CHAPITRE V

De la foi de la très sainte Vierge

 

Comme la dévotion de la glorieuse Vierge consiste particulièrement en l'imitation de sa très sainte vie, car celui qui l'aime en vérité, dit le dévot saint Bonaventure , en devient une vivante image, le fidèle esclave doit s'appliquer sur toutes choses à l'imitation de ses vertus, d'autant plus que son saint esclavage, nous ôtant au monde, aux créatures du monde, et à nous-mêmes, pour nous donner tout à elle sans aucune réserve, pour être uniquement à Jésus seul, est un changement de toute notre vie, et un renouvellement de grâce, un état céleste où l’on entre par le dépouillement du vieil homme, et dans lequel l'on est revêtu du nouveau. Car qui dit être tout à Marie, c'est dire que l'on est tout à Jésus ; et qui est à Jésus n'est plus à soi ni à aucune chose créée. Si on considère donc l'esclavage de la Mère de Dieu, comme on la doit regarder dans son fond, ne s'arrêtant pas seulement aux pratiques extérieures ; c'est un état tout divin, dans lequel toutes les vertus sont comme dans leur règne ; c'est pourquoi le grand exercice du saint esclavage est la pratique solide des vertus, à l'imitation de la très sacrée Vierge, qui en est un parfait exemplaire, dont toutes les actions, dit saint Ambroise, doivent être continuellement devant nos yeux, pour reconnaitre ce qu'il y a en nous à corriger, ce que nous devons éviter, et ce que nous devons faire.

 

Or, comme la foi est le fondement de toutes les vertus, c'est cette vertu que le fidèle esclave doit premièrement imiter en sa divine maîtresse, qui est, dit Richard de Saint-Laurens au livre VI des Louanges de la Vierge, la femme fidèle, dont la foi a sauvé Adam l'homme infidèle, qui avait été trompé par l'infidélité de la première femme, et qui avait ensuite enveloppé dans ses ténèbres toute sa postérité ; ténèbres qui ont été heureusement dissipées par la lumière de la foi de notre sainte dame. C'est pourquoi si nous pouvons dire avec sainte Élisabeth, qu'elle est bienheureuse parce qu'elle a cru, nous devons encore assurer que sa foi nous fait participer à son bonheur, et nous donne une entrée avantageuse en la communication de sa gloire. De là vient que saint Bernard au serm. 2 de la Naissance de Notre-Seigneur, dit que le royaume des cieux est semblable à la foi de Marie, parce que les sièges des anges ont été réparés par cette vertu de la très pure Vierge. Aussi saint Cyrille d'Alexandrie, qui ne peut être jamais assez loué pour son zèle admirable envers les intérêts de la Mère de Dieu, en l'homélie 6 contre Nestorius, l'appelle le sceptre de la droite foi, parce qu'elle en a étendu les limites jusqu'aux dernières extrémités de la terre, et établi l'empire dans les nations les plus barbares, auparavant qu'elles eussent cru le mystère de l'incarnation qui se devait accomplir en elle, Dieu n'était connu qu'en la Judée, son nom n'était grand qu'en Israël ; mais son royaume depuis ces jours heureux s'est établi par toute la terre, et tous les peuples ont adoré son saint nom.

 

L'angélique docteur sur le chapitre LXIII d'Isaïe, enseigne que Notre-Seigneur fut délaissé de tous ses disciples dans le temps de sa passion, qu'il n'y eut que la très sainte Vierge qui ne le quitta pas, et qui demeura toujours constante dans la foi. Les cierges qui servent pendant les ténèbres de la semaine sainte, et que l'on éteint, marquent que la lumière de la foi fut éteinte dans l'esprit des disciples ; et celui qui demeure toujours allumé, et qui est au plus haut du chandelier, est un signe que l'Église donne, que la foi de la bienheureuse Vierge a toujours été très brillante, et n'a jamais souffert même sur le Calvaire la moindre obscurité. C'est aussi le sentiment de saint Bernard en ce qu'il a écrit de la douleur de cette sainte mère, que la foi de l'Église demeurait en la seule Vierge pendant le temps de la passion. Un chacun hésitait, dit ce Père, mais celle qui avait conçu par la foi, demeurait toujours constante en la foi. Marie est la seule bénie entre toutes les femmes, c'est elle seule qui, pendant le triste jour du sabbat a persisté en la foi, et c'est en elle seule que toute l'Église a été conservée pendant ce temps-là. C'est pour ce sujet que quelques-uns estiment que le samedi a été consacré en son honneur. Albert le Grand déclare que notre sainte maîtresse a possédé la foi dans un degré souverain : et saint Ildephonse l'appelle le sceau de notre foi.

 

Nous devons sur toutes choses nous appliquer à l'imitation de cette vertu, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu, quelque intention que l'on puisse avoir de lui être agréable. C'est pourquoi les hérétiques, quelques bonnes œuvres qu'ils paraissent faire, quand ils donneraient tous leurs biens aux pauvres, quand ils souffriraient avec patience tous les maux du monde, quant ils passeraient leur vie dans la retraite, n'ayant point la foi, ne peuvent être sauvés. Cette vérité nous doit bien faire rentrer en nous-mêmes, pour reconnaître les obligations infinies que nous avons à la bonté de Dieu de nous avoir donné la foi, nous ayant fait naître de parents catholiques. Un esprit se perd amoureusement dans les miséricordes de Notre-Seigneur, lorsqu'il considère d'où vient qu'entre tant de millions d'âmes qui vivent dans tous les pays étrangers, et qui sont infidèles, d'où vient que dans les pays où il a pris sa naissance, où il y a plusieurs hérétiques et qui sont ses voisins, il a plu à la divine miséricorde de lui donner le don de la foi. Ô mon Dieu et mon Seigneur ! Que vous avons-nous fait ? Pourquoi nous prévenir de la sorte des bénédictions de votre douceur ? Ô mon âme ! Il est bien juste de dire avec le Psalmiste : Si le Seigneur ne nous eût aidé encore un peu, nous allions avoir pour demeure l'enfer ! Si nos pieds ont été tirés des malheureuses voies qui y conduisent. C'est votre miséricorde, ô mon Sauveur, qui nous en a délivrés. (Psal., CXXIII, 1 et seq.)

 

Mais que cela est bientôt dit, l'enfer, quoiqu'il n'y ait point de langue qui puisse nous en découvrir pleinement l'énormité des tourments. On a beau y penser, c'est ce qu'on ne peut comprendre. À jamais être infiniment malheureux, être brûlé pour un jamais, porter l'ire de Dieu pour une éternité, souffrir des tourments extrêmes pour toujours. Je me représente une âme condamnée à ce lieu de pures peines, qui, entrant en enfer, et commençant à en ressentir les effroyables tourments, connaît assurément en même temps qu'ils ne finiront jamais. Oh ! Quelle rage ! Quels désespoirs ! et tout cela sans aucun remède, sans la moindre petite espérance de secours ; souffrir toutes sortes de peines, qui sont extrêmes dans leur grandeur, et cela pour un jamais. Voilà un abîme. Ces gens cependant qui vivaient dans ces anciens siècles de la gentilité, dont nous foulons aux pieds les cendres malheureuses, sont depuis tant de siècles dans ces peines : et comme elles sont éternelles, elles ne font pour ainsi dire, que commencer. Pourquoi ne sommes-nous pas nés dans ces temps du paganisme ? Ces personnes hérétiques que nous avons connues, avec qui nous avons vécu, sont dans ces tourments. Pourquoi avons-nous eu des parents catholiques ? Ô amour ! Ô amour de mon Dieu ! Ô miséricordes infinies de l'adorable Jésus ! C’est vous, c'est vous qui êtes la cause de notre bonheur, et la source de toutes les grâces. Mais d'où vient que parmi les disciples nous avons reçu tant de lumières, tant d'instructions ? Pourquoi ne sommes-nous pas comme ces pauvres gens de la campagne, qui vivent presque sans lumière ? Pourquoi ne sommes-nous pas comme ces gens qui, vivant dans les villes, ne s'appliquent pas aux connaissances de l'Évangile, ou qui, les ayant reçues, les négligent ou les méprisent, ne pensant à rien moins qu'aux vérités de la foi, et s'occupant presque toujours des choses de la terre, ensevelissant la divine lumière dans l'obscurité des maximes du monde ? Des miséricordes si étonnantes méritent des actions de grâces continuelles ; mais au moins faut-il prendre quelques jours pour en remercier la divine bonté. Nos ingratitudes tarissent souvent le cours des plus précieuses grâces du ciel ; à peine trouve-t-on des personnes qui s'appliquent à la reconnaissance des dons de Dieu ; nous les recevons sans cesse, et nous en sommes dans un continuel oubli ; et particulièrement pour la grâce de la foi, à peine voit-on des Chrétiens qui en rendent des actions de grâces. Il faut donc faire des communions, avoir soin qu'on offre le saint sacrifice de la messe, faire des neuvaines, donner des aumônes, pratiquer des mortifications, aller en pèlerinage pour remercier Dieu tout bon du don de la foi ; s'assembler plusieurs ensemble pour ce sujet, et pour demander à Notre-Seigneur par sa très sainte Mère et les saints anges, qu'il ne retire pas ce don de la foi de notre pays, par le mauvais usage que l'on en fait. La fête de l'Épiphanie, qui est la fête de la foi, doit être célébrée avec des dévotions très particulières, et c'est un jour bien propre pour s'appliquer à louer l'adorable Jésus, de la manifestation de ses divines vérités. L'on doit avoir aussi grand zèle pour procurer l'instruction des pauvres infidèles des pays étrangers, et des gens de la campagne, coopérant aux missions qui s'y font, ou de ses biens, ou de ses prières et autres dévotions que l'on peut offrir, tantôt pour le Canada, tantôt pour la Chine, quelquefois pour la conversion des hérétiques, et d'autres fois pour la destruction de l'ignorance de nos campagnes.

 

L'on doit aussi conserver toujours un respect extrême, une soumission très profonde, et un amour filial pour notre Saint-Père le Pape, le père et le pasteur de tous les fidèles de l'Église universelle, et le vicaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ en terre, et ne se départir jamais de l'union que tous les Chrétiens doivent avoir pour le Saint-Siège apostolique et l'Église romaine, la mère et maîtresse de toutes les Églises ; considérant que les démons et les hérétiques leurs suppôts combattent toujours avec rage le Saint-Siège, et tachent d'en donner tout le mépris qu'ils peuvent, en diminuant l'autorité, et en retirant de l'obéissance sincère qui lui est due ; au contraire, les saints ont des respects admirables pour la chaire de saint Pierre, où sont assis les Souverains Pontifes successeurs de ce prince des apôtres, avec un tel secours de Jésus-Christ et de sa glorieuse Mère, et des bons anges, que les portes de l'enfer n'ont jamais prévalu contre le Siège apostolique ; et quoique la foi ait manqué dans les lieux où les autres apôtres l'ont établie, cependant Rome, le siège de saint Pierre, l'a toujours conservée toute pure et en son entier avec une fidélité inviolable. L'on doit aussi avoir haute estime pour les moindres cérémonies de l'Église, pour les indulgences, pour toutes les confréries et dévotions qui en sont approuvées, en parlant toujours avec respect, et ayant en horreur le libertinage de certaines personnes qui, se piquant d'esprits forts, raillent sur les choses les plus saintes, et pensent donner des marques de quelques lumières particulières en pointillant sur la religion ou sur les cérémonies de l'Église. L'on doit aussi détester une profanation criminelle qui se glisse en nos jours, de la parole de Dieu, des hymnes et cantiques de l'office divin, par des impies qui se servent des termes de l'Écriture pour sujet de leurs divertissements, et les appliquent aux choses profanes, et qui composent des chansons vaines et mondaines sur l'air des cantiques sacrés. Le démon inspire encore une curiosité dangereuse touchant les matières les plus difficiles de la théologie, comme celles de la grâce et de la prédestination, et les hommes sans études, et même les femmes, les étudient et en disputent dans les compagnies, s'élevant quelquefois par une présomption diabolique, au-dessus de l'autorité du Saint-Père et des prélats, voulant décider des difficultés dont ils ne veulent pas que le Souverain Pontife et les évêques décident.

 

L'esprit véritablement catholique est bien éloigné de ces manières d'agir ; car il n'a que de l'horreur pour ses propres lumières, qu'il quitte avec humilité pour se soumettre aux lumières des prélats de l'Église. Cela n'empêche pas que chacun n'ait ses sentiments, et ses vues, et son jugement ; mais la grâce de Jésus-Christ nous fait soumettre nos sentiments, nos vues et notre propre jugement. Ce n'est donc pas une excuse légitime de dire qu'on n'entre pas dans le sentiment du Saint-Père et des évêques, parce qu'on ne peut pas empêcher les sentiments que l'on a qui y sont contraires ; autrement il n'y aurait presque plus d'obéissance ni dans l'Église ni dans les monastères, parce que l'esprit de l'homme, dans la corruption où il est, ne manque pas de prétextes, de beaux raisonnements, qui lui paraissent solides, pour se dispenser de l'obéissance ; s'il ne fallait obéir que lorsque le propre jugement dicte qu'il est raisonnable, la soumission serait bannie de la plupart des esprits, et l'on ne verrait de tous côtés que de fâcheuses rébellions. Le véritable obéissant n'a point peine à juger que les lumières de ses supérieurs sont plus solides que les siennes propres ; ainsi, sans écouter ses pensées, il passe par-dessus tout ce qu'elles peuvent lui donner de connaissances pour s’y assujettir avec humilité. En vérité, il est difficile de comprendre comme une personne qui marche dans la vie spirituelle demeure attachée à son sentiment, sous prétexte que ses supérieurs se trompent, et les Papes et les évêques ; car c'est un orgueil trop visible de demeurer en repos, sans crainte d'être trompé, pendant que l'on pense facilement que toutes les puissances de l'Église, à qui Dieu donne l'assistance de ses lumières, sont dans l'illusion et l'erreur. Attachons-nous à ce que l'Église nous propose, sans écouter aucun raisonnement qui parle au contraire, dans une entière docilité d'esprit, et une ingénuité toute franche et toute cordiale, sans affecter aucune vaine suffisance pour pointiller sur les choses que l'on ne peut comprendre : quoiqu'il y ait des choses qui choquent les sens et l'esprit, il faut démentir ses sens et dédire son jugement, et se vaincre soi-même, pour être pleinement assujetti en son entendement comme en sa volonté. Mais c'est par la porte de la volonté, dit le grand saint François de Sales, qu'il nous faut sauver des pièges que le démon nous tend en l'entendement par les doutes qu'il y glisse sur les vérités de la foi. Excellent remède à ceux qui sont tentés en cette matière, dans laquelle il faut combattre en fuyant, se donnant bien garde de raisonner, sous prétexte même de se convaincre des vérités de notre religion ; car le diable ne manquera jamais à fournir de nouveaux sujets de doutes, qui s'augmenteront infailliblement par le discours de l'entendement. Tout ce que l’âme a à faire en cet état, est de ne s'occuper pas volontairement des pensées qui lui arrivent : je dis volontairement, car elle ne peut pas empêcher qu'il ne lui en vienne contre sa volonté ; mais elle doit les laisser anéantir d'elles-mêmes, n'envisageant pas la tentation, bien au contraire, la méprisant, et s'appliquant doucement et sans effort à quelque autre chose, ou, s'il n'est pas en son pouvoir, les souffrant avec patience, sans s'y arrêter avec des réflexions volontaires.