CHAPITRE III

 

DE LA MERVEILLEUSE TRANSLATION DU CORPS DE SAINTE PHILOMÈNE

À MUGNANO

 

 

De 1802 à 1805, le corps de sainte Philomène resta à Rome dans un état complet d'obscurité.

Voici comment l'en fit sortir la divine Providence, quand elle voulut le glorifier.

 

Don François de Lucia, zélé et saint missionnaire du royaume de Naples, vint à Rome avec Don Barthélemi de Césarée, évêque désigné de Potenza. Il désirait vivement obtenir, pour sa chapelle particulière, un corps saint, de nom déterminé ; et, secondé par l'évêque de Potenza, il obtint de Mgr Pontez, custode des saintes reliques, les ossements de sainte Philomène, sur lesquels ses voeux s'étaient portés immédiatement, et qu'il préférait irrésistiblement à tous les autres, sans pouvoir s'en expliquer le motif.

Au moment de quitter Rome, il fut arrêté, entre l'évêque de Potenza et Don François, qu'on placerait les saintes reliques dans le lieu le plus honorable de la voiture. Mais les embarras du départ leur firent oublier cette détermination. Ce fut pour sainte Philomène l'occasion d'un premier miracle : il fut impossible à Monseigneur de Potenza de rester assis sur le caisson dans lequel était le saint corps, et le voyage ne devint possible que lorsqu'on eut placé le précieux dépôt sur le devant de la voiture.

 

À Naples, on descendit les saintes reliques dans la chapelle de Don Antonio Terrès ; on ouvrit les caisses, et l'on rangea les ossements à leur place. On les couvrit ensuite d'un corps artificiel fait en carton durci. Mais, à cause de l'inhabileté des ouvriers, ce corps péchait par bien des côtés, et surtout sous le rapport de l'attitude donnée à la sainte ; les élégants habits dont on le revêtit dissimulèrent à peine ces graves défauts.

 

Le culte public de sainte Philomène commença aussitôt, et la chapelle des Terrès se trouvant trop étroite pour la foule des fidèles, on transporta le précieux dépôt dans une église de Naples, où il resta exposé pendant trois jours. Malgré le concours et la ferveur des pèlerins, il ne s'y fit point de miracles. On en sut la raison, quand on eut reporté le saint corps dans l'oratoire de la famille Terrès. Le curé de l'église Saint-Ange, où avait eu lieu l'exposition publique, avoua que, s'il s'était fait un seul miracle dans son église, il eût, de concert avec son clergé et son peuple, retenu sainte Philomène. L'absence de tout miracle fut donc un vrai miracle, et comme un signe de la volonté de Dieu qui avait résolu de faire ce don à la petite ville de Mugnano, par préférence à l'opulente cité de Naples. Dès la sortie de l'église Saint-Ange, les miracles commencèrent. Madame Angèle Rose, femme de Don Antonio Terrès, fut guérie radicalement d'une maladie incurable dont elle souffrait depuis douze ans. Un avocat, Don Michel Ulpicella, malade depuis six mois d'une sciatique rebelle à tout remède, n'eut qu'à se faire transporter à la chapelle pour recouvrer instantanément la santé. Une noble dame, affligée d'un ulcère envahi par la gangrène, met le soir sur sa plaie une relique de sainte Philomène, et le lendemain matin, quand le chirurgien arriva pour faire l'amputation, la gangrène avait disparu.

 

Cependant deux hommes robustes étaient venus de Mugnano à Naples, pour emporter le saint dépôt. Leurs compatriotes les avaient envoyés, impatients d'offrir leurs hommages à une sainte, qui se faisait précéder par des bienfaits ; car déjà sainte Philomène venait de leur obtenir une pluie abondante pour rafraîchir leurs terres desséchées.

L'un des deux porteurs venus de Mugnano, étant tombé malade, ne se traînait qu'avec peine à la suite des autres : « Prends ta part de la charge, lui dit Don François, et tu seras guéri. » Le bon paysan obéit, et sa douleur disparut. Plein de force, il s'écriait : « Oh ! Comme la sainte est légère ! Elle ne pèse pas plus qu'une plume ! » Il disait vrai. Don François ayant eu la dévotion de la porter quelque temps, fut surpris de cette même légèreté, et il la regarda comme un prodige.

 

Pendant la nuit, une colonne de lumière se forma dans l'air et éclaira la marche. Tout à coup, aux approches de Cimitilé, bourg de l'antique Nole, fameux par le martyre de saint Janvier, le corps devint si lourd, que les porteurs gémirent sous le poids ; mais quand, après minuit, apparurent quelques habitants de Mugnano, leur concours redevint inutile, la châsse ayant recouvré sa légèreté première.

Au point du jour, la foule arrivant au-devant du cortège, non seulement de Mugnano, mais encore de tous les pays voisins, on s'arrêta dans la cour d’une maison de campagne qui se trouvait sur la route, afin de satisfaire la pieuse curiosité du peuple. Le saint corps était à peine découvert, qu'un horrible ouragan fond sur la cour et menace de renverser la châsse. Mais il est repoussé par une main invisible, et il va expirer sur une montagne voisine, dont quelques arbres sont déracinés. Cet événement fut attribué par Don François à la malignité du démon, qui essayait de détruire, dans ses fondements, l'édifice de gloire que Dieu se préparait dans sainte Philomène

Arrivées à l'heureux bourg de Mugnano, les saintes reliques furent déposées sur le maître-autel de Notre-Dame-des-Grâces, C'était le 10 août 1805. La nuit suivante, un habitant du bourg, Ange Bianco, tenu au lit par une goutte cruelle, ayant promis d'accompagner le saint corps à la procession du lendemain, fut exaucé et guéri.

 

Le jour de l'octave de la Translation, pendant la messe, au moment de l'élévation, un enfant de dix ans, tellement estropié, qu'il ne pouvait même point se tenir sur ses jambes, s'échappa des bras de sa mère pour aller remercier la sainte, qui venait de le guérir subitement. Ce miracle, qui eut pour témoin tout le village, attira aux vêpres une affluence telle, que le plus grand nombre des fidèles dût rester en dehors de l'église. Dans cette foule se trouvait une femme d'Avella, tenant entre ses bras une enfant de deux ans que la petite vérole avait rendue aveugle. Les médecins de Naples avaient jugé le mal incurable. Mais la mère, pleine de foi, se fait jour à travers la foule, et, arrivée près de la châsse, elle prend de l'huile dans la lampe de sainte Philomène ; elle en oint les yeux de son enfant, et la petite incurable est sur-le-champ guérie.

Don François avait d'abord destiné la Thaumaturge à sa chapelle particulière. Mais il comprit que telle n'était pas la volonté du Très-Haut ; il laissa donc le corps à l'église de Notre-Dame-des-Grâces, où il lui fit ériger un autel. Cet autel, d'une simplicité décente, ne répondait cependant pas à la célébrité de la sainte. Les bons habitants de Mugnano, pauvres généralement, voyaient encore leurs ressources ordinaires diminuées par suite des révolutions qu'y avait apportées la France. Mais Dieu pourvut à tout.

 

Un célèbre avocat de Naples, Don Alexandre Sério, travaillé depuis longues années d'un mal interne qui allait le consumant,vint, en 1814, à Mugnano, où il avait de riches domaines. Il choisit pour son voyage l'occasion de la fête de sainte Philomène, à laquelle il avait une grande dévotion. Le jour de la fête, au lieu d'être guéri, il empira tellement, qu'on le crut près d'expirer. Alors, sa femme demanda à sainte Philomène de lui obtenir au moins la grâce de recevoir les sacrements. Un voeu suivit cette prière : elle s'engagea, au nom de son mari, à faire construire un autel de marbre dans la chapelle de sainte Philomène. Au même instant Don Alexandre recouvre l'usage de la parole ; il se confesse, et, sa confession achevée, il se trouve sans douleur, et sans les symptômes ordinaires de son mal chronique.

 

Depuis lors, le sanctuaire de Mugnano, aujourd'hui si célèbre, offre à la foule des pèlerins qui le visitent un spectacle plus consolant pour leur dévotion.