J. RUSBROCH

DES SEPT DEGRÉS DE L'AMOUR

CHAPITRE V

DU CINQUIÈME DEGRÉ DE L'AMOUR, QUI EST :

L'ATTENTE ET LE DÉSIR DE L'HONNEUR DE DIEU.


Quelle est la noblesse de toutes les vertus et des bonnes oeuvres.
    Vient ensuite le cinquième degré dans l'échelle de l'amour spirituel, qui est l'excellence ou la noblesse de toutes les vertus, et de tous les actes ou de toutes les oeuvres bonnes. Mais avoir la noblesse des vertus et de toutes les bonnes actions, c'est désirer l'honneur de Dieu au-dessus de toutes choses. Cette vertu, la première de toutes, s'exerce dans les cieux par les Anges ; et sur la terre dans les entrailles maternelles (de l'Eglise), par l'âme du Christ ; et c'est elle que nous devons offrir et donner à Dieu, si nous voulons lui plaire. Elle est le fondement et l'origine de toute sainteté ; et où elle fait défaut, il n'y a rien de bon. Désirer l'honneur de Dieu et le rechercher amoureusement et intentionnellement, c'est la vie éternelle, et le premier et le principal sacrifice pour lequel nous soyons requis par Dieu. Mais celui qui se complait en lui-même, désire et recherche son propre honneur, celui-là ne peut plaire à Dieu. Car, lorsque Dieu nous comble de ses dons, il se complait en lui-même, il agit selon sa bonté ; et nous, lorsqu'ayant reçu de lui des dons, nous le payons de retour, en honorant les vertus pour son honneur, nous lui sommes agréables, parce que nous lui sommes soumis.

    Quelle que soit d'ailleurs notre manière ou notre règle de vie, quoique notre vie paraisse excellente et nos oeuvres sublimes, si nous n'envisageons que notre propre honneur et non celui de Dieu, nous nous trompons grandement, car il nous manque la charité. En effet, dès que, de notre fonds d'humilité nous désirons, de corps et d'âme, l'honneur de Dieu de toutes nos forces, et que notre intention s'y porte : c'est la charité qui est la racine et la source de toutes les vertus et de toute sainteté. Racine de tous les vices. Mais celui qui néglige l'honneur de Dieu et n'en a cure, ne s'occupant que du sien, celui-là est l'esclave du vice de l'orgueil, qui est la racine de tous
les vices, de toute improbité et de toute malice. Lorsque donc l'esprit de Dieu touche le coeur humble, il le pénètre de sa grâce, et il exige cette ressemblance de lui qui est obtenue par les vertus ; et, au-dessus de toutes les vertus, l'unité avec lui ou l'union de charité. Alors, l'Ame vivante (vigoureuse) et le coeur aimant se réjouit à cette exaltation, bien qu'il ignore comment satisfaire à cette vocation ou à cette exaltation, et payer la dette qui est exigée et réclamée par l'amour. Quelle est la plus belle vertu. Et parce que cette même âme aimante comprend, que l'honneur et le respect dus à Dieu constituent la plus belle des vertus, et le chemin le plus court pour aller à Dieu, à cause de cela, elle choisit, et prend comme exercice constant, au-dessus de toutes les bonnes oeuvres et de toutes les vertus, la manifestation de l'honneur et de la révérence dus à Dieu, se proposant d'y persévérer sans fin : ce qui est certes la vie céleste, très agréable à Dieu. Ce qui nous excite à l'honneur de Dieu. Si toutefois, pour l'exaltation de Dieu et la satisfaction de notre âme vigoureuse, non seulement toutes nos forces, mais encore le coeur, les sens et tout ce qui vit dans l'homme, se réjouit : alors toutes les forces de l'âme, dis-je, s'épanouissent, toutes les vertus s'égaient, et le sang s'échauffe par le désir de réaliser l'honneur de Dieu. Lorsque en effet, selon la foi de la religion chrétienne, nous considérons et nous pesons diligemment, que Dieu notre père tout-puissant a créé le ciel, la terre et toutes les créatures pour son éternel honneur ; et que par son fils qui est sa sagesse coéternelle, il nous a faits, refaits et réparés, et qu'il a ordonné et réglé toutes choses pour son éternel honneur ; et par le St-Esprit, qui est la volonté et l'amour du Père et du Fils, qu'il a accompli toutes choses pour son éternel honneur, et les a consommées ; et que de cette manière, il y a trois personnes dans l'unité de nature, et l'unité de nature dans la Trinité de personnes, ensemble un seul et véritable Dieu tout puissant : par la considération de ces choses, dis-je, nous comprenons assez, avec combien de justice et de raison nous devons adorer et vénérer, de toutes nos facultés, ce même Seigneur notre Dieu. Nous devons honorer le Christ. Il nous faut honorer aussi notre très doux Seigneur Jésus, Dieu et homme, sous une seule personne. Car Dieu lui-même honora son humanité, qui ne fait qu'une avec la nôtre, au-dessus de toute créature, il la bénit, l'éleva, l'exalta et l'unit à lui ; et par cette union sublime avec Dieu, le corps et l'âme du Christ furent complets ; bien plus, cette (âme) est la plénitude de toute grâce et de tous les dons : et de cette plénitude, tous ceux qui sont ses disciples et ses imitateurs reçoivent la grâce, et tout ce qui est nécessaire pour mener une vie sainte. Et la très sainte humanité du Seigneur Jésus elle-même, avec toute sa famille, se porte par toutes ses facultés et (celles) des siens, à rendre à Dieu le Père l'honneur avec la louange, l'action de grâce et le respect 1. Reg. 2. Pourquoi Dieu veut être honoré par nous. Et de la sorte, Dieu le Père, honore son Fils et tous ceux qui le suivent et lui sont unis. Car celui qui honore Dieu est honoré par Dieu. Honorer et être honoré, c'est l'exercice de l'amour : non que Dieu ait besoin de nos manifestations honorifiques, puisqu'il est lui-même son honneur, sa gloire, son immense béatitude, mais il veut être honoré de nous et en être aimé, afin que nous lui soyons unis et que nous soyons heureux. Que le lecteur considère les raisons que je lui donne, pour lesquelles Dieu doit être honoré et loué par nous. Lorsque Dieu se manifeste lui-même, par la lumière infuse, à notre regard intellectuel, il manifeste sa puissance par des images, comme dans un miroir où les formes, les ressemblances, et les similitudes de Dieu reluisent et apparaissent pour se faire connaître. Mais sa substance, telle qu'elle est, nous ne pouvons la voir que par lui-même, ce qui est au-dessus de nous et au-dessus de tous les exercices des vertus. Et, pour ce motif, nous devons certes nous exercer librement à contempler Dieu dans ses formes, ses images et ses divines ressemblances ; afin qu'il nous élève et nous entraîne au-dessus de nous-mêmes, dans une certaine unité et union avec lui, où il n'y a plus alors de similitudes. Or, dans ce même miroir qui est nôtre, sous des formes, des images et des similitudes, nous contemplons Dieu (qui est) la grandeur, la hauteur, la puissance, la force, la sagesse, la vérité, la justice, la clémence, la piété, l'opulence, la bonté, la miséricorde, la fidélité, l'inépuisable amour, notre vie et notre couronne, la gloire infinie et l'éternelle béatitude ; mais d'autres appellations de ce genre lui conviennent que nous ne pouvons suffire à énumérer. Dans ces considérations, la raison et l'intelligence sont saisies d'admiration et de stupeur; et notre amour s'émeut dans le désir de rendre à Dieu l'honneur et la louange, en raison de sa dignité.