VIE D’ANNE CATHERINE EMMERICH

  TOME DEUXIEME (1819-1824)

 

CHAPITRE VI

 

EFFETS MERVEILLEUX DES CROUTES TOMBÉES DES PLAIES DES MAINS ET DES PIEDS DE LA MALADE, LE 28 DÉCEMBRE 1818 (note).

 

         1. Le soir du 15 décembre, la malade étant dans l'état extatique, le Pèlerin lui mit sur la poitrine une relique désignée précédemment par elle comme étant de saint Ludger, avec les croûtes de ses plaies enveloppées dans un papier. Elle en ressentit aussitôt l'effet et dit sans sortir de l'état de contemplation : « Ah ! quel bon pasteur ! Il est venu à travers les grandes eaux. Son corps repose dans mon pays, dans la vieille église. C'est lui dont ils ont pris le doigt hier. Mais il y a encore là une autre personne ! Je ne l'ai pas vue depuis longtemps. C'est singulier ! il y a là pour moi quelque chose d'obscur. Elle a les stigmates : elle est Augustine. Elle est habillée comme je l'étais jadis ; à moitié vêtue en nonne. Chose étrange ! elle doit être encore vivante, elle doit être cachée dans quelque coin.

Il y a là quelque chose que je ne comprends pas. Ah ! combien cette personne a à souffrir. C'est pour moi un exemple à suivre : car toutes mes souffrances ne sont rien en comparaison. Et, chose curieuse, avec cela elle est extérieurement joyeuse : personne ne sait ce qu'elle souffre. On dirait qu'elle ne le sait pas elle-même. »

        

(note) Ce titre a été mis par le Pèlerin en tête de ses annotations des 15, 16 et 17 décembre 1819. L'auteur le conserve, parce qu'il ne peut regarder comme un simple hasard que cette remarquable vision sur elle-même ait été présentée à la patiente à la fin de sa terrible période de souffrances.

 

« J'ai vu près d'elle une quantité de pauvres gens et d'enfants. Il me semble que ce sont des gens que je connais. Il faut qu'on m'ait caché cette personne. Mes amis et connaissances aussi doivent bien la connaître. Ah ! comme son coeur est blessé ! il est tout entouré d'une couronne d'épines et percé de mille trous. Elle a un bien singulier entourage ! combien de gens qui l'espionnent en secret et la calomnient. Et il faut qu'elle supporte tout, même ce qui se passe loin d'elle. Combien elle est sereine et joyeuse avec tout cela ! Elle bondit comme un cerf. C'est un bon modèle pour moi : je vois bien là combien je suis misérable ! »

         Le Pèlerin se retira après ces paroles, cependant il lui laissa les croûtes dans leur enveloppe. Quand il revint le lendemain matin, la malade lui raconta ce qui suit : « J'ai eu cette nuit une vision tout à fait singulière et je ne puis pas encore me la bien expliquer. Il faut qu'il y ait ici, vivant cachée, une personne qui s'est trouvée souvent dans des circonstances semblables à celles où je me suis trouvée. Elle a eu aussi les stigmates et les a perdus. Je l'ai vue toute la nuit avec toutes ses souffrances. Elle doit avoir été dans notre couvent. J'ai vu autour d'elle toutes les nonnes excepté moi. Elle avait de terribles souffrances secrètes : personne ne le savait et elle était toujours si sereine ! Je ne puis m'imaginer ce que c'était. Je n'ai jamais eu de telles grâces ni de telles souffrances. Je ne pouvais m'empêcher d'être très-honteuse de ma pusillanimité. Il y a peut-être eu avant moi une semblable personne dans notre couvent, mais pourtant les circonstances étaient si semblables à celles où je me suis trouvée moi-même que la chose me parait très-étrange et que je me casse la tête pour savoir qui ce peut être. »

         Le Pèlerin répondit : « C'est peut-être bien une image de vous-même, indiquant comment vous auriez pu supporter vos souffrances. si vous aviez été parfaite, et, en même temps, il vous aura été montré quelles grâces vous avez reçues de Dieu dont vous n'avez pas tenu compte et que vous avez oubliées. »

         Elle pensa que la chose était possible et, sur la prière du Pèlerin, elle continua ainsi le récit de cette vision sur elle-même : « J'ai vu cette personne menant la vie d'une religieuse, puis forcée de sortir de son couvent ; je l'ai vue malade, obligée de garder le lit et cela, même avant son entrée au couvent.

         « Au couvent, je la vis, dès le commencement de son noviciat, en proie à des souffrances secrètes indescriptibles. Je vis une fois son coeur entouré uniquement de roses, que je vis ensuite se changer en épines, je le vis tout déchiré ; j'y vis eu outre une quantité d'aiguillons et de dards, ainsi que dans sa poitrine. Je vis tout le monde autour d'elle et loin d'elle la soupçonner et la calomnier sans cesse d'une manière odieuse ; or toutes ces pensées qu'on nourrissait contre elle, même quand elles ne passaient pas à l'action, volaient et la perçaient comme des traits acérés : il n'y avait pas en elle un point qui fût sans blessure. Je vis les complots tramés au loin entrer en elle comme des flèches. Une fois je vis son coeur comme coupé en morceaux. Je ne l'en voyais pas moins toujours gaie et bienveillante envers chacun, comme si elle n'eut rien su de tout cela et en effet elle ne semblait pas le savoir. J'éprouvais une telle compassion pour elle que je ressentais toutes ses douleurs dans ma poitrine. Je vis son âme entièrement transparente et, quand une nouvelle souffrance venait l'assaillir, je voyais en elle des rayons enflammés rouges et des marques de même couleur, surtout dans la poitrine et dans le coeur. Je vis toujours autour de sa tête une couronne d'épines, faite de trois branches d'espèces différentes, l'une avec de petites fleurs blanches garnies d'étamines jaunes, la seconde ayant des feuilles plus larges et aussi de petites fleurs blanches, la troisième comme portant des roses avec des boutons. Souvent elle pressait cette couronne contre sa tête et alors je voyais les épines pénétrer plus profondément.

         « Je la vis aller de côté et d'autre et travailler dans le couvent : je vis que les oiseaux se posaient sur elle et étaient familiers avec elle, je la vis quelquefois debout ou étendue par terre dans un état de raideur complète : je vis souvent venir un homme qui l'enlevait et la portait dans sa cellule, dont je n'eus jamais une vue bien distincte : c'était comme s'il la faisait entrer dans un mur. Je voyais toujours près d'elle un esprit qui la protégeait. Je vis le diable rôder de tous côtés, exciter les esprits contre elle et même l'assaillir personnellement et faire un grand bruit dans sa chambre ; mais son esprit était toujours ailleurs. Je la vis dans l'église monter et grimper d'une manière merveilleuse sur l'autel, aux murs et aux fenêtres où elle avait quelque chose à faire ou qu'elle voulait nettoyer ; elle était enlevée et se tenait là où personne n'aurait pu arriver et où il était même impossible de se tenir. Je vis que des esprits la soutenaient toujours. Je la vis à plusieurs reprises en deux endroits à la fois, dans l'église devant le saint sacrement, et, soit dans sa chambre au haut de la maison, soit dans la cuisine ou ailleurs. Je vis une fois de mauvais esprits qui semblaient la rouer de coups. Je la vis très-souvent entourée de saints. Je la vis tenir longtemps l'enfant Jésus dans ses bras. Je la vis marcher au milieu des autres religieuses, ayant toujours l'enfant Jésus à ses côtés. Je la vis une fois à table où des traits de toute espèce venaient la frapper ; elle avait autour d'elle une grande troupe de bienheureux. Je la vis, étant très-malade, pétrir des hosties avec l'aide d'un esprit. Je vis, pendant qu'elle était au lit, malade et abandonnée, deux âmes de religieuses faire son lit et la porter çà et là. Je vis des esprits la tirer de son lit et la placer au milieu de la chambre, suspendue en l'air et couchée sur le dos : je vis alors entrer une autre personne et elle tomba à terre. Je la vis très-souvent malade à la mort et sur le point de mourir : je la vis toujours réduite à cette extrémité par l'emploi des remèdes naturels et je vis des apparitions venir à elle : souvent c'était une belle femme, toute resplendissante, ou un jeune homme semblable à mon époux céleste. Ils lui apportaient des remèdes dans de petites fioles, ou des herbes, ou des bouchées de quelque chose qu'ils mettaient derrière la tête de son lit où il y avait une planchette cachée. Je la vis, comme elle priait à sa table, raidie par l’extase, recevoir d'une apparition une image de la Mère de Dieu. Je vis un jeune homme, planant dans l'air à sa droite, lui donner un coeur où était une image de Marie. Je vis ce fiancé céleste venir à elle et lui mettre au doigt un anneau avec une pierre précieuse où était gravée une image de Marie, puis revenir au bout de quelque temps et lui retirer l'anneau. Je vis encore très-souvent, lorsqu'elle était malade, des esprits lui poser sur la poitrine des objets et des images de toute espèce qu'ils lui retiraient plus tard et qui la guérissaient. Je la vis souvent en danger de mort et miraculeusement protégée. Un jour elle était dans la trappe du grenier pour hisser un panier plein de linge humide : il y avait en bas une religieuse qui l'aidait à tirer la corde. Le panier était presque arrivé en haut. Elle voulut l'attirer à elle d'une main et tenir la corde de l'autre. Je vis alors que le diable fit un grand bruit dans la cour, ce qui fit que la religieuse d'en bas se retourna pour regarder et lâcha la corde. Elle reçut une violente secousse, mais quelqu'un saisit la corde : il arriva par la bonté de Dieu que ni le panier, ni elle ne furent entraînés, sans quoi elle aurait fait une chute mortelle. Elle eut seulement quelque chose de disloqué dans le corps et souffrit de terribles douleurs. Je la vis bien d'autres fois merveilleusement protégée par son ange gardien dans des circonstances où son corps et son âme couraient de grands périls : ensuite je la vis souvent presque poussée au désespoir par la souffrance secrète que lui causaient les persécutions. Plus tard je la vis malade à la mort, portée hors du couvent par deux personnes qui ne l'auraient pas emportée vivante, si des êtres plus puissants n'étaient venus à leur secours.»

         «Hors du couvent, je la vis habillée comme je l'étais alors. Là aussi, je la vis toujours avec ses souffrances secrètes et favorisée des mêmes grâces. Je la vis souvent privée de tout secours et malade à la mort. »

         « Je la vis aussi tomber en défaillance à l'ermitage et reconduite à son logis où la croix fut découverte par une amie. Je la vis encore une fois comme doublée, c’est-à-dire couchée sur son lit et en même temps se promenant dans la chambre pendant que plusieurs personnes faisaient le guet à la porte. Je la vis très-malade, étendue sur son lit, le corps tout raidi et les bras étendus. Son visant brillait comme une rose ; alors, à la droite de son lit, descendit d'en haut une croix resplendissante portant le Sauveur : des plaies des mains et des pieds et aussi de la plaie du côté du crucifix partirent des rayons lumineux de couleur rouge qui allèrent frapper ses mains, ses pieds et son côté : de chaque plaie sortaient trois rayons semblables à des fils très-fins qui se réunissaient en pointe à l'endroit où ils touchaient le corps de la malade. Les trois rayons partant de la plaie du côté étaient plus éloignés les uns des autres et plus larges : ils se terminaient eu pointe de lance. Au moment du contact, je vis des gouttes de sang jaillir de ses pieds, de ses mains et de la partie droite de sa poitrine. Je vis que, la chose étant venue à la connaissance du public, la ville en fut tout agitée, après quoi la chose fut de nouveau cachée et étouffée. Je vis le confesseur toujours fidèle, mais timide, scrupuleux et méfiant, soumettre cette personne à des épreuves sans fin. Je vis une commission ecclésiastique venir à elle avec des dispositions très-sévères et très-rigoureuses, et j'eus la joie de voir que tous bientôt furent convaincus de la vérité. Je la vis aussi veillée par des bourgeois et alors, comme toujours, soutenue par des êtres surnaturels. Je vis constamment son ange gardien auprès d'elle. Je vis plus tard près d'elle un homme qui écrivait en son particulier : cependant il n'était pas ecclésiastique. »

         « Je la vis de nouveau soumise à une enquête que je vis commencer avec des formes douces : mais au fond de tout cela je ne vis que le diable. Je la vis encore là fréquemment en danger de mort, mais guérie et nourrie par des apparitions. Je vis qu'on ne voulait pas qu'elle sortit de là pour revenir chez elle et qu'on l'attendait déjà dans d'autres endroits. Je la vis trahie et maltraitée de toutes les manières possibles et, là aussi, je vis que son coeur était tout déchiré par la malice des hommes et que pourtant elle se montrait souvent gaie. Aussi une femme qui était près d'elle ne s'apercevait de rien. Je la vis ramenée dans son logis, grâce à un secours surnaturel. Plus tard je la vis encore en grand danger. Je vis ses ennemis rassemblés dans le dessein de s'emparer d'elle par force : je les vis se disputer entre eux et se séparer. Je vis le chef des persécuteurs aller à elle plein de rage comme s'il voulait l'injurier ou même la battre, puis tout d'un coup je le vis, par l'effet d'un mouvement intérieur, se calmer et se retirer. Au milieu de tout cela, je la vis incessamment chagrinée par sa soeur dans laquelle je reconnus une malice et une perversité secrètes tout à fait incompréhensibles. Je la vis aussi en rapport spirituel avec plusieurs personnages ecclésiastiques.

« Elle m'inspirait une grande pitié et je m'étonnais qu'elle pût tout supporter ainsi tranquillement et sans rien dire. Je ressentais toutes ses souffrances dans ma poitrine. J'avais envie de lui demander comment elle s'y prenait. Je demandai à mon guide si je pouvais l'interroger et si je devais la tutoyer. Il me répondit que je le pouvais. Alors je lui demandai comment elle faisait pour supporter ainsi toutes ces souffrances cachées sans se plaindre, et elle ne me dit que ces mots : « Comme toi ! » ce qui me surprit excessivement. J'avais vu une fois que la Mère de Dieu avait eu aussi des souffrances infinies restées secrètes. »

         « Je vis ensuite cette personne habiter chez une couturière qui était bonne, mais sévère. Je la vis une fois dans la rue ôter sa robe et la donner à une pauvre femme. Je vis aussi le diable lui dresser des embûches. Il n'alla pas lui-même jusqu'à elle : mais il lui envoya de méchants hommes. Il y avait là, entre autres, un homme marié qui la poursuivait : mais elle ne comprenait pas ce que ces gens voulaient. Je vis trois fois l'esprit malin chercher à lui ôter la vie. Deux fois il voulut la précipiter en bas d'un grenier où elle dormait et où il lui fallait monter par une échelle. Elle se levait souvent pour prier, et je vis une horrible figure noire la pousser deux fois tout près du bord pour la précipiter, mais elle fut encore sauvée par son ange gardien. Une autre fois, comme elle faisait le chemin de la croix et toujours au bord de l'eau où il passait peu de monde, je vis l'ennemi essayer de la jeter dans un fossé profond, près d'un endroit qu'on appelle la Citadelle, mais son ange gardien la sauva. Je vis, dans ce temps-là, comment elle conversait souvent et tendrement avec son cher fiancé céleste et comment aussi un jour elle lui donna sa foi. Je ne sais pas si, lors de cette apparition, il y eut un échange d'anneaux. Je vis ces entretiens tout pleins d'une simplicité enfantine. Je la vis prier à l'heure de midi dans l'église des jésuites : Clara Soentgen se trouvait aussi dans cette église. Elle était tout abaissée, tant elle avait chaud. Un jeune homme resplendissant, son fiancé, descendit de l'autel, sortant du tabernacle où était le saint sacrement. Il apportait une couronne de fleurs et une couronne d'épines et je la vis porter la main à cette dernière. Il la lui mit sur la tête et il l'y enfonça, ce qui lui causa une douleur très-vive. Depuis longtemps déjà un sacristain faisait du bruit en remuant un trousseau de clefs. Clara Soentgen paraissait avoir remarqué quelque chose de son état : mais, si elle connaissait certains phénomènes extérieurs, la signification intérieure lui en était inconnue. Elle-même ignorait que son sang eût coulé : elle ne le sut que lorsque ses compagnes lui dirent qu'il y avait à son bonnet des taches rougeâtres. Elle cacha pourtant ces effusions de sang jusqu'à ce qu'elle fût entrée ; au couvent et là une autre personne encore en eut connaissance. Je la vis aussi chez Soentgen, et je la vis donner tout ce qu'elle avait et mettre la paix dans la maison, ce qui lui fit grand plaisir.»

         « Je la vis aussi travailler dans les champs et comment son désir d'entrer au couvent allait toujours croissant ; elle devint très-malade et prit résolument son parti. Elle alla chez ses parents, où elle eut des vomissements continuels ; elle était si triste que sa mère la questionna. Elle lui dit alors qu'elle voulait aller au couvent. Sa mère fut très-mécontente et lui dit que c'était impossible à cause de sa pauvreté et de sa mauvaise santé. Elle le dit ensuite à son père et tous deux la réprimandèrent. Elle leur dit alors que Dieu était assez riche. Or elle tomba malade, et je la vis au lit. Il était environ midi. La mère était seule à la maison, le soleil brillait à travers la petite fenêtre. Je la vis s'endormir, puis je vis un homme et deux religieuses, tout brillants de lumière, entrer dans la petite chambre et s'approcher du lit. Ils avaient un gros livre, écrit sur parchemin en lettres rouges et couleur d'or. Au frontispice était l'image d'un homme : il y en avait plusieurs autres dans le livre. Il était relié en jaune et n'avait pas de fermoirs. Ils le lui présentèrent et lui dirent que si elle pouvait étudier dans ce livre, elle apprendrait ce qu'il appartient à une religieuse de savoir. Elle répondit qu'elle voulait le lire et prit le livre sur ses genoux. Il était en latin, mais elle comprit tout et y lut avec beaucoup d'application. Je la vis aussi aller au couvent avec ce livre. Elle y lisait assidûment ; quand elle en avait lu une partie, il lui était retiré. Je le vis une fois posé sur sa table : les religieuses du couvent étaient par derrière et voulurent l'enlever en secret, mais elles ne purent l'ôter de la place où il était. Je la vis ensuite dans un autre lieu et je vis comment son père spirituel la vit priant et comme paralysée. Je vis comment le Seigneur lui apparut le jour de la fête de saint Augustin. Il lui fit le signe de la croix sur l'estomac : puis elle reçut de sa main une croix qu'elle pressa sur sa poitrine et lui rendit. Cette croix était blanche et molle comme de la cire. Elle fut ensuite malade à la mort jusque vers Noël. Je vis qu'on lui administra tous les sacrements. Elle s'endormit et rêva qu'elle voyait Marie assise sous l'arbre à Bethléhem. Elle s'entretint avec elle : elle avait un ardent désir de mourir et de rester près de Marie. Celle-ci lui dit qu'elle aussi avait demandé instamment de mourir lorsque Jésus mourut et qu'elle n'avait pu l'obtenir, qu'elle aussi vivrait encore longtemps et aurait beaucoup à souffrir ; alors elle se réveilla. Je vis la croix s'approcher d'elle et je la vis recevoir les stigmates. Je la vis ensuite de nouveau pendant tout le cours de l'enquête et je la vis très-avancée dans la lecture de son livre. Je la vis ensuite dans cette maison où je suis et chez Mersmann ; je la vis souvent en danger de mort et sauvée par des secours venant du ciel. Là aussi, elle avait le livre avec elle. Enfin je vis ce qui devait arriver plus tard et l’enquête ecclésiastique : ils semblaient faire quelque chose avec des papiers qu'ils posaient sur elle (note). »

 

(note) Le Pèlerin fut si vivement frappé de cette communication tout à fait inattendue pour lui qu'il écrivit dans son journal : « Ah l s'il n'y avait pas ces odieux dérangements, et si nous avions toute cette histoire d’elle-même racontée par elle-même, nous posséderions quelque chose de très-important, une image fidèle de toute la vie spirituelle de celle âme admirable ! »


         2. Le 15 juin 1821, lorsqu'Anne Catherine eut une vision touchant la vie de sainte Ludgarde, elle vit de nouveau une série de tableaux tirés de sa propre vie.

         « J'ai eu en outre, dit-elle, des visions touchant la vie d'une personne qui, comme j'ai fini par le découvrir, n'était autre que moi-même. Souvent ces tableaux étaient vis-à-vis de ceux de la vie de sainte Ludgarde et je pus ainsi observer chez des personnes diverses la ressemblance qui existe entre les grâces de Dieu et la manière de les recevoir. Je vis cette personne, dès son enfance, toujours persécutée par le malin esprit. Je la vis, étant enfant, prier dans les champs en divers endroits où elle sentait la présence d'une malédiction, d'une puissance mauvaise. Je vis comment le diable faisait grand bruit autour de l'enfant, la frappait et la jetait par terre, comment alors elle s'en allait, puis, après avoir un peu réfléchi, revenait avec une confiance naïve et une foi ferme : « Comment pourrais-tu me chasser d'ici, misérable ? disait-elle. Tu n'as rien en moi qui t'appartienne et tu ne dois non plus rien avoir à cette place ! » Elle s'agenouillait de nouveau au même endroit, continuait à prier intrépidement et Satan se retirait.

         « Je vis Satan, ne pouvant porter l'enfant au relâchement, l’engager à s'affaiblir par des austérités excessives, afin qu'elle détruisît par là sa santé : mais l'enfant, pour le défier, redoublait d'efforts pour se mortifier.

 

Je la vis un jour seule au logis, sa mère lui avait donné la maison à garder. Je vis le démon lui envoyer une vieille femme du voisinage, laquelle ayant en vue de faire dans la maison quelque chose qui n'était pas bien, lui dit « Va donc dans mon jardin et cueilles-y des poires mûres va vite avant que ta mère revienne. » L'enfant courut en toute hâte et se heurta si violemment la poitrine contre une charrue recouverte de paille qui était dans le voisinage du jardin qu'elle tomba par terre sans connaissance. Je vis la mère, à son retour, trouver l'enfant dans cet état et la faire revenir à elle en la frappant rudement. L'enfant se ressentit longtemps du coup qu'elle avait reçu.

         « Je vis Satan induire la mère en erreur par ses suggestions, si bien qu'elle eut pendant assez longtemps une opinion défavorable de sa fille et souvent la battit et la rudoya sans qu'elle l'eût mérité. Je vis l'enfant supporter tout avec simplicité, l'offrir à Dieu et lasser ainsi l’ennemi.

         « Je vis l'enfant prier la nuit dans les champs et le diable exciter un garçon qui vint la déranger et voulut agir avec elle d'une manière inconvenante, mais elle le chassa et continua à prier.

         « Je vis le diable faire tomber l'enfant à la renverse da haut d'une échelle et comment son ange la préserva. Je la vis, comme elle suivait le bord étroit d'un fossé profond plein d'eau, afin de ne pas marcher sur le blé, poussée par le diable qui voulait la précipiter dans le fossé, mais elle ne se fit point de mal. - Je vis le diable la faire tomber dans une pièce d'eau, ayant bien douze pieds de profondeur, et la pousser trois fois au fond : mais elle fut toujours ramenée à la surface par son ange.

         « Je vis, un soir que l'enfant voulait se mettre au lit en faisant sa prière, le diable lui saisir les jambes de dessous le lit avec des mains froides comme la glace et la renverser par terre. Je m'en souviens encore très-bien : elle ne s'effraya pas et ne cria pas, mais tout resta dans le silence, et l'enfant, sans que personne le lui eût dit, redoubla ses prières et triompha de l'ennemi.

         « Je la vis toujours entourée d'âmes à peine visibles pour elle et je la vis prier assidûment, mais l'ennemi cherchait à l'en empêcher. Cette nuit, pendant cette vision, l'âme d'une paysanne s'est approchée de moi et a rendu grâces pour sa délivrance.

         « Je vis comment l'enfant, devenue jeune fille, fut, vers la chute du jour, attaquée par un jeune homme à l’instigation du diable et comment deux anges la protégèrent.

         « Je la vis dans le cimetière de Coesfeld, où elle priait, rejetée de côté et d'autre par le diable, puis, comme elle revenait, précipitée dans la fosse du tanneur.

         « Je vis toutes les attaques et les persécutions qu'elle eut à subir dans le couvent : je vis aussi comment Satan la jeta par la trappe et comment elle y resta suspendue par les mains d'une manière tout extraordinaire. Je n'ai jamais vu que Satan ait pu faire naître en elle la moindre tentation contre la pureté, ni même qu'il l'ait essayé. Je vis toute l’enquête à laquelle elle fut soumise et Satan activement mêlé à toute cette affaire. Je n'aurais pu comprendre qu'elle la supportât si elle n'avait vu constamment à ses côtés des saints et des anges. Je vis aussi les dispositions intérieures des gens qui y prenaient part, leurs discours, leurs tâtonnements continuels, leur rage quand ils ne trouvaient rien, comment ils ne la laissaient en repos ni jour ni nuit et tournaient sans cesse autour d'elle avec une lumière. Je vis le landrath vraiment effrayant lorsqu'il lui dit : « Je tiens Lambert : il a tout avoué : il faut que maintenant vous avouiez aussi. » Je le vis si furieux, puis si caressant et si pressant qu'il était au moment d'arracher à cette personne une parole dont ils auraient pu tirer parti en l'arrangeant à leur guise. Mais je vis plusieurs fois une apparition lui mettre la main sur la bouche. Je vis Lambert, triste jusqu'à la mort, se surmonter lui-même et je vis que cela a beaucoup profité à son âme. Je vis le livre du Pèlerin dont on tira beaucoup de choses pour les faire publier.