Son village

 

Le village de Ker-Anna remonte à une très haute antiquité. Les fouilles qu'on y a faites et les objets qu'on y a trouvés attestent que son origine date des premiers siècles du christianisme.

Bâti au bord de la voie romaine qui reliait Nantes à Quimper, et situé à 15 kilomètres de Vannes, il était déjà en ruines quand passèrent par là, au VIe siècle, les Bretons, qui, chassés de la Grande-Bretagne, venaient chercher en Armorique une terre hospitalière.

Les émigrants qui s'arrêtèrent en cet endroit avaient le culte de sainte Anne, et ils y construisirent un oratoire en l'honneur de l'aïeule du Christ.

Mais cet oratoire, situé sur le passage des armées qui ravagèrent si fréquemment le pays à cette époque, ne tarda pas à être ruiné lui-même, en même temps que le village qui l'entourait.

Toutefois, le nom donné par les Bretons à ce lieu prédestiné devait survivre à toutes les vicissitudes ; et, 900 ans après, on continuait toujours de l'appeler « le village de sainte Anne », Ker-Anna.

Quelle était au XVIIe siècle la physionomie de ce hameau ? La même que celle des nombreuses agglomérations agricoles que l'on rencontre encore aujourd'hui dans la campagne bretonne : des maisons irrégulièrement distribuées comme au hasard, chacune d'elles ayant ses annexes : grange, aire à battre, courtil ; la maison d'habitation composée d'un rez-de-chaussée sans étage ; toiture en chaume, et, sur le côté extérieur un large escalier en granit pour communiquer avec le grenier.

On comptait sept foyers dans l'agglomération : ce devait être le plus gros village de la paroisse, avec au moins une cinquantaine d'habitants.

Là habitaient Julien Lézulit, marguillier de la paroisse, Marc Erdeven, Jean Tanguy, François Le Bléavec, Jacques Lucas, Le Pélicard. Parmi ces voisins d'Yves Nicolazic on cite aussi la présence d'un prêtre nommé Yves Richard, chapelain d'une chapelle rurale.

 

* *

*

 

On sait que dans nos exploitations rurales chaque champ porte un nom particulier : or, dans les dépendances de la ferme de Nicolazic, il y en avait un bien connu de tout le voisinage, qui jouissait d'un renom un peu mystérieux : on l'appelait, on ne sait pourquoi, le Bocenno. Les vieillards prétendaient, d'après les dires qui se transmettaient de génération en génération, qu'il y avait eu là jadis une chapelle dédiée à sainte Anne ; aussi y venait-on encore prier parfois comme en un lieu sacré.

Du reste cette croyance était justifiée par les blocs de pierre équarris que de temps en temps les laboureurs retiraient du sol. Et précisément, en 1615, le père de Nicolazic en utilisa un certain nombre pour rebâtir sa grange.

Une autre circonstance encore contribuait à faire considérer le Bocenno avec un certain respect religieux sinon superstitieux. Il n'y avait pas dans tout le village une terre qui rapportât davantage, quoi qu'on ne la laissât jamais, comme les autres champs, reposer d'une année à l'autre. Mais, particularité singulière, on ne pouvait y travailler qu'avec la bêche ; impossible d'y faire passer la charrue. Arrivés à un certain endroit, les bœufs, si on les pressait d'avancer, s'effaraient, au risque de briser la charrue si l'on s'entêtait à vouloir passer outre. Il arriva à Nicolazic lui-même d'y rompre deux attelages le même jour. ,

« C'est le champ de la chapelle », dirait-on. Et à ce titre, sans songer à plus, on s'accommodait de ce qui s'y passait d'étrange.

L'abreuvoir du village se trouvait en contrebas du Bocenno, alimenté par une fontaine antique, dont le prêtre, dom Yves Richard, prenait soin personnellement.