5° Le catholique militant.

 

Les écrivains allemands protestants et libres penseurs ont considéré la conversion de Clément Brentano comme une faillite pour le romantisme. En ce sens, certainement, ils avaient raison, le romantique Brentano était mort. Mais un merveilleux écrivain catholique, – mieux que cela – un excellent chrétien venait de naître.

 

La vie du chrétien est une lutte perpétuelle vers la perfection. Clément Brentano va continuer à lutter non plus contre ses doutes cette fois, mais contre son caractère. Aux pieds du ministre de Dieu, il avait pu déposer le poids de ses fautes, mais non se dépouiller de ses défauts. Ce n'est pas chose si facile ! Tous nous avons une croix à porter. La croix de Brentano, dans la deuxième partie de sa vie, ce fut surtout son caractère. Il savait ce que valait ce misérable caractère puisque le plus bel éloge qu'il pouvait faire d'une personne était : « Der kann mich ertragen. » – « Celui-là peut me supporter ! »

Il se mit courageusement à l'œuvre pour vaincre ses défauts. Dieu l'aida. Il s'approcha souvent des sacrements, il y puisa la force qui lui était nécessaire. Tous les jours il assistait à la sainte Messe. Souvent il faisait le chemin de la Croix ; à genoux, les bras en croix devant chaque station, il méditait les souffrances du Sauveur. Il se mit à vivre une vie de pénitent et presque d'ascète. Dans ses dernières années, on le verra s'affubler d'une façon parfaitement ridicule d'une grande lévite et d'un rosaire à gros grains. Il vivra dans une chambre nue, dépourvue non seulement de tout luxe, mais même de tout confortable. En même temps il cherchera à réparer son passé en faisant d'abondantes aumônes. Depuis 1811, du reste, il avait affecté le produit de ses œuvres, produit assez considérable, au soulagement des pauvres, et il lui est arrivé d'écrire des nouvelles ou des contes uniquement dans le but de fournir du pain à de pauvres familles ; c'est le cas en particulier pour la plus belle de ses nouvelles : Die Geschichte vom braven Kasperl und der schœnen Annerl.

 

Mais il ne s'occupera pas seulement de soulager les corps, il voudra faire du bien aux âmes et il lui arrivera de déployer parfois dans ce sens un zèle intempestif. Melchior Diepenbrock, le futur cardinal de Breslau, lui reprochera d'être souvent un sermonneur ennuyeux et un trouble-fête. Converti, Brentano deviendra un grand convertisseur. Il aidera puissamment en particulier à la conversion de Luisa Hensel, et plus tard, à la conversion de l'artiste bâloise Emilie Linder. Il cherchera aussi bien souvent à diriger vers la vie religieuse les jeunes gens et les jeunes filles dont la vocation tardera à s'affirmer.

On le verra aussi mettre tout en œuvre pour favoriser le réveil religieux de l'Allemagne. Il faut lire dans l'ouvrage admirable de M. Goyau, l'Allemagne religieuse, quelle fut son action sur Gœrres : « Et Brentano persécutait Gœrres, toujours aux aguets pour surexciter sa « production volcanique », aussi ardent pour l'enrôler au service du catholicisme que naguère au service du romantisme, il réclamait de lui tour à tour un tableau de l'Église, une apologétique où serait approfondi l'enseignement secret de tous les peuples, une psychologie des âmes contemporaines, une autobiographie dans le genre des confessions, etc. » C'est Brentano qui a poussé Gœrres à écrire sa Mystique.

 

II ne se contenta pas d'exciter le zèle des autres, il mit lui-même la main à l'ouvrage et d'une façon très énergique et très efficace. Pour n'en citer qu'un exemple, nous rappellerons le chapitre où M. Goyau montre quel retentissement profond eut dans toute l'Allemagne son ouvrage sur les Sœurs de la Miséricorde.

 

Mais l'œuvre capitale de sa vie religieuse, celle sur laquelle nous allons appeler ici l'attention, ce fut sa « collaboration » avec la pieuse nonne de Dülmen.

C'est en 1817 qu'il était rentré dans le bercail de l'Église catholique, c'est en 1818 qu'il vint s'asseoir au chevet d'Anne-Catherine Emmerich, et il y resta jusqu’en 1824, c'est-à-dire jusqu'à la mort de la stigmatisée, pour recueillir ses visions sur l’Ancien et sur le Nouveau testaments . Il emporta de Dülmen une grande masse de notes. Tout le reste de sa vie il chercha à les mettre en ordre, à en faire un tout organisé qu'il pût lancer dans le monde pour l'édification de tous, fidèles et incroyants.

Ce fut le grand travail de sa vie. Il ne put l'achever du reste. Il ne publia lui-même que le premier de ses ouvrages : La douloureuse Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, d'après les Méditations d'Anne-Catherine Emmerich, religieuse augustine du couvent de Dülmen. Le deuxième ouvrage, la vie de la Très Sainte Vierge Marie, d'après les méditations d'Anne-Catherine Emmerich, était sous presse quand il mourut. Il laissait en outre toutes ses notes sur lesquelles ont travaillé, travaillent, et travailleront encore longtemps littérateurs, savants et religieux.

 

En 1814, Clément Brentano, dans l'angoisse de son cœur, réclamait de Dieu la paix de sa conscience et une occupation utile. Il le demanda avec humilité et avec persévérance. Il fit des sacrifices héroïques au Seigneur. Il en fut magnifiquement récompensé. Sa double prière fut exaucée plus pleinement qu'il n'aurait osé l'espérer. Non seulement Dieu en lui rendant la paix de sa conscience lui donna des grâces surabondantes pour travailler activement à son salut et au salut de ses semblables, mais encore en l'envoyant s'asseoir au chevet de la nonne de Dülmen, Il lui confia une des plus elles missions qu'un homme puisse recevoir ici-bas.