XXIII

 

Une promesse de longue vie

 

Le 15 janvier 1927, une foule recueillie accompagnait à l'église, puis au cimetière de Châteauneuf-de-Gadagne (Vaucluse), la dépouille mortelle de Mlle Marie Vatton, décédée à l'âge de quatre-vingt-deux ans. Mlle Vatton était une bonne chrétienne et que chacun dans la paroisse estimait. Bien que toute contrefaite et de frêle apparence, elle avait toujours étonné ses compatriotes par son endurance, son entrain, sa gaieté. Mlle Marie Vatton était une ancienne pèlerine d'Ars. Présentée au saint Curé dans sa petite enfance, elle avait été l'objet de l'une de ses prédictions. Voici en quelles circonstances :

 

A l'âge de neuf ans – c'était donc en 1854 – à la suite d'une forte frayeur, Marie devint malade et tomba dans un dépérissement qui inquiéta son père et sa mère. Un grand médecin d'Avignon, consulté, déclara que le mal s'était porté à la moelle épinière et qu'il n'y voyait aucun remède.

Sans espoir du côté de la terre, ces bons chrétiens de Châteauneuf se tournèrent vers Dieu, et la pensée leur vint de s'adresser à ce prêtre dont il était si souvent question dans la région avignonnaise. Le père se décida à conduire au Curé d'Ars la pauvre petite infirme. Présentée à M. Vianney, l'enfant, en apercevant ce visage si austère et si amaigri, donna des signes d'épouvante. Mais, penché vers elle avec son divin sourire, le saint la bénit, et Marie retrouva son calme. M. Vatton dit sa peine, puis montra les billets ou ordonnances de divers docteurs qui ne laissaient aucun espoir de guérison.

« Les médecins se trompent, répliqua l'homme de Dieu. Cette enfant restera contrefaite, oui ; mais elle vivra beaucoup plus longtemps que d'autres, et elle sera le soutien de sa famille. »

Rassuré par un tel langage, M. Vatton fut heureux, à son retour, de communiquer à sa chère femme des paroles qui démentaient si formellement le jugement pessimiste des docteurs...

Hélas ! Sans aller apparemment plus mal, cinq ou six mois après le voyage d'Ars, la petite Marie ne semblait pas devoir guérir... Que faire ? M. Vatton ne voulut pas consulter de nouveau les médecins. Il avait vu tant de sainteté rayonnant de M. Vianney qu'il chercha à le revoir encore. Il reprit avec son enfant, toujours dolente, le chemin de l'humble village.

M. Vatton se plaça, tenant sa fille dans ses bras, sur le passage du saint, au moment où, après le catéchisme, il revenait au presbytère. Il y avait beaucoup de personnes avides de le voir et de lui parler. M. Vianney discerna immédiatement au milieu de la foule les deux pèlerins de Châteauneuf-de-Gadagne. Mais, entouré, pressé comme il était par tout ce monde, il se contenta de leur jeter en passant : « Il n'y a rien de changé à ce que je vous ai dit. Ayez confiance ! »

Les événements ne tardèrent pas à donner raison au saint Curé. L'enfant revint à la santé. Elle resta sans doute contrefaite, mais elle ne fut jamais malade dans la suite. Elle parvint ainsi jusqu'à ses quatre-vingt-deux ans, et fut réellement, comme l'avait prédit M. Vianney, le « soutien de sa famille », à laquelle elle rendit d'immenses services.

Toute sa vie, Mlle Marie Vatton demeura reconnaissante envers son grand bienfaiteur d'Ars, dont, il est vrai, elle n'avait conservé qu'un assez vague souvenir. (1)

 

 

(1) Ces détails nous ont été communiqués par M. l'abbé Félix Boutin, curé de Châteauneuf-de-Gadagne, qui les tenait du frère de la défunte, M. Hippolyte Vatton, âgé de soixante-dix ans lorsque mourut sa sœur Marie. Il avait entendu maintes fois conter ces faits à ses excellents parents qui se faisaient eux-mêmes un bonheur de glorifier le Curé d'Ars dans le cercle de leur famille.