PREFACE

     « La perfection des oeuvres de Dieu et l'imperfection de ce monde, ne trouvent de solution que dans la notion chrétienne de la chute primitive. Cette chute, seule, donne tout son sens à la Rédemption », laquelle est « universelle dans son principe, individuelle dans son accomplissement ». Cet accomplissement a pour point de départ temporel le dépouillement du vieil homme et la naissance du Verbe en nous. Pour que le Verbe puisse opérer en nous, « il faut que nous renoncions à ce qui n'est pas lui. Parce qu'il est la Vie, sa naissance en nous signifie notre propre résurrection en lui ».

     « Vaincre l'amour-propre et l'égoïsme, créer le vide parfait où s'engouffrera irrésistiblement la plénitude divine, tel est le long, le rude, l'irremplaçable travail auquel l'âme se livre. Lorsqu'il est achevé, elle est ornée des sept dons du Saint-Esprit et délivrée des sept fardeaux de l'Esprit de ce monde ». L'Agent universel de la Rédemption, c'est le Verbe divin et lui seul. Tel est le point capital sur lequel Madame D… ne se lasse pas d'insister : « L'aveugle ne peut éclairer l'aveugle ! C'est en vertu de ce principe, si souvent oublié, que le salut de l'homme n'est pas, ne fut et ne sera jamais entre ses mains, C'est pourquoi la Rédemption par le Verbe divin, mystère insupportable à l'orgueil luciférien, devient, pour le RACHETABLE, une conception lumineusement logique et porteuse d'espérance. »

     Tels sont les thèmes que l'auteur développe, au cours de son exposé, pour nous amener ensuite à saisir leur application à la vie journalière.

     Nous voyons comment peut s'accomplir la transmutation spirituelle de ce qui SEME CORRUPTIBLE DOIT RESSUSCITER INCORRUPTIBLE : « À chacun des efforts de l'âme, si imparfaits soient-ils, répond un secours, une aide, une grâce d'En-Haut. Et, lentement, l'Oeuvre s'accomplit, le but est entrevu puis atteint un jour : un temple nouveau du Seigneur se dresse, où s'opèrent les merveilles indicibles de la prière en Esprit et en Vérité ».

     « Mais, entre le premier élan de repentir et la grâce de la Présence Perpétuelle, que de temps, que d'efforts, que de renoncements et de défaillances ! »

     Ce sont ces chutes et ces relèvements, ces abandons et ces sursauts qui jalonnent le CHEMIN DU RETOUR, douloureux chemin de Croix aux stations innombrables, chemin d'agonie pour le Moi égoïste, voie triomphale pour l'âme éternelle. Car il est exact que la Voie étroite passe par le Calvaire, et que toute voie qui n'y passe point n'est qu'un chemin des écoliers !

     À tous ceux qui cherchent et souffrent, qui s'ensanglantent les pieds aux silex de la route et doutent, parfois, de la force même qui les pousse à marcher quand même et toujours, ce petit livre peut offrir aide et réconfort. Puissent-ils repartir ensuite, rassérénés, répétant la belle devise d'un sage ignoré : « SENTIR LES PIERRES DU CHEMIN, C'EST PREUVE QU'ON EST TOUJOURS SUR LE CHEMIN ! ».

  A. SAVORET.


LA MORT SPIRITUELLE

« La Mort Spirituelle, cette nuit lumineuse, est une route trop inconnue aux humains ; elle nous procure cependant le Bien Suprême et la félicité. » Madame Guyon.

     La vie d'ici-bas est pour nous un exil ; chaque jour nous rapproche ou nous éloigne davantage de Dieu, puisque chaque jour est une guerre constante entre les esprits du Bien et ceux du Mal.

     Sans la souffrance, l'âme ne connaîtrait jamais la profondeur de sa misère et la précarité de son état transitoire en ce monde, jamais elle ne pourrait parvenir à la paix divine. Enseveli sous la matière, entraîné dans le tourbillon des éléments en perpétuel conflit, l'homme se voit asservi et tyrannisé par le « Moi ». Ce n'est que dans le néant de ce « Moi » que nous pouvons trouver Dieu et mettre un terme à la lutte qui nous déchire. La cessation de ce combat est appelée mort spirituelle par les Livres saints.

     Dans l'homme qui se satisfait de l'existence terrestre, le conflit des éléments ne cesse qu'au moment de la mort physique. Plus exactement il cesse de l'affecter lorsqu'il se dépouille de son enveloppe charnelle qui constitue l'homme externe, faite à l'image du principe inférieur de la terre.

     Ce corps élémentaire de l'homme possède une vertu subtile de transmutation substantielle qui doit en faire un jour le corps glorieux, doué de propriétés non terrestres : incorruptibilité, lucidité,subtilité, mobilité, etc. En cette opération mystérieuse consiste la résurrection des corps.

     La terre aussi possède la même vertu latente et doit subir le même processus afin que la lumière divine luise sur tous les êtres et se communique à eux sans obstacles.

     Par une résurrection anticipée de son corps, l'homme régénéré aide donc l'évolution de la terre et influe sur toute la hiérarchie des êtres qui dépendent de lui.

     Pour l'homme comme pour la terre, la formation de la substance purifiée et cristalline entraîne le repos de cette malheureuse nature transitoire, dans laquelle peut seul évoluer et se développer normalement l'homme déchu dans l'animalité. Ce repos constitue le triomphe de la Nature divine sur la nature inférieure.

     La mort spirituelle est une opération de l'Esprit Saint, qui consume et détruit tout ce qui ne vient pas de Dieu, séparant ainsi l'être de toutes ses souillures. La nature inférieure met en oeuvre, au contraire, toutes ses puissances, pour faire échouer cette intervention divine, qui fait mourir l'homme un peu chaque jour à cette vie d'illusion à laquelle nous sommes aveuglément attachés.

     L'amour divin ôte à l'homme animal, mais c'est pour ajouter à l'homme réel. Ce dernier ne peut croître que dans la mesure où le premier diminue. C'est par le don de nous-même, le seul que nous puissions faire à Dieu, que son Esprit peut agir en nous et nous transformer en créature du Ciel.

     La mort spirituelle est un bouclier contre l'Ennemi qui n'a prise que sur nos désirs terrestres ; elle est la porte de la Terre des Vivants.

     Qui a réalisé cette mort, ce dépouillement, est affranchi de la crainte de la mort physique. En effet, c'est le corps spirituel qui la craint. Le corps physique ne la craint pas puisqu'il ne la connaît pas, Or, lorsque le sacrifice est accompli, nulle crainte ne peut plus affecter l'âme unie au Tout.

     En détruisant le vieil homme, la Vérité transforme intimement l'être qui s'est soumis à son action bienfaisante et en fait ce « petit enfant » dont parle l'Évangile. Foi, simplicité, unité sont ses attributs.

     La liberté réelle lui est rendue par Celui qui brise toutes les chaînes, et la connaissance véritable lui est acquise en proportion de son humilité, selon la parole du Christ « je te loue, ô Père, d'avoir révélé tes secrets aux petits et aux humbles et non aux savants et aux orgueilleux. »

     Dans la nature inférieure, la liberté n'est qu'une illusion, et le plus esclave est souvent celui qui se croit le plus indépendant. Tout nous limite, tout nous contraint. C'est dans la mort qu'est la liberté effective. Heureux est le sort de celui qui a atteint ce stade qui, mort au monde, vit intensément dans ce séjour béni de l'amour divin. C'est dans Jésus que toutes les misères prennent fin et que le vrai disciple trouve partout l'immensité et la liberté. C'est dans la solitude intérieure que l'âme retrouve sa vraie patrie, en suivant les traces de son divin modèle.

     Les attaques d'un monde hostile, le mépris, les épreuves ne l'affectent plus : la volonté de Dieu constitue sa vie, sa gloire et son repos.

    Soumise à l'intelligence suprême, la créature s'écoule paisiblement dans la Vérité comme un fleuve dans l'océan. Elle n'est plus sujette au changement qui ne peut éprouver que des formes dont elle s'est dégagée. Son coeur est en repos dans l'agitation extérieure : elle distingue l'action providentielle dans les événements et, intérieurement, n'est mue que par l'attrait divin. Ayant renoncé à son moi, c'est la divine sagesse qui le remplace. L'amour divin, ayant dégagé l'homme de son vêtement de mort, fait cesser la lutte dans le petit univers, autrefois anarchique, qui constituait sa nature éphémère. La vie de cette dernière est constituée par une infinité de petites âmes dont l'homme est le centre, le gardien et le modèle. Entraînées par lui loin de leur Principe, leur anarchie reflétait la sienne. Une lutte féroce - lutte des êtres au sein de l'Être - était leur lot. Aussi longtemps que l'homme poursuivait les buts égoïstes de son existence inférieure, aussi longtemps elles souffraient et luttaient, elles aussi, égoïstement.

     Par le triomphe de la nature divine dans l'homme, ce petit univers, définitivement pacifié, retrouve l'allégresse et la joie.

     Toutes ses composantes participent enfin à l'idéale Vie de beauté, de félicité et de vérité, que cet homme a su conquérir pour elles par son sacrifice.

     Et cette victoire est une préfiguration et un gage de celle qui sera remportée un jour par l'humanité totale, avec l'aide du Christ, et qui fera régner la paix divine sur l'universalité de la nature déchue.