LA MORT

 

 

Les premières heures après la mort

 

Durant toute la matinée, jusqu'à 10 heures, les Salésiens défilent devant la couche funèbre et baisent pieusement la main de leur Père bien-aimé, en l'arrosant de leurs larmes. Un certain nombre de Directeurs des Maisons d'Italie et de France, arrivent vers 8 heures. À la messe de Communauté les enfants de l'Oratoire ont fait la sainte Communion et récité le chapelet des morts ; toutes les messes sont célébrées pour l'âme de Don Bosco.

 

À 10 heures, service chanté ; et le soir office des défunts dans l'église de Notre-Dame Auxiliatrice.

Jusqu'à ce moment de la matinée, Don Bosco a été laissé sur le lit où il vient d'expirer ; mais vers 10 heures on dispose tout pour exposer le corps dans l'appartement même.

En conséquence, Don Sala et l'infirmier, sous la direction et avec le concours des docteurs Albertotti et Bonelli, qui voulurent donner à leur ami ce dernier témoignage d'affection, lavèrent le corps et lui passèrent les vêtements ; puis un des premiers enfants de Don Bosco, Enria, depuis plusieurs années spécialement attaché à la personne de notre vénéré Père, ayant rasé la barbe, le cadavre fut déposé sur un fauteuil. Le photographe Deasti et le peintre Rollini prennent alors pour la seconde fois les traits de Don Bosco : c'est tout ce que les Supérieurs ont voulu permettre : la pensée seule de mouler ce visage vénérable leur semblait une profanation. La même délicatesse les a fait s'opposer à l'embaumement. – Du reste, un des médecins avait dit : — Je connais Don Bosco depuis bien longtemps ; et son corps m'inspire un tel respect que je ne me sentirais pas le cœur de le profaner.

 

 

Don Bosco exposé dans son appartement

 

Vers 2 heures de l'après-midi, la ville entière, instruite du douloureux évènement, était sous une pénible et profonde impression. Beaucoup de magasins sont fermés dès le matin, et portent l'écriteau suivant : Fermé pour la mort de Don Bosco. La foule assiège la porterie et demande avec larmes à voir les restes vénérés de l'humble prêtre. La disposition du local ne permet pas de satisfaire tous ces excellents cœurs ; et on ne peut admettre provisoirement qu'un petit nombre de personnes connues.

Le cadavre, revêtu des ornements violets, barrette en tête et le crucifix entre les mains jointes, est assis sur un fauteuil, au fond de la galerie située derrière la chapelle privée de Don Bosco. Quand on entre dans cette chapelle, la porte donnant sur la galerie, ouverte à deux battants, laisse apercevoir le défunt, adossé à la fenêtre qui a vue sur l'église de St. François de Sales. Les traits ne sont nullement altérés ; et sans la pâleur du visage et des mains qui tranche sur le violet de la chasuble, on dirait Don Bosco endormi et réjoui par une vision du ciel. Cette illusion n'est pas seulement la nôtre ; tous les pieux visiteurs la partagent et comme instinctivement marchent sur la pointe des pieds pour venir s'agenouiller devant les restes de l'homme de Dieu, et déposer sur l'albâtre de cette main qui s'est levée si souvent pour bénir, de respectueux baisers.

En présence de ce cadavre, rien de cet effroi irraisonné qu'inspire la mort, mais une joie intime et douce, et comme un besoin de vénération.

Vers 6 heures, les Filles de N.-D. Auxiliatrice viennent à leur tour rendre à leur Fondateur et Père, leurs devoirs de, filial amour, tant en leur nom qu'à celui de leurs sœurs que l'éloignement prive de cette consolation. Ces touchants pèlerinages durèrent jusqu'à la tombée de la nuit.

 

 

En ville

 

Pendant ce temps, en ville, on s'arrache les journaux qui annoncent la mort de Don Bosco, et parlent des œuvres admirables de sa vie si bien remplie. Son portrait et sa biographie se trouvent dans toutes les mains.

L'excellent Corriere Nazionale donna trois éditions à quelques heures d'intervalle. Dans beaucoup de rues, des groupes se formaient pour entendre l'heureux possesseur d'un journal faire la lecture à haute voix : le nom de Don Bosco résonnait partout et bien des yeux se mouillaient de larmes.

 

 

À l'Oratoire

 

À 10 heures du soir, le Chapitre supérieur de la Pieuse Société Salésienne, dans une, séance où s'était réglée la question des funérailles, promettait que si la Sainte Vierge obtenait de l'Autorité civile la permission d'enterrer notre bien-aimé Père sous l'église de N.-D. Auxiliatrice, ou au moins dans le séminaire des Missions à Valsalice, près Turin, on commencerait cette année encore, autant que possible, les travaux de décoration du sanctuaire. Cette décoration, on le sait, était un des plus chers désirs de Don Bosco, qui avait déjà prescrit les études nécessaires.

 

 

Annonce de la mort

 

Don Michel Rua, Vicaire de Don Bosco, dominant, par la pensée du devoir, la douleur qui lui déchirait l'âme, avait déjà télégraphié la triste nouvelle au Saint-Père, au Cardinal Alimonda, aux Maisons d'Amérique, d'Angleterre, d'Espagne, de France et d'Autriche, puis à un certain nombre de bienfaiteurs principaux. Il rédigea ensuite une lettre de part destinée à nos Coopérateurs. Elle a été tirée à 53 mille exemplaires. Italie : 32,000 ; France : 13,000 ; Espagne : 8,000 ; mais elle n'est pas arrivée à tout le monde, comme nous avons pu nous en convaincre par notre correspondance.

Nous avons donc le devoir de la reproduire, ne fût-ce même qu'à titre de document, dans un Bulletin où on s'attend à trouver réunis les détails les plus complets sur le douloureux évènement :

 

Aux Salésiens, aux Filles de N.-D. Auxiliatrice,

à nos Coopérateurs.

 

« C'est avec le cœur brisé, les yeux pleins de larmes et d'une main tremblante, qu'il me faut vous donner une pénible nouvelle, la plus douloureuse que j'aie jamais annoncée, et que je puisse annoncer : notre bien-aimé Père en Jésus-Christ, notre Fondateur, l'ami, le conseil, le guide de notre vie, Don Bosco, est mort.

 

Les prières privées et publiques, adressées au Ciel pour la conservation d'une existence si précieuse ont retardé ce coup terrible : mais elles n'ont pu nous l'épargner, comme nous l'avions espéré.

Dieu, infiniment bon, ne fait rien que de juste, de sage et de saint : sa volonté, qui nous apparaît dans cette épreuve, est notre unique consolation. Soyons donc résignés ; courbons la tête sous sa main qui nous frappe, adorons ses impénétrables desseins.

 

Il ne m'est guère possible de vous dire aujourd'hui, en détail, que Don Bosco a fait la mort du juste : calme et sereine. Muni en temps opportun de tous les secours de la religion, béni plusieurs fois par le Vicaire de Jésus-Christ, honoré de la pieuse visite de nombreux et illustres personnages ecclésiastiques et laïques de tous pays, soigné avec un filial amour par les enfants de sa famille religieuse, traité, enfin, avec une vénération touchante et une, singulière habileté par de célèbres docteurs, il a eu tout ce qu'on peut souhaiter à ceux que l'on aime. Ce n'est pas non plus le moment de vous parler de ses vertus et de ses œuvres : le temps presse et puis je n'en aurais point la force.

Je me contente de vous notifier que, ces jours derniers encore, Don Bosco a affirmé que son Œuvre ne souffrira point de sa mort, parce qu'elle est fondée sur la bonté de Dieu, protégée par la puissante intercession de Marie Auxiliatrice, et soutenue par la charité des Coopérateurs et Coopératrices, qui continueront à la favoriser.

 

De notre côté, nous pouvons ajouter que nous avons en cette promesse la plus grande confiance.

Du ciel, où nous avons la douce persuasion qu'il est déjà glorieux, Don Bosco sera désormais, pour nous, aussi vraiment Père qu'il était ici-bas ; et son amour devenant plus efficace encore, près du trône de Jésus-Christ et de sa divine Mère, il répandra sur nous les plus abondantes bénédictions.

 

Désigné pour prendre sa place sur la terre, je tâcherai de répondre à la commune attente.

Avec le concours et les conseils de mes confrères, je suis sûr d'avance que la Pieuse Société de Saint-François de Sales, soutenue par le bras de Dieu, forte de la protection de Marie Auxiliatrice et de la généreuse charité des Coopérateurs Salésiens, continuera les Œuvres créées par son vénéré et regretté Fondateur, et en particulier l'éducation chrétienne de la jeunesse pauvre et abandonnée et les Missions aux pays infidèles.

 

Une pensée encore : À l'exemple de notre glorieux Patron St. François de Sales, Don Bosco, entendant ou lisant certaines expressions que des personnes bienveillantes employaient à son égard, manifestait souvent la crainte qu'après sa mort, sous prétexte qu'il n'aurait pas besoin de suffrages, on ne le laissât en purgatoire. En conséquence, selon son désir et par devoir de filiale affection, je vous recommande, à tous, de vouloir bien ne point faire attendre à son âme les plus ferventes prières : le Seigneur en saura faire l'application convenable, pour le cas où nos espérances seraient déjà réalisées.

 

Salésiens, Filles de Notre-Dame Auxiliatrice, Coopérateurs, chers enfants confiés à nos soins, nous n'avons plus notre bon Père au milieu de nous ; mais nous le retrouverons au Ciel si nous mettons en pratique ses conseils, et si nous marchons fidèlement sur ses traces.

Croyez-moi, même dans la douleur et dans l'affliction,

 

Votre très affectionné Confrère et Ami

MICHEL RUA, Prêtre.

Turin, ce 31 janvier 1888.

 

 

NB. : Le vénéré Don Bosco est mort aujourd'hui, 31 janvier, à 4 h. 3/4 du matin. La Messe sera célébrée jeudi, 2 février, à 9 h. 1/2 dans l'église de Marie Auxiliatrice. Les funérailles auront lieu à 3 heures après-midi. »

 

 

Les anciens élèves

 

Après les Supérieurs et ceux qui appartiennent à la famille. Salésienne, personne ne pouvait ressentir de cette perte une douleur plus grande, que les enfants à qui Don Bosco donna, aux débuts de son zèle, le nom de fils. Les ans n'ont fait qu'ajouter à la reconnaissance et à l'amour de tous ces élus de son cœur : la lettre suivante le dit mieux que nous ne pourrions le faire :

 

 

Comité des anciens élèves de l'Oratoire.

 

Dernier hommage de filiale vénération

au bien-aimé Père Don Bosco.

 

« Turin, ce 31 janvier 1888.

 

CHER AMI,

Un immense malheur vient de fondre sur l'Oratoire Saint-François de Sales et les nombreuses Maisons d'éducation qui en dépendent. Son Fondateur, et Chef, l'ami de la jeunesse, l'apôtre de la religion et de la charité, notre bien-aimé Père Don Jean Bosco, n'est plus. Il a rendu ce matin à 4 h 45 sa belle âme au Seigneur, après avoir reçu tous les secours de la religion et la bénédiction de notre Saint-Père Léon XIII.

 

Bien que nous ayons pu prévoir, depuis longtemps déjà, les inévitables conséquences de son état maladif, nous sentons, au delà de toute expression, l'étendue de la perte que nous venons de faire. Les larmes de ses fils, la douleur de ses amis, l'affliction de la ville entière, le disent bien haut.

Pendant les dernières heures de cette si précieuse existence, nous sommes allés baiser une fois encore la main bénie de notre bien-aimé Père, comme pour lui donner, au nom de tous les anciens élèves, le suprême adieu en cette vie ; mais, sa langue était déjà paralysée, et ses yeux ne reconnaissaient plus personne. C'était le commencement de l'agonie. Quels déchirements, quelles angoisses au sortir de cette chambre où si souvent il nous avait accueillis avec son sourire si bon !... Oh Don Bosco, Don Bosco ! :..

 

Vous savez, cher ami, combien nous aurions désiré célébrer les noces d'or de Don Bosco : quelques années à peine nous en séparaient encore ; et avec quelle ardeur nous souhaitions ce jour du ciel ! Dieu en a disposé autrement : que sa sainte volonté soit faite. Mais ne pouvons-nous pas donner à notre Bienfaiteur une dernière preuve de notre affection et do notre reconnaissance ?

 

Le Comité des anciens élèves de l'Oratoire, réuni pour offrir un suprême témoignage à Don Bosco, a délibéré, avec l'assentiment des Supérieurs, d'inviter tous les anciens élèves, prêtres et laïques, résidant à Turin ou aux environs, aux funérailles qui auront lieu le jeudi, 2 février, à 3 h 1/2 du soir.

Quant à ceux qui sont trop éloignés, le Comité les prie de s'associer à leurs condisciples de Turin, en envoyant comme eux, une légère offrande, d'un franc au moins, pour subvenir à la dépense des torches de cire nécessaires, et à la célébration très prochaine, dans l'église de Marie Auxiliatrice, d'un service solennel pour l'âme de notre bien-aimé Père Don Bosco.

 

Pour ne négliger aucun moyen d'honorer sa mémoire, il serait désirable que tous les condisciples ayant quelque décoration, ou pourvus d'un emploi les astreignant à l'uniforme, vinssent revêtus de leurs insignes et en grande tenue. On se réunira dans le grand parloir de l'Oratoire. Les préséances seront observées avec soin dans le cortège ; pour nous, comme toujours, nous serons disposés par rang d'ancienneté.

 

Nous savons que ces quelques lignes suffiront amplement, non pas à vous démontrer combien il nous sied d'offrir ce dernier tribut d'affection à notre si bon Père, mais à vous indiquer le mode adopté pour l'accomplissement de ce devoir. Nos condisciples, habitant loin de Turin, pourront envoyer leur cotisation en timbres-poste ; et quand le jour du service sera fixé, ils en recevront avis.

Nous vous demandons d'assurer de fervents suffrages à l'âme de notre à jamais regretté Don Bosco, et vous prions d'agréer nos cordiales salutations.

 

Pour le Comité :

CH. GASTINI

Le secrétaire : M. ALASIA. »

 

 

La Chapelle Ardente

L'ÉGLISE DE SAINT-FRANÇOIS DE SALES

 

Durant toute la journée de mardi, les pieuses visites à la dépouille mortelle de notre vénéré Père n'avaient point discontinué. Il fallait songer aux moyens de régler une affluence sans cesse grandissante, tout en fournissant à la population turinaise la consolation de contempler une dernière fois les traits de l'Apôtre des pauvres et des petits.

L'église de St.-François de Sales était toute désignée pour le double résultat à obtenir. Nos lecteurs savent déjà que cet édifice, assurément bien modeste, mais singulièrement cher à la famille Salésienne, est la première chapelle digne de ce nom, édifiée par Don Bosco en 1850. Elle remplaça à cette époque, et non sans besoin, le misérable hangar où Don Bosco en 1841 avait commencé son apostolat de charité, de bienfaisance et d'affection surnaturelle envers la jeunesse abandonnée. Pouvait-on choisir un meilleur endroit où le peuple vint donner un suprême témoignage de reconnaissance à l'ami de ses enfants ? Et quel souvenir que celui du saint Évêque de Genève, évoqué avec la triple majesté de la mort, de la vertu et des regrets universels, par le spectacle reposant et doux de ce pauvre prêtre, dormant le sommeil des ouvriers qui succombent à la fatigue, au soir d'une vie pleine de deux grands amours : celui de Dieu et celui des âmes ! C'était une dernière prédication : pour que tout le monde put en être réconforté, Don Bosco fut exposé le matin du 1er février, vers 6 heures, dans le Sanctuaire de l'église Saint-François de Sales, toute tendue de draperies de deuil. Don Sala dirigeait le transfert, et Don Bonetti, entouré de nombreux confrères Salésiens, récitait les prières du Rituel.

 

LES ENFANTS DE L'ORATOIRE

 

Pendant qu'on prenait ces dispositions, la communauté assistait, dans la grande église de Marie Auxiliatrice, à une Messe solennelle de Requiem, précédée de la récitation du Rosaire et pieusement couronnée par la Communion générale.

 

À l'issue de cette cérémonie, les enfants et les ouvriers de l'Oratoire furent admis à visiter les restes vénérables de leur bienfaiteur. Le jour commençait à paraître, mais les tentures entretenaient une demi-obscurité qui eût imposé le recueillement, si le besoin de prier n'eût pas été le premier à naître dans tous ces cœurs.

Sur l'autel, caché sous les draperies, se dressait une grande croix, l'unique espérance du bien-aimé défunt, qui était assis comme à l'ombre de l'instrument de notre salut : Autour de lui, des cierges nombreux ; leur lumière douce laissait voir ce visage béni, où, après trente heures, la mort n'avait pas encore mis son empreinte.

Cependant les enfants se pressent dans la chapelle devenue trop étroite. À travers leurs larmes, ils cherchent à voir la chère apparition qui est là, devant eux, élevée de quelques degrés, dans le Sanctuaire.

Dans l'attitude de quelqu'un qui dort, la tête, légèrement inclinée à, gauche, les traits calmes, naturels, et presque souriants, les yeux légèrement entr'ouverts, mais dirigés vers le crucifix qu'il serre pieusement dans ses mains jointes, Don Bosco repose. – Il était notre Père ! – répétaient dans un même cri ces mille cœurs brisés par un coup si terrible.

Que de souvenirs touchants, quel monde de pensées saintes et douces, quelle tendresse de filiale affection peuplèrent l'esprit et remplirent l'âme des fils de Don Bosco à ce moment. Instruits des moindres circonstances de la merveilleuse existence de Don Bosco, grâce aux récits que les anciens élèves ont toujours transmis avec reconnaissance aux nouvelles générations de l'Oratoire, ceux de maintenant voient comme tracés sur les murs du modeste édifice, les labeurs incessants de leur Père, dont la charité ne s'est jamais démentie.

 

Il leur apparait, au milieu des occupations humbles et pénibles qu'il s'imposait pour l'éducation religieuse, intellectuelle et matérielle de ses fils. Rien ne l'arrête : les obstacles les plus insurmontables, il en a toujours raison ; et jamais les luttes les plus ardentes ne lui font perdre cette sérénité de calme, qu'il conserve encore après un demi-siècle de fatigues inouïes. Devant ce tabernacle, il forme des projets insensés, qu'il réalise à l'heure fixée par lui, et qui ont rempli le monde de son nom.

 

Dans cette chaire, pendant dix-huit ans, sa parole d'une inconcevable puissance séduit les âmes, les entraîne, et arrache à son jeune auditoire avec des larmes d'attendrissement, d'héroïques résolutions.

 

Derrière l'autel, se trouve son confessionnal entouré de centaines d'enfants qui attendent, à genoux ; le moment de confier à Don Bosco, et rien qu'à lui, le secret de leur conscience. Les anges connaissent les innombrables résurrections spirituelles qui se sont produites aux, pieds de ce prêtre au cœur débordant de charité prudente, d'affection vraie, céleste. Oh ! le voir maintenant, là, immobile !.... ne plus pouvoir se pencher sur ce cœur où des trésors de miséricorde attendaient la pauvre âme-blessée !... : Le voir maintenant, assis devant cet autel où pendant de si nombreuses années il célébra la sainte Messe avec cette dévotion simple, profonde, tendre, mais sans aucune apparence extraordinaire ; avec une confiance qui obtenait tout, mais sans la moindre manifestation extérieure des faveurs merveilleuses qui en étaient la récompense.

 

Les plus anciens de la Maison se rappelaient aussi une parole qui leur paraissait singulièrement mystérieuse, à l'époque où ils l'entendirent de la bouche de leur Père, en 1848.

Don Bosco, juché sur une petite éminence de terrain, avait dit avec un accent prophétique aux nombreux enfants groupés autour de lui : — Un jour ou l'autre, à cet endroit précis, s'élèvera l'autel d'une église ; vous y ferez la sainte Communion et vous y chanterez les louanges du Seigneur.

Et la parole de Don Bosco n'avait pas tardé à se réaliser. Maintenant, Don Bosco reparaissait sur sa chaire d'il y a 40 ans ; mais, cette fois, ses fils groupés autour de lui ne pouvaient plus sentir leur cœur s'enflammer aux accents d'une voix qui pénétrait dans les plus secrets replis de ces jeunes âmes.

Ce spectacle n'a trouvé personne insensible ; et un journal catholique de Turin (1) a reproduit trop fidèlement les impressions de tous, pour que nous ne donnions pas ce passage touchant : « Nous sentions, tous, la grandeur de cet homme, puissant comme un souverain, bienfaiteur comme un Vincent de Paul, doux comme un François de Sales, pieux comme un Alphonse de Liguori. Au milieu du deuil profond causé par une telle perte, on ne pensait à ne chercher de soulagement que dans la prière. Et ce dernier témoignage n'a pas manqué à Don Bosco. Divisés par classes et par ateliers, les enfants de l'Oratoire se succèdent au pied de l'autel de N.-D. Auxiliatrice pour la récitation du Rosaire ; et le soir, à 5 heures, la communauté entière, réunie dans le Sanctuaire, chante solennellement l'office des Morts. Mais, malgré tout, ces prières avaient je ne sais quel ton d'indicible allégresse. Les témoins de telles vertus, se sentaient invinciblement portés à prier ce si bon Père, plus encore qu'à lui assurer des suffrages dont il n'avait plus besoin pour répandre, du sein de la gloire, de précieuses bénédictions sur sa famille religieuse et sur tous ceux qu'il aima d'un amour si divin et si fort. Et sous l'empire de cette conviction, on vit se produire des scènes émouvantes, comme on en lit avec bonheur dans les plus merveilleuses légendes des Saints. »

 

 

LE PEUPLE

 

La petite église de Saint-François de Sales fut ouverte aux visiteurs vers huit heures du matin. On aurait dit que la grande cité tout entière était accourue à l'Oratoire pour saluer la vénérable dépouille de Don Bosco. Le Cours Reine Marguerite et celui du Valdocco livraient passage à une foule immense, calme et recueillie. Pendant toute la journée, la vaste place de Marie Auxiliatrice fut encombrée d'équipages de maître et de voitures de louage. — Allons chez D. Bosco ! , c'est le mot d'ordre qui avait mis en mouvement toute cette multitude. Le peuple, on le sait, pour frapper, en quelque sorte, son jugement sur les hommes et les choses, trouve toujours un mot, un seul, mais profondément juste. L'admirable ensemble d'œuvres de charité fondé par le chanoine Cottolengo, tout près de l'endroit où devait surgir l'Institut de Don Bosco, porte le nom du fondateur ; et désormais le nom de Don Bosco désignera essentiellement l'Oratoire Salésien.

 

Et ce sens délicat du peuple, cette fois encore, ne l'a nullement trompé. Église, oratoire, écoles, ateliers, asile, orphelinat, toute cette grande et harmonieuse réunion d'établissements divers groupés au Valdocco, n'est-elle pas tout entière dans ce mot magique, Don Bosco, l'ouvrier de toutes ces merveilles ? Don Bosco et Cottolengo ! Deux hommes qui résument une histoire d'incomparable charité et de sacrifices héroïques.

 

 

LE SERVICE D ORDRE

 

La foule grossissait à chaque instant. Une armée de vendeurs de journaux distribuait par milliers l'Unità Cattolica et le Corriere Nazionale, tous deux pleins de détails sur Don Bosco, et ornés de son portrait.

L'empressement de cette chère population turinaise offrait un spectacle prodigieux. La presse a estimé à quarante mille le nombre de ceux qui ont défilé devant les restes de l'humble prêtre pendant cette journée de mercredi.

Les précautions prises pour maintenir l'ordre permettent de croire que ce chiffre n'a rien d'exagéré. M. le commandeur Voli, maire de Turin, prévoyant l'affluence dont nous parlons, par une lettre respirant la plus noble délicatesse, avait bien voulu mettre à la disposition des Supérieurs de l'Oratoire de fortes escouades d'agents, tant pour les cours intérieures que pour les abords de la maison. Et durant ces trois jours, les gendarmes, les agents de police et les gardiens de la paix remplirent leurs difficiles fonctions non seulement avec un zèle au-dessus de tout éloge, mais encore en hommes de cœur qui accomplissent une mission de charité.

 

 

DANS LA CHAPELLE

 

Autour du fauteuil où Don Bosco reçoit la visite du peuple, un nombreux clergé – prêtres Salésiens, ecclésiastiques de la ville et de l'Hospice Cottolengo – récite l'office des défunts. Aux deux autels latéraux se succèdent sans interruption des Messes funèbres jusqu'à midi. Au milieu de l'église, des bancs ont été disposés pour les vétérans de l'Oratoire, qui ne peuvent s'arracher à cette filiale et suprême entrevue avec leur Bienfaiteur.

 

Et la foule, introduite par la porte du Patronage du dimanche, pénètre dans la chapelle, défile devant le corps, puis se répand dans les cours intérieures et s'écoule, enfin lentement, à flots pressés, par la grande porte d'entrée, donnant sur la rue Cottolengo.

 

 

QUI EST VENU VOIR DON BOSCO ?

 

La ville entière, représentée par toutes les classes de la société. Jusque vers dix heures, c'étaient les petits commerçants ; de onze heures à deux heures les familles patriciennes vinrent à leur tour apporter leur tribut d'affection et d'admiration à ce mort bien-aimé, pauvre pâtre des Alpes jusqu'à quinze ans, devenu patriarche d'une innombrable famille spirituelle. L'après-midi et la soirée virent accourir le haut négoce, la magistrature, la bourgeoisie aisée et quantité de fonctionnaires de l'État.

 

 

COMMISSIONS POUR LE CIEL

 

Et comme si le Père de tant de pauvres enfants abandonnés, eût voulu leur donner les premiers témoignages de sa sollicitude par delà la tombe, il parut inspirer à des âmes généreuses une pensée qui empruntait aux circonstances une délicatesse infinie. Nous ne citerons qu'un seul de ces actes de touchante charité. Une main pieuse avait glissé dans un pli des vêtements sacerdotaux de notre Père une enveloppe contenant une gracieuse offrande, accompagnée des simples mots : Bien-aimé Don Bosco, priez pour moi.

 

 

PIEUSES DÉMONSTRATIONS POPULAIRES

 

Les visiteurs qui se pressaient dans la petite église de Saint-François de Sales, ne ménageaient point à la dépouille de notre si bon Père les témoignages de leur vénération. Tous lui auraient baisé la main, si une balustrade n'avait protégé le corps contre l'empressement indiscret et peut-être le pieux vandalisme d'une foule tout à l'ardeur de sa foi. On supplie du moins un prêtre, de déposer un instant sur cette main qui ne peut plus bénir, mille objets tels que médailles, images, chapelets, linges, livres de dévotion. Il y a des larmes dans bien des yeux ; et dans tous les cœurs une douleur sincère, une profonde émotion.

Nous avons vu des personnages qu'on eût pu croire blasés par une vie d'alternatives pénibles ou glorieuses, nous les avons vus s'incliner devant ces restes vénérables en murmurant : « C'est un Saint ! »

 

 

ARRIVÉE DE NOMBREUX ÉTRANGERS

 

Vers quatre heures de l'après-midi, l'affluence devenant plus considérable on dut ouvrir à deux battants la porte cochère de l'Oratoire pour, faciliter la sortie. À partir de huit heures on refusa d'admettre les visiteurs qui continuaient à accourir ; mais il fallut céder aux prières instantes de nombreux étrangers, venus de tous les points du Piémont. Le Supérieur ayant accédé à leur désir, ils purent pénétrer dans la chapelle et contempler une dernière fois les traits vénérés de Don Bosco ; la mort n'avait eu encore aucune action sur ce visage : il était demeuré attirant et comme illuminé par les joies d'un rêve céleste.

Tout ce monde aurait voulu visiter aussi le modeste appartement de Don Bosco : mais comment faire défiler 40,000 personnes à travers ces pauvres petites chambres ? Cette consolation fut donc le privilège spécial de quelques personnes isolées. Dans la grande église de Marie Auxiliatrice, des fidèles recueillis se succédèrent pendant toute la journée, offrant de ferventes prières pour l'âme de Don Bosco ; au salut du T.-S. Sacrement, à 7 heures 1/2, cette édifiante démonstration s'accentua encore.

 

 

Le Cardinal Alimonda, Archevêque de Turin

 

Un télégramme expédié de Gênes par S. E. le Cardinal Alimonda fut le dernier évènement de cette journée de pieuse douleur. Le vénérable Archevêque exprimait son désir d'arriver à Turin le lendemain. Mais dans l'état où l'avait jeté la perte de son excellent ami, il ne lui était pas possible de prendre part aux funérailles.

 

 

L'adieu des fils

 

De toutes les cérémonies accomplies dans ces jours de tristesse, l'adieu donné le soir de mercredi par les fils de Don Bosco à leur bien-aimé Père, a été la plus émouvante et la plus féconde en impressions inoubliables.

Vers 9 heures, tous les enfants de l'Oratoire se rendirent dans la petite église où était exposée la chère dépouille, et là, à genoux, ils récitèrent la prière du soir ; celle que leur enseigna Don Bosco.

Puis, au milieu du plus profond silence, Don Francesia adressa à son auditoire toujours agenouillé quelques mots qui allèrent remuer jusqu'au fond de l'âme maîtres et enfants.

« Voyez-vous, là, devant vous, notre bien-aimé Père, avec ce calme imposant du dernier repos, avec ce sourire qui est resté sur ses lèvres ? On dirait qu'il veuille encore vous parler, et vous attendez presque qu'il se lève et vous fasse entendre par la dernière fois le son pénétrant de cette voix si chère.... Mais non, c'est bien fini !.... Il ne peut plus vous les répéter ces saints enseignements qu' il vous donna si souvent.

Et c'est moi qui dois vous laisser ce dernier souvenir. Mais, dans ce Sanctuaire où Don Bosco s'est sacrifié pour vous, que puis-je vous rappeler, sinon la dernière parole qu'il nous a léguée pour vous : Dites à mes enfants que je les attends tous en paradis. »

 

Pendant cette allocution bien courte, Don Bosco, dans la sérénité de la mort, paraissait bénir une fois encore la famille réunie autour de lui.

On eut de la peine à emmener les enfants dans leurs dortoirs : immobiles, vivement émus, ils paraissaient ne plus rien écouter, et ne pouvaient se résoudre à quitter ce si bon Père qu'ils ne devaient plus revoir ici-bas.

 

 

Lettre du Cardinal Alimonda

 

Au soir de cette journée si émouvante, S. E. le Cardinal Alimonda, notre bien-aimé Archevêque, adressait à Don Rua l'admirable lettre qu'on va lire.

Personne n'ignore quelle paternelle bonté le Prince de l'Église a toujours témoignée à Don Bosco et à ses Œuvres ; et nous ne prétendons apprendre à personne combien D. Bosco éprouvait de vénération et d'amour pour le premier Pasteur du diocèse :

 

 

« TRÈS RÉVÉREND ET TRÈS CHER DON RUA,

 

Je crois inutile de vous dire quelle amère tristesse me cause la nouvelle que m'apporte votre télégramme. Mon vénéré et cher Don Bosco n'a pas voulu attendre que je vinsse, une fois encore, lui baiser la main et me recommander à son intercession auprès de Dieu ! Conformons-nous à la volonté du Seigneur.

Je vous présente, mon T. R. et très cher Père, et en vous à toute la Congrégation Salésienne, mes plus vives condoléances.

Bien que j'aie de fortes raisons de croire qu'il a déjà reçu la récompense de ses vertus et de ses immenses fatigues pour la gloire de Dieu, je vous promets d'unir mes prières à toutes celles qui de tous les points de l'Italie et du monde entier s'élèveront vers Dieu pour le repos de l'âme bénie de votre Fondateur. Je vous embrasse dans le Seigneur, mon cher Don Rua, et je vous bénis, vous et vos confrères, en me disant plus que jamais, mon T. R. et très cher Père,

 

Votre tout affectionné en J.- C.

Signé : GAÉTAN, card. arch.

Gênes, S. Francesco d'Albaro, 31 janvier 1888. »

 

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Avant la Messe de funérailles

 

Des prêtres de la Maison et des Coopérateurs Salésiens passèrent la nuit dans la chapelle ardente. À l'aube du jeudi, 2 février, le corps, revêtu des ornements sacrés, fut déposé dans un triple cercueil. Le premier est en chêne avec vis, poignées et ornements en bronze doré ; sur le couvercle apparait une grande croix. Le second est de plomb ; et le troisième, qui contient le corps, est en zinc, capitonné de soie.

On aurait dû le former complètement et souder le couvercle ; mais on voulut attendre l'arrivée des Directeurs de France pour leur procurer la consolation de contempler une dernière fois les traits de leur Père bien-aimé.

Dès 8 h 1/2, le vaste cours Regina Margherita est sillonné par une foule considérable, se dirigeant vers l'église de N.-D. Auxiliatrice. Dans la rue Cottolengo, les gardiens de la paix, les agents de police et les gendarmes ont fort à faire pour opposer une digue à ce flot de peuple qui augmente à chaque instant. Les voitures ne peuvent plus avancer ; et à la porte de l'Oratoire, les gendarmes ne réussissent qu'à grand peine à frayer un passage aux amis de Don Bosco, aux Coopérateurs et Coopératrices.

Sur le fronton de l'église, au milieu des draperies du deuil, une courte inscription apprend aux fidèles que des orphelins vont demander le repos du juste, pour leur Père rappelé à Dieu.

 

 

L'ASSISTANCE

 

Dans la première cour on aperçoit un certain nombre d'étrangers, en habits de voyage. Ce sont des pèlerins Français, Suisses et Irlandais, les uns se dirigeant sur Rome, les autres qui en reviennent après avoir assisté aux fêtes jubilaires. Tous ont modifié leur itinéraire pour assister aux funérailles de Don Bosco.

On remarque aussi quantité de prêtres turinais, dont l'attitude dit bien quelle part ils prennent à l'affliction de la famille Salésienne.

 

 

DANS L'ÉGLISE

 

Les places destinées aux fidèles sont occupées de grand matin. Sous le dôme s'élève le catafalque surmonté d'un baldaquin.

Derrière le maître-autel, et sur les tentures qui voilent le tableau de N.-D. Auxiliatrice, apparaît une très grande croix, dessinée avec des lames de drap d'argent.

Cette foule garde un silence recueilli ; le murmure confus à peine perceptible lui arrive du dehors,  dit seul le désir de tout un peuple de s'associer à une démonstration de filial amour.

Autour du catafalque sont rangées les Filles de Marie Auxiliatrice et les dames de la ville : tout à fait devant la balustrade du Sanctuaire, les invités de distinction ont trouvé des places réservées.

 

 

ARRIVÉE DU CORPS

 

Une psalmodie encore éloignée annonce l'arrivée du corps. Bientôt une porte latérale s'ouvre et l'on voit apparaître les ecclésiastiques qui portent le cercueil où repose le Père de tant d'orphelins. Quand le porte du catafalque s'est refermée sur lui, de nombreux flambeaux ornés des armes de la Société Salésienne, et chargés de couronnes, sont allumés en un clin d'œil : la Messe va commencer.

 

Il est neuf heures et demie.

Une longue file d'enfants de chœur débouche de la sacristie, les ministres sacrés suivent lentement, enfin Mgr. Cagliero s'avance : sa douloureuse émotion est très visible.

Aux premières notes du Requiem, une tristesse indicible envahit l'assistance et nous avons vu bien des larmes...

Oh Monseigneur Cagliero ! Quand tout jeune prêtre, vous révéliez déjà votre âme dans cette Messe funèbre, où l'art délicat et grand le dispute au sentiment vrai des paroles liturgiques, vous étiez loin de penser qu'elle serait chantée un jour, en présence du jeune prêtre devenu Pontife, et aux funérailles de votre bien-aimé Don Bosco !

 

Les enfants de la famille eux-mêmes, saisis par la puissance de votre touchante composition, chantaient avec le cœur, et pour dire vos mélodies, mêlèrent bien souvent leurs voix à des sanglots.

L'absoute fut donnée à 11 h et demie.

 

Au cours de la cérémonie, un rapprochement digne d'être noté se présenta à notre esprit. Depuis plusieurs années, Don Bosco demandait à Dieu de pouvoir chanter son Nunc dimittis le jour où il aurait amené au point voulu par la Providence son Œuvre commencée au Nom du Seigneur.

 

Et ses funérailles avaient lieu précisément le jour, où près de vingt siècles auparavant, le Nunc dimittis résonnait par la première fois dans le cœur et sur les lèvres du saint vieillard Siméon.

 

 

Procès-verbal déposé

dans le cercueil de Don Bosco

 

Le jeudi, à 2 heures de l'après-midi, avant de faire souder le cercueil de Don Bosco, en présence des docteurs Albertotti et Bestente, le procès-verbal suivant, lu d'abord à haute voix puis signé par les deux médecins nommés plus haut et par plusieurs Supérieurs des Salésiens, témoins oculaires, fut enfin placé dans une bouteille de verre que l'on scella soigneusement. La bouteille contenant le parchemin a été déposée près des pieds du défunt.

 

Voici le texte du procès-verbal :

 

« Les soussignés certifient que dans ce cercueil repose la dépouille mortelle de Don Jean Bosco, prêtre, Fondateur de la Congrégation de Saint-François de Sales, des Filles de Marie Auxiliatrice et des Coopérateurs Salésiens. Il naquit à Castel nuovo d'Asti, le 15 août 1815, de François et de Marguerite Occhiena, et mourut d'une consomption lente de la moelle épinière, comme il résulte du bulletin de décès remis au Municipe et signé du médecin traitant, le docteur Albertotti, le 31 janvier 1888, à 4 h. 3/4 du matin, quelques minutes après l'Angélus, qui parut la voix de la Vierge Auxiliatrice l'appelant au ciel ; sur la fin de l'année neuvième du glorieux Pontificat du très sage Pape Léon XIII,  sous l'épiscopat de S. E. le cardinal Alimonda, archevêque de Turin, et sous le règne de Humbert 1er de Savoie, notre Souverain.

L'histoire dira la charité et le zèle admirable, les fondations diverses, la grandeur et l'héroïsme des vertus, la vie entière de l'illustre défunt et le deuil public causé par sa mort.

Le cadavre est revêtu de la soutane et des ornements violets, comme pour célébrer la sainte Messe.

Le cercueil renfermé, avec le présent parchemin, et scellées également dans un étui de verre, trois médailles de N.-D. Auxiliatrice et une autre médaille commémorative du Jubilé Sacerdotal de Léon XIII.

Restes précieux, objets de si douloureux regrets et arrosés de tant de larmes, reposez en paix jusqu'au jour où la trompette de l'ange vous appellera, vous aussi, à l'éternité de la gloire ; que l'âme dont vous étiez animés veille sur nous des splendeurs des cieux, où nous avons la douce persuasion de la savoir déjà heureuse en Dieu et en Marie, qu'elle aima d'un si grand amour et en qui elle eut toujours la plus inébranlable confiance.

Turin, 2 février 1888. »

(Suivent les signatures)

 

Pour la dernière fois, les quelques personnes admises à la triste cérémonie purent contempler les traits de ce Père bien-aimé, et baiser cette main bénie, parfaitement souple encore ; puis le couvercle fut sondé.

Adieu, saintes dépouilles de Don Bosco ; vous disparaissez pour toujours !

Avec vous s'éteint le flambeau de la charité turinaise, l'Apôtre de la jeunesse, le Père du peuple.

Vous nous ravissez ce regard d'une si pénétrante douceur, qui convertissait ; cette voix harmonieuse, qui ne se faisait jamais entendre sans annoncer la bonne nouvelle ; cette main qui s'est toujours levée pour bénir, ces pieds qui ont constamment parcouru les voies de Dieu, pour évangéliser la paix et tous les biens.

Adieu, dépouilles vénérées ! Vous descendez dans la tombe; mais nous gardons au milieu de nous la grande âme de Don Bosco : elle plane sur sa famille de la terre, et ses exemples seront une voix qui parlera toujours à nos cœurs.

 

 

L'enterrement

 

Il a eu lieu dans l'après-midi du jeudi 2 février, à 3 heures 1/2. Bien avant le commencement de la cérémonie, les abords de l'Oratoire sont encombrés d'une multitude immense. Sur tous les points de la ville, les tramways sont pris d'assaut ; et une interminable file de voitures amène à chaque instant les personnes de condition. L'avant-veille déjà, à l'annonce de la mort de Don Bosco, beaucoup de magasins avaient suspendu la vente, en indiquant, par un écriteau, la cause de cette mesure ; mais aujourd'hui ce témoignage des regrets du peuple s'était accentué dans une proportion considérable, dès midi ; et à 3 heures un certain nombre d'ateliers et de manufactures avaient donné congé à leur personnel.

 

 

L'ASSISTANCE

 

Les journaux l'ont évaluée à plus de cent mille personnes ; et l'on peut croire que ce chiffre est loin d'être exagéré. Sur un parcours d'environ deux kilomètres, le cortège funèbre a constamment défilé entre deux rangées profondes de gens dont l'attitude ne révélait autre chose que la curiosité.

On sait qu'en Italie les balcons, qui remplacent un corridor intérieur, sont prodigués même dans les plus humbles demeures ; pour la circonstance, ils deviennent autant de tribunes commodes ; et ils sont chargés de façon à faire naître des doutes sur leur force de résistance.

Tous les arbres supportent des Zachées ; ils ont dû renoncer à percer le mur humain qui les séparait du cortège ; et leur maintien respectueux dit assez qu'ils font un acte de foi.

Les reporters, eux aussi, ne trouvent pas de meilleur observatoire ; et on les voit prendre leurs notes pour les éditions que publient plusieurs fois le jour les feuilles de la ville.

Les dessinateurs des journaux illustrés ne sont pas en reste avec leurs confrères : installés sur les fiacres, ils jettent des croquis sur leurs albums.

Tout ce monde garde un silence peu ordinaire à ces assises d'une population entière.

Don Bosco, dans un petit mémorial écrit de sa main, avait recommandé une grande modestie pour ses funérailles : la seule chose qu'il désirât de tout son cœur, c'était d'être accompagné à sa dernière demeure par ses fils. Cette volonté suprême, pour ce qui est de la simplicité des obsèques, a été accomplie, mais le bon Père n'avait nullement besoin de demander comme une grâce la présence de tous ses enfants : sans même connaître ce désir de Don Bosco, ils étaient accourus de bien loin.

 

 

SORTIE DU CORTÈGE

 

Il est 3 heures et demie. Les cloches de Marie Auxiliatrice sonnent des glas et donnent le signal de la mise en marche.

La foule, qui occupe la place et les rues adjacentes, rend d'abord tout mouvement impossible ; mais bientôt les gardiens de la paix obtiennent un étroit passage en faisant avancer une voiture.

 

 

LE DÉFILÉ S'ORGANISE - SA COMPOSITION

 

Voici l'ordre du cortège :

Enfants de Marie des paroisses St. Donat et St. Joachim. École primaire supérieure Sainte-Thérèse, de Chieri, dirigée par les Sœurs de Marie Auxiliatrice (Religieuses de Don Bosco). Enfants et jeunes gens du Patronage du Dimanche. Les Coopératrices Salésiennes, en très grand nombre. Élèves de l'Oratoire Salésien et de la Maison de St. Jean l'Évangéliste, divisés par classes et par ateliers. Religieux Coadjuteurs.

Anciens élèves de Don Bosco. Professeurs,  journalistes,  musiciens, instituteurs, écrivains, artistes, industriels, tous s'avancent côte à côte, unis dans la sainte et durable amitié des jours de leur éducation chrétienne, comme aussi et surtout dans leur filiale vénération et leur profonde reconnaissance envers le maître et le Père de leurs jeunes années.

De tous les hommages rendus à l'humble prêtre, celui des hommes qu'il achemina vers le travail honoré et béni de Dieu, en leur donnant le pain du corps, de l'intelligence et de l'âme, est de beaucoup le plus touchant.

La musique instrumentale de l'Oratoire, avec sa bannière voilée d'un crêpe.

Immédiatement après, venait le clergé. Les Frères Mineurs de la paroisse St. Antoine. Les scolastiques Salésiens, au nombre de plus de deux cents.

Les prêtres, par rang d'ancienneté.

Une quarantaine de curés de Turin et du dehors.

Plusieurs chanoines de là ville et des diocèses voisins.

Leurs Grandeurs NN. SS. Cagliero,  évêque de Magida ; Loto, évêque de Samarie, et Bertagna, auxiliaire du Cardinal de Turin, évêque de Capharnaüm, entourés de diacres, sous-diacres et prêtres assistants.

Suivait le cercueil, porté par huit Salésiens. Plusieurs prêtres, français et italiens, avaient sollicité l'honneur de rendre ce pieux devoir au bien-aimé défunt ; mais les fils de Don Bosco obtinrent que cette consolation leur fût exclusivement réservée.

Sur le drap qui recouvrait la bière, on avait disposé les ornements sacerdotaux et les deux médailles d'or décernées à l'apôtre de la jeunesse par la Société géographique de Lyon et par l'Académie de Barcelone.

À mesure que passait la vénérable dépouille, tout le monde se découvrait avec respect, beaucoup tombaient à genoux, et le peuple n'avait qu'une voix pour murmurer ces paroles qui depuis deux jours étaient dans toutes les bouches : C'était un saint !

Des prêtres, entourant le cercueil, portaient les couronnes offertes par le Chapitre Supérieur de la Pieuse Société Salésienne, qui était rangé immédiatement derrière la bière.

Don Rua, défait par les douloureuses émotions des jours derniers, et abimé dans son immense douleur, s'avançait entre Don Durando et Don Sala, suivi des quatre autres membres du Chapitre.

Ce cortège, qui défile depuis une grande heure, semble commencer à peine.

Voici en effet :

Un nombre considérable de prêtres ;

Une députation de l'Archevêché et des Oblats de la Consolata ;

Les prêtres de la Société de St. Thomas ;

Les élèves du grand Séminaire ;

Des membres de tous les Ordres religieux ayant des Maisons à Turin ;

Une députation du Collège degli Artigianelli ;

Des membres de la presse, rédacteurs ou correspondants des journaux de Turin ; Milan, Gênes, Rome, Ivrée, etc., etc. ;

M. le comte de Viancino, président de l'Œuvre des Congrès Catholiques, et une grande partie de la noblesse du Piémont ;

Les délégués de l'Unione Conservatrice ;

Le Conseil Central de l'Union Catholique ouvrière de Turin ;

L'Union des Aspirants ouvriers catholiques ;

La Jeunesse Catholique ;

L'Union du Courage Catholique.

Toutes ces Sociétés marchent bannière en tête, comme toutes les autres, du reste, venues de tous les points : nommons seulement celles de Saluggia, Chieri, Orbassano, Asti, SantenaNizza Monferrato, etc., etc.

 

Le haut personnel enseignant des Établissements de l'État n'avait pas voulu rester étranger à cette démonstration en l'honneur d'un grand éducateur de la jeunesse. Nous avons remarqué M. l'abbé Parato, docteur en théologie de la Faculté catholique de Turin, et proviseur du Collège National ; et M. le commandeur Scavia.

Parmi les nombreux étrangers qui avaient pris place dans le cortège, on nous a nommé : un représentant du Mouvement Catholique, du Chili ; M. Jules Auffray, de la Défense, de Paris ; M, l'abbé J. Romanet, délégué du Petit Séminaire de Pont de Beauvoisin.

Ces diverses députations marchaient entre une double haie de domestiques en livrée, portant un cierge avec écusson aux armes de la famille patricienne à laquelle ils appartiennent. Le Municipe, lui aussi, avait envoyé des appariteurs en grande tenue.

On voyait enfin, avec une profonde édification, plusieurs centaines de personnes pieuses suivre le cortège en récitant le Rosaire.

Pour donner une idée aussi exacte que possible du défilé, nous dirons que la tête rentrait à l'église quand les derniers rangs en étaient encore éloignés d'un grand kilomètre.

D'après le témoignage des journaux, jamais à Turin on n'avait vu un concours si considérable et si spontané.

 

Don Bosco, enfant du peuple, bienfaiteur du peuple, a reçu du peuple la plus grande et la plus imposante manifestation d'amour et de vénération qu'on puisse imaginer.

La splendeur de ces funérailles n'a eu d'égale que leur simplicité.

Tous ceux qui y ont pris part sont fils, élèves, admirateurs de Don Bosco ; et ce n'est pas la curiosité ou un souci banal des convenances qui les a fait venir, mais un immense sentiment de gratitude, un irrésistible élan de pieuse affection.

On ne pouvait voir sans émotion ces milliers d'enfants garder un maintien parfait, et s'avancer, tête nue, tristes, mais tout à la prière qui leur montait du cœur aux lèvres.

Ni le froid, ni la foule ne pouvaient les distraire de la pensée du bonheur éternel .de leur Père bien-aimé.

 

 

FUNÉRAILLES OU TRIOMPHE ?

 

Le second mot seul rend convenablement l'impression de tous. Sans doute, on conduisait à sa dernière demeure la dépouille mortelle de Don Bosco ; mais il était plus vivant que jamais dans la vénération de la multitude, dans cet hommage universel rendu à sa mémoire, dans la grandeur des Institutions nées de son amour pour les pauvres et les petits.

Ce mort ne disparaît point : il demeure parmi nous et aura un regain de vie dans les milliers de prêtres, de religieuses, d'enfants, d'ouvriers qui perpétueront les traditions de ses douces et fortes vertus, que la sève de l'Évangile a toujours honorées et fait grandir.

Les chants funèbres n'avaient point cette cadence qui serre le cœur et appelle les larmes ; la mélodie sacrée jetait dans l'âme la persuasion consolante et ferme que Dieu avait déjà récompensé son serviteur. Et ces impressions étaient celles de tous.

Un étranger, attiré par la foule, demande à un prêtre Salésien :

— Qu'est-ce donc qui a rassemblé tout ce monde ?

— Les obsèques d'un prêtre.

— Obsèques, dites-vous ? Mais c'est une apothéose !

— Il ne m'appartenait pas de l'exprimer ; mais c'est aussi ma pensée.

 

Une scène gracieusement touchante a ému tous ceux qui ont pu en jouir. On était arrivé devant l'hospice Cottolengo. Une niche pratiquée dans la façade contient un très beau groupe qui résume la vie entière du saint ami des malades abandonnés.

Debout, Cottolengo jette un regard de divine compassion sur un vieillard et un enfant, tous deux infirmes, et à genoux près de lui, dans l'attitude de la supplication ; mais ce regard n'est pas l'expression d'une tendresse purement philanthropique : le Vénérable, qui tend une main aux deux malheureux, de l'autre leur montre le ciel, où ceux qui souffrent chrétiennement ont leur place assurée.

Tout à fait au-dessous de cette niche, on voit deux fenêtres éclairant une salle pour les enfants malades.

Au moment où le cercueil s'arrêtait précisément devant la statue de Cottolengo, les deux fenêtres se remplirent de têtes mignonnes, se pressant et s'agitant pour connaitre la cause de cette affluence inaccoutumée.

La vie que dégageait ce tableau d'un charme ineffable sembla passer dans le marbre et lui prêter le mouvement ; et on ne peut point oublier ce spectacle de Cottolengo montrant le ciel à Don Bosco, qui, après lui et à son exemple, avait poussé le sublime cri de l'amour en Dieu : Charitas Christi urget nos.

 

 

LA RENTRÉE À L'ÉGLISE

 

Elle fut imposante et s'effectua dans l'ordre le plus parfait. Les agents n'avaient qu'à faire signe pour être obéis sur le champ ; et ils en manifestaient hautement leur surprise : c'est que les foules ne sont pas coutumières d'une pareille docilité.

Déjà au sortir de l'église, quand la multitude avait aperçu le cercueil, elle s'était précipitée pour mieux satisfaire ses sentiments de pieuse vénération. Un seul mot des gardiens de la paix eut raison de cet empressement.

Et la rentrée offrit le spectacle de la même attitude respectueuse et calme. Quel concours cependant !

Voici le cercueil. Il pénètre dans l'église où les confrères et le clergé ont déjà pris place. La musique de l'Oratoire joue une marche funèbre ; les cloches font entendre des glas ; mais la vue seule est saisie en présence de cet appareil grandiose. L'éclat de milliers de cierges, le nombre d'ecclésiastiques qui occupent une grande partie de l'édifice, la foule immense qui s'étend jusque sur les cours avoisinants, tout donne à ces funérailles les dehors d'un triomphe.

— Mais c'est l'arrivée au ciel ! dit-on autour de nous.

 

NN. SS. Loto et Cagliero s'étant placés de chaque côté de l'autel, Mgr. Bertagna resta au milieu du sanctuaire ; il terminait à peine l'absoute, quand le peuple donna un témoignage édifiant de sa foi profonde. Tous se précipitaient pour baiser le cercueil comme on baise les choses saintes. En un instant, les couronnes eurent disparu. Ceux qui n'avaient pu avoir une fleur, se préparaient à mettre en pièces le drap mortuaire, si un service d'ordre, promptement organisé, n'eût protégé et le drap et le cercueil, également menacés. La vénérable dépouille fut alors transportée dans l'église St.-François de Sales, en attendant la déposition.

Et maintenant, se diront nos lecteurs, quel vide a dû faire ce départ ! Et dans quelle tristesse cette séparation aura plongé tous les cœurs !

Sans doute, le coup a été terrible et profond, bien que la Providence y eût préparé toute la famille Salésienne avec des ménagements infinis. Mais nous ne pouvons prononcer même ce mot de tristesse.

Ce si bon Père a laissé à ses enfants une joie et.une paix dont chacun a reçu une abondance singulièrement douce.

Ceux qui le matin encore avaient pleuré, ne le pouvaient plus ; ils recouvrèrent une tranquillité que les deuils ordinaires sont loin de procurer. Il semblait à tous que Don Bosco fût encore en vie et au milieu de ses fils.

— Quelle belle fête ! entendait-on répéter de tous côtés ; et ceux que cette parole avait jetés dans l'étonnement, ne tardaient pas à la dire à leur tour, avec une conviction que rien ne pourra ébranler.

Puis on se rappelait ces mots pleins d'enseignements et de paternelle affection qui s'échappaient comme naturellement des lèvres de Don Bosco ; et les traits les plus aimables de sa vie, se représentant à la mémoire de tous, inondaient nos âmes de cette joie qui surpasse tout sentiment.

Le deuil était fini. Nous sentions tous que Don Bosco vivait et qu'il n'était pas loin.

 

 

Léon XIII et Don Bosco

 

Le lendemain, 3 février, une lettre adressée par Son Éminence le Cardinal Mariano Rampolla, secrétaire d'État, à Don Rua, vicaire général de la Congrégation Salésienne, venait mettre le sceau de la dernière joie à notre mystérieuse tranquillité.

Les termes de cette lettre ont été suggérés par le Vicaire de Jésus-Christ lui-même :

 

« Rome, le 2 février 1888

MON RÉVÉREND PÈRE,

 

La porte de Don Jean Bosco, à qui les Œuvres de charité fondées par lui, son zèle infatigable à procurer de tout son pouvoir le bien des âmes, toute une vie consacrée à faire connaître et adorer jusqu'aux extrémités de la terre le nom infiniment saint de Dieu, avaient attiré l'estime, l'affection et l'admiration universelle ; la perte de cet Apôtre produit un vide, qui est pour l'Église ; comme aussi et avec tant de raison pour ses fils, privés d'un Père tout aimant et d'un exemple des plus belles vertus, une véritable affliction.

Et pour mon compte, je puis dire que dans le cœur de Sa Sainteté le triste évènement a fait une impression d'autant plus douloureuse, que la bienveillance constante du Saint-Père envers ce prêtre si méritant était plus grande, et qu'il attachait plus de prix à ses œuvres innombrables, toutes fécondes en fruits de salut et de sainteté ; s'adressant à la miséricordieuse bonté divine, le Saint-Père la supplie d'accorder à cette âme bénie une large récompense de ses travaux, dans la gloire du ciel.

Quant à la Société Salésienne tout entière, Sa Sainteté, du fond de son cœur, lui envoie la bénédiction apostolique, tenant pour certain que cette bénédiction lui sera un soulagement dans la pénible éprouve qui la frappe et un stimulant à poursuivre la sainte entreprise du défunt, entreprise qui forma l'objet de ses sollicitudes de tous les instants, durant les longues années de sa carrière mortelle.

En union de pensées avec le Saint-Père, je vous souhaite tous les biens et me déclare dans des sentiments d'estime distinguée,

 

Votre très affectionné et dévoué

M. Card. RAMPOLLA. »

 

 

L'Archevêque de Paris et Don Bosco

 

S. G. Mgr. l'Archevêque de Paris a daigné adresser à Don Rua, nouveau Supérieur des Salésiens, la lettre suivante, écrite de sa main :

 

« Paris, le 1er février 1888.

MON CHER ET RÉVÉREND PÈRE,

 

Je veux vous dire toute la part que je prends au deuil de votre famille, Salésienne. Je regarde comme une grâce de Dieu d'avoir pu, en passant à Turin, voir encore une fois votre vénérable Père, recevoir sa bénédiction et l'entendre me dire qu'il bénissait tout Paris.

J'ai la confiance avec vous qu'il est au ciel, mais je célèbrerai une Messe pour lui, parce que l'Église nous apprend à prier pour les défunts dont nous avons le plus vénéré la vertu.

Veuillez, mon cher et révérend Père, agréer l'assurance de mon affectueux et respectueux dévouement en N. S.

FR. Arch. de Paris. »

 

 

L'Épiscopat français et Don Bosco

 

L'admirable Épiscopat français a pris à notre épreuve une part qui nous a été une précieuse consolation.

Nous ne donnons point la liste des Prélats qui ont adressé à D. Rua leurs condoléances soit directement, soit par l'intermédiaire des Directeurs de nos Maisons de France : aucun n'y a manqué.

Toutes les lettres respirent la même paternelle bienveillance pour Don Bosco et ses fils ; toutes expriment le vif regret de voir cette existence bénie couronnée trop tôt pour le bien de l'Église entière.

Le vénérable Évêque de Saint-Flour a exprimé avec un si grand bonheur ce double sentiment, que son témoignage nous paraît résumer tous les autres. Une telle page venant de si haut, est un trésor d'édification que nous n'avons pas le droit de garder pour nous seuls.

 

 

« Saint-Flour, le 4 février 1888.

MON RÉVÉREND PÈRE,

 

Permettez-moi de joindre mes sentiments de profonde et religieuse condoléance à ceux qui vous arrivent de toutes les parties du monde, au sujet de la mort du vénéré Fondateur de votre Ordre, il faudrait dire plutôt, du Saint que le Ciel vient de ravir à la terre. À vos regrets, mon révérend Père, je joins aussi mes prières, puisque tel a été le désir si humblement exprimé par Don Bosco lui-même.

Mais surtout, ce à quoi je vise, c'est que mon hommage, et non seulement le mien, mais aussi celui des prêtres et des bons catholiques de mon diocèse, arrive, avec nos communs regrets, à cette mémoire bénie du grand Apôtre de la jeunesse ; et je désire que cet hommage ne se borne pas à un sentiment d'admiration, mais qu'il soit surtout une supplication auprès de celui qui, du haut du ciel, la protégera plus efficacement encore, cette pauvre jeunesse, qu'il aimait tant et qu'il conduisait si sûrement, sur la terre, dans la voie du devoir et dans les sentiers de la vertu.

 

Quelle reconnaissance ne devrais-je pas à Don Bosco, mon révérend Père, s'il pouvait inspirer à ses fils, ou plutôt à son digne Successeur, la pensée de venir fonder dans mon diocèse une de ses maisons qui font tant de bien à la jeunesse !... (2). Une ville de ce diocèse,  Aurillac, chef-lieu du département, se prêterait tout particulièrement à cette fondation. Et quel besoin la jeunesse de cette ville n'aurait-elle pas d'un patronage et d'autres œuvres de préservation !

C'est un vœu que j'exprime, mon révérend Père, et que je dépose dans votre cœur, après l'avoir placé sous les auspices de Don Bosco.

En attendant qu'il se réalise peut-être un jour, veuillez agréer, mon révérend Père, l'assurance de mon respectueux et tout cordial dévouement en N.-S.

 

F. M. BENJAMIN, Ev. de St.-Flour. »

 

 

Nous donnons ici la lettre toute de paternelle bienveillance que S. G. Mgr. Balaïn, évêque de Nice, à la nouvelle de la mort de Don Bosco, a bien voulu adresser à nos confrères dirigeant la Maison Salésienne établie dans sa ville épiscopale. Le témoignage qu'on va lire a apporté à notre pénible épreuve l'adoucissement dont la foi contient les promesses et le secret ; une fois de plus et dans une circonstance où il est particulièrement doux de le savoir, nous avons appris que la petite famille Salésienne de Nice trouvera toujours en Monseigneur l'Évêque un Père dont l'affection nous est une force et l'appui une bénédiction.

 

« Nice, le 4 Février 1888

MONSIEUR L'ÉCONOME,

 

Je regrette de n'avoir pas été prévenu, hier matin, quand, vous vous êtes présenté à la villa Ste. Agathe. Nous étions réunis pour le Conseil épiscopal ; mais je serais descendu un moment pour vous dire toute la part que je prends à votre si légitime douleur et à tous vos regrets.

Vous avez perdu votre fondateur et votre Père bien aimé. L'Église perd un de ses plus admirables apôtres, Don Bosco. Il continuera à vous assister du haut du ciel. J'espère qu'il n'oubliera pas Nice qui lui fut chère et qui lui a donné tant de témoignages de vénération et de pieuse sympathie, en échange de ses prières, de ses conseils et de tous ses bienfaits.

Voulant moi-même m'associer, autant qu'il est en moi, à vos prières et à vos regrets, voulant aussi donner au nom de mon diocèse un témoignage de gratitude au vénéré défunt, j'irai mercredi prochain présider le service funèbre que vous vous proposez de célébrer à la mémoire du saint défunt. J'assisterai à la Messe et je donnerai l'absoute.

Veuillez transmettre à vos frères de Turin l'expression de mes plus sympathiques et de mes plus vives condoléances.

Recevez, Monsieur l'Économe, l'assurance de mes sentiments bien dévoués en N.- S.

 

MATHIEU-VICTOR,

Évêque de Nice »

 

 

Nous ne voulons pas non plus oublier, dans l'expression, de notre gratitude, les nombreux Évêques étrangers et Missionnaires qui ont fait leur deuil du nôtre. Citons seulement l'Evéque de Marbourg et celui de Visigapatam.

 

 

Le sépulcre de Don BoscO

 

VALSA LICE - NÉGOCIATIONS.

 

C'est sous l'église de N.-D. Auxiliatrice et dans un caveau préparé tout exprès que nous comptions garder notre vénéré Père. Mais l'Autorité civile ayant refusé la permission spéciale requise en pareille circonstance, le choix du Chapitre se porta sur la Maison Salésienne de Valsalice, près Turin, dans laquelle on a installé le Séminaire des Missions de Don Bosco (3). Bien que Valsalice soit tout à fait en dehors de l'enceinte de la ville, le bon vouloir officiel s'attardait encore dans une telle série d'hésitations, qu'on dut prévoir le cas où le cercueil serait dirigé sur une autre Maison, mais hors de l'Italie.

La perspective de cette éventualité et de l'effet que produirait une mesure si inattendue, a-t-elle été de quelque poids dans la balance administrative ? Nous ne saurions le dire. Toujours est-il que le permis d'inhumer fut libellé pour Valsalice.

 

 

Cérémonie de la mise au tombeau.

 

En conséquence, le soir du 4 février, à 5 heures 1/4, le cercueil quittait l'Oratoire. Don Rua le couvrit de baisers et de larmes tandis qu'on le glissait dans le corbillard.

Avec Don Rua, prirent place dans la voiture qui servait aux promenades de Don Bosco, Monseigneur Cagliero, Don Sala et Don Bonetti. De Turin à Valsalice on récita le chapelet.

 

On arrive au Séminaire des Missions, où le cercueil pénètre par le cloitre qui aboutit à la chapelle. Les scolastiques et les professeurs de la Maison, un cierge à la main, forment la haie, et huit d'entre eux transportent la bière dans l'église, où Mgr. Cagliero donne l'absoute ; immédiatement suivie de l'Office des Morts, chanté par les 120 scolastiques du Séminaire.

Don Sala, Économe de la Congrégation, entoura le cercueil de trois rubans de soie, fixés chacun par deux cachets de cire portant le sceau de la Pieuse Société de St.-François de Sales.

 

Pendant ce temps, on achevait de préparer le caveau, pratiqué à 1 m. 20 du sol, dans le mur plein de l'escalier double qui relie la grande cour à la terrasse de la chapelle. Don Cerruti, Don Lazzero ; la Supérieure générale des Filles de Notre-Dame Auxiliatrice accompagnée de deux religieuses ; et un certain nombre de Confrères venus de Turin, se joignirent, au cortège qui parcourut tout le cloître avant de s'arrêter devant la tombe. Monseigneur Cagliero la bénit, puis renouvela l'absoute et Don Bosco prit possession de sa dernière demeure.

Enfin, en présence de plus de 130 personnes, les ouvriers fermèrent le caveau avec une pierre qui est un peu en retrait, afin de laisser la place d'une plaque de marbre destinée à recevoir l'inscription. Le moment où le cercueil disparaît aux yeux de tous fut une minute déchirante. Nous ne décrirons pas autrement ce sépulcre plus que modeste, dont l'emplacement n'est guère celui que nous aurions choisi ; disons seulement à nos chers Coopérateurs que la piété des fils s'occupe déjà de disposer en ce lieu, privilégié, où repose le Père, quelque chose de moins provisoire et de moins désolé.

 

 

Après la CÉRÉMONIE

 

Quand la Communauté fut de nouveau réunie dans la chapelle, Mgr. Cagliero lui adressa la parole. –  Les Supérieurs remettent à leurs confrères de Valsalice le précieux dépôt d'un sépulcre que la puissance divine pourrait bien visiter un jour : à eux de le garder comme un grand trésor. –Ce Séminaire des Missions devient comme le temple de la Société tout entière : apprécier une telle faveur, et en témoignage de reconnaissance, accueillir avec un amour vraiment fraternel les Salésiens des autres Maisons qui viendront visiter notre Père bien-aimé. – Aller souvent auprès de cette tombe bénie nous retremper dans la ferveur, demander à Don Bosco un accroissement toujours plus grand de son esprit en nous,  et une part du riche héritage de vertus qu'il laisse à ses enfants.

 

Après avoir développé ces diverses considérations, Monseigneur termina en ces termes :

« Les premiers chrétiens allaient sur le tombeau des martyrs apprendre le secret de combattre pour la foi, de souffrir et de mourir pour Jésus-Christ ; St. Philippe de Néri trouva sa vocation d'Apôtre de Rome dans ses fréquentes visites aux catacombes ; à leur tour, les générations Salésiennes viendront puiser auprès de la tombe de Don Bosco cette force divine qui l'a toujours soutenu au milieu des dures épreuves que lui ont coûtées la gloire de Dieu et le salut des âmes ; et, près de leur Père, les fils sentiront s'allumer dans leur cœur cette flamme de charité dévorante qui le fit apôtre non seulement de Turin, du Piémont, de l'Italie, mais encore des régions les plus lointaines de la terre. »

 

Don Rua ne pouvait se taire en un jour et dans une circonstance où il devenait le Père de la famille Salésienne. Il avait, du reste, à cœur de signaler le jeu tout aimable par lequel la bonne Providence du bon Dieu, elle-même, avait voulu confier aux jeunes Missionnaires de Valsalice le corps de Don Bosco.

 

— En septembre dernier, dit-il, le Chapitre venait de décider que la Maison serait ouverte aux enfants dont la famille goûte peu l'éducation de l'État. Mais, en quelques minutes, cette décision fut modifiée du tout au tout, et Valsalice devint le scolasticat des jeunes Missionnaires de la Société. Don Bosco se rallia le premier, et de tout cœur, à cette modification si importante.

« Maintenant, conclut Don Rua, pourquoi, me direz-vous peut-être, nous rappeler ce souvenir ? La réponse est bien simple. Je veux vous démontrer que si cette Maison eût été un collège comme les autres, nous n'aurions jamais obtenu la permission de conserver Don Bosco au milieu de nous. Et je ne parle pas seulement de l'Oratoire, pour lequel le Ministère a repoussé absolument notre demande ; mais ce refus se serait appliqué même à Valsalice, à cause de la présence de tout jeunes enfants, pour qui la science aurait certainement redouté la présence d'une tombe dans ces murs. Au lieu de tout cela, Dieu, qui avait décrété de nous ravir Don Bosco, nous préparait la consolation de le posséder bien près de nous, en disposant les événements comme je viens de vous les raconter. Dès lors, ne puis-je pas dire en toute vérité que la Providence elle-même vous a confié la garde de ce sépulcre ? Montrez-vous dignes d'une si grande faveur ; et par votre zèle à pratiquer les vertus de Don Bosco, donnez à ce si bon Père la joie d'avoir laissé son corps au milieu de fils qui méritent ce nom. »

 

Les Supérieurs venaient de partir pour l'Oratoire. Les professeurs et les scolastiques de Valsalice, sans attendre davantage, se réunirent autour de leur Directeur, Don Barbéris, pour voter une adresse à Don Rua afin de lui exprimer les sentiments de profond respect, de soumission entière et de filiale affection de la Communauté à son égard, en union intime et complète avec tous les Salésiens, ses enfants.

L'adresse fut rédigée, et signée de tous. Après une promesse solennelle de s'en tenir fidèlement aux ordres et aux désirs de Don Rua, les Salésiens de Valsalice concluaient en ces termes :

 

« Notre cœur nous impose aujourd'hui un devoir de plus. Il nous semble que la journée ne serait pas complète si nous ne cherchions à adoucir un peu l'immense douleur qui a transpercé nos âmes, en nous serrant autour de notre nouveau Supérieur général, notre bien-aimé Don Rua, qui a su, du vivant même de Don Bosco, nous inspirer tant de confiance, s'attirer tant, d'affection, nous imposer une si grande vénération.

Nous savons que le Saint-Père, depuis longtemps déjà, vous avait désigné comme successeur de D. Bosco. Nous sommes donc heureux de pouvoir vous saluer du doux nom de Père.

Et ici, sur la tombe de notre vénéré Fondateur qui n'est plus, nous protestons solennellement de notre filiale soumission envers vous et sommes prêts à vous obéir au moindre signe. »

 

 

(1) Le Corriere Nazionale.

(2) Monseigneur l'Archevêque d'Albi termine sa lettre de condoléance en exprimant, lui aussi, le désir d'avoir des Salésiens : la réponse a été celle que Don bosco, à son grand regret, donnait si souvent : Royate Dominum messis ut mittat operarios...

(3) On peut s'y rendre en voiture. De la gare, le trajet est d'un quart d'heure ; et de l'Oratoire, trente minutes. Les étrangers sont admis tous les jours à visiter la tombe de Don Bosco.