DEUXIÈME PRATIQUE

Honorer particulièrement les puissances, les vertus et les dominations

 

 

La seconde hiérarchie est composée des puissances, des vertus et des dominations ; ou, selon quelques-uns qui mettent les vertus dans la dernière hiérarchie, des principautés, des puissances et des dominations. Les dominations, comme seigneurs ou premiers de la seconde hiérarchie, donnent les ordres dans les choses de Dieu ; les vertus donnent des forces pour les exécuter, et les puissances résistent aux diables qui s'y opposent, détruisant leur pouvoir, et surmontant tous les obstacles qui s'y rencontrent.

 

C'est donc les dominations qui, donnant les ordres de Dieu, nous font connaître sa sainte volonté. Oh ! Que nous serions heureux, si nous pouvions bien discerner la volonté divine d'avec la nôtre ! Combien de fois l'amour de nous-mêmes et de la créature, qui ne peut produire en nous que de l'aveuglement, nous donne-t-il le change, et nous fait-il prendre notre volonté pour celle de Dieu ? Une âme un peu touchée du divin amour a de la peine, quand elle connaît bien la divine volonté, à s'y opposer : mais la nature corrompue vient secrètement, et nous fait penser facilement que ce que nous voulons est dans l'ordre de Dieu. Nous voudrions bien que la volonté de Dieu fût faite ; mais nous serions bien aises que la nôtre se fit aussi ; ainsi l'on tâche d'accorder la volonté divine avec la sienne. Ce désordre est bien plus grand que plusieurs ne pensent parmi les spirituels : la dévotion aux dominations y est un grand remède, puisque c'est le propre de ces esprits de lumière de nous faire connaître les ordres de Dieu ; ils sont comme les secrétaires d'État du grand roi Jésus.

 

Mais ce n'est pas assez de savoir les ordres de Dieu, il en faut venir à l'exécution. Celui qui connait la volonté de son maître, et ne la fait pas, sera grandement châtié. Ô mon Dieu ! Qu’il est juste que vos créatures vous soient parfaitement assujetties ! Ô Seigneur ! Qui est semblable à vous ? Qui peut paraître en votre divine présence, et y être considéré ? Tout l'univers devant vous n'est qu'une goutte de rosée, et toutes les nations qu'un pur néant. Quelle misère de ne pas voler au moindre signe de votre bon plaisir ! Ô bon plaisir divin ! Puisses-tu être à jamais notre unique plaisir. Allons, mon âme, allons, tirons toujours de ce côté-là : que le monde, et tout ce qu'il y a au monde, soit pour vous à jamais un sujet d'horreur. Oh ! Que votre volonté se fasse, ô mon Dieu ! En la terre comme au ciel ! Cependant avec tous nos bons desseins, nous ne faisons rien qui vaille ; nos vues sont plus longues que nos bras. L'on voit du haut d'une tour un chemin très fâcheux par où il faut passer ; et la vue en est plus facile sans doute, que la peine qu'il faut souffrir lorsqu'on y marche actuellement. Il en va de même dans nos raisons ; il nous semble que rien ne nous arrêtera ; et lorsqu'il faut combattre, de petits nains font perdre le cœur à ceux qui défaisaient, en leurs pensées, des géants et des monstres. Nous ne sommes que pure faiblesse ; nos sens, nos inclinations nous gouvernent. Vous verrez des personnes de dévotion, qui semblent faire des merveilles, rendre les armes à une petite inclination, se laisser abattre à un je ne sais quoi ; cela fait la dernière pitié : après tout cela, notre impuissance ne nous est pas encore connue ; nous sommes encore plus faibles que jamais nous ne pouvons penser. Que la dévotion aux vertus soit donc notre ressource, pour être soutenus de ces fortes intelligences. Invoquons-les dans nos faiblesses ; conseillons-en la dévotion à tous ceux qui tombent si souvent, quelques bons désirs qu'ils aient ; appelons-les à notre aide ; aimons-les, et les bénissons quand nous aurons surmonté quelque attache, ou résisté à quelque inclination de la nature. Saint Grégoire estime que c'est par les vertus que Dieu ordinairement fait la plupart des miracles ; ayez donc bien de l'amour pour ces anges ; et dans les besoins extraordinaires du corps et de l'esprit, dans les maladies publiques et autres maux, ayez recours à eux. C'est encore par eux que Dieu gouverne les saisons, et généralement les cieux et les éléments, quoiqu'il y ait des anges de la dernière hiérarchie qui en prennent un soin particulier. Dans le temps de la peste, d'inondations et choses semblables, une des meilleures choses que l'on puisse faire, c'est de les prier et de les honorer.

 

Nous avons dit ailleurs les différentes tentations des démons, leurs ruses, leurs malices et leurs forces, et qu'il ne nous est pas possible de résister à ces forces invisibles, de nous-mêmes ; nous avons dit que les saints anges nous étaient donnés pour en triompher. Mais il faut dire ici que c'est au chœur particulièrement des puissances, que Dieu adonné un pouvoir très spécial de détruire tous les efforts des malins esprits ; et l'un des plus grands secrets de la vie spirituelle est de s'appliquer avec soin à honorer les bienheureux esprits en chœur. Il n'est ni en mon pouvoir ni en celui des autres hommes, de faire voir assez hautement les merveilleux effets qui en proviennent. Selon ma petite lumière, c'est l'une des dévotions qu'il faut le plus insinuer, que celle des puissances, comme l'une des plus nécessaires et des plus avantageuses. Quand l'on voit des orages s'élever dans l'Église ou dans l'État, des soulèvements contre des gens qui travaillent à la gloire de Dieu, des oppositions extraordinaires qui se forment aux grands biens que l'on pensait à faire dans les diocèses, dans les villes, campagnes et provinces, pour lors il faut faire quantité de dévotions en l'honneur de ces puissances du ciel, afin qu'elles détruisent et renversent toute la puissance et les misérables desseins de l'enfer.