2° Comment Brentano fut amené à se fixer à Dülmen.

 

Nous avons étudié d'une façon très générale la vie de Clément Brentano et la vie d'Anne-Catherine Emmerich. Nous en avons vu les grandes lignes, les grandes divisions, les caractères généraux. Nous en avons une vue d'ensemble. Il nous faut maintenant éclairer d'une lumière plus vive cette partie de leur existence où ils ont vécu l'un près de l'autre en quelque sorte, où ils ont été du moins en rapports quotidiens, où ils ont travaillé ensemble.

Reprenons la vie de Brentano au moment où il vient de se réconcilier avec son Église. Nous sommes à Berlin au début de 1817. Brentano est heureux. Il a retrouvé le calme de sa conscience et il est très à l'aise dans sa nouvelle vie.

Il a renoncé à la main de son amie Louise Hensel. Elle lui a promis du reste, de ne jamais se marier, car elle veut rester pure, « fuir la Terre, et s'envoler, blanche colombe, dans l'azur des cieux ». Brentano va souvent la voir. Elle lui montre ses poésies. Ils travaillent ensemble à une nouvelle édition des Lieder religieux du Père Spee. Ils se traitent en frère et sœur. Brentano est heureux.

 

Le temps s'écoule vite, pour le poète converti, dans des travaux poétiques religieux, dans la compagnie de Louise, dans l'exercice de la charité chrétienne. Mais déjà à la fin de l'été, Christian Brentano qui a passé trois mois auprès d'Anne-Catherine vient voir son frère Clément à Berlin. Les récits enthousiastes de Christian sur la stigmatisée intéressent tout le monde, même beaucoup de protestants ; Clément seul reste froid et cherche à détourner la conversation chaque fois qu'on l'amène sur ce sujet. C'est que tout le monde l'engage à aller à Dülmen et qu'il veut rester à Berlin.

Christian, pendant ce temps, instruit aussi Louise Hensel sur les vérités de la religion catholique avec plus de succès que ne l'avait fait Clément. Louise se décide intérieurement à abjurer le protestantisme, mais elle ne veut pas le faire tant que les deux Brentanos seront auprès d'elle : elle ne veut pas avoir l'air de céder à leurs instances. Pour pouvoir se recueillir et pour se sentir plus libre, elle engage, elle aussi, Clément Brentano à aller à Dülmen. Il est peiné de voir Louise l'éloigner d'elle. Elle remarque son chagrin et ne parle plus de ce voyage.

Le temps s'écoule encore. Enfin, l'année suivante, à l'arrière-saison, Brentano reçoit une lettre de Sailer qui l'invite à venir le voir chez Stolberg à Sondermühlen en Westphalie. Cette lettre remplit de joie Brentano. Il promet d'aller trouver son vieil ami et se met en route le 14 décembre 1818, avec un grand serrement de cœur pourtant, parce qu'il lui faut quitter Louise. En route, tous les jours il écrit à son amie de longues lettres dans lesquelles il lui donne ses impressions de voyage.

Arrivé à Sondermühlen, il ne trouve pas Sailer. Stolberg ne sait pas encore quand Sailer arrivera. Il pense que Sailer passera par Dülmen pour voir Anne-Catherine au passage. Et Brentano se décide à aller au-devant de son ami à Dülmen. Ce sera une occasion de voir enfin la stigmatisée dont on lui a tant parlé. Il va d'abord à Münster où il voit Overberg. Celui-ci lui donne une lettre de recommandation pour le docteur Wesener et Clément Brentano arrive à Dülmen le 24 septembre 1818, à dix heures et demie du matin.

Sa première visite est pour Wesener qui le conduit chez Anne-Catherine où il est reçu de la façon la plus cordiale. Anne-Catherine qui attend Brentano depuis longtemps, sait quelle mission il aura à remplir auprès d'elle. Elle est très aimable avec lui, comme avec tout le monde du reste, et déjà elle lui cause avec beaucoup d'abandon, comme à une personne que l'on connaît depuis longtemps. Elle l'invite à revenir tous les jours et il n'y manque pas.

 

Tout l'intéresse en elle : les stigmates, les effusions de sang, les pouvoirs merveilleux de la malade et surtout son caractère et sa vie de sacrifice et d'abandon à la volonté de Dieu. Il est intarissable dans ses lettres à Louise. C'est un monde nouveau qui s'ouvre complètement devant lui, dit-il ; il apprend à connaître l'Église dans la personne d'Anne-Catherine et il revient constamment sur cette idée. Il voudrait que Louise voie ce qu'il voit et entende ce qu'il entend ! Il est enthousiasmé. Déjà il pense à écrire la vie d'Anne-Catherine.

 

Huit jours, quinze jours, trois semaines se passent, Sailer n'arrive toujours pas. Mais le temps ne paraît pas long à Brentano. Il a trouvé une nouvelle patrie, écrit-il à Louise ; il a le pressentiment qu'il ne pourra plus quitter cet être merveilleux (Anne-Catherine). Sa prière d'autrefois est exaucée ; il sent qu'il a une mission à remplir : « il va s'efforcer de rassembler et de conserver le trésor des grâces qu'il aperçoit ici. »

Le 22 octobre, Sailer et Christian paraissent enfin. La joie de Clément est grande. Le lendemain 23, un vendredi, Sailer passe toute la journée près d'Anne-Catherine, voit ses stigmates saigner, fait sur elle l'expérience de ses pouvoirs religieux, reçoit sa confession et le lendemain, le 24, lui donne la sainte communion.

Le même jour les deux Brentanos et Sailer parlent pour Sondermühlen, mais les deux frères ne restent que vingt-quatre heures chez Stolberg et retournent bien vite à Dülmen. Il est entendu qu'ils viendront prendre Sailer le 4 novembre, et qu'après une dernière visite à Dülmen, ils partiront tous les trois pour Coblentz, Francfort et Heidelberg.

Dès le premier novembre cependant, Clément renonce à ce voyage, il veut rester quelques semaines de plus à Dülmen, Anne-Catherine l'en a prié, dit-il dans une de ses lettres. Peut-être même va-t-il fixer ici sa tente !

Le 4 novembre, Sailer revient à Dülmen. Clément lui demande alors l'autorisation de rester auprès d'Anne-Catherine pour recueillir les visions de la pauvre stigmatisée ; de son côté Anne-Catherine prie Sailer de lui permettre de communiquer ses visions au « Pèlerin ». Sailer accorde tout. Brentano prend alors la résolution de rester à Dülmen jusqu'à la mort d'Anne-Catherine.

Ainsi, venu à Dülmen avec la pensée de trouver Sailer auprès de la visionnaire, Brentano qui croyait rester tout au plus quelques heures auprès d'elle se décide bientôt à y rester quelques semaines et à écrire la vie de la stigmatisée, puis il pense à prolonger encore son séjour et enfin il se fixe à Dülmen pour un temps indéterminé, dans le but de recueillir les visions d'Anne-Catherine et de répondre ainsi à l'appel de Dieu.

À la surprise générale, il restera là plus de cinq ans, avec des interruptions peu considérables, et comme il se l'était promis, il ne quittera définitivement Dülmen qu'à la mort d'Anne-Catherine.

Citons les principales interruptions de séjour de Brentano à Dülmen. Avant de se mettre à l'ouvrage, il fait deux visites en compagnie de Sailer : une première visite à Bocholt chez un ami, von Bostel, puis une autre visite chez le beau-père de ce dernier, chez Diepenbrock. C'est dans cette autre visite que Sailer, en une demi-heure, convertit le fils aîné de la maison, Melchior, un futur prince de l'Église, et c'est là aussi que Brentano se fait à tout jamais un ami intime de ce même Melchior.

Brentano revient à Dülmen le 17 novembre. C'est de ce jour que datent ses premières notes sur les visions d'Anne-Catherine. Il travaille six à sept semaines, puis, au commencement de janvier 1819, il s'en va à Berlin mettre ordre à ses affaires, vendre sa bibliothèque et prendre toutes les dispositions nécessaires pour pouvoir s'établir à Dülmen. Cette première absence devait aussi calmer l'entourage d'Anne-Catherine qui avait eu déjà maintes querelles avec le secrétaire, comme nous le verrons plus loin. Celui-ci reparaît à Dülmen au mois de mai, se remet à son travail et est interrompu de nouveau trois mois plus tard par la seconde enquête qui dure trois semaines, comme nous l'avons vu, du 8 au 29 août 1819. Pendant cette enquête, Brentano défend sa pauvre amie de son mieux, mais sans grand résultat. La commission le tient à l'écart, comme elle tient à l'écart toutes les personnes de l'entourage d'Anne-Catherine. II passe alors ce temps à Maison Holtwick, chez Diepenbrock.

 

Après ces deux interruptions, nous n'avons plus à noter qu'une seule absence vraiment longue de Brentano : de juin à septembre 1823, il fait un voyage à Francfort, parce que les souffrances d'Anne-Catherine sont telles qu'elle ne peut rien lui communiquer.

De l'arrivée de Brentano à Dülmen à la mort d'Anne-Catherine, date du départ de Brentano, il s'est écoulé exactement cinq ans et quatre mois et demi. Si de ce total on défalque les absences de Brentano, il reste qu'il est demeuré à Dülmen quatre ans et demi.

Voyons comment il a rempli sa mission pendant ces quatre ans et demi de présence réelle à Dülmen.