VIE DE SAINT BERNARD III
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FRAGMENTS DE LA TROISIÈME VIE DE SAINT BERNARD PROBABLEMENT ÉCRITS PAR GEOFFROY, MOINE DE CLAIRVAUX.

 

I. Naissance et famille de saint Bernard.

II. Bernard encore enfant a une vision divine pendant une nuit de Noël.

III. Son père et ses frères.

IV. La femme de Guy, l'aîné des frères de saint Bernard, devient abbesse de Laird près de Dijon.

V. Bernard prédit, au roi Louis l'ancien, la mort de son fils aîné Philippe.

VI. Lettre de saint Bernard à son neveu Robert, écrite à la pluie mais sans être mouillée par la pluie. Geoffroy, son serviteur, la place en tête de la collection des lettres du saint.

VII. Double conversion de la duchesse de Lorraine à un meilleur genre de vie.

VIII. Saint Bernard promet à la reine Aliénore, et obtient du ciel la grâce de devenir mère.

IX. Conversion de Geoffroy lui-même et de plusieurs écoliers de Paris.

X. Mort de Guy, frère aîné de saint Bernard, à Pontigny, le jour de la Toussaint.

 

I. Naissance et famille de saint Bernard.

 

Dans le territoire de Langres se trouve un château, jadis fameux et remarquable, nommé Châtillon, dont les seigneurs se sont fort distingués dans le métier des armes et plus encore par leur respect pour les lois. Un des plus remarquables de tous, fut Técelin, surnommé le Sore, ce qui veut dire en langue vulgaire, le roux ou le fauve. Cet homme était d'une noble extraction, riche en domaines, doux de moeurs, grand ami des pauvres, d'une piété fort grande, et d'un zèle incroyable pour la justice. C'était enfin un homme qui ne pouvait s'habituer à voir que, pour bien des gens, il semblait difficile de respecter la justice, et, surtout, ce qui, d'ailleurs l'indisposait le plus vivement contre certaines personnes, et surtout, dis-je, que des hommes sacrifiaient la justice même de Dieu à la crainte ou à la cupidité. C'était un chevalier plein de bravoure, mais qui toutefois ne fuyait pas la gloire avec moins d'ardeur que d'autres la poursuivent. Il ne recourut jamais aux armes que pour la défense de ses domaines ou pour marcher sous la bannière de son seigneur, le duc de Bourgogne, avec qui il était lié d'une étroite amitié. Et il ne fit jamais une guerre avec lui, d'où il ne sortit vainqueur. II était né à Châtillon, mais il était seigneur d'un château moins important, nommé Fontaines, qui domine le fameux château-fort de Dijon et se trouve placé au haut d'un rocher très-escarpé. Il eut pour femme une fille du duc de Montbar, nommée Elizabeth; sa famille était une des meilleures de Bourgogne; elle se montra digne de son illustre origine et de l'homme qui l'épousa, que dis-je, elle fut la gloire de l'un et de l'autre... Elizabeth, par suite d'une révélation divine, ressentit pour ce fils (Bernard), plus de tendresse encore que pour les autres. C'est ce qui le porta à lui donner le nom de son père et à l'appeler Bernard.

 

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II. Bernard encore enfant a une vision divine pendant une nuit de Noël.

 

Il y avait à Châtillon une église qui appartenait alors à des chanoines séculiers qui vivaient dans la plus grande discipline. C'est là que Bernard fut élevé dès ses plus jeunes années. Un jour donc, c'était la veille de Noël, il était encore fort jeune; comme il dormait dans la maison de son père, il lui sembla voir la Vierge enfanter, et le Verbe enfant naître d'elle. Au même instant, on sonna les vigiles; sa mère vint le réveiller, lui fit mettre un vêtement de chanoine (a) et l'emmena avec elle à l'église, selon son habitude. En parlant de cette vision, il disait ordinairement qu'il croyait que l'heure où il l'avait eue, était celle de la naissance du Sauveur, et que ce qui lui fut montré alors était le signe de tous les mystères qui lui ont été révélés plus tard au sujet de cette naissance.

 

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III. Son père et ses frères.

 

André dit à Bernard : faites en sorte que aucun de nos frères ne reste dans le siècle, autrement il faudrait le couper par la moitié, car il ne saurait vivre séparé ni de vous ni d'eux. Que dirai-je du caractère viril de son père? qui, en voyant le même jour ses six fils, et quels fils ! le quitter, non-seulement n'en fut point accablé de chagrin, mais même en conçut une grande joie, et se contenta seulement de leur recommander de se conduire toujours avec prudence; car, ajoutait-il, je vous connais tous et je sais qu'il vous sera bien difficile, si tant est que vous y réussissiez, de modifier votre zèle. En partant, ils ne laissaient à la maison qu'un de leurs frères, en bas âge, qui jouait dans la cour du château avec d'autres enfants. L'aîné des fils de Técelin, nommé Guy, lui dit en partant : « Nivard, tu peux maintenant jouer sans aucun souci de l'avenir, car tu posséderas un jour un grand domaine. » Nivard lui répondit en riant : « Le partage que vous faites est un partage maudit, car vous prenez le ciel pour vous et me laissez la terre.» Cet enfant allait tous les jours rejoindre ses frères, il voulait partager leur vie; mais, comme il était encore trop jeune, ses frères ne voulaient point de lui, et le renvoyaient à leur père. Mais, enfin, ne pouvant plus supporter davantage ses importunités, ils le confièrent à un prêtre pour lui faire enseigner les lettres. Quand il fut devenu grand, il entra aussi au noviciat de Cîteaux, reçut l'habit après une année d'épreuve, et vint rejoindre ses frères à Clairvaux.

 

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IV. La femme de Guy, l'aîné des frères de saint Bernard, devient abbesse de Laird près de Dijon.

 

L'aîné des frères de Bernard, nommé Guy, s’excusait de le suivre quand il lui parlait de conversion, en alléguant les liens qui le tenaient attaché à sa femme et qu'il ne pouvait point rompre. Mais il s'engagea

 

a C'était la coutume alors chez les femmes pieuses de faire porter à leurs petits enfants des vêtements à la manière de ceux des religieux.

 

de parole et promit à Bernard, en lui frappant dans la main, qu'il irait le rejoindre si sa femme le lui permettait. Bernard lui répondit alors « Et bien moi aussi je te donne ma parole que, avant Pâques (cette fête approchait), avec sa permission, ou sur sa demande, ou même par sa mort, les liens qui t'attachent à ta femme seront déliés.» Et il lui frappa aussi dans la main pour confirmer sa promesse. Peu de temps après, les choses se passèrent comme il l'avait dit. La femme de Guy, jeune et belle encore, se mit à le supplier, dans sa chambre, avec force larmes et à sa grande surprise, de lui permettre de changer de vie. Depuis elle est au couvent de Lairé, près de Dijon, où elle continue à se montrer une femme fort et où elle est devenue la mère de bien des vierges en Jésus-Christ.

 

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V. Bernard prédit, au roi Louis l'ancien, la mort de son fils aîné Philippe.

 

On peut voir clairement expliquée dans les lettres du saint homme au siège apostolique, toute la querelle des évêques contre le roi de France, Louis, père de celui qui règne en ce moment. Il arriva donc un jour que les évêques se réunirent auprès du roi et appelèrent l'abbé de Clairvaux à leur réunion. Il était encore bien jeune alors, mais il en était pas moins regardé comme une des plus grandes colonnes de l'Église. Les évêques se prosternèrent aux pieds du roi, le suppliant humblement, lui, qui, jusqu'alors, avait assez donné de preuves de son amour et de son respect pour l'Église, de vouloir bien leur épargner, en cette circonstance, la peine à laquelle ils allaient se voir réduit de le traiter peut-être bien plus sévèrement qu'ils ne le voudraient. Mais il ne tint aucun compte de leurs prières. Le lendemain, le vénérable abbé lui adressa les plus durs reproches auxquels il mêla, même très-ouvertement, la menace en disant : « Vous avez offensé un Dieu terrible, un Dieu qui ôté l'esprit aux princes, un Dieu redoutable aux rois même de la terre, vous pouvez être sûr que vous expierez cette offense par la mort de Philippe votre premier-né; car la nuit dernière je vous ai vu en songe, vous prosterner aux pieds des évêques avec votre fils Louis, et j'ai compris sur le champ que Philippe, qui déjà a reçu l'onction royale, qui est un jeune homme plein de grandes espérances et, ce qu'il est superflu de dire, qui est très-cher à son père, mourra, et que vous serez réduit à implorer les évêques sans qui vous ne sauriez mettre votre fils Louis à la place de son frère. » En entendant Bernard parler ainsi, Louis sentit ses entrailles de père tout émues sur le sort de son fils, et promit de donner satisfaction aux évêques. Mais, séduit plus tard par de mauvais conseils, il oublia sa promesse, et peu de temps après la France entière pleura avec lui sur la mort malheureuse de son fils Philippe.

 

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VI. Lettre de saint Bernard à son neveu Robert, écrite à la pluie mais sans être mouillée par la pluie. Geoffroy, son serviteur, la place en tête de la collection des lettres du saint.

 

On peut voir dans la lettre dont nous voulons parler, comment Robert, son neveu, fut séduit lorsqu'il était encore enfant. En effet, comme il s'était fixé depuis plusieurs années déjà dans un autre ordre religieux, Bernard lui écrivit pour rappeler en lui une brebis égarée. Pour dicter sa lettre dans le plus grand secret, Bernard s'était éloigné de l'enceinte du cloître, et Guillaume, qui plus tard fonda l'abbaye de Ridal en Angleterre, écrivait sous la dictée du saint. Ils étaient en plein air, et comme la pluie vint tout à coup à tomber, Guillaume, qui tenait la plume, craignit pour ce qu'il écrivait, mais le vénérable abbé lui dit : «C'est l'oeuvre de Dieu que vous faites, continuez, continuez. » Et, chose admirable! ils avaient l'un et l'autre les habits mouillés et pas une goutte de pluie ne tomba sur la lettre. Cette lettre existe encore, et c'est moi qui l'ai placée en tête de la collection des lettres du saint abbé, après avoir appris ce miracle insigne de la bouche même de celui qui l'a écrite sans pluie à la pluie.

 

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VII. Double conversion de la duchesse de Lorraine à un meilleur genre de vie.

 

A une époque où la duchesse de Lorraine, qui maintenant sert Dieu en toute humilité et pauvreté, dans le monastère de femmes appelé le Tart, était encore adonnée, outre mesure, aux voluptés de la chair, le vénérable abbé eut à venir la prier, et le duc avec elle, pour le bien de la paix. Or, il arriva que, en parlant, il étendit la main et toucha par hasard le manteau de la duchesse. Un de ceux qui étaient présents lui dit en riant « Mon père vous avez imposé les mains à une religieuse.» — «Non, dit le père, son heure n'est pas encore venue.» En l'entendant, la duchesse qui connaissait les saintes Lettres se sentit vivement émue de cette parole qui la pénétra, vive et efficace, jusqu'à la moelle des os. Dans ce même temps, elle eut une vision qui la frappa beaucoup : il lui sembla voir le saint abbé faire sortir de son sein, à elle, sept serpents horribles, qu'il en tirait de sa propre main. Peu de temps après, elle lui confia le soin de son âme et renonça au siècle, et depuis lors se glorifie d’être la femme de qui le saint abbé avait chassé sept démons.

 

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VIII. Saint Bernard promet à la reine Aliénore, et obtient du ciel la grâce de devenir mère.

 

Le principal auteur de cette haine qui divisa le roi Louis le Jeune et Thibaut, comte de Champagne, fut le comte de Vermandois, Raoul de Péronne, qui avait épousé une soeur de la reine, après avoir répudié une parente du comte Thibaut. Il arriva, le jour de la fête de saint Denis, que la reine Aliénore s'entretenait dans l'église de ce saint martyr avec notre abbé, et se plaignait que Dieu lui eût fermé le sein et l'eût rendue stérile. Il y avait en effet déjà près de neuf ans qu'elle vivait avec le roi, et, après avoir conçu une première fois, elle avait fait une fausse couche, et depuis n'était plus redevenue grosse. Aussi désespérait-elle de pouvoir le redevenir jamais. Elle se plaignait donc amèrement au saint de sa position; le saint lui dit: « Occupez-vous activement d'assurer la conclusion de la paix, et moi, dit-il, plein de confiance en la miséricorde de Dieu, je vous promets que vous aurez un enfant. » Le roi apprit cela par la reine, fit la paix, et réclama secrètement du saint l'effet de la promesse qu'il avait faite à la reine, etc. Bref, la même année, la reine devint grosse et eut un enfant.

 

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IX. Conversion de Geoffroy lui-même et de plusieurs écoliers de Paris.

 

Il arriva un jour que l'homme de Dieu fit un voyage en France pour certaines affaires. Pendant ce voyage, mais à son retour, il fit, selon qu'il en avait l'habitude, un sermon sur la conversion, aux écoliers de Paris, et le soir il devint triste et soucieux, et dit à Dieu dans ses prières: « Je crains que vous ne m'ayez oublié, Seigneur, car, contre ce qui se passe ordinairement, j'ai fait un voyage complètement inutile, je n'ai pas même réussi dans les choses pour lesquelles je l'ai entrepris, et votre parole que j'ai fait entendre aux écoliers de Paris, ne m'a point ouvert une seule porte. » Au même instant, Dieu le consola de telle sorte qu'il comprit et annonça qu'il ne s'en irait pas les mains vides. Béni soit, Seigneur, ce jour où la lumière s'est levée pour moi, qui étais encore assis dans les ténèbres et à l'ombre de la mort. Oui, béni soit ce jour, dans lequel le Soleil de justice et de miséricorde s'est levé du haut du ciel et a visité ma malheureuse âme. J'étais bien détourné de Dieu, bien opposé à Dieu, et d'un mot, en un moment, en un clin d'oeil, par un changement ineffable de la main du Très-Haut, je suis devenu un autre homme, et j'ai commencé à être une autre créature de Dieu. Jamais je n'oublierai cette miséricorde, dont j'ai été si abondamment prévenu, qui m'a changé si soudainement, et qui a si fort étonné à mon sujet un grand nombre de ceux qui me virent. Mais il y eut encore beaucoup d'autres poissons qui se trouvèrent pris dans les filets du Seigneur, et plusieurs vinrent se joindre à nous ensuite pendant le voyage, si bien que, l'année de probation était à peine écoulée, que, de notre troupe, sortaient vingt et un moines. A l'époque de notre noviciat, pendant une absence que fit notre abbé, je tombai malade de corps et d'esprit. Je sais bien que c'était Satan qui s'était emparé de moi pour m'éprouver, comme on agite le grain dans un crible. Mais ce que j'éprouvais n'échappa point à notre abbé, il connut, par la vertu de l'Esprit, tout ce qui se passait en moi, comme je le sus lorsqu'il fut de retour, et il pria pour moi afin que ma foi ne défaillit point. Oui c'est là, c'est là, Seigneur mon Dieu, que vous m'avez gravé dans son coeur plus profondément encore que je ne l'étais, je vous rends grâce de cette merveille, Seigneur, oui je vous en rends grâce. En effet, comment une âme comme la mienne a-t-elle pu trouver une pareille place dans un coeur comme le sien? Le vénérable Aubry qui maintenant est abbé de Bénissons-Dieu, éprouva aussi quelque chose de pareil pendant son noviciat, comme il nous en a donné l'assurance.

 

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X. Mort de Guy, frère aîné de saint Bernard, à Pontigny, le jour de la Toussaint.

 

Guy, le frère aîné de Bernard, revenait avec lui du Berri, où il avait conduit une nouvelle communauté; il fut pris d'une fièvre aiguë et resta quelques jours malade à Pontigny, d'où il mérita d'aller se joindre à l'assemblée des bienheureux, la nuit même où on célébrait la fête de tous les saints.

 

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