CHAPITRE XLI

LA TRÈS-SAINTE VIERGE RETOURNE A JÉRUSALEM SES AUTRES VICTOIRES CONTRE LUCIFER.


La persécution de l'Église étant apaisée par la mort d'Hérode, les apôtres prêchaient en toute liberté, avec des fruits admirables, principalement saint Barnabé et saint Paul, dans l'Asie-Mineure, et saint Pierre aussi, qui s'y était réfugié de Jérusalem, pour éviter la persécution d'Hérode. Il s'éleva plusieurs difficultés parmi les fidèles, sur l'observance de la circoncision et de la loi mosaïque, en particulier à Jérusalem, ils écrivirent à saint Pierre comme à leur chef, pour terminer ces controverses, et lui dirent qu'il serait utile, qu'il vint dans cette ville, et qu'il pouvait écrire encore à la divine mère de -venir aussi. Saint Pierre écrivit une humble lettre à la Vierge mère, en la priant de venir à Jérusalem, et lui exposa les besoins et les désirs des fidèles. La grande reine reçut cette lettre quelque temps après, en apprenant du messager qu'elle était de saint Pierre, elle la reçut à genoux, et la baisa avec respect, mais elle ne l'ouvrit pas, parce que saint Jean, qui prêchait sur la place n'était pas présent, dès qu'il fut rentré, elle se mit à genoux et demanda à son ordinaire la bénédiction de l'apôtre; elle lui remit la lettre, en lui disant, qu'elle était du Vicaire de Jésus-Christ et du chef de tous les fidèles. L'apôtre demanda humblement ce qui contenait la lettre, et la maîtresse de l'humilité répondit: vous le verrez en l'ouvrant d'abord, et en la lisant, et vous me direz ce qu'elle contient. Il le fit, ensuite ils délibérèrent ensemble s'il valait mieux quitter Éphèse, et revenir à Jérusalem. Elle dit à l'apôtre, mon Fils et mon Seigneur, commandez-moi ce qui est convenable et votre servante vous obéira. Saint Jean ajouta, il faut obéir au chef de l'Église. Et elle dit, préparez tout pour le départ, et nous partirons si tel est votre désir.

Tandis que l'apôtre préparait tout ce qui était nécessaire pour s'embarquer pour la Palestine, la sainte Vierge convoqua toutes les vierges, ses disciples, qui étaient dans Ephèse, et leur annonça son départ, elle les exhorta à la persévérance dans la foi, l'humilité, la pureté et les exercices des saintes vertus, et les assura de son amour et de sa protection, auprès de son fils leur époux. Elle établit supérieure des soixante-treize qu'elles étaient, la vieille Marie, une de celles qui avait été sauvées dans la ruine du temple de Diane; on l'appelait la vieille, parce qu'elle était la plus ancienne et la première, à qui la grande reine donna son nom lorsqu'elle reçut le baptême. Agenouillées toutes à ses pieds, elle lui demandèrent en versant des larmes la bénédiction, et après l'avoir reçue, elles continuèrent à rester dans la retraite, parce qu'elles vivaient comme dans un monastère. La sainte Vierge prit aussi congé de ses voisines, et le jour du départ étant venu, elle demanda à genoux la bénédiction à saint Jean, et ils partirent d'Éphèse, après un séjour de deux ans et demi, elle fut accompagnée des saints anges en forme visible et tous armés pour le combat, par où elle comprit que le combat avec le dragon insensé était imminent. Elle en donna avis à saint Jean, afin qu'il se préparât aussi par la prière et qu'il ne craignit point.

Ils venaient de s'embarquer et le vaisseau venait à peine de mettre à la voile, lorsque l'enfer déchaîna une si épouvantable tempête, que la mer n'en avait jamais vue et n'en verra jamais une semblable; les flots en fureur s'élevaient jusqu'aux nues, menaçant d'engloutir le vaisseau, tantôt ils se brisaient sur les flancs pour l'entr'ouvrir, et tantôt ils l'élevaient au sommet des ondes pour le replonger ensuite dans l'abîme. Le bruit des vagues, la fureur des vents, les cris des matelots et la rage de tout l'enfer acharné contre le navire, causèrent une grande frayeur à saint Jean, de sorte que se tournant en pleurs vers la grande reine, il lui dit: ma reine, demandez à votre divin fils que la tempête cesse. Elle jouissait comme reine des vertus d'une parfaite paix intérieure, et elle conservait une entière sérénité, à cause de sa grande magnanimité, au mépris de l'enfer. En considérant les périls des navigateurs, elle fut touchée de compassion, comme mère, pleine de charité, pour leurs dangers, et elle pria le Seigneur, pour eux. Elle répondit à l'apôtre, ne vous troublez pas, c'est le temps de combattre les combats du Seigneur, qui triomphera de ses ennemis, par la force et par la patience. Je lui demande, que personne de ce vaisseau ne périsse, il ne dort pas, il est avec nous. L'apôtre recouvra par ces paroles la paix intérieure et la tranquillité de l'âme.(1)

C'était le quatorzième jour de la terrible tempête, que Lucifer avait soulevée contre le pauvre vaisseau; il fit le dernier effort; le vaisseau se penchai, les extrémités des antennes touchaient les flots écumants, les eaux pénétraient déjà au-dedans, les matelots étaient découragés -et éperdus, à la vue du danger si imminent; et voilà que, descendu des hauteurs des cieux, Jésus apparaît et dit: Ma mère bien- aimée, je suis avec vous dans la tribulation. Quoique dans toutes les circonstances cette vue et ces douces paroles lui causassent une joie ineffable, néanmoins elles furent encore plus précieuses à la divine mère dans ce danger, à cause de la compassion qu'elle avait pour ses pauvres gens affligés. Ma mère et ma colombe, je veux que toutes les créatures soient soumises à vos ordres, commandez et vous serez obéie. Elle obéit, et par la vertu de son très-saint Fils, elle commanda à Lucifer et aux siens de quitter la mer Méditerranée; ensuite elle ordonna aux vents et à la mer de se calmer, et aussitôt ils obéirent; le Seigneur en la quittant la laissa remplie de bénédictions. Le jour, suivant ils arrivèrent heureusement au port, et ils rendirent aussitôt grâces à Dieu; après avoir débarqué, ils se mirent en chemin vers Jérusalem; mais auparavant elle demanda la bénédiction à saint Jean et le remercia de l'avoir accompagnée dans ses dangers. Tous les démons, le Seigneur le permettant ainsi, se trouvèrent sur son passage, et l'assaillirent par mille suggestions contre les saintes vertus; mais la Tour de David renvoyait les traits contre eux-mêmes. Arrivée à Jérusalem, elle voulait visiter les saints lieux, mais la maîtresse des vertus reconnut qu'elle devait premièrement aller au cénacle où était saint Pierre, pour lui rendre obéissance. Lorsqu'elle fut arrivée, elle se jeta à ses pieds, lui demanda la bénédiction, et lui baisa la main, comme au souverain pontife. Saint Jean raconta tout ce qu'ils avaient souffert : tous les disciples de Jérusalem vinrent pour vénérer la divine maîtresse avec des larmes de joie.

Elle alla aussitôt visiter les saints lieux, et ensuite elle se prépara à faire ses oeuvres de vertu. Lucifer avec tous les siens s'excitait à comparaître en sa présence avec des figures épouvantables, et il voulait même la menacer; mais les actes héroïques de toutes les vertus de la divine mère l'accablaient, aussi en proie à un horrible tourment, il fut obligé de fuir, dépouillé de sa force et vaincu, Un jour en visitant les saints lieux, arrivée au mont des Oliviers, son divin fils lui apparut avec une amabilité ineffable, il la déifia, et l'éleva au-dessus de l'être terrestre, et elle reçut de si, grandes faveurs divines, qu'elle fût toute transformée en son, divin fils. A son retour au cénacle, Lucifer revint la tenter, mais en voyant une nouvelle force et une nouvelle vertu. dans son ennemie, il lui arriva comme au scorpion, qui, environné par le feu, se perce de son propre aiguillon et se tue lui-même. Ils s'enfuirent tous, en poussant des cris de rage, et disant: Oh, si le monde n'avait pas cette femme, nous voudrions le détruire et en vérité nous le pourrions, sans cette ennemie.

Lucifer alla tenter les nouveaux baptisés, et leur insinua, de ne pas abandonner les vieux rits de la loi de Moïse, principalement la circoncision; ils s'obstinèrent dans cette tentation, et- les gentils qui venaient à la foi ne voulaient pas se circoncire; mais la grande reine détruisit toutes les embûches perverses. Saint Paul et saint Barnabé arrivèrent d'Antioche à Jérusalem, ils se mirent à genoux, en versant une abondance des larmes de joie de se trouver en présence de la mère de Dieu; ce ne fut pas une moindre consolation pour la miséricordieuse grande reine de voir les deux apôtres, si chers à son fils et à elle-même. Saint Paul, dans cette entrevue avec la divine mère, eut une vision extatique, dans laquelle il comprit toutes les prérogatives de cette cité mystique de Dieu, de sorte qu'il la vit comme revêtue de la Divinité, il en fut rempli d'admiration, de vénération et d'un saint attendrissement, et revenu à lui-même, il dit: O mère de pitié et de clémence, pardonnez à cet homme misérable et pécheur, d'avoir persécuté votre divin fils, mon Seigneur, et son Église. L'humble reine répondit, Paul, serviteur du Seigneur, si celui qui vous a créé et racheté, vous a encore appelé à son amitié intime, comment sa servante refuserait-elle de vous pardonner? Il a fait de vous un vase d'élection, mon esprit le glorifie et l'exalte. L'apôtre lui rendit de vives actions de grâces, et lui demanda sa protection' et son patronage, ce que fit aussi Barnabé. Saint Pierre avait convoqué avec les apôtres, les disciples qui étaient peu éloignés de la ville et dans les pays voisins, ils se rassemblèrent tous un jour dans le cénacle, et il pria la divine mère de ne pas quitter l'assemblée par humilité; il parla à tous, et les exhorta à prier, .pour obtenir la lumière du ciel et l'assistance de l'Esprit Saint, et pendant dix jours ils persévérèrent dans la prière. La grande reine ayant préparé le cénacle de ses divines mains, le chef de l'Église célébra la sainte messe, il communia les apôtres, et la divine mère, ensuite les disciples; un grand nombre d'anges descendirent, revêtus d'une lumière divine, et remplirent ce Saint lieu de célestes parfums et de splendeur. Lorsque la sainte messe fut terminée, saint Pierre proposa les difficultés et recommanda à tous de faire de ferventes prières au Seigneur pendant ces dix jours. La grande reine se retira dans son oratoire, et pendant tous les dix jours elle ne mangea ni ne but, et elle ne cessa de prier le Très-Haut pour son Église; lorsqu'elle se prosterna à terre après s'être retirée après la sainte communion, elle fut élevée au ciel en corps et en âme. Lorsqu'elle passa sur son char de lumière, avec le cortège des anges à travers la région de l'air, le Très-Haut voulut qu tous les démons de l'enfer avec Lucifer comparussent en sa présence, et à leur grande peine, qu'ils reconnussent l'élévation, la grandeur, la majesté et la sainteté incomparable de cette grande femme, qu'ils avaient en si grande haine et poursuivaient si cruellement, qu'ils vissent aussi que la grande reine avait dans son coeur Jésus sous les espèces sacramentelles, et qu'elle était comme investie de la Divinité, afin que par la participation des divins attributs, elle les confondît tous, les humiliât et les anéantit. Et ils entendirent une voix sortir du trône de la Divinité. Avec ce bouclier invincible, je défendrai toujours mon Eglise. Les démons poussaient des cris de rage à cette vue, et ils s'écrièrent à ces paroles: Que le Tout-Puissant nous précipite dans l'abîme, mais qu'il ne nous laisse pas en présence de cette femme, car elle nous fait souffrir plus que mille enfers. Que le Dieu tout-puissant nous délivre, qu'il mette fin à cette nouvelle et cruelle peine, qui renouvelle celle que nous avons éprouvée, lorsque nous fûmes précipités du ciel, car maintenant s'accomplit le châtiment dont nous fûmes alors menacés de la part de la grande femme, qui est la merveille de ton bras tout-puissant. Toute cette armée de démons fut retenue avec ces cruelles souffrances, pendant un long espace de temps, et quoiqu'ils s'efforçassent de s'enfuir dans l'abîme, ils ne le pouvaient pas, afin d'être tourmentés par la présence de leur toute-puissante ennemie, jusqu'à ce qu'elle-même avec l'autorité de reine les précipitât au plus profond de l'enfer; et cette nouvelle chute causa aux damnés un nouveau et cruel tourment.

Prosternée devant le trône sublime de la Divinité, elle, l'adora humblement, et la pria pour l'Église, afin que les apôtres reçussent les lumières nécessaires, et elle en reçut l'assurance. Elle vit que son divin fils présentait au père le zèle de sa mère, et dans le même temps elle vit qu'il sortait de l'essence divine un temple très-beau, tout resplendissant et magnifiquement orné; les habitants du ciel le virent aussi, il alla se placer sur le sein de Jésus-Christ, qui l'unit à sa sainte humanité, et aussitôt il le remit dans les mains de sa sainte mère, en le recevant elle fut remplie de nouveau de splendeur et absorbée par la Divinité elle jouit de la vision béatifique. A la vue de ces faveurs, les anges chantèrent: Vous êtes saint, saint, saint et tout-puissant dans les oeuvres de vos mains. Elle fut rapportée dans son oratoire, tenant toujours dans ses mains le temple mystérieux de la sainte Église, et elle continua ainsi ses prières encore pendant neuf jours. A la fin saint Pierre célébra de nouveau la sainte messe et les communia tous, lorsqu'elle fut terminée, ils invoquèrent l'Esprit-Saint; et saint Pierre parla, comme il est raconté dans les actes des apôtres. Les difficultés furent résolues, on écrivit les réponses, et elles furent envoyées à Antioche; lorsqu'elles furent lues à Antioche comme à Jérusalem, l'Esprit-Saint descendit visiblement en forme de langue de feu. Après le concile, la sainte Vierge rendit grâce au Seigneur avec tous ceux qui étaient rassemblés, ensuite Paul et Barnabé prirent congé, et elle leur fit présent des saintes reliques de Jésus enfant, et aussi des saintes épines; ils partirent fortifiés par la grâce, et tout joyeux de la protection de la divine mère. Lucifer rugissait comme un lion de ne pouvoir s'approcher de cette grande reine, il alla chez quelques magiciennes de Jérusalem, pour les engager à enlever la vie à la grande reine par le moyen des maléfices. Les malheureuses se présentèrent plusieurs fois en sa présence, mais sa grande et infinie piété les toue-ha et les convertit; néanmoins une seule reçut la lumière évangélique, et fut baptisée à la grande rage de Lucifer.

                                                                        


(1) Demandez au matelot à qui il a recours dans la tempête, et si Marie n'est pas véritablement l'étoile de la mer. Les pèlerinages de Notre-Dame de la garde, et tous les autres en sont des preuves. La vie de la très-sainte Vierge doit être merveilleuse, pourquoi s'étonnerait-on de ce qu'on lit dans ce livre, lorsqu'il y a tant de preuves qui attestent son origine divine.