CHAPITRE XIV

La doctrine de la croix est un mystère caché

 

Il est vrai que la parole de la croix est un mystère que Dieu ne révèle qu'à ses saints, à qui il veut faire connaître les richesses de la gloire de ce secret. Cette sagesse de l'Évangile n'est point entendue par les sages du siècle, elle est même bien peu comprise par la plupart de ceux qui font profession de la dévotion. Jamais les mondains n'y comprendront rien, quelque lecture qu'ils fassent, quelque sermon qu'ils entendent, leur esprit n'y a aucune entrée. Les superbes et les suffisants ne l'entendront jamais : elle sera toujours une parole cachée à la prudence humaine : les amateurs d'eux-mêmes l'ignoreront toujours ; ceux qui se recherchent ne la trouveront pas : le seul esprit de mort et d'anéantissement rend l'âme disposée à l'intelligence que Notre-Seigneur en donne : il y en a donc qui n'en goutent pas la science, parce que ce sont des gens délicats qui aiment leurs aises, qui travaillent à donner de la satisfaction à leur esprit et à leur corps : gens curieux d'honneur et avides de gloire, qui mettent leur joie dans l'applaudissement des hommes, qui désirent leur estime, qui aiment à être aimés : gens qui craignent les créatures, très timides dans les contradictions qui leur en peuvent arriver, qui n'ont pas le courage de leur résister, et d'en souffrir des rebuts. Tous ces gens disent que la parole de la croix est bien dure, et qu'il n'y a pas moyen de l'entendre, ils ont peur même des personnes crucifiées, ils n'oseraient les fréquenter, de crainte d'entrer en la participation de leurs croix, à peine oseraient-ils dire qu'ils les connaissent, et (s'il est nécessaire) pour conserver leur amour-propre dans un besoin, ils les désavoueront et les renieront. Les voies de la croix les font trembler, et ils souffrent à la seule pensée ou aux seuls entretiens des souffrances.

 

Il y en a d'autres peu intelligents dans la doctrine du mystère de la croix, parce que ce sont des politiques qui veulent accommoder le monde avec Dieu, et l'Évangile avec les sentiments de la nature : ils voudraient bien que Dieu fût servi, à condition que ce serait à leur mode. Ils s'efforcent de plaire à Dieu et de plaire aux hommes, ne prenant pas garde que personne ne peut servir à deux maitres, et ne se souvenant pas de ce que dit l'Apôtre, que s'il plaisait aux hommes, il ne serait pas serviteur de Jésus-Christ (Galat. I, 10) ; et de ce que nous dit encore l'Écriture, que l'amitié de ce monde est ennemie de Dieu (Jac. IV,4) : ces personnes sous prétexte de paix quittent la plupart des œuvres de Dieu, à raison de la contradiction qui leur en arrive. Le bruit des hommes jette la frayeur dans l'esprit, elles ont peur des persécutions, les menaces les intimident, et c'est une pitié extrême de les voir manquer aux plus grands desseins de Notre-Seigneur, par leur peu de courage et de confiance en Dieu seul. Oh ! Combien il est rare de voir des hommes apostoliques qui n'envisagent que Dieu seul, ne se souciant d'aucune autre chose ! Hommes divins, qui dans l'amour de la pauvreté font mépris de tous les biens du monde comme de la fange et de l'ordure, ainsi n'ont point de peur qu'on les leur ôte, et ne craignent pas d'en manquer : hommes sans ambition, qui ne désirant ni bénéfices, ni charges, ni dignités, n'en redoutent pas la privation, ni n'en recherchent pas l'éclat : hommes parfaitement désintéressés, qui ayant en horreur leur propre établissement, n'ambitionnent que le seul établissement de Dieu seul : hommes qui dans une entière haine d'eux-mêmes et de tout ce qui les regarde, n'y poursuivent ni leurs aises, ni l'estime, ni l'amitié des créatures, étant ravis d'être crucifiés par leurs haines, leurs mépris , leurs rebuts, leurs injures, leurs calomnies, et toutes les peines qu'ils en peuvent souffrir : hommes disposés à tout souffrir et endurer pour la gloire de leur maître, et prisons et cachots et gibets et roues et feux, ne se souciant que d'une seule chose, qui est Jésus seul : hommes qui mettent le comble de leur joie et de leur gloire dans les dernières ignominies pour Jésus-Christ, et qui ne sont attachés qu'à la pureté de ses maximes. Ces hommes font de grandes choses pour la gloire de Dieu, et il s'en sert pour accomplir ses plus grands desseins dans son Église : mais ce n'est pas sans d'étranges oppositions du coté des hommes et des démons.

 

C'est pourquoi il en a bien peu qui aient le courage de supporter toutes ces contradictions ; et s'il s'en trouve quelques-uns qui dans les commencements tiennent bon, il y en a très peu qui persévèrent. La nature résiste à ces sortes de voies, les parents viennent à la traverse, qui par des considérations de chair et de sang travaillent à détourner leurs amis de ces chemins pénibles de la croix. Quantité de gens, et quelquefois même ecclésiastiques, religieux, prédicateurs, y forment beaucoup de difficultés, et allèguent quantité de prétextes spécieux en apparence, qu'ils colorent de la gloire du Seigneur. Ils crient : La paix, la paix, ne considérant pas que la paix qu'ils demandent, n'est pas la paix de Dieu, mais des hommes, de la nature et du monde. Je vous donne ma paix, disait notre divin Maître à ses apôtres, mais ce n'est pas comme le monde la donne. (Joan. XIV, 27) Or il faut remarquer que la paix de Dieu et la paix du monde ne sont pas seulement différentes, mais contraires ; ce qui a fait dire à saint Augustin, que celui qui est en paix avec le Sauveur est en inimitié avec le monde. Origène considérant ces paroles de l'Apôtre : Étant justifiés, ayons la paix avec Dieu (Rom. V, 1), il remarque que ce grand homme n'a pas dit seulement, ayons la paix ; mais, la paix avec Dieu, parce qu'il ne voulait pas, dit ce savant auteur, que nous fissions la paix avec la chair, le monde et le diable, d'autant que la guerre contre le diable fait la paix avec Dieu, avec qui nous ne sommes jamais mieux que lorsque nous sommes plus mal avec le diable. Ainsi plusieurs se trompent par le prétexte de la paix, qui est une véritable guerre aux intérêts de Jésus-Christ. L'on remarque, que si un saint prélat entre pour gouverner un diocèse, à même temps l'on n'entend que tempêtes et orages ; si un missionnaire apostolique prêche fortement les vérités chrétiennes ; ce ne sont que persécutions et médisances. Qui voudrait apaiser ces tempêtes et ces soulèvements, faire mettre bas les armes, ôter ces persécutions et ruiner ces médisances, il faudrait faire quitter le gouvernement des diocèses, des communautés, et l'emploi des fonctions apostoliques à ceux qui ne sont qu'animés de l'esprit de Jésus-Christ, et aussitôt les bruits cesseraient, parce que le diable et le monde auraient leur compte et leur satisfaction.

 

Il ne faut que considérer ce qui s'est passé depuis l'établissement de l'Église, pour être persuadé de ces vérités. Nous en avons un illustre exemple devant les yeux en la personne de feu Monseigneur l'évêque de Cahors, dont la précieuse mort arrivée il n'y a pas encore six ans accomplis, a été suivie de quantité de miracles dont Dieu l'a honoré même pendant sa sainte vie. Cet homme céleste qui était tout employé et suremployé pour le salut de ses frères, qui parmi les travaux d'une vie tout apostolique qui ne donnaient pas presque lieu de respirer, qui faisait des missions vingt-deux mois de suite sans autre interruption que celle que les jours des grandes fêtes solennelles l'obligeaient de faire pour officier pontificalement en sa cathédrale, qui dans ces missions outre les sermons et catéchismes qu'il donnait lui-même à ses peuples, passait le reste des jours au confessionnal, qui au milieu de tant de fatigues capables d'abattre les corps les plus forts, mortifiait le sien tous les jours par des jeûnes continuels, et ne pensait et ne parlait que des seuls intérêts de Dieu seul : cet homme, dis-je, tout divin qu'il était, n'a pas laissé de faire de grands bruits en son diocèse. Quoi qu'il fût évêque d'un grand évêché, et ainsi surchargé des peines que la charge redoutable de l'épiscopat porte avec soi inséparablement, il ne mangeait jamais de viande, jamais d'œufs, jamais de poisson, et lui ayant été conseillé de prendre au moins un peu de potage maigre, enfin il le quitta, estimant que c'était être trop à son aise, et pour tous mets cet incomparable prélat se contentait d'un plat de légumes, avec du pain noir. C'était l'homme sans respect humain, ne voyant que Dieu seul en toutes choses. Ce qu'il fit bien paraître à feu Mgr le cardinal, qui lui ayant écrit pour lui demander un bénéfice simple qui dépendait de lui , pour un ecclésiastique qu'il lui recommandait de la part même du roi, il ne lui accorda pas, faisant cette généreuse réponse : Qu'il en connaissait de plus dignes en son diocèse ! Mais (ce qui est bien remarquable) c'est que ce n'était qu'un bénéfice simple et sans charge d'âmes. Il avait fait le grand vœu de faire toutes ses actions à la plus grande gloire de Dieu ; et après tout, ce saint évêque était persécuté de tous côtés, accablé d'affaires, et haï des prêtres libertins. On l'a vu chargé de quarante procès tout à la fois, pour soutenir la discipline ecclésiastique et les droits de son évêché, poursuivant avec une vigueur non pareille les affaires de son église, sans se soucier de toutes les peines qui lui en arrivaient. L'on a vu dans ses synodes des personnes assez téméraires pour lui dire des injures publiquement : ce qu'il supportait avec une patience héroïque : et son zèle incroyable lui attirant mille contradictions, faisait sans doute crier bien des gens ; mais qui enfin a été béni des plus précieuses grâces du ciel , par un changement très extraordinaire de tout son diocèse : car l'ayant trouvé à son entrée dans de très grands désordres, il l'a laissé un des mieux réglés de l'Église, et l'on peut dire avec vérité, tout florissant par la religion et la piété des peuples qui l'habitent, et par le zèle des pasteurs et des prêtres qui le gouvernent. Si ce saint évêque se fût laissé abattre par les contradictions, s'il eût relâché de ce zèle divin qui le dévorait par une condescendance molle selon la vue des hommes, et sous prétexte d'une fausse paix, les églises de son diocèse seraient encore dans le deuil, les véritables prêtres du Seigneur pleureraient encore de les voir délaissées, et les peuples gémiraient dans l'ignorance des vérités de notre foi, et sous l'oppression tyrannique du péché.

 

Mais notre maître ne disait-il pas parlant de lui-même, qu'il n'était pas venu apporter la paix, mais le glaive ? Et n'est-ce pas de lui qu'il a été prophétisé qu'il serait un signe de contradiction ? N'est-ce pas encore de cet adorable Sauveur qu'il est écrit, qu'entrant dans les villes, elles se trouvaient toutes dans une émotion générale ? Quand le démon ne fait pas de bruit, c'est une marque qu'il ne craint pas : mais lorsqu'il exerce sa rage par des soulèvements qu'il excite dans les esprits, par des impostures, et des calomnies qu'il fait courir, par des aversions et des haines qu'il donne, par des ligues et des cabales qu'il lie, c'est un signe très évident qu'il est dans la crainte, et qu'il prévoit quelque bien extraordinaire qui doit arriver. Le démon ne vous combat pas, disait un des anciens Pères à un solitaire, c'est une marque qu'il vous méprise, et que vous ne feriez pas grand'chose : si vous aviez plus de force, il ne manquerait pas de vous attaquer. N’est-ce pas une chose ordinaire, de voir la plupart des prêtres vicieux vivre dans l'aise et sans difficultés ? Qui se met en peine de travailler à apporter le remède à leurs désordres ? Combien se trouve-t-il de personnes qui parlent, qui agissent fortement pour ce sujet ; à moins que d'avoir quelque intérêt propre qui y pousse ? Car en ce cas l'on fait toutes les poursuites possibles, l'on en parle aux supérieurs avec ardeur, l'on en fait faire des informations très exactes avec soin, l'on fait venir les témoins, l'on emploie ses amis, l'on crie, l'on demande justice, l'on n'épargne ni argent ni peines pour en venir à bout : l'on plaide, l'on continue les procès, on les porte de tribunal en tribunal, et tout cela parce que l'on y est intéressé. C'est que l'on a reçu quelque injure du prêtre, que l'on en a souffert quelque chose, ou bien qu'il résiste aux desseins que l'on a ; car lorsqu'il ne s'agit que de l'intérêt de Dieu, que de la profanation de nos plus augustes mystères, que du mépris exécrable du sang de Notre-Seigneur que l'on foule aux pieds, que de la damnation des âmes, l'on garde le silence, ou si l'on parle, c'est bien faiblement, et tout au plus l'on s'arrête à en déplorer le mal : mais qui fait un procès pour Jésus-Christ et pour ses divins intérêts ? Cependant si quelque homme de Dieu rempli de son esprit attaque le péché, combat les désordres, retire les âmes du libertinage, travaille à la réforme du clergé et des peuples, à même temps l'on voit de tous côtés des gens qui s'élèvent, qui médisent, qui calomnient, qui s'animent, qui font des ligues, qui apportent mille contradictions : c'est que le diable décharge sa rage par ces personnes, ne pouvant supporter l'établissement du royaume de Dieu. Le juste doit demander à Dieu le don de force pour vaincre tous ces obstacles, et considérer que le sage médecin aime bien mieux laisser crier son malade à raison de la douleur que les remèdes lui causent pour lui redonner la santé, qu'en lui ôtant ces remèdes douloureux, le laisser dans quelque repos qui serait suivi de la mort.

 

Le démon qui prévoit les biens immenses qui sont attachés à l'esprit de la croix, n'y forme pas seulement des oppositions par la délicatesse des sens, ou par le bien apparent d'une paix que Jésus-Christ n'est pas venu apporter en terre ; mais se servant du spécieux prétexte de la gloire de Dieu, il combat l'état des souffrances, qui est le moyen le plus efficace pour l'établir. Il ne manque pas, cet esprit de tromperie, d'insinuer dans les esprits que la pauvreté, la douleur, les mépris, les calomnies et opprobres, la haine des gens, leurs contradictions et persécutions, leurs rebuts et délaissements rendent inhabiles les personnes qui les souffrent à procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes : et il lui est d'autant plus facile d'imprimer ces sentiments dans les esprits, qu'ils sont plus conformes aux sens et à la raison même : et c'est ce qui fait que le torrent des hommes en va là, y en ayant bien peu qui, s'élevant par la foi au-dessus des sens et de la raison même, ne regardent les choses que comme Dieu le voit. Cependant, c'est une vérité immuable dans le christianisme, que nous apprenons de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que le grain de froment tombant en terre, ne rapporte rien s'il ne pourrit ; mais s'il pourrit, qu'il rapporte beaucoup (Joan. XII, 24, 25) : et notre divin Maître dont il est écrit (Psal. LXXVII, 2) qu'il ouvrirait sa divine bouche en parabole, s'est voulu servir de cette similitude pour nous marquer la nécessité de la croix, pour pouvoir travailler à sa gloire avec bénédiction : car enfin ces paroles sacrées ne nous font-elles pas assez voir qu'on ne peut pas attendre grand'chose d'une âme que les souffrances n'anéantissent pas, et qu’il faut être crucifié avec Jésus-Christ pour glorifier dignement le Père éternel avec lui. Qu'on lise toute l'histoire ecclésiastique, et toutes les Vies des saints, et l'on verra depuis l'établissement de l'Église jusqu'à nos jours, que les grands ouvrages du Saint-Esprit ne se sont faits que par des personnes de croix, en sorte que ces personnes sont nées dans les croix, et y ont vécu, ou bien elles ont été introduites dans les états de souffrances par la privation des honneurs, des biens et plaisirs de ce monde, qu'elles ont volontairement choisie, ou qui leur est arrivée par une pure conduite de la Providence, qui quelquefois même fait des coups admirables pour les y faire venir. Combien de fois a-t-il, pour ainsi dire, comme il a été déjà remarqué, renversé toutes choses, fermant les yeux et bouchant les esprits pour crucifier une personne, et la rendre ensuite propre à l'établissement de ses divins intérêts. Combien de fois a-t-on eu sujet de s'étonner lorsqu'on a vu des pères et des mères s'oubliant de la nature même, tourmenter cruellement leurs enfants, des maris leurs femmes, des femmes leurs maris ; lorsqu'on a vu des personnes intimement amies se quitter inhumainement ; des personnes que l'on avait extraordinairement obligées, trahir méchamment leurs bienfaiteurs, des riches tomber tout à coup dans des pauvretés extrêmes, des personnes estimées, dans le déshonneur et l'abandonnement : mais ces choses n'arrivent pas sans une conduite très particulière de Dieu, qui s'en sert à ses desseins, qui vont à mettre en croix et faire mourir au monde les âmes qu'il a élues pour ses plus grands ouvrages. Ce ne sont pas les souffrances que nous remarquons dans les personnes, qui nous doivent ôter les espérances du bien que l'on en peut attendre ; mais bien au contraire, quand elles sont dans l'honneur et l'applaudissement, l'on n'en peut pas espérer grand'chose.

 

Un grand cardinal, qui était prince de naissance, voulut entreprendre la réforme des chanoines réguliers de Lorraine, et il n'en put venir à bout. Il était néanmoins très bien intentionné, il avait le pouvoir de l'Église et le secours de l'État : son autorité devait, ce semble, lever tous les empêchements qui pouvaient se présenter : cependant, cette réforme est réservée à un pauvre religieux que ses propres frères avaient voulu empoisonner plusieurs fois, qui faisait ses voyages dans des paniers de charbonnier : cet équipage humble fit trembler tout l'enfer ; qui ne se trouve pas ému de se voir attaqué par des pages et des carrosses !

 

Saint Charles Borromée est choisi de Dieu pour renouveler l'esprit ecclésiastique, il faut qu'il aille par le chemin royal des croix. Il est cardinal et un grand archevêque, et il semble que ces éminentes et très illustres qualités le doivent exempter de marcher par le chemin des souffrances : mais s'il a fallu que Jésus-Christ ait souffert pour entrer dans sa gloire (Luc. XXIV, 26), ses serviteurs n'y peuvent arriver par une autre voie. On murmure contre ce grand homme, on lui tend des piéger pour le perdre, on fait des ligues pour le ruiner, on crie, on trouve à redire à sa conduite, on décrie même sa dévotion. L'on parle contre ses pèlerins, l'on remontre au Pape son oncle qu'il se rendait ridicule, et qu'il ne vivait pas ni ne marchait pas en cardinal et en prélat ; que sa conduite était extraordinaire, indigne de sa condition, et qu'au reste il y avait une personne auprès de lui qui lui faisait faire toutes ces dévotions extravagantes (c'était un Père de la Compagnie de Jésus, qui s'en alla depuis aux pays étrangers), et que Sa Sainteté devait lui ordonner de se retirer. La persécution alla si avant, qu'on prêchait contre le saint en sa présence ; et après tout on conspira contre sa vie, et l'on en vint à l'exécution, en sorte que sans un miracle le saint eût été tué d'une balle qui lui fut tirée, qui tomba par terre sans lui faire aucun mal, l'homme de Dieu demeurant dans une paix si profonde, que la chose étant arrivée durant le temps de l'oraison, il voulut qu'elle fut continuée dans la même tranquillité et sans aucune interruption, comme à l'ordinaire.

Quelles persécutions n'a pas souffertes saint Ignace, le fondateur de la Compagnie de Jésus ? N'a-t-on pas dit de lui qu'il méritait d'être brûlé ? Combien de libelles a-t-on donnés au public contre ce grand saint ? N'a-t-il pas vu ses enfants dans les dernières des humiliations ? N’a-t-il pas vu ses enfants dans les dernières des humiliations ? Il les a vus excommunier, et ensuite tout le clergé venir devant leur maison, chantant le psaume CVIII, qui est un psaume d'exécration contre Judas, la croix renversée, pour marquer l'horreur que l'on avait de ces Pères, la populace armée de pierres pour les assommer, des tableaux posés dans toutes les places publiques, où ils étaient dépeints entre les mains des démons qui les jetaient dans des feux et des flammes. Ces contradictions extraordinaires rehaussaient incroyablement l'espérance de saint Ignare : et ce fut un des motifs qui engagea le bienheureux François de Borgia d'entrer dans la Compagnie de Jésus.