XXIV

 

Le Mousquet

 

La famille des Garets d'Ars, au temps où vivait le saint Curé, comptait parmi ses relations le marquis et la marquise de Barruel. – Les de Barruel descendent tout droit de sainte Jeanne de Chantal, comptant dans leur lignée Mmes de Simiane, de Grignan et de Sévign頖. Tour à tour les enfants du marquis – et ils étaient en nombre – passaient avec les enfants du comte des Garets, maire d'Ars, une partie de leurs vacances. Et naturellement, on ne manquait pas de les présenter à M. Vianney, qui se plaisait à les bénir.

Vers 1857, époque où le pèlerinage se fit plus dense que jamais, M. de Barruel avait envoyé au château d'Ars ses deux fils aînés. Le saint montra une sympathie particulière aux deux frères, à cause sans doute de cette lointaine aïeule élevée à la gloire des autels. Le plus jeune des deux, tempérament pacifique s'il en fut, avait alors quinze ans. Il eut l'avantage, après avoir pris son tour comme les autres pénitents, de s'agenouiller, dans la sacristie, aux pieds de saint Vianney. Et quand il eut reçu l'absolution :

« Vous, mon ami, vous porterez le mousquet, lui dit brusquement l'homme de Dieu.

— Oh ! mon Père, répliqua le jeune homme, comme humilié de cette prédiction, ce sont les simples soldats qui portent le mousquet. Moi, si jamais...

— Vous porterez le mousquet », réitéra M. Vianney. Et il congédia son jeune pénitent avec un gracieux sourire.

Deux ans plus tard, le pape Pie IX, menacé par le Piémont, faisait appel à la jeunesse catholique du monde. Le pénitent du Curé d'Ars, qui déjà peut-être avait oublié la prophétie, brûla de voler au secours du Saint-Père. Malgré son vif désir, il ne put s'engager dans les tirailleurs Franco-Belges du général Lamoricière ; mais, lorsque le 1er janvier 1861, fut organisé, sous les ordres du colonel de Becdelièvre et du commandant Athanase de Charette, le corps des Zouaves Pontificaux, le jeune de Barruel était déjà dans Rome, prêt à s'inscrire. Incorporé des premiers, il recevait le matricule 173.

Quand, peu de jours après son enrôlement, un beau matin de gel, il se vit manœuvrant tant bien que mal son gros fusil, il se souvint du « mousquet » annoncé par le Curé d'Ars. Et un sourire lui vint, avec une prière du cœur adressée au bon saint qui était allé, il y a dix-huit mois, recevoir, là-haut, sa récompense.

« Au moins, dit le zouave novice, faites que je le porte comme il faut, mon mousquet, pour la gloire de Dieu et la défaite de ses ennemis ! »

Le vaillant soldat fut exaucé. Bientôt caporal, il se signalait à l'affaire du Pas-de-Corrèze, contre les hordes garibaldiennes. Sa brillante conduite en ce combat lui valut même les galons de sergent.

Malheureusement, atteint par de graves accès de malaria, le sergent de Barruel dut quitter, au bout de deux années, son cher régiment. Une de ses meilleures joies était de prendre part aux réunions annuelles des anciens Zouaves Pontificaux, où il ne manquait guère de raconter l'histoire de son « mousquet ».

 

 

 

 

FIN DU DEUXIEME TOME