J. RUSBROCH

DES SEPT DEGRÉS DE L'AMOUR

CHAPITRE IV

DU QUATRIÈME DEGRÉ DE L'AMOUR, A SAVOIR :

DE L'HUMILITÉ.


L'humilité semblable à une fontaine.
    Ensuite, le plus proche degré dans notre échelle céleste, est la véritable humilité, qui est, dans l'ordre spirituel, l'abaissement de soi à la dernière place, et par laquelle (humilité) nous vivons dans la paix véritable, Dieu étant avec nous et nous avec Dieu : La source de l'humilité. Elle est elle-même, en effet, le fondement vital de toute sainteté ; et nous la comparons à la fontaine qui coule des quatre sources de l'éternelle vie et de toutes les vertus, parmi lesquelles l'obéissance occupe la première place, la douceur la seconde, la patience la troisième, le renoncement à la volonté propre, la quatrième. La première source ou le premier fruit qui provient de l'humilité ou d'un fonds humble, comme nous l'avons dit, est l'obéissance. Qu'exige l'obéissance Elle exige de nous, que nous nous méprisions et que nous nous soumettions à Dieu, à ses préceptes, et à toutes les créatures ; de telle sorte que, tant dans le ciel que sur la terre, nous choisissions la dernière place et la plus mauvaise ; et que nous n'osions nous comparer à personne, en vertu et en sainteté de vie ; et que nous désirions d'être foulés aux pieds de la puissance de Dieu, comme un socle vil ; et que nous ayons des oreilles soumises et humbles, pour percevoir la vérité et la vie, de la part de la divine sagesse ; et des mains promptes et allègres pour accomplir la très agréable volonté de Dieu. Qu'est ce que la très douce volonté de Dieu. Mais cette très douce volonté de Dieu consiste en ce qu'ayant répudié et méprisé la sagesse du monde, 2 cor. 8 nous suivions et nous  imitions le Christ qui est la la sagesse de Dieu. Lequel, comme il était riche, se fit pauvre, afin de nous enrichir par sa pauvreté ; il devint serviteur des autres, afin que nous soyons les maîtres ; il mourut, afin que nous vivions. Or, il nous a marqué la manière dont nous devons vivre, lorsqu'il dit : Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se méprise lui-même, qu'il porte chaque jour sa croix, et qu'il me suive : Luc. 9 Si quis vult venire post me, abneget semetipsum, et tollat crucem suam quotidie, et sequatur me. Et de nouveau : Si quelqu'un veut me servir, qu'il me suive ; et, où je suis, là doit être mon serviteur : Joan 12 Si quis mihi ministrat me sequatur et, ubi ego sum, illic et minister meus erit. Et il nous enseigne ailleurs, comme nous devons le suivre, en disant : Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur : Matth. 5 Discite a me quia mitis sum et humilis corde.

    Or, être doux, posséder la douceur, c'est la seconde source des vertus, qui jaillit du fonds de l'humilité. Bienheureux les doux, parce qu'ils posséderont pacifiquement la terre, c'est-à-dire, le corps et l'âme. Car, l'esprit du Seigneur repose sur celui qui est doux et humble. Et, dès que notre esprit s'élève et s'unit à l'esprit de Dieu, le joug du Christ nous parait suave et léger, et nous portons son fardeau facilement et aisément. Car son amour n'est pas laborieux. Et plus nous aimons, plus le fardeau que nous portons est léger ; puisque nous portons l'amour, et que l'amour nous porte et nous élève au-delà de tous les cieux, jusqu'au  bien-aimé Ps. 118. Car l'esprit qui aime, s'envole où il veut, tous les cieux lui étant ouverts ; et il a toujours son âme dans ses mains ; et il la conduit partout où il veut. Et enfin il trouve en lui le trésor de son âme, à savoir, le Christ, qui est sa seule affection et son unique amour. Si donc, ô homme chrétien, le Christ vit en toi et toi dans le Christ, suis-le dans ta vie, tes paroles, tes actions, et les afflictions que tu dois supporter:
 

In eo quod amatur,
Non laboratur.
Aut si laboratur,
Labor amatur.
 Celui qui aime
 Fait tout sans peine ;
 Ou bien, la peine
 Il l'aime

ST-AUGUSTIN.

    Sois bon, doux, clément, miséricordieux et pieux, envers tous et chacun de ceux qui ont besoin de toi. N'aie de haine pour personne, ne jalouse personne, ne méprise personne, n'accable personne par des paroles dures et cruelles, et pardonne du fond de l'âme. Ne confonds personne ; et, ni par parole, ni par action, ni par signe, ni par quelque geste que ce soit, garde-toi de mépriser personne et de le couvrir d'ignominie. Ne sois ni acerbe, ni sévère, ni morose, mais de moeurs sages, d'un visage gai et serein. Ecoute librement, et apprends de quiconque, ce qui est nécessaire à ton instruction. N'aie de mauvais soupçons sur personne, ne te défie de personne, et ne juge pas témérairement les choses cachées.  N'aie  de différend avec quiconque l'emporte sur toi par la sagesse. Embrasse la douceur de l'agneau, qui ne s'irrite même pas lorsqu'on le livre à la mort. Sois soumis et obéissant, et tout ce que les autres te font, supporte-le en silence.

La patience
    Or, de cette douceur de l'âme, coule la troisième source, qui est la patience. Mais la  patience consiste à supporter librement l'adversité, sans refus ni murmure. Utilité des afflictions. L'affliction et la souffrance sont les messagères de Dieu, par lesquelles il a coutume de nous visiter ; lorsque nous les recevons avec un esprit joyeux, le Seigneur lui-même vient avec elles.

    Il le lui affirme à lui-même par le Prophète : Je suis avec lui, dit-il, je l'arracherai de la tribulation et je le glorifierai : Psal. 90- 15 Cum
ipso sum inquit in tribulatione, eripiam eum et glorificabo eum. Quelle est la robe nuptiale du Christ. Car la souffrance, patiente du Seigneur Jésus fut la robe nuptiale qu'il revêtit, lorsqu'il épousa la sainte Eglise sur l'autel de la croix ; et il revêtit de la même robe (d'innocence) toute sa famille, qui le suivit depuis le commencement du monde. Car, tous les élus souffrirent librement les afflictions, lorsqu'ils virent que le Christ, la sagesse de Dieu, avait choisi la vie humble, vile, méprisée, dure et cruelle. Et pour cela, tous les ordres religieux et monastiques furent fondés et institués : (bien que ceux qui aujourd'hui mènent la vie monastique, méprisant la vie du Christ et sa robe nuptiale, imitent, non certes tous, mais une grande partie, le monde, autant qu'ils le peuvent, dans les soins du corps et dans leurs vêtements). Comment les vices dominent aujourd'hui dans les monastères. Car l'orgueil, la vaine complaisance, de même l'avarice, l'envie, la gourmandise, la luxure, la paresse, et tous les genres de maux, ne dominent pas moins aujourd'hui, dans beaucoup de monastères et d'ordres religieux, que dans le monde. J'appelle monde, ceux qui vivent dans les péchés mortels. C'est pourquoi, soyez honteux et rougissez maintenant, vous qui êtes voués au service de Dieu, et qui, ayant oublié vos règles et vos voeux, vivez une vie qui ne diffère nullement de celle de la bête, et servez l'esprit du mal infâme, qui vous donnera la même récompense que lui-même a méritée pour ses crimes.

    Luc 6-40 Car, le disciple n'est pas au-dessus du maître. Et celui-ci reconnaît bien ses disciples ; et ils habiteront avec lui dans le feu du Tartare, où il y aura les pleurs des yeux et les grincements de dents, et où les misères éternelles n'auront jamais de fin. Mais, ceux que le Christ aura revêtus de lui-même et de ses dons, demeureront sans fin, avec lui, dans la gloire de son Père. Sois donc doux et patient, tu le dois à la passion du Seigneur. Si tu veux être exalté, il est nécessaire que tu souffres : la Vérité elle-même t'enseignera cela.

Renoncement à la volonté propre.
    De là, la quatrième et dernière source de la vie humble, est l'abnégation de la volonté propre et de toute propriété ; et cette source coule de la souffrance endurée avec patience. C'est pourquoi, lorsque l'homme humble est touché intérieurement, ému, consumé et entraîné ou ravi en l'esprit de Dieu, il prend des forces, et renonce à sa volonté propre ; se livre et s'offre entièrement de ses mains à Dieu ; Quel est le fondement de l'humilité. et ainsi il a, avec Dieu, une seule volonté ; et sa volonté se change, en quelque sorte, en une volonté et une liberté divine ; et il ne peut plus désormais vouloir autre chose, que ce que Dieu veut : ce qui est le fonds même de l'humilité. Car, quand Dieu nous touche par sa grâce, de telle sorte que nous nous renonçons nous-mêmes, que nous répudions notre volonté propre, et que nous l'abandonnons pour faire la très agréable volonté de Dieu : alors, la volonté de Dieu est la nôtre. Et, parce que la volonté de Dieu est libre, ou plutôt la liberté elle-même, l'esprit de crainte servile nous étant enlevé, qu'elle vienne de nous-mêmes, ou de toute frayeur et de toute crainte qui puisse nous attrister et nous accabler, pour le temps ou l'éternité, elle nous rend libres et dispos ; et elle nous communique l'esprit des fils d'adoption ou des élus de Dieu, par lequel, ne faisant qu'un avec le fils, nous crions : Rom. 8-15 (Abba,) notre Père, et l'esprit même du fils rend témoignage à notre esprit que nous sommes les fils de Dieu, cohéritiers avec le fils dans le royaume du Père, où nous nous voyons élevés et exaltés dans la sublimité de Dieu, mais humbles et rabaissés en nous-mêmes ; et dans l'union avec Dieu, pleins de grâce et des dons divins. Et là, la suprême liberté et l'extrême humilité s'unissent dans une seule personne. Quant aux exercices qui sont propres à l'humilité et à la sublimité, ceux qui leur sont étrangers n'en ont pas la science et la sagesse.

Celui qui est vraiment humble est un vase d'élection.
 Celui qui est vraiment humble, est un vase d'élection pour Dieu, plein et débordant de tous les dons : quiconque lui demandera avec foi, en obtiendra tout ce qu'il désire et tout ce dont il a besoin. Il faut fuir les hypocrites. Mais il faut prendre garde à l'espèce de simulateurs, qui pensent être quelque chose, lorsque, en vérité, ils ne sont que des ballons gonflés de vent, qui, si on les presse, rendent un son imperceptible et peu agréable. Ainsi eux mêmes, comme ils sont orgueilleux et dissimulés et qu'ils se sont persuadés être des saints, dès qu'ils sont affligés ou opprimés ils se brisent et ils éclatent : car ils ne peuvent supporter, et ils ne souffrent pas d'être réprimandés et instruits. En effet, ils sont mauvais et durs, et ils méprisent et dédaignent les autres. Ils ne se soumettent à personne, mais ils se préfèrent
à tous ceux qui leur sont comparés. Et il sera permis de dire d'eux, qu'ils sont faux et dissimulés, toujours immortifiés intérieurement, et livrés à leur volonté propre. Sois donc humble, ô homme, obéissant, doux et d'une volonté résignée ; et tu seras vainqueur dans le jeu de l'amour. Considère aussi ce qui est nécessaire à ton salut ; car, bien que tu sois aidé du secours divin, et que peut-être tu l'aies emporté en esprit, par les vertus, sur les vices et tous les péchés ; cependant, vivent encore la nature et les sens, toujours portés vers les vices et les fautes, contre lesquels il faut lutter et combattre, tant que le corps ne sera pas glorieux mais mortel.