Les Gloires de Marie (suite)
Par Saint Alphonse-Marie de Liguori


CHAPITRE II

Vita, dulcedo.
Notre vie, notre douceur.
   

                    MARIE, NOTRE VIE, NOTRE DOUCEUR

- I. Marie est notre vie, parce qu'elle nous obtient le pardon de nos péchés.

L'Église veut que nous appelions Marie notre Vie. Pour bien comprendre ce titre, il faut savoir que, comme l'âme donne la vie au corps, ainsi la grâce de Dieu donne la vie à l'âme ; car, sans la grâce, l'âme peut paraître vivante, mais en réalité elle est morte, selon ce qui est dit dans l'Apocalypse. Ainsi Marie rend la vie aux pécheurs, quand, par son intercession, elle leur obtient de rentrer en grâce avec Dieu.

L'Église applique à Marie et lui met dans la bouche les paroles suivantes du livre des Proverbes ; Ceux qui sont diligents à recourir à moi dès le matin, c'est-à-dire, aussitôt qu'ils le peuvent, me trouveront certainement. Au lieu de : Me trouveront, on lit dans la version de Septante : Trouveront la grâce de Dieu. - Un peu plus loin, il est dit : Celui qui m'aura trouvée, trouvera la vie, et recevra de Dieu le salut éternel. - Écoutez, s'écrie là-dessus saint Bonaventure : honorez Marie, et vous aurez la vie et le salut.

Au dire de saint Bernardin de Sienne, ce qui empêcha Dieu d'anéantir l'humanité après le péché originel, ce fut son amour de prédilection pour cette Fille bénie qui devait naître d'Adam. Le saint ne doute nullement que toutes les miséricordes et toutes les grâces reçues par les pécheurs sous l'ancienne loi, ne leur aient été accordées à la seule considération de cette bienheureuse Vierge.

Elle est donc bien fondée, cette exhortation de saint Bernard : " Cherchons la grâce, et cherchons-la par l'intermédiaire de Marie ". Oui, si nous sommes assez malheureux pour avoir perdu la grâce de Dieu, cherchons-la ; et, afin de la recouvrer sûrement, adressons-nous à Marie ; car, si nous avons perdu cette perle précieuse, Marie l'a retrouvée ; et de là le nom d'inventrice de la grâce, que lui donne le même saint. Et n'est-ce pas là la vérité si consolante pour nous qu'exprimait l'ange Gabriel, quand il disait à la Vierge : Ne craignez point, Marie, car vous avez trouvé la grâce. Mais, puisque Marie n'avait jamais été privée de la grâce, comment le saint archange pouvait-il dire qu'elle l'avait trouvée ? La vierge Immaculée fut toujours unie à Dieu, toujours ornée de la grâce, ou plutôt toujours pleine de grâce, comme l'archange le fit connaître au monde, quand il la salua en ces termes : Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous. Ce n'est donc pas pour elle-même que Marie a trouvé la grâce dont elle fut toujours remplie ; pour qui donc ? Pour ceux qui l'avaient perdue, pour les pécheurs, répond le cardinal Hugues ; et, commentant les paroles de saint Gabriel, le pieux auteur ajoute : Qu'ils courent donc à Marie, les pécheurs qui ont perdu la grâce, et ils la trouveront sans faute auprès d'elle ; qu'ils lui disent avec assurance : Auguste Dame, une chose trouvée doit être restituée à qui l'a perdue ; vous devez donc nous rendre la grâce. Richard de Saint-Laurent développe la même pensée et conclut ainsi : Si donc nous désirons trouver la grâce du Seigneur, allons à Marie, qui l'a trouvée et qui la trouve toujours ; comme elle fut et sera toujours chère à Dieu, notre confiance en elle ne saurait être frustrée.

La sainte Vierge dit dans les Cantiques, que Dieu l'a placée en ce monde pour être notre défense, et qu'il l'a établie Médiatrice de paix entre lui et les pécheurs : " Je suis un mur et mon sein est un asile assuré comme une forte tour, depuis qu'il m'a faite entremetteuse de la paix. " Saint Bernard s'appuie sur ces paroles pour relever le courage du pécheur : Va, dit-il, va, pauvre pécheur, à cette Mère de miséricorde, et montre-lui les plaies que tes fautes ont laissées dans ton âme ; elle ne manquera pas de solliciter ton pardon auprès de son divin Fils, en lui rappelant qu'elle l'a nourri de son lait ; et ce Fils qui l'aime si tendrement, ne manquera pas de l'exaucer. - Et la sainte Église elle-même nous met sur les lèvres une oraison où elle prie le Seigneur de nous accorder la faveur d'être aidés par la puissance secourable des prières de Marie à sortir du péché : " O Dieu miséricordieux, venez en aide à notre fragilité, afin que, célébrant la mémoire de la sainte Mère de Dieu, nous puissions avec l'appui de son intercession, nous relever de nos iniquités.

Ainsi donc saint Laurent Justinen a raison d'appeler Marie l'Espérance des coupables, puisque seule elle leur obtient de Dieu le pardon de leurs fautes. Saint Bernard fait bien de lui décerner le titre d'Échelle des pécheurs, puisque cette Reine compatissante leur tend une main secourable, les retire de l'abîme où ils sont misérablement tombés, et les fait remonter à Dieu. Et saint Augustin n'a pas tort de la proclamer notre unique Espérance, puisque c'est par elle seule que nous espérons la rémission de tous nos péchés. Saint Jean Chrysostôme ne parle pas autrement que l'illustre évêque d'Hippone : " Par elle, dit-il, nous obtenons le pardon de nos péchés ". Et, plein de confiance en sa médiation, il lui adresse cette prière au nom de tous les pécheurs : Nous vous saluons, ô Mère de Dieu et notre Mère, Ciel où Dieu réside, Trône du haut duquel le Seigneur dispense toutes ses grâces ! priez sans cesse Jésus pour nous, afin que, par votre entremise, nous puissions trouver miséricorde au jour du jugement, et partager la gloire des élus dans l'éternité.

C'est avec raison, enfin, comme le remarque Innocent III, que Marie est comparée à l'aurore dans ce passage du Cantique : Quelle est celle-ci qui s'avance comme une aurore naissante ? Car la naissance de Marie mit fin au règne des cives, comme l'aurore met fin aux ombres de la nuit. Ainsi parle ce pontife. Or, le changement opéré autrefois dans le monde par cette bienheureuse naissance, se reproduit dans toute âme où naît la dévotion à Marie : elle en bannit les ténèbres du péché et guide ses pas dans la voie des vertus. De là l'exclamation de saint Germain : " O Mère de Dieu, votre protection nous donne l'immortalité ; votre intercession, c'est la vie. " Le même saint assure que le nom de Marie, dans la bouche de celui qui le prononce avec affection, est le signe de la vie, ou du moins le présage d'un prompt retour à la vie.

Sur les paroles du Cantique de Marie : Voici qu'à parti de ce moment toutes les nations m'appelleront bienheureuse, saint Bernard s'écrie : Oui, ô ma Souveraine, vous serez proclamée bienheureuse par tous les hommes, parce que votre intercession assure à tous vos serviteurs la vie de la grâce et la gloire céleste. En vous les pécheurs trouvent le pardon, les justes la persévRrance, et ensuite la vie éternelle. - Ne perds donc pas confiance, ô pécheur, dit le pieux Bernardin de Bustis ; ne te décourage point, quand même tu te serais souillé de toutes les iniquités, mais recours avec assurance à cette glorieuse Reine ; tu la trouveras toujours les mains pleine de miséricorde, et plus désireuse de te combler de ses dons, que toi-même de les recevoir.

Un titre encore qui convient à Marie, selon saint André de Crète, c'est celui de Caution ou de Gage de notre réconciliation avec Dieu. Et, en effet, quand les pécheurs s'adressent à Marie, pour être réconciliés avec Dieu, non content de leur promettre leur pardon, Dieu leur en donne même un gage ; et ce gage n'est autre que Marie elle-même qu'il nous a donnée pour Avocate : tout pécheur qui se réfugie auprès d'elle, obtient par son entremise le pardon de ses fautes en vertu des mérites de Jésus-Christ. D'après la révélation faite par un ange à sainte Brigitte, les prophètes étaient ravis de joie dans la prévision que, fléchi par l'humilité et la pureté de Marie, Dieu allait faire grâce aux pécheurs, et recevoir dans son amitié ceux qui auraient provoqué sa colère.

Aucun pécheur ne doit jamais craindre d'être repoussé par Marie, quand il implore sa pitié ; non, car elle est une Mère de miséricorde, et, à ce titre, elle désire sauver les plus misérables. Marie est pour nous une Arche du salut, dit saint Bernard ; quiconque s'y réfugie, échappera au naufrage de la damnation éternelle. Dans l'arche de Noé les brutes même furent à couvert des eaux du déluge ; sous le manteau de Marie, les pécheurs même trouvent le salut. Sainte Gertrude vit un jour cette clémente Reine qui tenait son manteau ouvert : une multitude de lions, d'ours, de tigres et d'autres bêtes féroces, s'y étaient réfugiés ; et, bien loin de les chasser, Marie les retenait autour d'elle et les caressait doucement. Cet emblême apprit à la sainte que Marie ne repousse pas les pécheurs, si enfoncés soient-ils dans la fange du vice, mais qu'elle les accueuille avec tendresse et les met à l'abri de la mort éternelle. Entrons donc dans cette Arche, courons nous réfugier sous le manteau de Marie ; elle se gardera bien de nous rejeter, elle nous sauvera infailliblement.

                               EXEMPLE

Le père Bovio raconte l'admirable conversion d'une femme de mauvaise vie nommée Hélène. Étant entrée un jour sans intention dans une église, et y ayant entendu un sermon sur la dévotion du Rosaire, elle avait fait l'emplette d'un chapelet en retournant chez elle ; mais le tenait caché par respect humain. Elle se mit néanmoins à le réciter ; et, quoique ce fût d'abord sans décotion, la très sainte Vierge lui fit goûter tant de consolations et de douceurs dans cet exercice, qu'elle ne pouvait plus s'en détacher. Elle conçut en même temps une vive horreur de ses désordres, au point d'un predre le repos, et elle se vit ainsi comme forcée d'aller se confesser ; ce qu'elle fit avec tant de contrition, que le confesseur en était étonné. Après sa confession, elle alla se prosterner au pied d'un autel de Marie, pour remercier son Avocate ; elle y récita le Rosaire, et la Mère de Dieu, faisant parler la statue, lui dit : " Hélène, tu assez offensé Dieu et moi ; désormais change de conduite et tu auras une bonne part dans mes faveurs ". La pauvre pécheresse toute confuse, répondit : " Ah ! Vierge sainte, il est vrai que jusqu'ici j'ai été une scélérate, mais vous qui pouvez tout, aidez-moi ; je me donne à vous, et je veux employer le reste de ma vie à faire pénitence de mes péchés."

Avec le secours de Marie, Hélène distribua aux pauvres tout ce qu'elle possédait, et se livra à une pénitence rigoureuse. Elle éprouva de terribles tentations, mais, sans faire autre chose que de se recommander à la Mère de Dieu, elle remportait toujours la victoire. Elle alla jusqu'à recevoir beaucoup de grâces surnaturelles, telles que visions, révélations, don de prophétie. Enfin, à sa mort, qui lui fut annoncée par Marie plusieurs jours d'avance, la bienheureuse Vierge vint la visiter elle-même avec son divin Fils ; et, lorsque cette pécheresse expira, on vit son âme, sous la forme d'une belle colombe, s'envoler aux cieux.

                                PRIÈRE

Voici, ô Mère de mon Dieu, mon unique espérance, Marie ! voici à vos pieds un malheureux pécheur qui implore votre pitié. Toute l'Église et tous les fidèles vous proclament le Refuge des pécheurs ; vous êtes donc mon refuge, c'est à vous de me sauver. Vous savez, vous dirai-je avec Guillaume de Paris, combien votre divin Fils désire notre salut. Vous savez ce que Jésus-Christ a souffert pour me sauver ; ô ma Mère, je vous présente les souffrances de Jésus : le froid qu'il endura dans l'étable de Bethléem, les pas qu'il fit dans le voyage d'Égypte, ses fatigues, ses sueurs, le sang qu'il répandit, la douleur qui le fit expirer à vos yeux sur la croix. Montrez, en me secourant, que vous aimez ce Fils adorable, puisque c'est au nom de votre amour pour lui que je vous prie de me secourir. Tendez la main à un malheureux qui est tombé, et qui vous supplie d'avoir pitié de lui.

Si j'étais un saint, je ne vous demanderais pas miséricorde ; mais parce que je suis un pécheur, j'ai recours à vous, qui êtes la Mère des miséricordes. Je sais que votre coeur compatissant trouve sa consolation à aider les misérables, quand leur obstination ne vous empêche pas de les aider ; consolez donc votre coeur compatissant et consolez-moi, aujourd'hui que vous avez occasion de sauver un malheureux condamné à l'enfer, aujourd'hui que vous pouvez m'aider, puisque je ne veux pas être obstiné. Je me remets entre vos mains : dites-moi ce que j'ai à faire, et obtenez-moi la force de l'exécuter ; je suis résolu de faire tout ce qui est en mon pouvoir, pour rentrer dans l'amitié de Dieu.

Je me réfugie sous votre manteau ; Jésus veut que j'aie recours à vous ; il veut que, pour votre gloire et pour la sienne, puisque vous êtes ma Mère, je sois redevable de mon salut, non seulement à son sang, mais encore à vos prières. C'est lui qui m'envoie auprès de vous, pour que vous me secouriez. O Marie, me voici, je recours à vous, et je mets en vous ma confiance ; vous qui priez pour tant d'autres, priez aussi, dites au moins une parole pour moi ; dites à Dieu que vous voulez mon salut, et Dieu me sauvera certainement ; dites-lui que je suis à vous, je ne vous demande pas autres chose.


                    MARIE, NOTRE VIE, NOTRE DOUCEUR

- II. Marie est encore notre vie, parce qu'elle noua obtient la persévérance

La persévérance finale est un don de Dieu, don si excellent, que, comme l'a déclaré le Concile de Trente, il est purement gratuit, nous ne saurions le mériter ; néanmoins, selon l'enseignement de saint Augustin, Dieu l'accorde à tous ceux qui le lui demandent ; et, suivant le Père Suarez, on l'obtient infailliblement,si l'on a soin de le solliciter jusqu'à la fin de la vie ; car, dit Bellarmin, la persévérance doit être demandée tous les jours, pour être obtenue tous les jours. Or, s'il est vrai, et je le tiens pour certain, et c'est le sentiment aujourd'hui commun ; s'il est vrai, dis-je, que toutes les grâces qui nous viennent de Dieu, passent par les mains de Marie, il sera également vrai que nous ne pouvons espérer et obtenir la grâce suprême de la persévérance, si ce n'est par l'entremise de Marie. Et nous l'obtiendrons indubitablement, si nous la lui demandons toujours avec confiance ; c'est la récompense qu'elle promet à tous ceux qui la servent fidèlement en cette vie : Ceux qui me glorifient auront la vie éternelle. Ces paroles lui sont appliquées par la sainte :Eglise. Pour conserver la vie de la grâce, il faut que nous ayons la force de résister à tous l,es ennemis de notre salut ; or, cette force ne s'obtient que par le moyen de Marie ; Le don de force est entre mes mains, dit Marie ; Dieu me l'a remis afin que je le dispense à mes serviteurs. Par moi règnent les rois ; soutenus par moi, mes dévots règnent sur la terre, en commandant à tous leurs sens et à toutes leurs passions, et ils se rendent ainsi dignes de régner éternellement dans le ciel. Oh ! de quelle force victorieuse sont revêtus les sujets de cette grande Reine pour leurs luttes avec l'enfer I A Marie convient ce passage des cantiques : Votre cou est comme la tour de David, munie de travaux avancés, et où l'on voit suspendus mille boucliers et toute l'armure des vaillants. Pour ceux qui l'aiment et qui l'invoquent dans le combat, elle est en effet pareille à une tour environnée de puissants moyens de défense ; ils trouvent en elle tous les boucliers et toutes les armes dont ils ont besoin pour repousser les attaques de Satan.

Pour la même raison, la très sainte Vierge se dit semblable au platane qui s'élève le long de la route, au bord d'un courant d'eau. Le platane est un nouvel emblême de la protection dont Marie favorise ceux qui se réfugient auprès d'elle ; car, selon la remarque du cardinal Hugues, cet arbre a des feuilles en forme de boucliers. Le bienheureux Amédée donne une autre explication: comme le feuillage du platane met les voyageurs àcouvertdusoleiletde la pll!ie, ainsi, dit-il, Marie nous offre sous son manteau royal un abri contre l'ardeur des passions et la violence des tentations. Malheur aux âmes qui se privent de cet abri salutaire, en négligeant d'honorer Marie et de l'invoquer dans les occasions dangereuses ! Si le soleil cessait de paraître, dit saint Bernard, que deviendrait le monde, sinon un chaos de ténèbres et un lieu plein d'horreur? Qu'une âme perde la dévotion à Marie, aussitôt elle sera remplie de ténèbres, et de ces ténèbres dont l'Esprit-Saint dit qu'elles permettent aux bêtes sauvages de rôder en toute liberté. Dès qu'une âme n'est plus éclairée de la divine lumière, la nuit s'y fait et elle devient le repaire de tous les péchés et des démons. De là ce cri de saint Anselme : " Malheur à ceux qui méprisent la lumière du Soleil", c'est-à-dire la dévotion envers Marie ! Saint François de Borgia craignait avec raison pour la persévérance de ceux en qui il ne trouvait pas une dévotion particulière envers la bienheureuse Vierge. S'entretenant un jour avec des novices, il voulut sa.voir d'eux à quel saint chacun était surtout dévot, et, s'apercevant que quelques-uns manquaient de cette dévotion spéciale à Marie, il avertit le maître des novices de surveiller plus attentivement ces pauvres jeunes gens ; or, qu'arriva-t-il? tous perdirent malheureusement leur vocation et quittèrent l'institut.

Ce n'est donc pas à tort que saint Germain proclame Marie la Respiration des chrétiens ; en effet, comme le corps ne peut vivre sans respirer, de même l'âme ne peut vivre sans recourir et se recommander à cette divine Mère, par le moyen de qui nous naissons à la vie de la grâce et nous la conservons surement. Voici les propres termes du saint : " De même que la respiration n'est pas seulement le signe, mais encore la cause de la vie corporelle ; ainsi le nom de Marie, que les serviteurs de Dieu ont sans cesse sur les lèvres, est tout à la fois une preuve qu'ils ont la vie spirituelle, et un moyen qui produit et conserve en eux cette vie, et leur attire toute sorte de biens ". Alain de la Roche pensa un jour se perdre, faute de s'être recommandé.· à Marie dans une violente tentation ; mais la Sainte Vierge lui apparut, et, afin qu'une autre fois il se tînt mieux sur ses gardes, elle lui donna un soufflet, en lui disant : "Si tu m'avais invoquée, tu ne te serais pas trouvé dans ce péril ". D'autre part, la Reine du ciel nous adresse ces paroles : Heureux celui qui. écoute ma voix, et qui a soin de venir sans cesse frapper à la porte de ma miséricorde, et réclamer de moi lumière et secours ! Marie s'emploie de grand cœur à procurer à ceux qui l'invoquent ainsi tous les secours nécessaires pour sortir du vice et marcher dans la voie de la vertu. De là les beaux titres de Lune, d'Aurore et de Soleil que lui donne Innocent III. Lune pour le malheureux plongé dans la nuit du péché, elle lui fait voir l'état de damnation où il se trouve. Aurore, c'est-à-dire, avant-courrière du soleil, pour l'âme qui se reconnaît déjà, elle l'aide à sortir du péché et à entrer dans l'amitié de Dieu. Soleil, enfin, pour l'âme en état de grâce, elle l'empêche de tomber de nouveau dans quelque précipice. Les docteurs appliquent à Marie les paroles de !'Ecclésiastique : Ses liens sont des liens salutaires. La sainte Vierge lie ses serviteurs par ses exemples et ses secours, dit Richard de Saint-Laurent, de peur qu'ils n'aillent s'égarer dans les voies du vice. Saint Bonaventure explique dans le même sens cet autre texte, qu'on lit dans l'office de Marie : Je me tiens au milieu des saints. La divine Mère, dit-il, ne se tient pas seulement au milieu des saints, mais elle maintient les saints, afin qu'ils ne retournent pas en arrière ; elle soutient leurs vertus, afin qu'ils ne viennent pas à défaillir ; et elle contient les démons, afin qu'ils n'en reçoivent aucun dommage.

Il est dit des serviteurs de Marie, qu'ils sont couverts d'un double vêtement. Selon Cornelius, cela signifie que Marie orne ses fidèles serviteurs des vertus de son divin Fils et des siennes propres; et, protégés par ce double vêtement, ils conservent la sainte persévérance. Aussi saint Philippe de Néri ne se lassait pas de répéter à ses pénitents : " Mes enfants, si vous désirez la persévérance, soyez dévots à la sainte Vierge ", Le saint frère Jean Berchmans, de la Compagnie de Jésus, disait pareillement : " Celui qui aime Marie, aura la persévérance ". Ici vient à propos la belle réflexion de Rupert sur la parabole de !'Enfant pro- digue. Si ce jeune étourdi eiit eu encore sa mère, dit-il, ou bien il n'aurait jamais quitté la maison paternelle, ou bien il y serait revenu beaucoup plus tôt. La pensée du pieux abbé est qu'un enfant de Marie ne s'éloigne jamais de Dieu, ou du moins ne tarde pas à être ramené par elle, si par malheur il vient à s'en éloigner. Ah ! si tous les hommes aimaient cette Reine pleine de clémence et de tendresse, et si, dans les tentations, ils avaient toujours et aussitôt recours à elle, en verrait-on jamais faire une chute? en verrait-on un seul se perdre ? Celui-là tombe et se perd, qui ne recourt point à Marie. On lit au livre de !'Ecclésiastique : J'ai marché sur les flots de la mer ; ces mots, Richard de Saint-Laurent. les applique à la Vierge et les commente ainsi : Je marche avec mes serviteurs au milieu des tempêtes qui viennent les assaillir ; je les environne de ma protection et les empêche d'être engouffrés dans l'abîme du péché. Voici un trait raconté par le Père Bernardin de Bustis. Un oiseau avait été dressé à dire : Ave Maria; se voyant poursuivi par un épervier, il cria : Ave Maria ! et l'épervier tomba mort.-Le Seigneur a voulu nous montrer par cet exemple, que, si un pauvre animal a pu être sauvé en prononçant le nom de Marie, à plus forte raison tout homme échappera-t-il aux mains du démon qui l'attaque, s'il a soin d'invoquer ce nom béni. Ainsi, dit saint Thomas de Villeneuve, lorsque les démons viennent nous tenter, nous n'avons qu'à imiter les poussins effrayés à la vue du milan : de même qu'ils courent aussitôt se réfugier sous l'aile maternelle, allons sans retard, et sans raisonner avec la tentation, nous mettre en stîreté sous le manteau de Marie. Car c'est à vous, ô notre Reine et notre Mère, continue le même, c'est à vous de nous défendre ; car, après Dieu, nous n'avons pas d'autre refuge que vous ; vous êtes notre unique espérance, la seule protectrice en qui nous mettions notre confiance. Concluons par ces paroles de saint Bernard : A vous, qui comprenez que, dans le tourbillon de ce siècle, vous naviguez sur une mer agitée par la tempête, plutôt que vous ne marchez sur la terre ferme, voulez-vous ne pas être submergé par les vents contraites? gardez-vous de détourner les yeux de cette brillante Etoile. ttes-vous en danger de tomber dans le péché, pressé par de fâcheuses tentations, ou bien, dans vos doutes, ne savez-vous que résoudre? regardez l'Etoile, pensez que Marie est assez puissante pour vous secourir, invoquez-la sans retard. Que son Nom puissant soit toujours dans votre cœur par la confiance, et sur vos lèvres par la fidélité à l'invoquer. En suivant Marie, vous ne sauriez vous écarter de la voie du salut ; pourvu que vous ayez soin de vous recommander à elle, vous ne tomberez point ; si elle vous protège, vous n'avez pas à craindre de vous perdre ; si elle vous guide, vous vous sauverez sans peine. En un mot, si Marie vous prend sous sa défense, vous arriverez certainement au royaume des Bienheureux. Faites ainsi et vous vivrez.

                                EXEMPLE

C'est une histoire célèbre que celle de sainte Marie d':Egypte, rapportée dans les Vies des Pères. A l'âge de douze ans, elle s'enfuit de la maison paternelle et se rendit à Alexandrie, où sa conduite devint le scandale de toute la ville. Après seize années de désordres, elle alla, courant le monde, jusqu'à Jérusalem, où l'on célébrait alors la fête de la Sainte Croix, et voulut, elle aussi, entrer dans l'église, plus par curiosité que par dévotion ; mais, en arrivant à la porte, elle se sentit repousser en arrière par une force invisible ; elle essaya une seconde fois d'entrer et fut encore repoussée ; une troisième et une quatrième tentative qu'elle fit, n'eurent pas plus de succès. S'étant alors retirée dans un coin du parvis, la malheureuse comprit, à l'aide d'une lumière céleste, qu'en punition de sa mauvaise vie, Dieu la rejetait, et de sa présence et même de son temple. Elle en était là quand, levant les yeux, elle aperçut pour son bonheur une peinture représentant la sainte Vierge ; elle s'adressa à cette Reine du ciel et lui dit, d'une voix entrecoupée de sanglots : " 0 Mère de Dieu, prenez pitié d'une pauvre pécheresse, Mes crimes me rendent indigne du moindre de vos regards, je le reconnais ; mais vous êtes le refuge des pécheurs ; pour l'amour de Jésus, votre Fils, assistez-moi ; faites que je puisse entrer dans l'église, car je suis résolue de changer de vie et d'aller faire pénitence en tel lieu qu'il vous plaira de m'indiquer". Une voix qu'elle prit pour celle de la bienheureuse Vierge, lui répondit au fond du cœur : " Eh bien ! puisque tu as recours à moi, et que tu veux changer de vie, entre dans l'église, la porte n'en sera plus fermée pour toi". La pécheresse entre, et adore la Croix avec les sentiments de la plus vive componction. Elle retourne ensuite devant l'image de Marie: "Ma Reine, dit-elle, me voici, prête à vous obéir; où voulez-vous que je me retire pour faire pénitence ?-Va, lui répondit la sainte Vierge, passe le Jourdain, et tu trouveras le lieu de ton repos ". Elle se conîessa, communia, passa le fleuve, arriva au désert, et comprit que c'était là le lieu de sa pénitence. Penàant les dix-sept premières années que la sainte vécut dans la solitude, quels assauts ne lui livrèrent pas les démons pour la faire retomber ! Et que faisait-elle alors? pas autre chose que de se recommander à Marie ; et Marie lui obtint la force de résister durant ces dix-sept années ; après quoi, ses combats cessèrent. Enfin, après avoir passé quarante-sept ans dans le désert, et se trouvant parvenue à la soixante-dix-septième année de son âge, elle fut découverte par l'abbé Zozime, que la Providence conduisit en ce lieu. Elle lui raconta toute sa vie, et le pria de revenir l'année suivante et de lui apporter la sainte communion. L'abbé revint selon son désir, et la communia. Ensuite, la sainte lui renouvela sa prière, de venir la visiter encore une fois. Zozime le fit, et il la trouva morte. Son corps était environné de lumière, et près de la tête étaient tracés ces mots : "Ensevelissez ici le corps d'une misérable pécheresse que je suis, et priez Dieu pour moi ". Le saint abbé la descendit dans une fosse qu'un lion vint creuser ; et, de retour au monastère, il raconta les merveilles de la divine miséricorde envers cette heureuse pénitente.

                                PRIÈRE

Oh Vierge sainte, Mère de miséricorde ! voici à vos pieds le perfide qui, payant d'ingratitude les grâces qu'il a reçues de Dieu par votre intercession, a trahi Dieu et vous. Mais sachez-le, ô douce Reine! loin de diminuer ma confiance en vous, ma misère ne fait que l'augmenter ; car je vois qu'elle redouble votre compassion envers moi. Faites connaître, ô Marie, que, pour moi comme pour tous ceux qui vous invoquent, vous êtes pleine de bonté et de miséricorde. Je ne réclame de vous qu'un regard de compassion: si votre cœur a compassion de moi, il ne saura refuser de me protéger ; et, si vous me protégez, qu'ai-je à craindre '! Non, je ne craindrai rien: je ne craindrai pas mes péchés, puisque vous pouvez réparer le mal quej'aifait; je ne craindrai pas les démons, puisque vous êtes plus puissante que l'enfer : je ne craindrai même pas la trop juste indignation de votre divin Fils, puisqu'une seule de vos paroles su.ffit pour l'apaiser. Je me trompe, il me reste une crainte: je pourrais, au moment de la tentation, faire la faute de ne pas recourir à vous, et ce serait ma perte. Mais je suis résolu de ne jamais cesser de me recommander à vous, je vous en fais aujourd'hui la promesse, aidez-moi à la tenir. Voyez quelle belle occasion pour vous de contenter votre cœur en faisant le bonheur d'un misérable tel que je suis. 0 Mère de Dieu, j'ai une grande confiance en vous. J'attends de vous la grâce de pleurer mes péchés comme je le dois, et la force de n'y plus retomber: si je suis malade, vous pouvez me guérir ; si mes fautes m'ont rendu faible, votre secours me rendra fort. J'espère tout de vous, ô Marie, parce que vous pouvez tout auprès de Dieu. Amen.

- III. Marie eat notre douceur : elle rend la mort douce à ses serviteurs

L'ami sincère aime en tout temps ; et le frère se connaît dans l' ajfiiction. Les vrais amis et les vrais parents ne sont pas bien connus dans les temps de prospérité, mais seulement dans la détresse et la misère. Les partisans du monde restent attachés à un ami tant que la fortune lui sourit ; mais qu'il vienne à essuyer quelque disgrâce, que surtout la mort approche, et aussitôt les amis de s'éloigner. Marie n'agit pas ainsi envers ceux qui lui sont dévoués: bonne Maîtresse et bonne Mère, elle ne saurait abandonner ses fidèles serviteurs dans leurs tribulations, surtout dans les angoisses de la mort, qui sont les plus terribles qu'on puisse éprouver ici-bas ; et, après avoir été notre Vie durant tout le temps de cet exil, elle devient notre Douceur au terme de notre carrière, en nous ménageant une mort douce et heureuse. En effet, depuis le jour mémorable où elle eut à la fois le bonheur et la douleur d'être présente à la mort de Jésus-Christ, son Fils, qui est le Chef des prédestinés, Marie est en possession du privilège d'assister tous les prédestinés à l'article de la mort. C'est pourquoi l'tglise nous fait prier cette bienheureuse Vierge de venir à notre secours principalement à nos derniers moments : Priez pour nous, pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. Bien cruelles sont les angoisses des pauvres mourants ! remords des péchés commis, horreur du jugement qui est proche, incertitude du salut, tout est pour les tourmenter. En ce moment où l'âme va passer à l'éternité, l'enfer fait appel plus que jamais à toutes ses armes ; il met en jeu toutes ses forces pour s'en rendre maître ; il sait qu'il lui reste peu de temps pour la gagner, et que, s'il la perd alors, c'est pour toujours : Le diable descend vers vous plein d'une grande Jureur, sachant qu'il n'a plus qu'un peu de temps. Alors, le démon qui la tentait ordinairement pendant sa vie, ne vient pas seul l'attaquer, mais il en appelle d'autres à. son aide, et la maison se remplit d'esprits infernaux qui unissent leurs efforts pour la perdre : Leur demeure se remplira de dragons.

On raconte de saint André d' Avellin, qu'au temps de sa mort, dix mille démons vinrent le tenter ; ils lui livrèrent surtout de rudes assauts quand il fut à l'agonie ; tous les religieux présents étaient épouvantés du spectacle qui s'offrait à. leurs regards. Le visage du saint se gonflait jusqu'à. paraître tout noir par l'effet de son agitation intérieure ; il tremblait de tous ses membres et se débattait étrangement ; de ses yeux sortaient deux torrents de larmes, sa tête était en proie à des secousses violentes : au tant d'indices de l'horrible combat qu'il soutenait contre l'enfer. Tous les assistants, émus jusqu'aux larmes, redoublaient de prières et tremblaient de crainte, en voyant un saint mourir de la sorte. On se consolait toutefois, en le voyant tourner souvent les yeux vers une pieuse image de Marie, comme pour réclamer son secours ; et on se souvenait de lui avoir entendu dire bien des fois, dans le courant de sa vie, que la sainte Vierge serait son refuge à l'heure de sa mort. Il plut enfin au Seigneur de mettre fin à ce combat par une glorieuse victoire : les convulsions cessèrent, le visage désenflé reprit sa première couleur, et on vit le saint, tenant les yeux tranquillement fixés sur l'image, faire une dévote inclination comme pour remercier Marie, la.quelle, pense-t-on, se faisait voir à lui ; après cela, il remit paisiblement son âme bénie entre les mains de la divine Mère, et ses traits prirent une expression de paix céleste. En ce moment-là même, une religieuse capucine à l'agonie, se tourna vers les sœurs qui l'assistaient, et leur dit : "Récitez l' Ave Maria ; car un saint vient de mourir ". A l'aspect de la Reine, les rebelles prennent la fuite. Si, à l'heure de la mort, nous avons Marie de notre côté, que pourrons-nous craindre de la part de tous nos ennemis infernaux? Dans les craintes que lui inspirait la pensée de cette lutte suprême, David reprenait courage en s'appuyant sur le sacrifice du Rédempteur futur et sur l'intercession de la Vierge Marie : Alors même, disait-il que je marcherais au sein des ombres de la mort, je ne craindrais rien ... votre verge et votre bâton me rassurent. Par le mot bâton, le cardinal Hugues entend ici la croix du Sauveur : et, par le mot verge, notre Médiatrice Marie, qui fut prédite en ces termes par Isaïe : Il sortira une verge de la racine de Jessé, et une fleur s'élèvera de sa racine. Verge puissante, dit saint Pierre Damien, par elle sont réprimées toutes les violences des esprits infernaux. Courage donc, s'écrie saint Antonin ; car, " si Marie est avec nous, qui osera nous attaquer " ? Quand le père Manuel Padial, jésuite, éteit près de mourir, Marie lui apparut, et lui adressa ces consolantes paroles : " Voici enfin le moment où les anges vont te féliciter, et te dire : 0 heureux travaux, ô mortifications bien récompensées " l'On vit ensuite une troupe de démons qui fuyaient, en criant avec désespoir : " Hélas nous ne pouvons rien ; celle qui est sans tache, le protège " l Le Père Gaspard Hayewood fut assailli par les démons à ses derniers moments et violemment tenté contre la foi ; il se recommanda aussitôt à la sainte Vierge, et on l'entendit ensuite s'écrier : "Je vous rends grâces, ô Marie, d'être venue à mon secours " !

Selon saint Bonaventure, quand un serviteur de Marie est sur le point de mourir, elle lui envoie saint Michel et tous les anges dont il est le chef, afin qu'ils le défendent contre les attaques des démons ; elle les charge de recevoir les âmes de tous ceux qui ont eu l'heureuse habitude 'implorer avec ferveur sa maternelle protection. Lorsqu'une âme va sortir de ce monde, l'enfer s'émeut, dit Isaïe, et il envoie les plus terribles d'entre les démons la tenter avant qu'elle quitte son corps, et l'accuser au tribunal de Jésus-Christ, quand elle s'y présentera : L'enfer s'est mis en mouvement à ton arrivée; il suscitera contre toi des géants. Mais, si cette âme est défendue par Marie, les démons n'oseront entreprendre de l'accuser, assure Richard ; ils savent trop bien que le divin Juge n'a jamais condamné et ne condamnera jamais une âme protégée par son auguste Mère. Dans son épître à sainte Eustochie, saint Jérôme enseigne que, non contente de secourir ses chers serviteurs au moment de leur mort, Marie vient encore à leur rencontre quand ils passent à l'autre vie, les encourage par sa douce présence, et les accompagne au tribunal suprême : " Quel jour que celui où Marie, Mère du Seigneur, viendra au devant de vous, suivie des chœurs des vierges" ! et cela est conforme à ce que la bienheureuse Vierge a dit elle-même à saint Brigitte, touchant ses serviteurs à leurs derniers moments : " Moi, leur Maîtresse bien-aimée et leur Mère, j'irai à leur rencontre quand ils seront pour mourir, afin que, dans la mort même, ils trouvent consolation et soulagement ". Saint Vincent Ferrier ajoute qu'elle reçoit leurs âmes. Oui, cette Reine pleine de tendresse les reçoit en quelque sorte dans les plis de son manteau, et les présente elle-même à leur Juge, qui est son Fils ; et ainsi elle leur obtient infailliblement la grâce du salut. Tel fut, par exemple, le bonheur de Charles, fils de sainte Brigitte : comme il était mort dans le périlleux métier des armes et loin de sa mère, la sainte craignait pour son salut, mais la bienheureuse Vierge lui révéla que Charles était sauvé, grâce à son amour pour elle. Elle-même, ajouta-t-elle, l'avait assisté dans ses derniers moments, et lui avait suggéré les actes que tout chrétien doit faire en cette circonstance. Sainte Brigitte vit en même temps Jésus-Christ sur un trône, et le démon qui portait deux accusations contre la divine Mère. En premier lieu, disait-il, elle m'a empêché de tenter Charles au moment de sa mort: en second lieu, elle a présenté elle-même au jugement l'âme de ce soldat, et l'a ainsi sauvée, sans même me permettre d'exposer les droits que je prétends avoir sur cette âme. La 'sainte vit ensuite le démon repoussé par le divin Juge, et l'âme de Charles portée au ciel. Oh ! quel bonheur pour vous, n1on cher frère, si, à la mort, vous vous trouvez attaché à la Mère de Dieu par les douces chaînes de l'amour ! Ses chaînes sont des chaînes de salut, c'est-à-dire qu'elles vous assurent le salut éternel. Elles vous feront goûter à la mort une heureuse paix, qui sera pour vous le commencement d'un repos et d'un bonheur sans fin.

Le Père Binet rapporte qu'un pieux serviteur de Marie disait en mourant : "Si vous saviez quel contentement on sent en son âme, au moment de la mort, d'avoir essayé de bien servir la très sainte Mère de Dieu durant le cours de sa vie, vous en seriez étonné et consolé ; je ne saurais dire la joie que je ressens en mon cœur à l'heure où vous me voyez ". Ainsi mourut également le Père Suarez, si dévot envers la sainte Vierge qu'il aurait donné toute sa science, disait-il, pour le mérite d'un seul Ave Maria ; il déclara au moment d'expirer, qu'avant d'en avoir fait l'expérience, il ne se serait jamais imaginé que la mort pouvait être si douce. Tel sera sans doute aussi votre contentement, pieux lecteur, telle sera votre joie au moment de la mort, si vous pouvez vous rendre alors le témoignage d'avoir aimé cette bonne Mère, toujours fidèle à récompenser ceux de ses enfants qui ont été fidèles à la servir et à l'honorer par des visites, par la récitation du rosaire, par des jetlnes, et surtout à la remercier, à la louer, et à implorer souvent sa puissante protection. Vous ne serez même pas privé de cette consolation pour avoir vécu un temps dans le péché, si désormais vous tâchez de vous bien conduire et de servir fidèlement cette Reine si clémente et si généreuse ; dans les angoisses de votre dernière heure, et dans les tentations par où le démon cherchera à vous jeter dans' le désespoir, elle vous fortifiera et portera la bonté jusqu'à venir elle-même vous assister au moment de votre mort. Saint Pierre Damien raconte qu'un jour son frère Martin, ayant eu le malheur d'offenser Dieu, se rendit devant un autel de Marie pour se consacrer à elle en qualité d'esclave ; en signe de quoi, il se passa sa ceinture autour du cou, et parla ainsi: " 0 ma Souveraine, Miroir de pureté ! je suis un pauvre pécheur, j'ai offensé mon Dieu et vous, en blessant la chasteté ; je ne puis mieux réparer ma faute qu'en m'offrant à vous pour esclave ; me voici donc à vos pieds, recevez-moi, tout rebelle que je suis, ne me rejetez-pas". Ensuite, il déposa sur le marchepied de l'autel une certaine somme d'argent, qu'il promit de payer chaque année comme esclave tributaire de Marie. Quand il fut près de mourir, on l'entendit un matin qui s'écriait : " Levez-vous ; saluez ma Souveraine " ! Puis il ajouta : " 0 Reine du ciel ! quelle est votre bonté de daigner visiter ce pauvre serviteur ! De grâce, bénissez-moi, ma Souveraine, et ne permettez pas que je me perde, après que vous m'avez honoré de votre présence ". Pierre étant alors arrivé, Martin lui raconta comment la sainte Vierge l'avait visité et béni, se plaignant de ce que les assistants ne s'étaient pas levés en présence de la Mère de Dieu. Peu après, il passa doucement dans le sein du Seigneur.

Oui, mon cher lecteur, telle aussi sera votre mort, si vous êtes fidèle à Marie ; eussiez-vous d'ailleurs offensé Dieu dans le passé, elle ne laissera pas de faire que votre fin soit douce et heureuse. Et si alors, une crainte excessive au souvenir de vos péchés d'autrefois, ébranle votre confiance, elle viendra elle-même soutenir votre courage. Ainsi fit-elle pour Adolphe, comte d'Alsace, dont l'histoire se lit aux chroniques des Frères Mineurs. Ce prince avait renoncé au monde pour entrer dans l'ordre de Saint François, et s'y était distingué par sa dévotion à la Mère de Dieu. Sur la fin de ses jours, il se remit devant les yeux la vie qu'il avait menée dans le siècle et la rigueur des divins jugements ; ces pensées lui inspirèrent des doutes touchant son salut et une vive crainte de la mort. Mais, quand les pieux serviteurs de Marie sont dans la peine, elle ne dort pas. Escortée d'une multitude de saints, elle se présenta tout à coup au mourant, et le rassura par ces tendres paroles : Mon cher Adolphe, tu m'appartiens, tu t'es donné à moi, et tu redoutes la mort? - A ces mots, le serviteur de Marie se sentit entièrement consolé, toutes ses craintes s'évanouirent, et il mourut au sein d'une paix profonde et d'un doux contentement. Ayons bon courage, nous aussi, bien que pécheurs ; et si, pendant le reste de notre pèlerinage ici-bas, nous servons Marie avec amour, espérons qu'elle viendra nous secourir dans les angoisses de notre mort, et nous consoler par sa présence. Notre bonne Reine en fit la promesse formelle, un jour qu'elle s'en- tretenait avec sainte Mechtilde : " Tous ceux, lui dit-elle, qui me servent pieusement, peuvent compter qu'à leur heure dernière, je me ferai un devoir de me tenir à leurs côtés, comme la plus tendre des mères, pour les consoler et les défendre ". 0 Dieu à ce moment où nous attendrons la décision de notre éternel sort, quelle joie pour nous, de voir auprès de nous la Reine du ciel qui nous assistera et relèvera notre confiance, en nous assurant de sa protection. C'est là une faveur dont on voit dans les livres une multitude innombrable d'exemples, outre ceux que nous avons déjà cités. Elle fut accordée à sainte Claire, à saint Félix de Cantalice, à sainte Claire de Montefalco, à sainte Thérèse, à saint Pierre d' Al- cantara. Mais, pour notre commune consolation, nous en relaterons quelques autres encore. Au rapport du père Crasset, sainte Marie d'Oignies vit un jour la bienheureuse Vierge au chevet d'une pieuse veuve de Willembroc ; elle se tenait tout à côté de la malade ; et, comme celle-ci était en proie aux brtulantes ardeurs de la fièvre, elle la consolait et la rafraîchissait à l'aide d'un éventail. Saint Jean de Dieu allait mourir et attendait la visite de Marie, à laquelle il était très dévot ; mais, ne la voyant point paraître, il en était tout triste, et peut-êtrE! même s'en plaignait-il. Tout à coup, le moment suprême arrivé, la divine Mère lui apparut, et, comme pour lui repro- cher son peu de confiance, elle lui adressa ces tendres paroles, qui doivent remplir de courage tous ses serviteurs : " Cette heure est celle où jamais je ne délaisse mes serviteurs dévoués". C'est comme si elle eftt dit : Mon cher Jean, que pensais-tu? que je t'avais abandonné? Ne sais-tu donc pas que je ne saurais abandonner mes serviteurs à l'heure de la mort? Je ne suis pas accourue plus tôt, parce que le temps n'était pas encore venu ; maintenant qu'il est arrivé, me voici prête à te prendre avec moi ; allons en paradis.-Peu après, le saint expira, et son âme s'envola vers les cieux, pour y remercier à jamais sa très aimante Reine. Terminons cet entretien par l'exemple suivant, qui montre jusqu'où va la tendresse de cette bonne Mère envers ses enfants, lorsqu'ils se trouvent au lit de la mort.

                                EXEMPLE

Un curé avait été appelé auprès d'un homme riche qui allait mourir. Il le trouva dans une maison bien meublée, entouré des soins de ses domestiques, de ses parents et de ses amis ; mais il vit en même temps les démons sous forme de chiens, qui attendaient sa mort pour s'emparer de son âme ; et ils l'eurent en effet, car ce malheureux mourut dans le péché. Or, pendant que le curé était là occupé, on vint le demander de la part d'une pauvre femme, proche, elle aussi, de sa fin, et qui désirait recevoir les Sacrements. Le curé ne pouvait abandonner ce riche dans un moment si critique ; il envoya à sa place un autre prêtre, qui prit le saint ciboire et partit. Arrivé au logis de cette bonne femme, le prêtre ne vit ni domestique, ni compagnie, ni meubles précieux, parce que la malade était pauvre et n'avait guère pour lit qu'un peu de paille ; mais que voit-il? dans la chambre, une grande lumière, et, près du lit de la mourante, la Mère de Dieu, qui la consolait, et essuyait avec un linge son front couvert des sueurs de l'agonie. A la vue de la sainte Vierge, le prêtre n'osait approcher ; mais, sur un signe qu'elle lui fit, il entra, et Marie, lui indiquant un escabeau, l'invita à s'asseoir pour entendre la confession de sa servante. Celle-ci se confessa, et, après avoir communié avec beaucoup de dévotion, elle expira heureusement entre les bras de Marie.

                                PRIÈRE

0 ma très douce Mère, quelle sera la mort d'un pauvre pécheur tel que moi ? Dès à présent; quand je pense au moment redoutable où je devrai quitter cette vie et comparaître au tribunal de Dieu, et qu'en même temps je me rappelle avoir tant de fois écrit moi-même, par des actes pervers, la sentence de ma condamnation, je tremble, je demeure confondu, et je crains beaucoup pour mon salut éternel. 0 Marie, c'est dans le sang de Jésus et dans votre intercession que sont mes espérances. Vous êtes la Reine du ciel, la Maîtresse de l'univers; vous êtes, c'est tout dire, la Mère de Dieu! Vous êtes donc bien grande ! Mais votre grandeur ne vous éloigne pas de nous, au contraire, elle vous dispose à une plus vive compassion pour nos misères. Les amis d'ici-bas ne se voient pas plus t6t revêtus de quelque dignité, qu'ils se tiennent sur la réserve ; ils ne daignent même plus accorder un regard à un ancien ami victime des revers de la fortune. Votre noble et tendre cœur n'est pas ainsi fait : où vous voyez plus de misère, c'est là surtout que vous portez votre assistance ; à peine invoquée, vous volez aussit6t à notre secours; vos faveurs préviennent même nos prières ; vous nous consolez dans nos affections, vous dissipez les tempêtes, vous terrassez nos ennemis ; en un mot, vous ne laissez échapper aucune occasion de nous faire du bien. Bénie soit à jamais la divine Bonté, qui a réuni en vous tant de majesté et tant de tendresse, tant d'élévation et tant de charité! J'en remercie sans cesse le Seigneur, et je m'en félicite moi-même, parce que je mets tout mon bonheur dans le vôtre. 0 consolatrice des affligés, consolez un affligé qui se recommande à vous ; je me sens tourmenté par les remords d'une conscience chargée d'innombrables péchés; j'ignore si je les ai pleurés comme je le devais; je vois toutes mes œuvres pleines d'imperfections et de souillures; l'enfer attend ma 'mort pour m'accuser; la divine justice outragée veu~ être satisfaite. Ma Mère qu'en sera-t-il de moi 'I Si vous ne venez à mon aide, je suis perdu. Dites-moi : voulez-vous me secourir ? 0 Vierge compatissante, consolez-moi; obtenez-moi une vraie douleur de mes péchés; obtenez-moi la force de me corriger et d'être fidèle à Dieu le reste de mes jours. Et, quand je me trouverai dans les extrêmes angoisses de la mort, 6 Marie, mon espérance, ne m'abandonnez pas. Assistez-moi plus que jamais à cette heure, et soutenez-moi, afin que je ne tombe pas dans le désespoir à la tlue de mes fautes, que le démon me remettra sous les yeux. Ma Reine, pardonnez ma témérité ; venez vous-même alors me consoler par votre présence. Cette grâce, vous l'avez faite à tant d'autres; je la réclame aussi pour moi. Si ma témérité est grande, plus grande encore est votre bonté, qui va chercher les plus misérables pour les consoler; c'est là ce qui fait ma confiance. Que votre gloire éternelle soit d'avoir sauvé de l'enfer un malheureux damné, et de l'avoir conduit dans votre royaume, où j'espère avoir un jour le bonheur de me tenir à vos pieds, pour vous rendre grdces, vous bénir et vous aimer, sans cesse et sans Jin. 0 Marie ! je vous attends, ne me privez pas de cette consolation! Fiat, fiat! Amen, amen!

 

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