas à promettre aux Juifs prévaricateurs qui vivent sous l'empire de la loi et qui « seront jugés d'après la loi,» que le feu les purifiera sans la grâce de Jésus-Christ parce qu'ils « seront jugés d'après la loi. » N'ose-t-on aller jusque-là dans la crainte de se contredire et de nier, après

 

1 Rom. IV, 16. — 2 Ib. VII, 7, 8.

 

l'avoir reconnue,. l'accusation accablante d'incrédulité qui pèse sur les Juifs ? Pourquoi alors appliquer aux fidèles et aux incrédules et ramener à une question de foi en Jésus-Christ un passage relatif à ceux qui ont péché sans la Loi ou avec la Loi, et inspiré à propos des Juifs et des Gentils, dans l'unique but de les attirer à la grâce de Jésus-Christ ?

On n'a pas dit en effet : ceux qui ont péché, n'étant pas sous l’empire de la foi, seront condamnés au nom de la foi : non, il ne s'agit que de la Loi, et delà il ressort évidemment que toute  la question roule sur la discussion qui se débattait alors entre les Juifs et les Gentils, et qu'elle, n'a aucun rapport au bons et aux mauvais chrétiens.

 

CHAPITRE XXIV. LA LIBERTÉ DE LA FOI CHRÉTIENNE NE DOIT PAS COUVRIR COMME D'UN VOILE LA DÉPRAVATION DES FIDÈLES.

 

45. Veut-on cependant, sans reculer devant une hypothèse aussi fausse que déplorable, prendre le mot loi dans ce passage comme synonyme de foi? On n'a qu'à lire un passage de saint Pierre qui jette sur ce point une clarté irrésistible. Il avait parlé, dans sa première Epître, des fidèles qui pour vivre selon la chair et couvrir leur perversité, abusaient du principe établi dans le nouveau Testament : « Nous ne sommes point les enfants de l'esclave, mais de la femme libre, et nous devons cette liberté à Jésus Christ (1), » et qui, comptant sur le prix infini de ce rachat, faisaient consister la liberté à satisfaire toutes leurs passions, sans réfléchir à ce passage : «Vous êtes appelés à la liberté, mes frères; mais prenez «garde que cette liberté ne vous serve d'occasion pour vivre selon la chair (2),» ni à cette parole de Pierre lui-même : « Vous êtes libres, non pour cacher vos mauvaises actions sous le voilé de la liberté (3). » Il revient sur ce sujet dans sa seconde Epître et parle ainsi de ces chrétiens : « Ce sont des sources taries, des nuées. agitées par des tourbillons, et l'obscurité des ténèbres leur est réservée. Car tenant un langage plein d'orgueil et de vanité, ils amorcent par les passions de la chair et les voluptés sensuelles, ceux qui, peu de temps auparavant, s'étaient séparés des personnes infectées d'erreur, leur promettant la liberté, quoiqu'ils soient eux-mêmes les

 

1 Gal. IV, 31. — 2 Ib. V, 13. — 3 I Pierre, II, 16.

 

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esclaves de la corruption. Car quiconque est vaincu devient esclave de son- vainqueur. Or, si après avoir connu Jésus-Christ notre Seigneur et notre Sauveur et s'être retirés de la corruption du monde ils se laissent de nouveau enlacer et vaincre, leur dernier état devient pire que le premier. En effet il eût mieux valu pour eux qu'ils n'eussent point connu la voie de la justice, que de retourner en arrière, après l'avoir connue, et d'abandonner la loi sainte qui leur avait été donnée. Mais ce proverbe s'est accompli en eux de point en point:Le chien est retourné à ce qu'il avait vomi et le pourceau nettoyé s'est vautré de nouveau dans fange (1). » Comment donc promettre à ceux qui, ayant connu la voie de la justice, c'est-à-dire le Seigneur Jésus, n'en ont pas moins vécu dans le péché, un traite ment plus doux que s'ils ne l'avaient jamais connu? N'est-ce pas contredire la vérité si clairement exprimée dans ce passage :  « Il eût mieux val a pour eux qu'ils n'eussent point  connu la voie de la justice, que de retourner en  arrière après l'avoir connue et d'abandonner la  loi sainte qui leur avait été donnée ? »

 

CHAPITRE XXV. LOI SAINTE ; CHÂTIMENT RÉSERVÉ À SES VIOLATEURS. — FAUSSE SÉCURITÉ DE CEUX QUI ONT ÉTÉ BAPTISÉS ET VIVENT DANS LE CRIME.

 

46. Sous le nom de loi sainte, il ne faut pas entendre ici l'obligation de croire en Dieu, quoique ce précepte renferme tout en abrégé, si l'on ne sépare pas la foi de la charité ; les termes de l'Apôtre sont décisifs: il entend par loi sainte l'obligation de renoncer à la corruption du monde et de mener une vie pure. « Si après avoir connu Jésus-Christ notre Seigneur et notre Sauveur et s'être retirés de la corruption du monde, ils se laissent de nouveau enlacer et vaincre, leur dernier état devient pire que le premier . » Il n'est pas question de croire en Dieu ni de renoncer à l'incrédulité du monde, mais de sortir de la corruption, mot qui comprend toutes les turpitudes. Ce sont ces pécheurs que dépeint encore l'Apôtre un peu plus haut : « Ils s'abandonnent à la dissolution dans leur festins avec vous;  leurs yeux sont pleins d'adultères et d'un péché  continuel (1). » Ce sont eux qu'il appelle des fontaines sans eau, fontaines, puisqu'il ont été initiés à la doctrine de Jésus-Christ, sans eau,

 

1 II Pierre, II, 13-22.

 

puisque leurs actes ne répondent pas à leur croyance. L'apôtre saint Jude les caractérise presque dans les mêmes termes : « Leurs festins sont des  infamies, ils mangent sans retenue et ne songent qu'à se repaître ; ce sont des nuées sans  eau (1). » La pensée est la même dans les deux passages. Selon saint Pierre, « ils s'abandonnent à la dissolution dans leurs festins avec vous et leurs yeux sont pleins d'adultère; » selon saint Jude, leurs festins avec vous sont des infamies. » Les méchants en effet se mêlent aux bons dans le banquet des sacrements et les effusions de la charité. La source tarie de saint Pierre, la nuée sans eau de saint Jude, c'est la foi morte de saint Jacques (2).

47. Qu'on ne promette donc plus le purgatoire à ceux qui, après avoir connu la vie de la justice, mènent une vie de débauche et de crime; car il aurait mieux valu pour eux ne pas la connaître, selon le témoignage de l'Ecriture. C'est à eux que s'applique la parole du Seigneur: « Le dernier état de cet homme devient pire que le premier (3) ; » car en refusant de recevoir le Saint-Esprit dans son coeur pour y résider et le purifier, il appelle l'esprit immonde suivi de ses compagnons. Leur ferait-on un mérite de n'être pas retombés dans l'adultère sous prétexte qu'ils n'y ont jamais renoncé, ou de ne s'être pas couverts de leurs souillures passées, sous prétexte qu'ils n'ont pas voulu s'en purifier? Mais ils ne daignent pas même consentir à entrer dans le bain sacré avec une conscience déchargée de ses fautes, et à rejeter leurs turpitudes, dussent-ils y retourner comme le chien à ses vomissements; au sein même de l'eau qui régénère, ils retiennent sur leur coeur malade le poids de leur perversité ; loin de cacher leur intempérance même sous le voile d'une promesse hypocrite, ils l'étalent et semblent la vomir par l'impudent aveu de leur endurcissement. Non-seulement ils n'imitent pas la femme de Loth qui, en quittant Sodome, regardait derrière elle; ils ne veulent pas même quitter Sodome, que dis-je ? ils s'efforcent d'introduire Jésus-Christ au sein même de Sodome. Parce que l'Apôtre Paul a dit : « Moi qui ai été auparavant  un blasphémateur, un persécuteur, un homme  violent et injurieux : j'ai obtenu miséricorde,  parce que j'ai fait tous ces maux dans l'ignorance , n'ayant pas la foi (4); » on dit à ces pécheurs: Vous aurez d'autant plus droit à la miséricorde divine que vous aurez sciemment vécu dans le

 

 

1 Jude, I, 12. —  2 Jacq. II, 20. — 3 Matt. XII, 45. — 4 1 Tim. I, 13.

 

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mal, ayant la foi. Mais on s'étendrait trop loin, on s'étendrait à l'infini, si l'on voulait rassembler tous les témoignages de l'Ecriture qui montrent clairement que la condition des pécheurs dont la vie a été coupable et infâme, malgré les lumières de la foi, loin d'être plus douce, sera d'autant plus rigoureuse qu'ils auront agi sciemment : c'est un principe que nous avons suffisamment démontré.

 

CHAPITRE XXVI. CONFORMER SES ACTES AUX ENGAGEMENTS DU BAPTÊME. — TROIS ESPÈCES DE PÉCHÉS; TROIS SORTES DE REMÈDES.

 

48. Mettons donc toute notre attention, avec l'aide du Seigneur notre Dieu, à ne pas inspirer aux hommes une fausse sécurité, en les flattant de l'espoir qu'ils pourront, après avoir été baptisés en Jésus-Christ, obtenir le salut éternel, quel qu'ait été le désaccord de leur conduite avec cette foi nouvelle : gardons-nous de faire des chrétiens comme faisaient des prosélytes ces Juifs dont le Seigneur a dit: « Malheur à vous, Scribes et Pharisiens, qui parcourez la terre et les mers pour faire un seul prosélyte : après qu'il l'est devenu, vous le rendez digne de l'enfer deux fois plus que vous (1). » Attachons-nous à la véritable doctrine établie par Dieu, notre maître, d'après laquelle la vie chrétienne doit répondre à la sainteté du baptême, et l'espoir de la vie éternelle doit être interdit à quiconque ne remplit pas cette double loi. Voici en effet les paroles du Seigneur : « Nul ne peut entrer dans le royaume de Dieu, s'il ne renaît de l'eau et de l'Esprit (2); » et ailleurs : « Si votre justice n'est pas plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux (3). » Il les dépeint ainsi : « Les Scribes et les Pharisiens sont assis dans la chaire de Moïse. Faites donc ce qu'ils vous disent, mais n'imitez pas leurs actes; car ce qu'ils disent, ils ne le font pas (4). » Leur justice consiste donc à parler sans pratiquer; par conséquent, la nôtre qui doit être plus abondante que leur stérile théorie, doit consister à parler et à pratiquer comme le veut Notre-Seigneur, autrement le royaume des cieux nous sera fermé. Je ne veux pas dire qu'on doive s'enorgueillir au point de se flatter devant les autres ou même dans sa conscience d'être sans péché ici-bas, loin de là. Mais s'il n'y avait pas des fautes assez graves pour mériter la peine

 

1 Matt XXIII, 15. — 2 Jean. III, 6. — 3 Matt. V, 20. — 4 Ib. XXIII, 2, 3.

 

de l'excommunication, l'Apôtre n'aurait pas dit : « Etant tous rassemblés avec moi en esprit, livrez le coupable à Satan, afin que son corps en étant tourmenté, son âme soit sauvée au jour du jugement de Notre-Seigneur Jésus-Christ (1). » Il n'aurait pas ajouté à ce sujet: « Qu'ainsi je ne sois contraint de pleurer la perte de plusieurs qui ont péché précédemment et n'ont pas fait pénitence des impuretés, des fornications et des «impudicités dont ils se sont rendus coupables (2). » Sans doute encore, s'il n'y avait certains crimes qui doivent s'expier, non par les humiliations de la pénitence que l'Eglise inflige d'ordinaire. aux fidèles qui se repentent, mais par des remèdes plus efficaces, le Seigneur lui-même n'aurait pas dit : « Reprends-le seul entre toi et lui; s'il t'écoute, tu auras gagné ton frère (3). » Enfin s'il n'y avait des fautes inséparables de la vie humaine, il n'aurait pas établi un remède de chaque jour dans l'oraison qu'il nous a enseignée : « Remettez-nous nos dettes comme nous remettons à ceux qui nous doivent (4). »

 

CHAPITRE XXVII. CONCLUSION.

 

49. Je crois avoir suffisamment développée ma pensée sur les points généraux et essentiels du sujet; ces points se ramènent à trois. D'abord la question a pour objet le mélange des bons avec les mauvais dans l'Eglise, mélange figuré par le bon grain et l'ivraie. Or, sur ce point, il ne faut pas croire que sous celte parabole, sous la figure des animaux impurs introduits dans l'arche et autres symboles analogues, se cache le principe de laisser s'endormir la discipline de l'Eglise, si bien représentée par cette femme dont on a dit: « Les lois de sa maison sont sévères (5). » Ces images ont pour but d'empêcher la folle précipitation, comme le zèle exagéré, d'anticiper sur la séparation des bons et des mauvais et de produire un schisme impie. Ces paraboles et ces figures servent à recommander aux justes, non l'indifférence pour les désordres qu'ils doivent réprimer, mais la patience nécessaire pour tolérer, sans préjudice des principes, les abus qu'ils ne peuvent réformer. S'il est écrit que Noé fit entrer dans l'arche jusqu'à des animaux impurs; les chefs de l'Eglise doivent-ils y voir un motif pour laisser un misérable entrer dans le bain sacré avec une malpropreté hideuse et

 

1 I Cor. V, 4, 5. — 2 II Cor. XII, 21. — 3 Matt. XVIII, 15. — 4 Ib. VII, 12. — 5  Prov. II, 18 Selon les Septante.

 

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en dansant, quoique ce sacrilège fût moins grave que s'il y entrait avec une pensée d'adultère. Donc sous ce symbole, Dieu nous fait entendre que l'Église doit renfermer des gens impurs par esprit de tolérance, et non pour altérer ses dogmes ou relâcher sa discipline. Car les animaux impurs ne se sont pas précipités dans l'arche pêle-mêle, en brisant toutes les barrières : ils y ont été introduits sans la dégrader, par l'unique entrée que leur avait ménagée le constructeur du vaisseau. Voici le second point de cette controverse : nos adversaires se figurent qu'il suffit d'initier à la foi les catéchumènes, et qu'on doit attendre le baptême avant de, leur enseigner la morale chrétienne. Mais nous avons donné des preuves surabondantes que le catéchiste devait profiter de l'attention, du zèle de ceux qui aspirent à recevoir le sacrement de la foi, pour leur dévoiler le châtiment dont le Seigneur menace les chrétiens qui vivent dans le péché, s'il veut éviter que le baptême, où ils viennent recevoir la rémission de leurs fautes, ne soit pour eux la source de l'accusation la plus redoutable . Quant au troisième point, le plus fécond en conséquences désastreuses, il n'a pour principe, selon moi, qu'un examen peu attentif de la parole sainte qu'il contredit : il consiste à promettre à ceux qui vivent dans le crime et dans l'infamie, qu'ils obtiendront la vie éternelle, tout en persévérant dans leurs désordres, à la seule condition de croire en Jésus-Christ et de recevoir les Sacrements: opinion manifestement opposée au principe expressément établi par Notre-Seigneur, lorsqu'il répond à celui qui cherchait la vie éternelle : « Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements (1), » et qu'il cite les commandements mêmes destinés à proscrire les péchés que l'on veut concilier, je ne sis par quelle illusion, avec la possibilité d'arriver à la vie éternelle, par la vertu d'une foi stérile sans les oeuvres.

Sur ces trois points, ,j'ai donné tous les développements nécessaires; j'ai prouvé que la tolérance pour les pécheurs, devait se concilier dans l'Église avec le maintien de la discipline; qu'il fallait apprendre et faire adopter aux postulants, non-seulement les mystères de la foi, trais    les règles de la morale; qu'il fallait assurer aux fidèles que pour arriver à la vie éternelle, ils devaient avoir non la foi morte et impuissante à sauver sans les oeuvres, mais la foi de la grâce agissant par la charité. Loin d'accuser les serviteurs fidèles d'indifférence ou d'oisiveté, qu'on s'en prenne à l'obstination des pécheurs en petit nombre qui refusent d'accepter l'argent du Seigneur et voudraient contraindre ses ministres à recevoir leur fausse monnaie; plus coupables que ces pécheurs, dont parle Saint Cyprien, qui renoncent au monde du bout des lèvres et non de coeur, car loin de renoncer aux oeuvres de Satan, même en parole, ils déclarent ouvertement qu'ils sont prêts à vivre jusqu'au bout dans l'adultère. S'il est quelque objection qu'ils aiment à élever et que j'aie omise dans le cours de cette controverse, j'ai cru qu'elle ne valait guère la peine d'être réfutée, soit parce qu'elle était étrangère au sujet, soit parce qu'elle offrait une solution à la portée de tout le monde.

 

1 Matt. XIX, 17-19.

 

Ce traité a été traduit par M. CITOLEUX.

 

FIN DU TOME CINQUIÈME.

 

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