4° Deuxième partie du séjour de Brentano à Dülmen. - La notation des visions historiques suivies sur la Vie publique de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

 

En juillet 1820, Anne-Catherine fut instruite en vision qu'elle allait voir se dérouler sous les yeux de son âme la Passion de Notre-Seigneur et toute Sa vie publique dans l'ordre chronologique. Jusqu'alors les visions historiques d'Anne-Catherine avaient suivi le cycle des fêtes de l'année ecclésiastique, nous l'avons dit, et elles s'étendaient sur tous les temps. Mais du 29 juillet 1820 au 4 janvier 1824, Anne-Catherine suivra Jésus pas à pas dans toutes ses courses évangéliques ; elle verra Sa Passion, Sa Résurrection, Son Ascension, elle verra même la Pentecôte et les premiers actes des apôtres jusqu'à l'époque de la persécution des Chrétiens par Saul.

 

La première de ces visions chronologiques est celle du samedi 29 juillet 1820. Anne-Catherine voit en esprit la vie et les actes de Notre-Seigneur le 14 août de l'an 28 de l'ère chrétienne. C'est le jour où Jésus parle de l'indissolubilité du mariage. Tous les jours elle va le suivre maintenant pendant la troisième année de Sa vie publique jusqu'à Sa mort et jusqu'à Son Ascension ; elle verra ensuite les premiers actes des apôtres et le samedi 11 août 1821, elle arrivera au samedi 27 août de l'an 29, terme extrême de ses visions chronologiques.

Mais depuis le 2 mai 1821, elle a aussi des visions suivies sur les quatre premiers mois qui précédèrent la vie publique proprement dite de Jésus, de sorte que du 2 mai 1821 au 11 août de la même année, elle a tous les jours deux visions, l'une sur le commencement, l'autre sur la fin du cycle de ses visions chronologiques.

 

Le point de départ de ces visions est formé par la mort de saint Joseph qu'Anne-Catherine voit le mercredi 2 mai 1821 et qui est survenue d'après la visionnaire le mercredi 1er mai de l'an 26. À partir du 11 août 1821, elle n'a plus de nouveau seule vision par jour et le 13 juillet 1823 elle est arrivée au dimanche 11 juillet de l'an 28. Les visions qu'elle aura plus tard seront la répétition de celles qu'elle aura eues en l'absence du Pèlerin.

Si nous remarquons que sa dernière vision chronologique se rapporte au 11 juillet de l'an 28 et que la première se rapportait au 14 août de l'an 28, nous noterons que le cycle de ses visions n'est pas tout à fait rempli : il y a une lacune. C'est cette lacune que la voyante elle-même déplorait peu de temps avant sa mort, en disant : Encore quelques jours et j'aurais terminé le récit de la vie publique de Notre-Seigneur.

Pour voir plus clair dans toutes ces dates, disons en résumé qu'Anne-Catherine voit d'abord la troisième année de la vie publique de Jésus, l'année de la Passion et de l'Ascension, l'année la plus importante par conséquent. Elle voit ensuite les premiers actes des Apôtres, mais en même temps elle revient sur la période qui précéda la vie publique de Jésus. Puis elle voit la première année de celle vie publique et en dernier lieu la deuxième année. A la fin de cette deuxième année, il lui manque trente-trois jours de visions.

On peut dire que cette vie publique de Jésus racontée jour par jour à Brentano par la visionnaire stigmatisée est un monument unique au monde. Et quand même ces visions seraient rapportées d'une façon inexacte par Brentano, les ouvrages qui les renferment mériteraient d'être étudiés avec un soin tout particulier.

Mais Brentano n'a pas défiguré les visions d'Anne-Catherine. Nous allons le montrer.

 

Qu'au début de son séjour à Dülmen il ait cherché des explications aux visions symboliques de la stigmatisée, nous le croyons sans peine. Quand il a commencé à recueillir les visions, il lui est arrivé de commenter à sa manière certains faits racontés par Anne-Catherine. Sa puissante personnalité débordait sur ce qu'il faisait. Cependant dès cette époque il distingue nettement dans son Journal la vision et le commentaire, Et c'est en marge qu'il écrit son commentaire.

Au surplus, il faut bien remarquer que dans toute la première partie de son séjour à Dülmen, même au point de vue de la notation des visions, il n'en est qu'à la période d'apprentissage en quelque sorte. Tout en redressant son caractère, tout en lui enseignant sa religion, Anne-Catherine l'oblige à noter exactement ce qu'elle lui dit, et ce n'est qu'après un an et demi de cet exercice qu'il reçoit enfin les communications vraiment importantes sur la vie publique de Notre-Seigneur.

Dans cette deuxième partie de son séjour à Dülmen, il est beaucoup plus calme, il a appris à faire le sacrifice de sa personnalité, il est le maître de son esprit et de son cœur et il s'acquitte de sa tâche avec une exactitude scrupuleuse.

Sa triple éducation, religieuse, morale et « professionnelle », pourrions-nous dire, est sinon terminée, du moins en fort bonne voie. Il est digne de recevoir les visions historiques suivies et il est exercé à les reproduire avec fidélité.

Voyons-le à l'œuvre à cette époque.

 

Il mène alors à Dülmen une vie très monotone partagée entre la prière, l'étude, les œuvres de charité, les visites à Anne-Catherine et la mise en ordre de son Journal. Tous les matins il va à l'église où il entend la sainte messe. Il se tient à genoux, toujours à la même place, dans la nef, au milieu des fidèles qu'il édifie par son attitude recueillie et sa piété. Il participe du reste à tous les exercices religieux de la paroisse. De plus il se confesse, communie et fait le chemin de la croix au moins une fois toutes les semaines. Tous les soirs il récite le chapelet et fait sa prière avec ses hôtes.

Il est l'ami des pauvres, à qui il distribue de larges aumônes, et des enfants qui l'accompagnent en troupe quand il passe dans les rues. Ceux-ci l'aiment surtout parce qu'il leur donne des jouets, des friandises et qu'il leur raconte de beaux Mærchen.

Il demeure à l'auberge de la Poste. Il n'a qu'une chambre pauvrement meublée et donnant sur le jardin. C'est là qu'il recommence à collectionner les livres rares, là aussi qu'il écrit de nombreuses lettres à ses parents et amis.

Mais tout cela n'est qu'une occupation secondaire. Sa tâche principale consiste bien entendu à aller recueillir les visions d'Anne-Catherine et à en rédiger le compte rendu dans son Journal.

Tous les jours à l'heure fixée par Overberg, il apparaît citez la stigmatisée et se fait raconter les visions de la journée écoulée. Si Anne-Catherine ne souffre pas trop, il la prie d'aller lentement et il écrit – mot à mot – ce qu'elle lui dit. Si la malade souffre trop, il la laisse parler comme elle peut et se contente de prendre des notes. Mais dès qu'elle a un moment d'accalmie dans ses souffrances, il en profite pour revenir sur les visions qu'il n'a pu noter convenablement et pour réclamer des détails ou des précisions.

Dans tous les cas, quand la pauvre malade est en état de lui répondre sans trop de fatigue, la notation des visions est un moment difficile à passer et pour Brentano et pour Anne-Catherine. Ordinairement il ne comprend que fort peu de chose à ce qu'elle lui dit, soit qu'elle lui parle dans son patois westphalien, soit qu'elle lui donne des noms hébreux ou persans, soit surtout qu'elle s'explique mal sur ce qu'elle a vu. Il lui pose alors une foule de questions, lui fait épeler les mots difficiles, demande de nouvelles explications.

Comme il connaît fort peu la géographie et qu'il a beaucoup de peine à s'orienter sur les cartes très incomplètes et très inexactes éditées à cette époque, la topographie des lieux lui donne un mal infini. Il faut dire qu'Anne-Catherine ne lui facilite guère la tache. S'il la laissait faire, elle se contenterait de désignations tout à fait imprécises. Elle voit dans son esprit les lieux qu'elle décrit et elle les montre du doigt sur sa couverture : ici, le chemin de tel endroit ! , telle montagne ! etc... Le Pèlerin ne se contente pas de ces indications. Il veut des chiffres approximatifs. A quelle distance telle localité est-elle de telle autre ? demande-t-il. Combien d'heures de marche ? etc., etc. Et comme Anne-Catherine avance toujours en esprit et qu'elle regarde tantôt au nord, tantôt au sud, il exige d'elle qu'elle se place à un point précis. Mais quel labeur !

 

C'est encore une autre difficulté quand elle décrit un objet de l'ancien temps comme le calice dont s'est servi Notre-Seigneur à la Cène, ou les mille vases et ustensiles dont les Juifs se servaient particulièrement au Temple ! Elle est plus habile pour décrire les costumes des prêtres ou des gens du peuple, des prophètes, des rois ou même des danseurs et danseuses dans les pays où elle -voyage en esprit. Son métier de couturière l'a davantage préparée à ce genre de communication. Elle explique aussi assez bien les us et coutumes des divers peuples et des diverses époques.

Par une grâce toute particulière du Ciel, elle se sert de termes souvent très précis et du langage technique, si l'on peut s'exprimer ainsi, quand il s'agit de religion et de théologie ou même de philosophie. Ce trait avait déjà frappé Stolberg lors de sa visite à Dülmen.

Mais pour décrire les lieux et les objets, elle est très inhabile. A propos du cercueil de saint Jean-Baptiste par exemple, Brentano déclare : « Elle décrit ce cercueil d'une façon absolument inintelligible. On ne peut l'interroger ; la moindre question qu'on lui fait la trouble et l'arrête. Il lui est extrêmement difficile de décrire les objets et elle met toutes les questions qu'on lui fait sur le compte du manque d'intelligence de celui qui l'entend. Elle n'a pas été formée à ce genre d'exercice et elle a toujours vécu avec des gens qui ne cherchaient jamais à avoir une idée exacte des choses. On ne lui a jamais dit qu'il y a une immense différence entre voir soi-même un objet et le décrire aux autres. Comme elle voit aussitôt tout ce dont on lui parle, elle ne soupçonne pas les difficultés et s'imagine qu'on doit comprendre ce qu'elle a dit d'une manière confuse et même parfois ce qu'elle s'est imaginé à tort avoir dit. Mais tout cela est sans doute une condition de son état. » Rien de plus légitime que ces plaintes du Pèlerin ; rien de plus raisonnable que le langage de cet être soi-disant si fantasque qui, selon tant et tant de personnes doit avoir écrit les visions à grande volée d'imagination !

 

Anne-Catherine s'expliquait souvent fort mal. C'est très naturel chez une personne à peu près illettrée. « Habituée dès ses plus jeunes années à agir, à souffrir à vivre immédiatement dans la sphère de ses visions, dit le Père Schmœger, son biographe, Anne-Catherine n'avait jamais eu l'occasion de s'y reporter par la réflexion pour les communiquer à d'autres et elle n'avait jamais dû s'exercer à traduire en langage humain ce qu'elle percevait non en prêtant l'oreille à des sons matériels et sensibles, mais en recevant en elle le rayonnement de la lumière vivante. »

Pour éclairer ce dernier mot, il nous faut donner brièvement une théorie de la vision proprement dite. Ceci nous aidera du reste à comprendre comment Anne-Catherine est parfois si habile et parfois si gauche dans les communications qu'elle fait au Pèlerin.

C'est à sainte Hildegarde, visionnaire comme Anne-Catherine, – mais beaucoup plus instruite –, que nous empruntons cette théorie dont nous ne donnons que les grandes lignes. Maints et maints renseignements fournis par Anne-Catherine sur le fait même de la vision prouvent jusqu'à l'évidence que ses visions étaient exactement de même nature et de même espèce que celles de sainte Hildegarde.

 

Celle-ci distingue deux sortes de lumières surnaturelles éclairant l'âme du visionnaire. La première de ces deux lumières, la plus ordinaire, la plus grossière aussi et la mieux adaptée à la nature humaine, sainte Hildegarde la nomme l'ombre de la lumière vivante. La seconde, infiniment plus belle et plus pénétrante, beaucoup plus rare aussi, est la lumière vivante. La première est à la seconde ce que l'ombre est à la lumière du soleil.

Lorsque la visionnaire reçoit la lumière vivante, elle est arrachée à la sphère de la vie ordinaire, c'est l'extase supérieure avec ses ravissements. Elle a alors l'intelligence complète, absolue, de ce qu'elle voit avec la facilité de tout expliquer. En 1819, à Noël, Anne-Catherine vit ainsi dans l'extase supérieure la célébration de la fête dans l'Église triomphante et y participa. « Son allégresse était telle que le Pèlerin, accablé du sentiment de sa misère et de la misère des autres hommes pécheurs comme lui, fut obligé de pleurer. Pour elle, elle était rayonnante de joie ; une sorte de transfiguration avait modifié tout son être ; elle était pleine de vivacité et de sérénité ; elle parlait des mystères les plus élevés avec tant de profondeur et un tel bonheur d'expression que le Pèlerin était réduit à l'admiration muette ; mais on ne retrouvera dans ses notes qu'un pâle reflet à la place des vives couleurs ou plutôt des traits enflammés qu'elle faisait jaillir du sein des ténèbres de la vie. »

 

Il n'en est plus de même dans l'extase ordinaire. Là la visionnaire n'est pas détachée du monde. Pendant cette extase elle peut même fort bien être en train de converser avec son entourage, ce qui est du reste toujours très pénible pour elle. « Quand je cause dans cet état, dit Anne-Catherine, je crois entendre une personne étrangère qui parle à travers un objet creux et grossier et ne fait entendre que des sons confus ; il me semble que je suis ivre ; ma conversation n'a rien d'étrange cependant pour ceux qui causent avec moi... Si je confectionne quelque vêtement, je vois mes ciseaux passer à travers l'étoffe, mais il me semble que c'est un songe ; tout ce qui m'entoure est triste, confus ; au milieu de tout cela j'aperçois un monde lumineux transparent qui m'entraîne d'une puissance irrésistible. La vision est plus claire que la vue naturelle et ne se fait pas au moyen des yeux. »

Cette vision dans laquelle Anne-Catherine n'est pas arrachée à la sphère de la vie ordinaire, c'est la vision dans l'ombre de la lumière vivante. « La lumière surnaturelle que j'appelle l'ombre de la lumière vivante, dit sainte Hildegarde, n'a ni profondeur, ni longueur, ni largeur. Elle est immatérielle et sans étendue ; elle ne saurait être atteinte par les facultés naturelles ; elle a pour propriété de faire tomber devant celui qui la reçoit les barrières du temps et de l'espace et d'affranchir son intelligence de toutes les entraves qui l'arrêtent dans l'état ordinaire. Ainsi l'avenir le plus éloigné, le passé lui-même deviennent semblables au présent, et l'œil de l'esprit pénètre immédiatement, et sans peine les vérités les plus profondes, les mystères, les plus secrets de l'ordre naturel et de l'ordre, surnaturel, enfin les dernières raisons des choses... De même que l'on voit dans l'eau le soleil, la lune et les étoiles, ainsi je vois en cette lumière ce qui est écrit dans les livres, ainsi que les paroles, les dispositions intérieures, les œuvres des hommes... Je vois, je saisis, je comprends en un instant ce que je dois ainsi voir et saisir. Pour ce que je dois écrire au moyen de cette lumière, je n'ai pas besoin d'autres paroles que celles que j'entends, mais je ne les entends pas comme des paroles qui sortiraient de la bouche de l'homme, je les vois comme des traits de flamme, comme des nuages lumineux qui traverseraient l'air le plus pur. »

 

Il n'est pas très facile, sans doute, de se faire une idée nette de la lumière vivante et de l'ombre de la lumière vivante. Retenons au moins de cette théorie de la vision qu'Anne-Catherine avait toujours vu très exactement ce qu'elle racontait au Pèlerin ; mais elle l'expliquait plus ou moins bien. Si sa vision relevait de l'extase supérieure, elle pouvait la rendre très facilement dans des termes nets et enflammés qui émerveillaient Brentano. Si au contraire sa vision relevait de l'extase ordinaire, elle en était réduite à ses propres ressources pour décrire et expliquer ce qu'elle avait vu. Il lui manquait alors une grande partie du vocabulaire qui lui aurait été nécessaire pour rendre ses visions et le talent de les décrire et de les exposer. C'était là une grande source de difficultés pour la notation des visions.

 

Mais la tâche de Brentano était rendue fort difficile par bien d'autres raisons encore. Il faut bien se rappeler par exemple le désordre apparent dans lequel se présentaient les diverses espèces de visions enchevêtrées les unes dans les autres, comme nous l'avons montré, désordre encore plus grand au début du séjour de Brentano à Dülmen, car alors les visions historiques ne suivaient point l'ordre chronologique.

Il faut se dire aussi que dans ce chaos la lumière ne se faisait que peu à peu et que tel point obscur dans une vision ne devenait clair que six mois ou un an plus tard à propos d'une autre vision présentant l'objet même de la vision, mais considéré cette fois sous un autre aspect, vu sous un autre angle et dans un autre éclairage.

Il faut encore bien se dire que Brentano était loin d'être un puits de science. Les études très irrégulières de son enfance, mal complétées par les rêveries de sa jeunesse n'avaient pas du tout fait de lui un savant universel en avance sur son siècle comme certains le prétendent. La plupart des communications d'Anne-Catherine dépassaient de beaucoup ses connaissances. Nous en donnerons plus d'une preuve. Signalons simplement ici la foule de points d'interrogation et de points d'exclamation qui ornent les marges de son journal et qui veulent dire tout simplement : Ici le Pèlerin a écrit de confiance ce que la stigmatisée lui a dit, mais il n'y a rien compris.

 

On se représente maintenant la difficulté de la tâche de Brentano quand il prenait ses notes. A force de questions à la malade, il arrivait à avoir lui aussi une vision nette de ce qu'elle avait vu. Mais pour en arriver à ce résultat il fallait que la malade fût en état d'être interrogée. Quand elle souffrait trop fort, nous l'avons dit, le Pèlerin ne prenait que des notes. Revenu chez lui, il les développait de mémoire, puis à sa prochaine visite, si Anne-Catherine allait mieux, il lui lisait son travail. Elle approuvait un passage, en critiquait un autre. Le Pèlerin retouchait sa rédaction, la soumettait une seconde fois, une troisième fois à la visionnaire jusqu'à ce que celle-ci fût enfin satisfaite.

On pourrait croire qu'Anne-Catherine était facilement satisfaite de la rédaction de Brentano. Il n'en est rien. Elle, qui se contentait facilement d'indications sommaires lorsqu'elle racontait ses visions, elle était très difficile sur le compte rendu qui en était fait. Son guide spirituel lui montrait souvent, disait-elle, que les visions des visionnaires morts avant elle avaient été le plus souvent défigurées par ceux qui les avaient recueillies.

Ceux-ci avaient de fort bonne foi du reste, groupé et ordonné leurs doctrines théologiques dans un système qui leur était particulier, cadre trop étroit où ils faisaient entrer de gré ou de force les visions qui leur étaient communiquées. Ils avaient en quelque sorte des préjugés théologiques. Si une vision contrariait un de leurs préjugés, d'une façon plus ou moins consciente ils altéraient la vision ou ils la passaient sous silence. Il arrivait aussi souvent que les visionnaires eux-mêmes ou ceux qui recueillaient leurs paroles ne faisaient pas les distinctions nécessaires entre les visions historiques et les visions symboliques. Enfin les imprimeurs ont remanié très souvent les manuscrits, ajoute-t-elle, et c'est pour toutes ses raisons et d'autres encore qu'on peut noter de grandes divergences dans les récits des divers visionnaires. La faute en somme en est surtout à ceux qui ont recueilli et les visions.

Ainsi avertie par son guide spirituel, Anne-Catherine se montrait très sévère sur les comptes rendus du Pèlerin. Celui-ci alors s'appliquait à faire de son mieux et Anne-Catherine rend plusieurs fois témoignage à son zèle scrupuleux. Nous ne saurions trop insister sur ce point, car la sincérité de Brentano a été souvent mise en doute. Notons donc l'approbation générale donnée plusieurs fois au travail du Pèlerin par Anne-Catherine elle-même.

 

Dès le mois de janvier 1820, parlant de la religieuse stigmatisée Madeleine de Hadamar, Anne-Catherine dit : « J'ai vu son confesseur occupé à écrire, mais il ne le faisait pas convenablement et parlait beaucoup plus de l'admiration qu'il éprouvait que de ce qu'il avait à recueillir. Je songeai alors au Pèlerin et je vis qu'il ne s'arrête guère à admirer et qu'il écrit plutôt moins que plus ; car il y a bien des choses que je ne puis exprimer et je ne lui raconte que ce que je sais bien. »

Le 3 mai de la même année, après avoir critiqué diverses « Vies de saints », elle dit encore : « Pour le Pèlerin, il recueille très bien tout ce que je lui communique. »

Mais c'est le 3o décembre surtout qu'elle donne au travail de Brentano l'approbation la plus significative. Elle déclare que l'écriture du Pèlerin dans les notes qu'il prend sur ses visions est lumineuse. « II n'écrit pas ainsi de lui-même, dit-elle, il a pour cela une grâce particulière. Nul autre ne pourrait le faire comme lui ; on croirait qu'il a lui-même les visions. »

Rien n'autorise à récuser le témoignage d'Anne- Catherine. Cependant pour appuyer nos dires sur le travail de Brentano à Dülmen, nous citerons encore le témoignage d'une personne tout à fait désintéressée. Une nièce d'Anne-Catherine a affirmé sous serment qu'étant venue passer ses vacances chez sa tante, elle a vu le Pèlerin revenir jusqu'à trois fois dans la même journée pour corriger la rédaction de certains points obscurs des visions qu'il avait recueillies.

On voit ce que valent les accusations contre la sincérité de Brentano dans la notation des visions. Nous allons revenir du reste sur ce point. Disons encore auparavant en quelques mots quel fut le travail de Brentano sur ses notes après la mort d'Anne-Catherine et comment furent publiées les visions de la pieuse nonne.