II

LE VOYANT

 

Manifestations étranges

 

Une nuit que Nicolazic, après une journée de travail, pensait à sainte Anne, sa « bonne Patronne », comme il en avait l'habitude, sa chambre fut subitement éclairée d'une lumière très vive ; et au milieu de cette clarté merveilleuse, il aperçut distinctement une main isolée qui tenait un flambeau en cire. Cette vision dura environ le temps de réciter deux Pater et deux Ave.

Ceci se passa au commencement d'août 1623.

Six semaines plus tard, un dimanche, une heure après le coucher du soleil, il jouit du même spectacle au champ du Bocenno.

Ces deux visions ne furent pas des phénomènes isolés : pendant quinze mois successifs, le même flambeau continua de briller auprès de lui. Toutes les fois qu'il s'en revenait tard au logis, il se voyait éclairé jusqu'à sa maison d'une chandelle de cire qui s'avançait à côté de lui sans que le vent en agitât la flamme, et sans qu'il vît autre chose que la main qui la tenait.

De ce prodige, qui se renouvela fréquemment, le bon Nicolazic ne savait que penser.

Il en fut comme effrayé ; et pourtant, il l'a avoué lui-même plus tard, il éprouvait pendant ce temps je ne sais quelle suavité dans le cœur.

C'est que sa « Bonne Patronne », sans qu'il en eût conscience encore, de plus en plus se rapprochait de lui.

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Un jour d'été, une heure environ après le coucher du soleil, son beau-frère et lui étaient allés, à l'insu l'un de l'autre, chercher leurs bœufs dans un pré voisin de la fontaine ; avant de les ramener, ils voulurent les faire passer à l'abreuvoir.

Tout à coup, les bœufs comme épouvantés refusent obstinément d'avancer. Ces deux hommes surpris se rapprochent pour voir ce qui cause cet effroi.

Voici le spectacle dont ils furent alors les témoins.

Une dame majestueuse était devant eux, tournée vers la source ; son visage révèle « la gravité tendre de la plus haute des maternités »; sa robe a la blancheur de la neige, et retombe avec grâce ; à la main elle porte un flambeau allumé ; ses pieds reposent sur un nuage. L'auréole qui l'entoure charme le regard sans l'éblouir, et jette tout autour un tel rayonnement que le paysage tout entier en est éclairé comme en plein jour.

À cette vue, le premier mouvement des deux laboureurs fut de s'enfuir ; puis bientôt se ravisant, ils voulurent se rendre compte du phénomène et revinrent sur leurs pas ; mais l'auréole, le flambeau, la dame, tout avait disparu.

Qu'était-ce que cette Dame mystérieuse qui n'avait pas parlé ?

Et ce n'est pas une fois seulement qu'elle se montra au laboureur ; il la revit encore souvent, en divers endroits, tantôt près de cette même fontaine, tantôt en sa maison, en sa grange, ou en d'autres endroits : elle avait chaque fois la même attitude, la même majesté, le même vêtement lumineux, mais toujours elle ne disait pas son nom.