HUITIÈME PRATIQUE

Visiter les églises ou oratoires qui sont consacrés à Dieu

en l'honneur des saints anges

 

 

Les hérétiques, à qui toute piété est odieuse, blâment les pèlerinages que la sainte Église catholique approuve, et qui les a en telle considération que le Souverain Pontife, qui en est le chef, dans le temps même qu'il accorde ses pouvoirs, se réserve souvent la dispense des vœux des pèlerinages de Rome, de Jérusalem et de Saint-Jacques en Galice. Dieu fait assez paraître combien ces dévotions lui agréent, puisqu'il y attache tant de grâces et de faveurs particulières, qu'il ne donne pas en d'autres lieux. On peut, à la vérité, et on doit recourir à sa bonté paternelle, implorer la protection de la très sacrée Vierge, des anges et des saints en toutes sortes d'endroits, en toutes les églises et chapelles ; mais on ne peut pas nier qu'il y ait de certains lieux que ce Dieu de miséricorde honore de miracles, ce qu'il ne fait pas autre part, approuvant par ces témoignages d'une puissance et d'une bonté extraordinaires la dévotion des pèlerins qui y viennent en foule de tous côtés.

Nous avons des saints reconnus pour tels par l'Église catholique, qui ont passé la meilleure partie de leur vie dans ces sortes de dévotions ; et le grand archevêque de Milan, saint Charles Borromée, en avait une telle estime, qu’il a fait plusieurs pèlerinages, quoique longs et fâcheux, avec de très grandes peines, tout chargé qu'il était de grandes affaires qu'il avait entre les mains, et avec les contradictions des premières personnes du monde. L'église du mont Gargan, dédiée à Dieu en l'honneur de saint Michel, est l'un de ces lieux célèbres où les pèlerins abordent de toutes parts ; et Othon III, tout empereur qu'il était, y alla nu-pieds de la ville de Rome, quoiqu'elle en soit fort éloignée.

 

Mais comme il y a peu de personnes qui soient en état de faire de si longs voyages, l'on peut y suppléer en allant en dévotion à quelque chapelle ou autel dédié en l'honneur de ce prince de la milice céleste, ou des autres saints anges. Depuis quelques années, il a plu à Notre-Seigneur de réveiller dans les cœurs la dévotion à ces bienheureux esprits en la ville de Rouen, capitale de la Normandie, et il s'est servi pour cette fin de ce moyen, donnant le mouvement à quantité de personnes de piété d'aller tous les mois visiter une chapelle qui est bâtie sur une haute montagne assez proche de cette grande ville, en l'honneur de l'archange saint Michel. Voici, selon que je l'ai appris, comme la chose est arrivée. Deux ou trois serviteurs de Dieu, allant faire leurs dévotions à une église célèbre, où la très sainte Vierge est invoquée sous le titre de Notre-Dame de Bon-Secours, se sentirent incités à aller faire leurs prières à la porte de la susdite chapelle de Saint-Michel, qui n'en est pas fort éloignée, et en même temps furent puissamment touchés devoir cette chapelle délaissée ; la dévotion y ayant été si grande, à ce que l'on peut apprendre par le témoignage des anciens, et par la vue même d'un chemin pavé de grandes pierres, que l'on y avait fait tout exprès avec beaucoup de dépense et de difficulté, et dont on remarque encore les restes. Cela les obligea à prendre résolution d'y venir de temps en temps, et ayant communiqué leur dessein à quelques autres personnes, elles y entrèrent facilement. Or il a plu au Dieu de toutes bontés d'y donner une telle bénédiction, que dans la suite de peu d'années, y ayant très peu que cette dévotion a commencé, il se trouve un si grand nombre de personnes au jour que l'on prend au commencement de chaque mois, que l'on est obligé de faire le sermon au dehors de la chapelle : l'on est sensiblement touché de voir tout ce monde assis avec modestie sur le sommet de cette montagne, entendre dans un profond silence les discours qui s'y font à la louange des saints anges ; car l'on ne manque pas de s'assurer d'un prédicateur pour tous les mois, comme aussi d'y faire célébrer la sainte messe où il se fait quantité de communions. Cette dévotion ayant été inspirée ensuite d'un voyage à Notre-Dame de Bon-Secours, l'on peut croire avec fondement que c'est une faveur de cette souveraine des anges, et un effet signalé de son bon secours.

 

J'ai vu dans une autre ville, que vers la fête de Saint-Michel, ou au commencement de mars, l'on députait pendant neuf jours des personnes pour aller rendre leurs respects aux saints anges en l'une de leurs chapelles, et quelquefois même neuf personnes s'acquittaient tous les jours de ce devoir, sans parler de plusieurs autres qui y allaient offrir leurs vœux le matin et le soir ; l'on y faisait célébrer tous les jours le saint sacrifice de la messe, et on y faisait brûler chaque jour neuf cierges.