Critiques des adversaires d'Anne-Catherine et de Brentano.

 

Nous croyons que les visions d'Anne-Catherine sont d'ordre surnaturel et qu'elles viennent de Dieu.

Parmi ceux qui ne partagent pas notre opinion, il est des hommes qui ne croient pas au surnaturel. Nous leur avons adressé un mot plus haut, nous n'avons rien de plus à leur dire.

Parmi les hommes qui ont une religion positive, mais qui ne partagent point notre opinion sur les visions d'Anne-Catherine, il en est beaucoup qui expriment leur manière de voir sans donner leurs raisons, beaucoup aussi qui se contentent de railleries et d'injures. Nous n'avons rien à faire avec ces adversaires d'Anne-Catherine.

Nous ne parlerons ici que de trois adversaires de la pieuse, nonne. Ce sont ceux que nous connaissons le mieux. Ils ont motivé leur opinion. L'un d'eux, le pasteur protestant Rieks est le critique de beaucoup le plus acharné de la vie et des visions d'Anne-Catherine, comme du travail de Brentano. Pour tout ce qui concerne la critique défavorable à notre visionnaire, M. Goyau nous renvoie uniquement à l'ouvrage de Rieks.

Mais il est bon que l'on connaisse aussi les critiques faites à Anne-Catherine par certains catholiques. Nous introduisons donc dans cette étude deux autres adversaires d'Anne-Catherine, deux religieux catholiques : le Père Riegler, prieur du couvent de Lana dans le Tyrol et le Père, Raffl, professeur de langue et de littérature hébraïques à l'Université de Salzbourg.

 

 

a) Critique particulière de deux adversaires d'Anne-Catherine Emmerich :

les PP. Riegler et Raffl.

 

Le Père Riegler, en lisant les ouvrages que Brentano et le Père Schmœger ont consacrés aux visions d'Anne-Catherine, crut découvrir diverses erreurs théologiques dans les Introductions du Père Schmœger et une série d'erreurs historiques et religieuses dans les visions de la stigmatisée. La biographie de la pieuse nonne n'eut pas du reste le don de lui plaire ; il releva divers faits qu'il interpréta à sa façon et écrivit qu'Anne-Catherine avait manqué à l'obéissance et à l'humilité. Or, d'après les règles posées par le pape Benoît XIV sur la béatification des visionnaires, on ne peut admettre que Dieu ait donné des lumières surnaturelles à une personne qui n'était pas humble. Le Père Riegler se demande dès lors si vraiment Anne-Catherine était une visionnaire. Et si elle était une visionnaire, il se demande si elle n'était pas inspirée du démon.

 

On le voit, la critique est nette, mais bien faibles sont les preuves que le Père Riegler apporte à l'appui de cette critique. Nous ne pouvons étudier l'une après l'autre toutes les accusations portées par le Père Riegler contre Anne-Catherine. Pour le détail, nous renvoyons à l'ouvrage du Père Wegener intitulé : Sur les visions de la servante de Dieu Anne-Catherine Emmerich. – Réponse aux objections du Père Riegler –. Dans cet ouvrage nous voyons clairement que les prétendues erreurs historiques et religieuses d'Anne-Catherine trahissent le plus souvent une ignorance du Père Riegler ou une lecture trop hâtive du texte même des visions. C'est ainsi qu'il reproche à Anne-Catherine de ne pas donner aux trois rois mages les noms sous lesquels ils sont connus de nos jours. Le Père Riegler ne se doute pas que les noms donnés actuellement aux rois mages datent du Moyen-Âge et que la visionnaire a dû leur donner leur nom véritable et non celui qu'ils ont dans la légende.

 

Le Père Riegler s'irrite aussi de voir qu’Anne-Catherine détruit la belle ordonnance du calendrier ecclésiastique en fixant, par exemple, la date de la naissance de Jésus au 25 novembre. Il oublie les nombreux remaniements du calendrier et il oublie que les anniversaires liturgiques n'ont nullement la prétention d'être des anniversaires historiques.

Que de fois il lui arrive encore de mal lire le texte des visions et de lui donner un sens qu'il n'a pas. C'est ainsi qu'il accuse Anne-Catherine d'orgueil en disant qu'elle a méprisé les visions de sainte Thérèse, sainte Catherine de Sienne, sainte Claire de Montefalco, sainte Brigitte, sainte Hildegarde, sainte Véronique Giuliani, Marie de Jésus, etc. – Anne-Catherine a simplement dit que ces visions avaient été mal recueillies, transformées, falsifiées en quelque sorte par certains prêtres aux vues étroites et certains imprimeurs. Anne-Catherine ne s'attaque pas aux saintes visionnaires en question, mais à ceux qui ont recueilli et publié leurs visions.

 

Sailer, qui a visité Anne-Catherine à Dülmen, l'évêque Sailer, a une tout autre opinion de ses vertus chrétiennes et en particulier de son humilité. Il écrit : « Anne-Catherine est extrêmement réservée sur le chapitre des révélations que Dieu lui fait. Elle est l'humilité en personne. L'innocence et la simplicité avec lesquelles elle rapporte ce qu'elle a vu sont déjà à elles seules ses meilleures et ses plus sûres lettres de crédit. (Beglaubigunbsschreiben).

Nous ne suivrons pas, le Père Riegler davantage. Plus on lit ses écrits contre Anne-Catherine, plus on a l'impression que l'on se trouve en présence d'un esprit chagrin qui cherche partout à reprendre et qui du reste se contredit à chaque instant. Que penser de cet homme qui se demande parfois si Anne-Catherine n'est pas une possédée du démon et qui d'autre part écrit : « Aussi édifiante nous apparaît la vie de cette servante de Dieu, aussi peu édifiante, au contraire, nous apparaît la publication de ses visions ! »

 

Le Père Riegler a une excuse. Au fond de son cloître il jetait ses pensées sur le papier comme elles lui venaient, pour sa satisfaction personnelle ; il ne pensait pas à les publier. Ce qui le prouve, c'est le peu de soin qu'il apporte à transcrire ses citations. Mais en 1898, vingt-cinq ans après sa mort, son manuscrit est tombé entre les mains du Père Raffl, professeur de langue et de littérature hébraïques à l'Université de Salzbourg. La science du Père Raffl à cette époque était froissée de se voir en désaccord avec les données de la Visionnaire à propos du livre de Job. Il fut heureux de trouver le manuscrit du Père Riegler et se mit à le publier dans le Journal ecclésiastique de Salzbourg (nos 53 à 57, année 1898).

 

Le Père Raffl fit précéder le mémoire du Père Riegler d'une Introduction dans laquelle il écrit ces paroles remarquables : « ...Heureusement la dissertation suivante du Père Riegler me tomba sous la main, je la fis copier ; malheureusement je m'aperçus à la lecture de cette copie que les citations extraites des œuvres d'Anne-Catherine Emmerich ainsi que les citations de la Sainte Écriture avaient été écrites d'une façon tout à fait inexacte (hœchst fehlerhaft), de sorte que j'ai été obligé de corriger toutes ces citations. » Ces quelques mots ne renferment-ils pas la condamnation de cette misérable critique ?

Néanmoins le père Raffl voulut joindre ses observations à celles du Père Riegler et il fut particulièrement malheureux. Il reprocha à Anne-Catherine d'avoir encore parlé de l'Arche d'Alliance au temps de Jésus. C'est une véritable fable, dit-il. S'il avait lu plus attentivement les visions de la pieuse nonne, il aurait vu ce qu'elle dit de cette arche d'alliance. Ce n'était plus l'ancienne arche d'alliance, mais une nouvelle arche que les Juifs avaient construite après le retour de la Captivité. Et cette seconde arche existait encore non seulement au temps de Jésus, mais même au temps de la destruction du Temple par Titus. C'est un fait bien connu de l'histoire romaine que Titus fit porter à Rome dans son cortège triomphal l’Arche d'Alliance et le chandelier à sept branches, dépouilles du Temple de Jérusalem. On peut les voir encore dessinés en bas-reliefs sur l'arc de triomphe de Titus à Rome, nous dit le Père Wegener.

 

Au fond le Père Raffl était irrité surtout contre Anne-Catherine en raison des dires de la Visionnaire sur le livre de Job. À ce sujet il accuse Anne-Catherine et le Pèlerin d'avoir devancé la critique moderniste. – Cette accusation fait sourire. Le Père Raffl écrit son article en 1898, mais Anne-Catherine est morte en 1824 et Clément Brentano est mort en 1842 !

Le Père Raffl prétend qu'Anne-Catherine, tout comme les modernistes, nie l'existence de Job comme personnage historique et fait de tout le livre de Job simplement une œuvre poétique et allégorique. Cette accusation est une véritable injure pour Anne-Catherine. Sans doute elle déclare que le livre de Job a été remanié dans le cours des siècles, en particulier par Salomon qui voulait en faire un livre d'édification, mais elle ajoute qu'il est resté un livre inspiré du Saint-Esprit. Nombreux sont les exégètes qui partagent l'opinion d'Anne-Catherine. Qu'y a-t-il d'anticatholique dans cette opinion ? Il est vrai qu'Anne-Catherine, sur le livre de Job, comme sur tous les livres saints du reste, donne beaucoup plus de détails que le texte sacré. Mais à quoi serviraient ses visions si elles ne devaient révéler que ce qui est connu ? C'est Anne-Catherine qui nous apprend à quelle époque a vécu Job. La science ne pouvait le dire. Si l'on ajoute foi aux révélations d’Anne-Catherine le livre de Job doit être le plus ancien du monde. Elle écrit : Job était le plus jeune enfant de sa famille. Il avait douze frères. Son père était un grand chef de tribu qui vivait au, temps de la construction de la tour de Babel. Son père avait encore un frère ; de ce frère descend la lignée d'Abraham. Le père de Job s'appelait Jectan, il était fils de Héber. Le deuxième fils de Héber était Phaleg... » Ne nous présente-t-elle pas ici Job comme un personnage historique ? Que vaut alors la critique du Père Raffl ?

 

Mais allons plus loin et voyons ce que dit la Genèse X, 25 : « Heber eut deux fils. Le nom de l'un était Phaleg, parce que de son temps la terre était partagée et le nom de son frère était Jectan. Jectan engendra Elmodad, Saleph, Asarmoth, Jaré, Aduram, Uzal, Décla, Ebal, Abimaël, Saba, Ophir, Hévila et Jobab. » Le treizième fils, d'après la Bible, était Jobab. Or Jobab est la forme chaldéenne du nom de Job. Ne voit-on pas que la visionnaire est d'accord avec la Sainte Ecriture ? Elle donne plus de détails que le texte sacré, certes, mais elle n'en change pas le caractère. Encore une fois, que valent les objections du Père Raffl ?

 

b) - Critique générale du pasteur protestant Rieks.

 

Les objections et les critiques des PP. Raffl et Riegler sont renfermées tout entières dans quelques articles de journaux. Il n'en est pas de même des critiques de Rieks qui remplissent un livre énorme de plus de quatre cents pages.

La façon de critiquer de Rieks nous est connue. Nous l'avons déjà vu à l'œuvre à propos de la stigmatisation. Sa critique est intéressante et originale en ce sens qu'il ne s'attache pas à ses idées et qu'il n'a pas peur de fournir plusieurs explications quand même elles s'excluraient l'une l'autre. Il ne craint pas de se contredire. Il cherche à nuire à ceux qu'il considère comme ses ennemis et toutes les armes lui sont bonnes. Il réunit ainsi contre Anne-Catherine, ses visions, son entourage, Brentano, et les papistes et les calotins de tout poil et de toutes couleurs un arsenal de mauvaises raisons qui s'arrangent assez mal entre elles. Peu importe, chacun pourra y prendre ce qui lui .plaira, se dit-il (1).

 

La critique de Rieks en outre, n'a rien d'historique : Rieks ne s'embarrasse pas de dates qui pourraient être gênantes. En revanche elle est parfois très fantaisiste, menée à grande volée d'imagination et remplie d'imprévus. Ainsi, bien souvent, au détour d'une phrase elle nous pose un problème difficile à résoudre. Il nous dira par exemple : Anne-Catherine Emmerich se dit visionnaire, pourquoi n'a-t-elle pas élucidé une foule de questions de grande importance sur l'histoire de son pays natal, de la Westphalie ? Pourquoi surtout n'a-t-elle pas prédit les victoires allemandes de 1870-71 ?

Tout un long chapitre du livre de Rieks, le VIIe, critique les visions d'Anne-Catherine. On nous permettra de négliger complètement cette critique. Elle se réduit simplement à rechercher dans les visions de la stigmatisée les faits surnaturels qui ne se trouvent pas dans la traduction luthérienne de la Bible. Rieks nous présente tous ces faits en nous demandant : Peut-on croire chose semblable ? N'est-ce pas d'un ridicule achevé ? – S'il s'agit de faits où se trouve en germe un dogme de l'Église catholique, celui de l'Immaculée Conception, par exemple, Rieks se comporte de différentes façons. Parfois il prend un air très fin : Ne voyez-vous pas qu'il s'agit de glorifier ici l'Église catholique ? – Le plus souvent il se fâche et se répand en un torrent d'injures sur cette nonne augustine qui veut détrôner le moine augustin Luther, sur cette Allemande, véritable sans-patrie, qui hait les Prussiens et chérit les Français.

Rieks ne croit nullement aux visions d'Anne-Catherine. Seulement, le fruit de ces visions est là sous la forme d'énormes in-folio. Il faut expliquer la genèse de ces ouvrages d'une façon naturelle. Rieks arrive à le faire.

 

Anne-Catherine avait beaucoup lu, affirme-t-il ; elle avait lu énormément de livres en gardant les bestiaux, en travaillant comme couturière et surtout au couvent. Là il devait y avoir une bibliothèque très riche en œuvres de toutes sortes. Et Anne-Catherine s'est assimilé le contenu de tous ces ouvrages. Hystérique, elle devait avoir une mémoire extraordinaire. Elle aimait à raconter sous forme de visions ce qu'elle avait lu. Elle se donnait ainsi un rôle qui flattait sa vanité. L'abbé Lambert, le Père Limberg, Brentano surtout, étonnés de la forme sous laquelle elle savait présenter ses connaissances et les billevesées de son imagination débridée, surexcitèrent sa production en lui lisant une foule d'écrits religieux et théologiques de toutes sortes, même des apocryphes. Elle feignait de s'endormir pendant cette lecture. Elle amalgamait alors ses souvenirs, les fantaisies de son imagination et les données nouvelles qu'elle venait de recueillir, elle projetait le tout dans le ciel, prenait un air inspiré, et racontait ses élucubrations en les présentant comme des oracles !

Et Rieks qui nous a présenté autrefois la stigmatisée comme une personne seulement à demi consciente de ses actes et presque irresponsable nous dit maintenant qu'elle était une comédienne consommée. Elle était rusée (schlaù) au-delà de toute expression. Elle en imposa à Overberg et au Père Limberg, deux grands naïfs. Quant aux autres, elle les retint près d'elle par le sentiment tendre et profond qu'elle sut leur inspirer.

Nous savons déjà que cette hystérique, atteinte de neuropathie stigmatique, s'était fait percer les mains, les pieds et le côté par l'abbé Lambert par amour pour le bon Dieu sans doute, mais aussi par amour pour l'abbé Lambert. Rieks nous l'a dit. Et si l'abbé Lambert a stigmatisé Anne-Catherine, c'était bien par amour pour le bon Dieu également, mais aussi par amour pour Anne-Catherine.

Elle avait le cœur très large, car elle aimait d'amour non seulement l'abbé Lambert, mais encore le Docteur Wesener. C'est encore Rieks qui nous l'a appris. Et voici qu'il vient nous dire en troisième lieu qu'elle était en outre l'amie de cœur de Brentano. « Voyez, nous dit Rieks, comme le Père Wegener a illustré l'amour de Brentano pour Anne-Catherine Emmerich dans la gravure qu'il a placée en tête de son ouvrage ; dans cette gravure, ces quatre yeux qui se fixent en disent long !(lassen tief blicken).

Brentano du reste était en rapports magnétiques « im magnetischen Rapporte » avec Anne-Catherine et celle-ci lisait comme à livre ouvert dans l'âme sœur du poète « sie las alles aus dem mit ihr Geistesverwandten heraus. » Rieks tient ce renseignement du Docteur Sepp. Il est très heureux de nous le donner à l'appui de sa thèse. Ceci ne l'empêche pas d'avouer plus loin à propos des enquêtes sur la stigmatisation que décidément Anne-Catherine avait en horreur le magnétisme animal. Mais peu importe, Rieks ne tient pas plus particulièrement à tel ou tel argument, il cherche simplement à nous amener à cette conclusion : Si l'abbé Lambert porte la lourde responsabilité de la stigmatisation d'Anne-Catherine, c'est Brentano qui porte la lourde responsabilité d'avoir provoqué la plus grande partie des prétendues visions de la nonne.

 

C'est lui aussi qui en a tiré les fameux manuscrits, source de tant d'ouvrages ultramontains ! Et son action ne s'est pas arrêtée à la mort d'Anne-Catherine. Il a continué à travailler sur ses manuscrits tant qu'il a vécu. Et il s'est fait aider dans cette tâche pendant de longues années par le Docteur Sepp sous les yeux bienveillants de Gœrres. Ils « délibéraient » sur les visions, affirme Rieks. Qui nous dira les remaniements subis par toutes ces visions dans le cercle de Gœrres et de Haneberg ?

Mais laissons parler Rieks lui-même : « Dans quel but Lambert et Limberg, ces deux ecclésiastiques qui n'avaient pas de ministère à remplir (arbeitlose Geistliche), dans quel but sont-ils restés douze ans et davantage auprès d'Anne-Catherine si ce n'était pas pour lui faire connaître les interprétations alambiquées données à la Sainte Écriture, et les légendes inventées pendant plus de mille ans en vue de la glorification de l'Église romaine ? Dans quel but, continue-t-il, dans quel but les manuscrits renfermant les visions sont-ils restés pendant de longues années à Munich, dans le cercle rassemblé autour de Gœrres et de Haneberg ? Bien certainement pour être mises au point (druckreif gemacht zu werden) par Haneberg et tous ceux qui connaissaient la Palestine. » – Notons en passant que Rieks a montré de son mieux, quelques pages plus haut, que les Docteurs Sepp et Haneberg méprisaient les visions d'Anne-Catherine ! – « Au surplus, ajoute-t-il, le lecteur, malgré toute la peine prise par Brentano pour avoir l'air de n'être que le secrétaire d'Anne-Catherine, le lecteur remarque à chaque pas que le poète lui présente les productions de son imagination. »

Après la mort de Brentano, son frère Christian et surtout le Père Rédemptoriste Schmœger mirent la dernière main à cette mystification colossale et le Père Charles Erhard Schmœger défendit avec tout l'outillage, tout l'attirail de guerre d'un « scolastique moyenâgeux » le caractère surnaturel des visions, – le tout pour le plus grand bien de l'Église catholique romaine.

 

Telle est dans ses grandes lignes la critique de Rieks. Comme nous l'avons dit, il arrive à expliquer naturellement les visions d'Anne-Catherine et il explique aussi le plus naturellement du monde la genèse des livres renfermant ces visions ; mais, pour arriver à ce résultat, il lui faut dénaturer complètement le caractère de toutes les personnes qu'il met en scène, il lui faut nier ou passer sous silence une foule de faits, en inventer encore plus, faire les suppositions les plus étranges et terminer par une conspiration générale des savants catholiques allemands !

Que faut-il penser de cette misérable critique ? Allons-nous reprendre une à une toutes les accusations de Rieks pour les discuter ? Non, vraiment. On sent trop bien qu'il y a là un échafaudage très artificiel d'explications fondées sur des inventions ou sur des suppositions malveillantes. Les biographes d'Anne-Catherine affirment par exemple qu'elle n'a lu que fort peu de livres. Elle a eu entre les mains quelques manuels de piété et la règle de son couvent. Elle n'a jamais lu la Bible. Quand on lui lisait un passage de l'Écriture Sainte, elle était toujours fort surprise d'y trouver si peu de détails. Mais Rieks qui veut au contraire qu'elle ait lu une multitude d'ouvrages écrit pour fonder son opinion : Il y avait beaucoup de livres dans certains couvents allemands ; on y trouvait même des livres protestants. Qu'est-ce qui aurait bien pu empêcher Anne-Catherine Emmerich de lire beaucoup de choses ? (Warum soll die Emmerich nicht vielerlei gelesen haben ?) C'est une supposition de Rieks, mais il s'appuie sur cette supposition comme sur un fondement solide, bien qu'il se sache en contradiction avec les biographes de la pieuse nonne.

Que dire aussi de toutes ses insinuations mensongères, de toutes ses calomnies ? Il en est qui se détruisent d'elles-mêmes, soit que Rieks se contredise comme il le fait à propos des rapports magnétiques d'Anne-Catherine et de Brentano, soit que ses insinuations tombent sous le ridicule comme c'est le cas pour l'amour de l'abbé Lambert, du docteur Wesener et de Brentano pour la stigmatisée.

En écrivant la vie d'Anne-Catherine nous avons répondu d'avance aux attaques de Rieks contre la vertu et la sainteté de la pieuse nonne. De même, dans les raisons que nous avons déjà données en faveur de l'authenticité des visions d'Anne-Catherine et dans les raisons que nous donnerons encore à ce sujet dans la dernière partie de cet ouvrage, nous avons répondu et nous répondrons encore aux attaques de Rieks contre les visions. Tout notre travail en somme répond à ses attaques.

Ses accusations contre les savants catholiques allemands et leur collaboration dans la mystification colossale imaginée par Brentano tombent sous ses propres coups, car après avoir affirmé que les professeurs Sepp et Haneberg étaient les complices de Brentano, il les attire dans son camp et en fait des adversaires d'Anne-Catherine et du Pèlerin !

 

Il faut que nous venions en aide à sa critique sur ce point. Nous avons dit nous-mêmes que le docteur Haneberg, savant orientaliste, dans les deux dernières années de la vie de Brentano a donné à celui-ci maintes indications précieuses sur la concordance des visions avec la cabale juive ainsi que d'autres éclaircissements et nous avons ajouté : C'est ainsi que beaucoup de notes scientifiques de la Vie de la Sainte Vierge sont dues aux renseignements de Haneberg.

Nous ne croyons pas qu'il y ait pour Rieks dans ce fait une raison de pousser des cris de triomphe. Ajouter des notes scientifiques en marge d'un manuscrit, ce n'est pas remanier ce manuscrit, c'est éclairer le texte. À l'impression les notes du docteur Haneberg sont restées séparées du texte.

Rappelons aussi à cette occasion avec quelle exactitude scrupuleuse le Père Schmœger a reproduit le premier travail de Brentano, le texte original des manuscrits, sans tenir compte des commentaires du pèlerin écrits dans les marges ! C'était une affaire de conscience pour le Père Schmœger. Il nous le dit, et il nous affirme qu'il n'a pas changé une syllabe au texte original des manuscrits. Nous pouvons accepter cette affirmation d'autant lus facilement qu'on peut la contrôler. Les manuscrits existent toujours. Ils sont en ce moment à Rome où la congrégation des Rites les fait traduire. Rieks aurait mieux aimé le travail du Père Schmœger fût moins scrupuleux. Il n'ose trop l'attaquer sur ce point, mais il se moque de son mieux de ce scolastique moyenâgeux !

 

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La grande victime de Rieks après Anne-Catherine c'est évidemment Brentano. Brentano en effet, d'après lui est l'âme de la mystification. Il n'est pas facile d'attaquer Anne-Catherine dans sa vie privée, et Rieks – sans trop se soucier de ses propres contradictions – a reconnu avec Bœnninghausen que la vie d'Anne-Catherine, d'après tous les renseignements recueillis à ce sujet avait été pieuse et irréprochable (fromm und untadelhaft). Mais il est très facile d'attaquer Brentano dans sa vie privée, du moins dans la première partie de sa vie et Rieks, comme bien on le pense, n'y a pas manqué. Ici la critique était aisée, Rieks s'est délecté à la poursuivre le plus loin qu'il a pu. Tout le VIe chapitre de son livre est consacré à Brentano.

Malheureusement, les soixante-huit pages que Rieks consacre ainsi à l'étude du caractère de Brentano et sur lesquelles il fonde toute sa critique, ne peuvent nous servir. Elles ont le grave tort de ne s'occuper que du romantique Brentano. Bien innocemment Rieks demande à Varnhagen von Ense, le plus grand ennemi personnel de Brentano ce que celui-ci pense du poète, et Varnhagen entre en scène pour nous débiter toute une série de petites vilenies qu'il prête à Brentano. Il a pu les recueillir les unes de la bouche même du poète, dit-il, les autres de la chronique scandaleuse de l'époque. Encore une fois, comme toutes ces histoires nous reportent à l'époque où Brentano était bien vraiment l'enfant perdu du romantisme, nous ne pouvons en tenir compte. Nous savons que le retour sincère du poète à la religion de son enfance, opéra une transformation profonde, radicale, complète dans l'âme et dans la conduite du poète. Nous refusons de juger ses actes dans la seconde partie de sa vie d'après les principes, ou plutôt d'après l'absence de principes de sa vie antérieure. C'est en partie parce que la critique de Rieks n’est pas historique qu'elle est si fausse.

Voyons-le appeler à son aide les contemporains de Brentano. Avec quelle mauvaise foi il procède ! Il cite une lettre de Dietz à Gœrres, mais il la cite de façon à lui faire dire le contraire de ce que pense Dietz. Celui-ci écrit à Gœrres pour lui annoncer qu'il a rencontré Brentano à Francfort et qu'il l'a amené à Coblentz « où Dieu merci il est encore ». Dietz déclare qu'il éprouvait autrefois un certain effroi devant Brentano parce qu'il ne savait que penser des « histoires d'Anne-Catherine ». Etait-ce une plaisanterie ou était-il sérieux ? – Maintenant tout est changé. Brentano est transformé, dit-il. « Tout ce que Brentano dit et tout ce qu'il fait, il le dit et le fait de la façon la plus sérieuse. (Es ist ihm mit dem, was er sagt und thut, wahrhaft ernst.) Sa conviction est profonde, claire, sans la moindre exaltation. Point de bavardage théologique et piétiste ; il s'attache tout simplement à l'Église telle qu'elle existe depuis dix-huit cents ans. » – Rieks, nous parle bien des doutes de Dietz relativement aux visions, mais il s'en tient à cette première partie de la lettre ; il oublie d'ajouter que les doutes de Dietz se sont dissipés et il n'est pas assez naïf pour parler de la transformation morale et religieuse de Brentano !

 

Il aime mieux nous parler de Gœrres. Voyez aussi ce que Gœrres pense de Brentano, nous dit Rieks. Voici une lettre de Gœrres au Pèlerin. Elle est datée du 25 juillet 1825. Anne-Catherine est morte depuis un an ; le Pèlerin travaille sur ses manuscrits. Cette fois vous allez voir la pensée de Gœrres sur Brentano, écrivain catholique.

« Que fais-tu donc, vieux Père des Nonnes ?

— Hé ! que peut-il bien faire ! Il est accroupi dans un coin, il écrit des apocryphes sur la Jeunesse de Jésus. Dans les circonstances solennelles, il fait le poète municipal, il trouble le repos des saints enfermés dans la tombe depuis mille ans ; il édifie quelques personnes, il en irrite beaucoup plus. »

Ne voit-on pas d'après cette lettre que Gœrres partage absolument les idées de Rieks ? – La réponse est facile. Depuis de très longues années Gœrres avait perdu de vue Brentano ; son ancien condisciple. Leur dernière correspondance datait de 1813. Gœrres avait bien appris que Brentano s'était converti et qu'il était resté cinq ans auprès d'Anne-Catherine à Dülmen. Mais il ne savait trop que penser de cette transformation radicale de son ancien camarade. Volontiers il y aurait vu un caprice du poète ; mais il vient de recevoir la lettre de Dietz qui affirme le sérieux de Brentano. Il veut en avoir le cœur net et écrit ce billet à son ancien condisciple, sur le ton badin qu'ils prenaient autrefois tous deux dans leur correspondance. Et Rieks donne cette lettre de Gœrres Comme devant exprimer la pensée définitive du célèbre professeur !

 

Parlant de Gœrres plus tard, ce même Rieks déplorera amèrement que le grand ami de Brentano ait écrit sa Mystique, mais il n'aura garde de nous dire comment Gœrres, lorsqu'il eut renoué ses relations avec son ancien condisciple, fut convaincu de la sincérité de Brentano et comment il lui rendit mille fois témoignage à ce sujet, le défendit quand il était attaqué et donna aux visions d'Anne-Catherine le plus bel éloge qui leur ait jamais été donné (2).

 

 

(1) En attaquant Anne-Catherine Emmerich et Clément Brentano, Rieks visait surtout le Père Denifle, archiviste pontifical, qui a écrit un livre sur Luther et sur le Luthéranisme. Ce livre où il n'est pas question d'Anne-Catherine a eu un gros succès en Allemagne, même parmi les protestants et il a eu le don d'exaspérer Rieks qui s'est mis à chercher immédiatement dans les rangs des catholiques une victime expiatoire ; c'est Anne-Catherine et Brentano qui ont eu l'honneur d'être choisis par lui pour satisfaire ses rancunes. (Voir l'introduction et la conclusion du livre de Rieks sur Anne-Catherine et Clément Brentano.)

Bientôt, du reste, en étudiant son sujet. Il s’est aperçu qu'il se trouvait en présence d'adversaires plus dangereux qu'il ne l'avait cru tout d'abord. Et il jeta alors un long cri d’alarme : Si les protestants allemands ne parviennent pas à démontrer que les charismes d'Anne-Catherine sont imaginaires, dit-il, il faudra reconnaître que l'Église catholique seule a la vie de la grâce, que seule elle est la vraie Église du Christ !

Si l'on veut se rendre compte du degré de fureur auquel peut arriver un sectaire allemand, il faut lire le livre de Rieks, il est vraiment curieux par endroits.

 

(2) Voici à titre documentaire la conclusion de cet éloge que l'on trouvera tout entier dans notre prochain ouvrage sur la valeur littéraire et scientifique des œuvres d'Anne Catherine Emmerich et de Clément Brentano :

« Ces visions sont les plus merveilleuses, les plus riches, les plus vastes, les plus profondes, les plus saisissantes que l'esprit humain ait jamais contemplées en ce genre. »