CHAPITRE XL

VERTUS HÉROÏQUES QUE LA SAINTE VIERGE EXERCE A LA MORT D'HÉRODE. FRUIT DU ZÈLE DE SAINT JEAN A ÉPHÈSE. TRIOMPHE DE MARIE CONTRE LUCIFER.


La divine mère réfléchissait profondément en elle-même à l'état de l'Église, dont elle était chargée en ce temps-là, comme elle le sera toujours, puisqu'elle en est la protectrice et la miséricordieuse mère. Elle se consolait, en voyant son chef en liberté, et- Lucifer enchaîné au fond des cavernes infernales, Il n'y avait que le seul Hérode, persécuteur de l'Église qui affligeait la grande reine, car elle savait qu'il était résolu d'exterminer entièrement les fidèles, L'est pourquoi elle ne cessait jamais de demander avec humilité et avec larmes, du secours au Seigneur. Dirigée par sa souveraine prudence, elle parla ainsi à un de - ses anges gardiens les plus élevés : ministre de mon Dieu et Seigneur, je vous prie d'aller devant le trône de Dieu pour lui exposer mon affliction et lui demander humblement de ma part la grâce que je souffre pour ses serviteurs, mais qu'il ne permette que les ordres d'Hérode soient exécutés , car il veut détruire l'Église. L'ange accomplit aussitôt son ambassade, et rapporta cette réponse : le Seigneur des armées, dit, vous êtes mère, reine et maîtresse de l'Eglise, comme reine et souveraine, prononcez la sentence contre Hérode. L'humble mère de la piété se troubla un peu, elle dit à l'ange, de retourner dans, le ciel, et d'exposer au Seigneur, qu'elle offrait de faire pénitence et de souffrir les plus grands tourments en faveur d'Hérode, afin que ce malheureux se sauvât. L'ange partit, et revint avec cette réponse : Hérode est obstiné dans sa perversité, il repousse les inspirations et ne suit pas les lumières du ciel, c'est pourquoi il ne coopère pas au fruit de la rédemption. Le cœur de la miséricordieuse mère s'attendrit, et elle envoya pour la troisième fois l'ange au Très-Haut, comme avocate et mère des pécheurs, pour lui dire qu'il n'était pas possible à son amour de condamner à l'enfer une créature ouvrage de ses mains. L'ange à son retour lui apporta cette réponse : qu'elle était mère des pécheurs qui veulent se corriger, mais non de ceux qui vivent obstinés et endurcis, et ne veulent pas changer de vie, et encore moins de ceux qui méprisent les grâces divines, comme fait Hérode. Votre sentence, comme reine de l'univers, sera exécutée. Alors, élevant les yeux au ciel, elle dit en versant des larmes : Vous êtes juste, Seigneur, et vos jugements sont équitables ; je souffrirai mille morts pour gagner cette âme, si elle ne se rendait elle-même indigne de la miséricorde de Dieu, mais puisqu'elle est l'ennemie opiniâtre de Dieu, indigne de son éternelle amitié, je la condamne par un juste jugement à la mort qu'elle a méritée, afin qu'elle ne persécute plus l'Eglise, et qu'elle ne mérite pas de plus grands châtiments dans l'enfer. Elle envoya un ange à Césarée, où se trouvait Hérode, qui touché de la main de l'ange, mourut aussitôt mangé des vers. Après avoir fait décoller saint Jacques, et emprisonner saint Pierre, il était parti pour Césarée, afin d'apaiser un différent entre les Syriens et les Sidoniens; un jour qu'il déclamait revêtu de ses habits royaux le peuple pour le flatter cria, c'est un Dieu, Hérode enorgueilli, ajouta foi à une semblable folie. Il mit par là le comble à sa perversité ; car il avait poursuivi les apôtres, s'était moqué du rédempteur, il avait décollé Jean-Baptiste, commis un adultère public et scandaleux avec Hérodiade sa parente et d'autres abominations innombrables. (1)

L'ange revint à Éphèse, et la miséricordieuse mère en apprenant la mort de ce malheureux, pleura amèrement la perte de cette âme damnée, et adora la justice de Dieu. L'évangile par cette mort se répandit non-seulement dans la Galilée et la Judée, mais encore à Ephèse, par le moyen de saint Jean, qui y prêchait. La divine mère instruisait aussi dans les villes voisines, elle opérait de grands prodiges, elle délivrait les possédés, guérissait les malades, secourait les pauvres et les nécessiteux dans leurs maisons, et dans les lieux où on les recueillait; elle avait également chez elle des plantes médicales, pour ceux qui étaient dans le besoin, avec du pain et des vêtements pour les secourir, surtout elle prenait soin des moribonds, les guérissait, les consolait et les éclairait. Le fruit de sa grande charité pour les âmes destinées au ciel fut si abondant, que plusieurs volumes ne suffiraient pas à le raconter. Il serait difficile de dire aussi, la fureur qu'en éprouva Lucifer; élevant sa tête superbe au fond des cavernes infernales, où la divine mère l'avait précipité, il appela plein de haine et de rage tous ses maudits compagnons et leur dit, qu'il avait pensé d'exposer au Très-Haut ses justes plaintes contre cette grande femme, comme il avait fait à l'égard de Job, autrement l'enfer était perdu. Aussitôt le dragon exécuta ce nouveau dessein, Dieu le permettant pour la plus grande gloire de sa divine mère; il allégua au Très-haut, qu'il était d'une nature angélique infiniment supérieure à la condition de celle qui était formée de poussière et de cendre, qu'ainsi il demandait à la détruire.

La divine reine priait sans cesse pour l'Église, et elle voyait en esprit la bataille que Lucifer préparait contre elle; elle répandait continuellement des larmes pour sa défense et son triomphe contre l'enfer. Son affliction était d'autant plus grande, qu'elle voyait Lucifer adoré comme un Dieu de ses aveugles idolâtres; elle éprouva une si grande douleur dans son tendre coeur, en pensant qu'il faisait sa demeure dans le grand temple si célèbre de Diane, qu'elle en serait morte, si Dieu ne lui eût conservé la vie. Le service du temple était fait par des vierges idolâtres, et quoique païennes elles aimaient beaucoup la pureté. Votre charité infinie m'a établie mère et guide des vierges, qui sont la portion la plus chère de votre Église, disait la Vierge mère au Seigneur, ne permettez pas qu'elle soient consacrées à Lucifer votre implacable ennemi. Dans ce temps-là, saint Jean, entra dans l'oratoire, et la divine mère se tournant vers lui, lui dit : O mon fils Jean, mon coeur est dans l'amertume, parce que j'ai connu les grands péchés, qui se commettent contre Dieu, particulièrement dans ce temple de Diane. Ma reine, j'ai vu quelque-chose de ce qui se passe dans ce lieu abominable, et je n'ai pu retenir mes larmes, en voyant que le démon y était vénéré par un culte, qui n'est dû qu'à Dieu, personne ne pourra empêcher ce mal, si vous ne vous chargez de cela. Alors la très-prudente reine, dit au saint apôtre de l'accompagner dans son oratoire, pour demander au Très-Haut de remédier à ce mal. Saint Jean obéit et alla dans l'oratoire, la grande reine se prosterna le visage contre terre, et versant des larmes amères, elle persévéra longtemps dans la prière avec une grande ferveur, et elle fut presque à l'agonie par la véhémence de la douleur. Le divin fils vint aussitôt; ma mère, et ma colombe, lui dit-il, ne vous affligez pas, tout ce que vous me demandez, sera fait, sans aucun retard, ordonnez et commandez, comme toute-puissante reine, tout ce que votre coeur désire. A ces paroles le coeur de la mère fut tout enflammé de zèle pour l'honneur de Dieu. Elle se leva, et avec un empire de reine, elle commanda à tous les démons qui étaient dans le temple profane de Diane, de tomber dans l'enfer; aussitôt ils y furent tous précipités. Elle commanda ensuite à un de ses anges gardiens d'aller au temple et de le détruire entièrement, en laissant seulement la vie à neuf femmes; ce qui fut aussitôt exécuté. Saint Jean profita de cet évènement pour prêcher la foi, afin de désabuser les Éphésiens de l'erreur, dans laquelle le démon les avait retenus. Un grand nombre se convertirent, mais les incrédules s'obstinant dans leur idolâtrie, firent construire à Diane un autre temple, moins somptueux et moins magnifique, après le départ de la grande reine d'Éphèse, et c'est de celui-ci dont parlent les Actes des apôtres. (2)

La grande reine continuait ses prières, pour la propagation de la foi, et- pour l'exaltation de la sainte Église, tous ses anges gardiens se rendirent visibles à ses yeux sous la forme humaine, et lui dirent: notre, reine, c'est la volonté du Très-Haut, que nous vous conduisions au ciel en présence de son trône. La sainte Vierge répondit, je ne suis que poussière et l'esclave du Seigneur, que sa sainte volonté s'accomplisse en moi. Aussitôt elle fut placée sur un trône de lumière et présentée à la très-sainte Trinité; l'être de Dieu lui fut manifesté dans une vision abstractive, et elle l'adora avec une profonde humilité. Le Père éternel, lui dit : ma fille et ma colombe, vos désirs pour l'exaltation de mon saint nom, et vos prières pour l'exaltation de la sainte Eglise, sont agréables à mon coeur divin; aussi en récompense je veux vous confier mon pouvoir, afin que vous puissiez défendre mon honneur et ma gloire, par le triomphe que vous obtiendrez sur l'antique orgueil de mes ennemis, en leur écrasant la tête. Voici, répondit-elle, la dernière de vos créatures, qui est prête à obéir à vos divins desseins. Le Père éternel ajouta : que tous les courtisans du ciel sachent, que je nomme et choisis MARIE, pour chef et reine de toutes mes armées, afin de vaincre mes ennemis et en triompher glorieusement. Le même décret fut confirmé par les deux autres personnes divines. Tous les bienheureux du ciel répondirent ; que votre volonté se fasse dans le ciel et sur la terre. La grande reine fut ornée par l'ordre de Dieu par six séraphins d'une sorte de lumière, comme d'un bouclier impénétrable, aussi invincible aux démons que la sainteté de leur reine, et qui ressemblait à la force de Dieu-même. Elle fut illuminée par six autres séraphins d'une sorte de divine splendeur, qui paraissait sur son beau et très-pur visage, afin de jeter l'épouvante à l'enfer. Six autres ajoutèrent à ses facultés une nouvelle vertu divine, qui correspondait à tous les dons, qui lui avaient été accordés dans le premier instant si glorieux de sa conception, de sorte qu'elle pouvait à son gré empêcher et arrêter la plus intime pensée, et tous les efforts de Lucifer et des siens; et dès ce moment tout l'enfer fut soumis à sa volonté et à son bon plaisir. Les trois personnes divines lui donnèrent ensemble une pleine bénédiction. Abaissée toujours davantage dans son néant, elle rendit grâces à la divine Trinité, et elle fut rapportée dans son oratoire. les bienheureux habitants du ciel chantèrent : saint, saint, saint est le Dieu des armées. Elle se confondit avec la poussière et rendit de nouveau grâces au Seigneur de ses grandes miséricordes. Elle rentra en elle-même pour se préparer au combat, et elle vit monter de l'enfer sur la terre un dragon sanguinaire, épouvantable qui avait sept têtes, et jetait par chacune d'elles avec une grande rage et fureur, des feux et des flammes, il était suivi d'une foule d'autres dragons; ils se dirigeaient tous vers Éphése où était la courageuse et invincible grai4e reine; ils poussaient des cris en s'excitant les uns les autres; allons perdre notre ennemie, puisque le Très-Haut nous a permis de l'attaquer: elle est créature terrestre. Ils se transformèrent tous en anges de lumière, et toute cette armée vint en sa présence dans l'oratoire, Lucifer avec son venin, qui est l'orgueil commença à parler; tu es puissante, ô Marie, noble et courageuse entre les femmes, le monde entier t'honore et te glorifie, à cause des grandes vertus qu'il reconnaît en toi, et pour les grandes merveilles que tu opères, tu es digne de cette gloire, puisque personne ne t'égale en sainteté. Et tandis qu'il prononçait comme fausses ces incontestables vérités, il tâchait de faire naître dans l'imagination de l'humble reine des pensées, de vaine complaisance, mais ces tentations diaboliques étaient comme des traits acérés pour son humble coeur, de sorte que tous les tourments des martyrs lui auraient causé une douleur moins sensible; pour les repousser, elle fit des actes profonds d'humilité, s'abaissant en elle-même et ne s'estimant que néant. A la vue de cet anéantissement héroïque, Lucifer poussant des cris dit aux siens : ah! l'enfer me tourmente moins, que l'humilité de cette grande femme. Et se précipitant dans l'abîme, ils restèrent vaincus et écrasés. La grande reine rendit grâce: au Très-Haut de cette première victoire.

                                                                            


(1) La conformité de ce récit, avec ce qu'on lit dans les actes des apôtres, Chap. 12. V. 20 à 23. est frappante. Ici nous avons l'Ecriture sainte, quelquefois elle se tait, ce n'est pas une raison de rejeter les autres faits venus de la même source, l'Esprit de Dieu, qui souille où il veut. L'exactitude du récit de la conversion de saint Paul, n'est pas moins évidente; ainsi que l'emprisonnement de saint Pierre et sa délivrance par un ange. Voy. Actes des apôtres. La composition du symbole et la division des provinces sont en tous points conformes à la tradition reçue par les théologiens. Il est donc permis de dire avec l'examinateur de ce livre, le P. Joannes, Matris Dei : Calamus altiori impulsu directus, la plume de l'écrivain a été dirigée par l'impulsion du ciel; il l'a écrit, mais non composé, videtur scripsisse, non composuisse.

(Note du Traducteur.)

(2) On lit dans la vie de plusieurs saints des faits semblables. Saint Martin et d'autres ont renversé des temples d'idoles où les démons avaient établi leur demeure. Mais ce n'est pas seulement dans les premiers siècles que ces faits ont en lieu, ils se passent encore de nos jours dans les pays infidèles où nos intrépides missionnaires vont porter la foi. Ce n'est pas inutilement que les Chinois et les peuples de l'Inde, accusent nos chrétiens d'empêcher les sacrifices, et de rendre leurs idoles muettes.(Note du Traducteur.)